Ce volume rassemble les lettres que s’échangent Perec et Lederer durant cinq ans, de 1956 à 1961. La plupart sont des missives envoyées alors qu’ils font chacun de leur coté leur service militaire. Lorsque commence cette correspondance, Perec à 20 ans et Lederer 23. Les deux amis se sont connus lorsqu’ils étaient lycéens à Estampes. Une grande partie de cette correspondance est celle de bidasse à bidasse. Si bien qu’elle se révèle un excellent témoignage sur la vie et l’état d’esprit des appelés dans cette période même si leur situation est doublement particulière, tout d’abord ce sont des sursitaires, si bien que leurs camarades sont presque toujours plus jeune qu’eux mais surtout, alors que nous sommes en pleine guerre d’Algérie, avec l’effervescence politique qui en résulte, les deux jeunes hommes ne peuvent pas être envoyés en Algérie ayant tout deux un père mort pour la France et de ce fait exempté d’y aller. Autre particularité, Pérec a opté pour le corps des parachutistes!
Avec « Cher très cher, admirable et charmant ami… », on lit quasiment une correspondance amoureuses, en particulier de la part de Perec, qui se languit au bout de deux jours s’il n’a pas reçu de lettre de son ami. Une correspondance c’est comme une rencontre de tennis, pour qu’elle soit intéressante et brillante, il faut que les deux joueurs ( correspondants) soient de la même qualité, et force de constater qu’avec Perec et Lederer ce n’est pas complètement le cas et que ce volume retient l’attention presque exclusivement en raison de ce qu’écrit Perec. Nous somme un peu près dans le même cas de figure qu’avec la correspondance Morand-Chardonne, j’ose la comparaison, qui vaut surtout par les lettres de Morand.
On découvre un Perec ouvert à l’extérieur, curieux de multiples choses, ce qui n’est pas une surprise pour le lecteur de « Je me souviens » alors que Lederer est enfermé dans sa névrose qu’il tente de soigner par les nombreuses et régulières visites à sa psychanalyste, visites qui absorbe la presque totalité de son maigre budget. On a vite le sentiment que cette névrose revendiquée est surtout le moyen de dissimuler une monumentale flemme.
Les lettres ont des sujets multiples. Elles contiennent des confidences sur leurs amours, des échanges passionnés sur la littérature, le jazz, le cinéma, assortis d’avis souvent péremptoires et guère argumentés. Mais on y tombe aussi sur des considérations sur l’alcool, et la nourriture, deux éléments qui semblent compter alors beaucoup dans la vie de ces deux garçons. Il y a aussi des professions de foi diverses et régulièrement des blagues et des jeux de mots. Certains de ceux-ci sont hilarants, du moins pour un fidèle lecteur de l’almanach Vermot… La dernière partie de leurs échanges est principalement consacrée au travail accompli en commun pour lancer une revue ambitieuse qui ne vit jamais le jour mais fit quelque bruit dans le monde intellectuel de l'époque.
Durant ces années, de 1957 à 1960, Perec écrit Le Condottière, dont il dira qu’il est « le premier roman à peu près abouti que je parvins à écrire ». Perec informe Lederer de la progression de son roman nous faisant ainsi entrer dans l’atelier de l’écrivain Le livre sera refusé par Gallimard et accueilli de manière mitigée par les amis de Perec. Il fut délaissé par son auteur, perdu et retrouvé seulement après sa mort. A son sujet Perec écrit avec prescience à Jacques Lederer, de Tunisie, le 4 décembre 1960 : « Quant au Condottière, merde pour celui qui le lira ! Le laisse où il est, pour l’instant du moins. Le reprendrai dans dix ans, époque où ça donnera un chef-d’œuvre ou bien attendrai dans ma tombe qu’un exégète fidèle le retrouve dans une vieille malle t’ayant appartenu et le publie » . Malgré les difficultés, Pérec est d’une admirable constance dans l’effort d’écrire, certain qu’un jour prochain en travaillant toujours plus il réussira à écrire son grand livre.
Au final cette correspondance est un peu décevante, elle retient surtout l’attention par le documentaire sur le quotidien d’une époque pas si lointaine mais qui nous parait par ses moeurs bien différentes de la notre. Ce qui transparait c’est d’abord la difficulté de communiquer, le téléphone, fixe bien évidemment, est balbutiant, ce qui nous vaut cette correspondance. Aujourd’hui voilà une mânes qui n’existera pas pour les curieux dans le futur qui voudront se renseigner sur notre époque. Autre constatation la pauvreté de l’offre culturel. En province il n’y a peu de chose alors. Pour nos exilé loin de Paris, il n’y a guère que le cinéma, les films étrangers y sont visibles uniquement en version française. La télévision émet peu et nos deux trouffions n’y ont que rarement accès; la radio est dominée par les radios commerciales et surtout les livres sont chers. Le livre de poche en est à son tout début. Il y a une impression de grisaille dans le quotidien qu’évoque les deux jeunes hommes. Encore une fois à travers ce témoignage, on constate que les trente glorieuses sont plus un mythe qu’une réalité.
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