Réjouissons nous le Grand Palais est libéré des impressionnistes. Enfin une exposition officielle de peintres vivants.
Voilà un accrochage qui chez moi à la fois remué bien des souvenirs et fait naître bien des questions.
Avant remémorations et interrogations, voyons de quoi il s’agit . Nous avons à faire à un panorama de l’”école”, non constituée, de la figuration narrative qui a regroupé un certains nombre de peintres qui s’opposaient au diktat de l’abstraction de l’école de Paris. Il s’agissait entre autres de Monory, Fromanger, Rancillac, Klasen , Arroyo , Erro... Comme le nom de leur groupe l’indique trouvé, par leur rassembleur, le critique Gérald Gassiot-Talabot , ils se voulaient et se veulent toujours pour les survivants de cette équipée, figuratifs mais au delà de la forme (et pourtant!) qui est nourri de la BD, de la photographie, du cinéma ou des images d'actualité. Ils avaient aussi en commun un grand sens de la couleur qu’ils utilisaient souvent pure en et aplat.
Peter Saul
Mais ils étaient surtout, et le sont resté pour certains, très engagés à gauche. A ce titre ils ne s’opposaient pas seulement à l’abstraction mais aussi à la “figuration bourgeoise” que l’on pouvait voir rive droite avenue Matignon où à la galerie de Paris qui était le fief d’Yves Brayer, cette peinture aujourd’hui se survit, complètement ignorée de la critique, chez un Jouenne par exemple. Contrairement à ces peintres dont la peinture, surtout de paysages, est étrangement intemporelle, riche en “petites bretagnes” et “provences ensoleillés, nos mousquetaires de la figuration narrative voulaient ferrailler avec les tenants du pouvoir capitaliste. Ils entrèrent très vite en conflit avec un autre groupe, Les nouveaux réalistes César, Arman, Ben..., organisés par le charismatique Restany, qui étaient les tenants d’un art sociologique. Ils étaient classés à droite à cause de leur mentor. Cette guerre des clans curieusement ne paraissait pas, alors ridicule; mais ce dont ne s’aperçurent pas les belligérants c’est que les américains allaient les mettre très vite tous d’accord. Paris n’était plus le centre du monde de l’art c’était dorénavant New York. Un événement allait les réveiller, mais trop tard, l’attribution du Grand Prix à la biennale de Venise de 1964 à Rauschenberg.
Fromanger
Comble de malheur pour la figuration narrative, dans ces mêmes années, Paris découvre le pop art anglais et surtout américain avec notamment Wahrol et Rosenquist. Des critiques assez mal intentionnés (et dollardisés) accuseront la figuration narrative de copier les anglo-saxons.
Faisons immédiatement un sort à cette accusation. Si comme les artistes de la figuration narrative ceux du pop art se servent, d’une part des objets du quotidien et d’autre part la photographie et la reproduction mécanique entrent dans leurs pratiques, ces derniers font un art de constatation alors que pour les peintres de la figuration narrative sont fermement ancrés dans la contestation.
Télémaque
Une réflexion entendue lors du vernissage, émise trop fort par une jeune femme élégante, trop jeune pour percevoir l’enjeu politique de ces œuvres, je reviendrais sur la perception que l’on peut en avoir aujourd’hui, se plaignait de la laideur des tableaux (avis que je ne partage en rien). Cette remarque met en exergue une autre grande différence entre la figuration narrative, qui ne s’est jamais souciée du beau, et le pop art dont le souci décoratif est évident. Je précise que le beau et le décoratif, concernant l’art, ne sont pas des gros mots chez moi. A ce propos je mettrais un peu à part deux artistes de la bande Monory et surtout Gilles Aillaud dont j’ai beaucoup de mal à imaginer que le beau n’est pas été une de leurs préoccupation majeure.
Gilles Aillaud, La bataille du riz, 1968
En 2005 Fromanger s'exprimait sur la notion de beauté: << Certes, il y a des critères, des définitions, des codes, un académisme de la beauté. Aujourd'hui, les définitions sont contradictoires, d’ailleurs aussi bonnes les unes que les autres. Si pour reprendre Breton, la beauté doit tenir le coup devant le journal du matin, je suis d’accord. Voilà un des sens que je peux donner à la beauté : tenir le coup devant le journal du matin. Si, comme Picasso, la beauté doit sentir sous les bras, je suis encore d’accord. A une époque où l’on ne pisse plus, on ne chie plus, on ne sent plus, on ne crache plus, c’est pas mal. Je peux t’en dire vingt comme ça. Mais LA beauté, je ne sais pas ce que c’est.>>.
Petit aparté à propos de Monory , il est amusant de voir chez un peintre membre d’un groupe qui contestait la consommation sa fascination pour l’automobile, fascination qui ne s’est jamais démenti comme le prouve ses dernières toiles montrées à Art Paris , il y a deux semaines. Cet amour de la bagnole chromée il le partage avec son collègue américain du pop art Rosenquist. Monory est à mon avis le Seul artiste de la figuration narrative que l’on peut rapprocher du pop art.
Monory, voiture de rêve, 2007
Un aparté menant à une digression voyons le cas de Gilles Aillaud (1928-2005) dont le discour politique est parfaitement inaudible face à ses splendides toiles (exception faite pour “Vietnam la bataille du riz”) qui représentent des animaux dans leur cage au zoo. La dénonciation de l’enfermement ne me parait pas sauter au yeux. Son talentueux suiveur, Bourquin peint le même type de sujets sans vouloir y mettre aucune charge politique.
Oeuvres de Gilles Aillaud dans l'exposition.
Gilles Aillaud, à la fin de sa vie, devant une toile qui est exposé au Grand Palais
Une digression conduisant à un complément d’information, le peintre Cuéco est bien le même homme qui, il n'y a pas si longtemps ravissait les auditeurs de l'indispensable émission de France-culture, "Les papous dans la tête de ses propros cocasses sur les latrines et autres lieux d'aisance. Il est aussi l'auteur de "Dialogue avec mon jardinier" récemment adapté au cinématographe.
Henri Cuéco, Marx Freud Mao, 1969
Un complément d'information pouvant induire un nota, le lecteur attentif du blog s'apercevra combien les pièces de Fromanger exposées ici sont éloignée de celles qu’en chantre de la Bastille j’ai admiré au salon du dessin contemporain.
Oeuvres de Fromanger dans l'exposition
Le nota ne pouvant conduire qu’à une précision en voilà une à propos de Rancillac car si vous avez connu de près ou de loin mai 68, vous ne pouvez pas avoir eu connaissance d’une de ses affiches (que l’on voit au Grand Palais) celle célèbre du portrait de Daniel Cohn-Bendit, légendé Nous sommes tous des juifs et des allemands ". Elle a été dessinée en juin 1968 par Bernard Rancillac, pour protester contre l'expulsion du meneur du mouvement alors qu'il s'était réintroduit clandestinement en France quelques jours plus tôt. Elle a été réalisée dans l'Atelier populaire, autrement dit l'atelier de lithographie de l'Ecole des beaux-arts, annexé pour l'occasion. Le 5 avril 2008 un exemplaire de cette affiche a été vendue pour 2687 euros!
Rancillac
La politique est rarement bonne conseillère ainsi la plupart des membres de la figuration narrative firent sur l'invitation de Fidel Castro et du peintre Lam un voyage à Cuba où il exposèrent leurs toile. Je ne peux que rapprocher cette excursion avec le fameux voyage en Allemagne en 1943 dans lequel se compromirent des peintres comme Derain et de Vlamynck, même si ce n'est pas tout à fait semblable de se faire goberger par Hitler en 1943 et par Fidel en 1967 mais tout de même...
Fidel par Rancillac
Autant de considérations historiques et politiques quasi absentes de l’exposition, fort peu pédagogique. Tout le contraire du formidable catalogue qui offre à l’acheteur, pour 50€ tout de même, un extraordinaire voyage dans le temps avec le calendrier très illustré des combats artistiques qui se déroulaient dans le Paris des années 60. S’y ajoutent, en fin de volume, après les belles reproductions des œuvres exposées, d’éclairantes interviews des protagonistes, Erro, Cuéco, Jouffroy, Klasen , Rancillac, Télémaque ...
La grande question qui se pose, hors de son contexte politique, ces tableaux tiennent-ils pour ceux qui n’ont pas connu cette période. Je suis incapable de répondre à cette question, car trop d’ affectes, en ce qui me concerne, polluent mon jugement. Jouffroy dans l’interview du catalogue semble bien avoir raison quand il dit: << La figuration narrative, c’est la peinture à laquelle il faut ajouter les commentaires innombrables qu’elle a suscité l’espérance qu’on a eue.>>. (ci-dessous une toile de Klasen)
Il me semble que c’est le bon moment pour montrer cette peinture, car je sent monter, pour le meilleur et pour le pire, une repolitisation des esprits, même si je ne pense pas qu’elle puisse atteindre le degré d’exaspération qu’elle atteignait à l’époque où étaient peints ces tableaux. Une conscience politique me parait indispensable pour appréhender les courants artistiques de ces années là. Mais n’en est-il pas de même pour la littérature contemporaine à la figuration narrative tel le roman “Les choses” de Pérec à qui cette rétrospective m’a fait beaucoup penser.
Fromanger
Pour continuer dans ce difficile mariage entre la peinture et la politique, qui irrigue toute l’exposition, un oubli me parait dommageable pour la compréhension du public à la continuité historique de l’histoire de l’art, celui de Fougeron (décédé en 1998). Il faudra bien un jour sortir Fougeron du purgatoire et admettre, malgré son statut durant l’immédiate après guerre de peintre officiel du Parti Communiste Français et seul représentant du réalisme socialiste à la française, qu’il fut un peintre digne d’intérèt et le précurseur de la figuration narrative. Avec des moyens plus traditionnels Fougeron avait le même but que des artistes comme Arroyo, Fromanger , Télémaque, faire passer un message politique à travers la peinture. On retrouve aujourd’hui l’echo de la facture des tableaux de Fougeron dans ceux d’Erro qui eux même ne sont pas pour rien dans ceux de Speedy graphito.
Fougeron
On peut s’etonner aussi de l’absence de Jean Jacquet, trop jeune? pourtant actif dans les mêmes années, ou de celle de Cremonini et Segui un temps compagnons de route...
Il ne faut pas oublier de rappeler que cette peinture est aussi une peinture générationnelle. Tous les membres du groupe, on aujourd’hui aux alentours de soixante dix ans. Et qu’elle est aussi le fruit de l’émergence de nouveautés techniques comme l’arrivée de la peinture acrylique, de l’épiscope et de l’aérographe...
Erro
S’il y a une assez grande unité politique entre les membres de ce que j’hésite à qualifier d’école, il n’y a en rien une unité esthétique. Cette diversité pourra surprendre le visiteur. Autre chose qui pourra le désarçonner nous sommes en face de tableaux qui sont au début ou et à l’origine des oeuvres de peintres qui n’étaient alors âgés que d’une trentaine d’années et qui sont pour la plupart loin de leur apogé artistique. Comme vous le voyez une exposition où il ne faut jamais perdre de vue le sablier du temps.
Arroyo, une toile de 2007
Cette visite comme je le disais en préambule a ravivé bien des souvenirs. Il se trouve que j’étais présent au vernissage de “l’exposition Pompidou”, dans ce même Grand Palais en 1972, événement que les commissaires de l’exposition d’aujourd’hui ont choisi comme le terme de la figuration narrative. Je ne me souviens plus, au tout jeune homme que j’étais alors, ce qui avait valu cet honneur. Je me rappelle d’avoir échappé aux horions qui furent le cuisant souvenir de cette escapade artistique pour certains et de n’avoir entendu qu’au loin le hourvari des protestataires. Je dois dire qu’en cette belle année 1972, je n’avais à peu près rien compris à ce que j’avais vu n’ayant aucune formation artistique et un mince bagage culturel. J’avais tout de même compris l’orientation politique des artistes et certains messages qu’ils voulaient faire passer.
Cette incompréhension d’alors, nourrit mon inquiétude d’aujourd’hui, car au moins à l’époque je baignais dans l’actualité dont étaient issu de nombreux tableaux et j’étais en pleine bataille d’idées; nous sommes avec la figuration narrative dans une peinture d’idées, là encore comme pour les vocables beau et décoratif rien de péjoratif dans ce terme de peinture d’idées; la grande peinture classique d’un Poussin est entre autres cela. Le spectateur de 2008, dans un monde qui bannit l’idée, ignorant de la sophistication technique que demande la réalisation de plusieurs des œuvres exposée et coupé de l’actualité du moment qui les a accouchées que comprendra-t-il? Que verra-t-il?
Paris, avril 2008.