Les Chinois voient l’heure dans l’œil des chats.
Un jour un missionnaire, se promenant dans la banlieue de Nankin,
s’aperçut qu’il avait oublié sa montre, et demanda à un petit garçon
quelle heure il était.
Le gamin du céleste Empire hésita d’abord ; puis, se ravisant, il répondit : « Je vais vous le dire. »
Peu d’instants après, il reparut, tenant dans ses bras un fort gros
chat, et le regardant, comme on dit, dans le blanc des yeux il affirma
sans hésiter : « Il n’est pas encore tout à fait midi. »
Ce qui était vrai...
Charles Baudelaire. L’Horloge, Le Spleen de Paris
Clara, mars 2011
En ce monde, on ne classait pas les conduites d’après le sexe, amour des femmes, ou des garçons, mais en activité ou passivité : être actif, c’est être un mâle, quel que soit le sexe du partenaire dit passif. Prendre du plaisir virilement ou en donner servilement, tout est là.
La femme est passive par définition, à moins d’être un monstre et, en cette affaire, n’a pas voix au chapitre [...] Les enfants ne comptent pas davantage, à la condition que l’adulte ne se mette pas à leur service pour leur donner du plaisir et qu’il se borne à en prendre. Ces enfants sont, à Rome, des esclaves qui ne comptent pas et, en Grèce, des éphèbes qui ne sont pas encore citoyens, si bien qu’ils peuvent encore être passifs sans déshonneur.
Un mépris colossal accablait en revanche l’adulte mâle et libre qui était homophile passif ou, comme on disait, impudicus (tel est le sens méconnu de ce mot) ou diatithemenos. [...]
L’individu passif n’était pas mou à cause de sa déviation sexuelle, tout au contraire : sa passivité n’était qu’un des effets de son manque de virilité, et ce manque demeurait un vice capital en l’absence même de tout homophilie.
Car cette société ne passait pas son temps à se demander si les gens étaient des homosexuels ou pas ; en revanche, elle prêtait une attention démesurée à d’infimes détails de toilette, de prononciation, de gestes, de démarche, pour poursuivre de son mépris ceux qui y trahissaient un manque de virilité, quels que fussent leurs goûts. [...]
Tout cela explique une deuxième obsession, inattendue ; il y avait bien une conduite sexuelle qui était absolument honteuse, tellement que les gens passaient la journée à se demander qui « en était » ; cette conduite, qui occupait dans les médisances la même place que la pédale chez nos chansonniers, était la fellation [...]
La fellation était l’injure suprême, et l’on citait des cas de fellateurs honteux qui essayaient, prétendait-on, de déguiser leur infamie sous une honte moindre en se faisant passer pour des homophiles passifs ! [...]
La fellation n’est-elle pas le comble de l’abaissement, en effet ? Elle prend passivement son plaisir à en donner à autrui et elle ne refuse servilement à autrui la possession d’aucune partie du corps ; le sexe ne fait rien à l’affaire : car il était une deuxième conduite non moins infâmeet qui les obsédait autant : le cunnilingue. [...]
Paul Veyne, Sexe et pouvoir, éditions (Points Histoire)