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Dans les diagonales du temps

18 février 2020

A propos de Bernard Buffet, le samouraï

Il m'a semblé intéressant de rééditer ce billet que je n'ai pas modifié, seulement un peu "peigné", même si en 2020 je l'écrirais sans doute différemment, aujourd'hui que Bernard Buffet est heureusement mis en lumière.

En ce qui concerne les commentaires, si l'on veut respecter l'ordre chronologique, il faut les lire en commençant par les derniers. 

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24bc931b4dSi le titre de la biographie de Bernard Buffet par Jean-Claude Lamy est beau, il est assez peu conforme à la réalité du personnage du peintre. J’aurais préféré une biographie un peu moins hagiographique et d’un style plus tenu. Le lyrisme du début frise le ridicule et les premiers chapitres sont riches en digressions certes intéressantes mais qui bousculent par trop la chronologie. Mais ce ne sont là que des vétilles devant le plaisir de lecture que procure cette biographie qui espérons remettra au premier plan un artiste qui aura beaucoup fait pour ruiner sa réputation.
L’une des qualités du livre, à la riche documentation, est de faire revivre une époque, l’immédiate après guerre où Paris était encore la capitale de l’art mondial, pour bien peu de temps encore, mais aucun des acteurs qui s’agitaient sur la scène de l’art parisien le pressentaient.



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Dans cette après guerre où la bataille entre abstraction et figuration faisait rage, l’art était un enjeu politique majeur. Il faut imaginer le rustre Maurice Thorez, secrétaire générale du Parti Communiste, alors premier parti de France, arpentant les allées du salon d’Automne, suivi de l’opportuniste Aragon qui n’avait pas encore troqué son costume d’ apparatchik contre celui de la vieille folle noctambule, pour soutenir Fougeron champion français du réalisme socialiste.
La notoriété dans la Quatrième République des artistes peintres est inconcevable aujourd’hui, comme l’est la fulgurante ascension de Bernard Buffet qui connaît ses premiers succès à 18 ans! Il faut dire que ses tableaux d’ascète sont en phases et aux couleurs de l’époque. Il est bon de se les remettre dans l’oeil pour se souvenir de leur force...



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Lamy me confirme le rôle de découvreur du peintre par Henri Héraut (1894-1982), (Comme le livre dont je traite est riche en digressions, je m’autoriserais également ce plaisir coupable, dont d'ailleurs je suis un fervent pratiquant dans mes textes...). Ce que m’avait confié, dans les années 70 ce curieux personnage qu’était ce peintre et critique Henri Héraut. Je n’oublierais jamais ma visite à son “atelier” qui était en fait un petit appartement dans un immeuble récent qui dominait la gare Montparnasse. Héraut m’y expliqua qu’il ne voyait pas l'utilité d'avoir l’électricité puisque les lumières de la gare éclairaient son logis ! Ainsi, muni d’une lampe électrique et juché sur un escabeau je pus admirer  entre autres, des dessins de Delacroix et des tableaux de Bernard Buffet des années quarante... Voici comment Lamy raconte la découverte du jeune peintre par Héraut: << Maison rue des Batignolles; à chaque étage, au palier, une vaste glace reflète son image. “Le feutre vert sur l’oreille, je m’imagine beau. Au deuxième, je pousse la porte, j’entre chez Bernard Buffet. D’immenses toiles d’hommes nus, tristes, pourris de solitude... je me vois vrai”.>>.



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Les anges d'Héraut...
 

Henri Héraut avait fondé en 1935 un Groupe de peintres figuratifs français qui s’intitulaient "Les peintres des Forces Nouvelles" parmi eux: Henri Héraut, Robert Humblot,vHenry Jannot, Jean Lasne, Alfred Pellan, Georges Rohner, Tal Coat... Dans leur manifeste on peut lire: << ... qui ont compris que le temps des escamotages de dessin ou surcharge de pâte était révolu" et qui prônent le "retour au métier consciencieux de la tradition dans un contact fervent avec la Nature >>. Ils sont Convaincus que cette attitude, dans le contexte de l'avant-guerre, représentait la plus osée des audaces, que la modernité n'est pas formelle. Les peintres de Forces Nouvelles se prononcent contre l'impressionnisme, "ennemi public numéro 1", le surréalisme ou le cubisme. A l'école de Georges de la Tour, des frères Le Nain ou des artistes classicisant des années vingt, cette peinture se veut un retour au dessin et au modelé, au métier. Le groupe se disperse en 1939, mais certaines manifestations en prolongent l'esprit pendant les années d'occupation.



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 tableau de Jannot

 

Connaissant Héraut, on comprend son adhésion immédiate à l’oeuvre de Buffet. Lorsque j’ai rencontré Henri Héraut, il était d’une saleté repoussante, qui contrastait avec le soin qu’il prenait de sa petite moustache blanche, parfaitement taillée. Il portait un immuable costume trois pièces bleu; le devant du gilet était ciré de crasse et l’arrière de sa veste était en lambeaux comme si elle avait été déchirée par un fauve. Il se vantait d’avoir autant d’ attirance pour les garçons que pour les filles tout en étant toujours resté vierge. Il ne peignait plus que des anges. Il avait toujours le même petit feutre vert sur l’oreille que trente ans auparavant lors de sa première visite chez Buffet.



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La rencontre en 1948 de Buffet avec Pierre Descargues, l’un des critiques les plus respectés et les plus influents de l’époque, est déterminante pour l’avenir du jeune peintre. Voici ce que Descargue écrivit sur Bernard Buffet dans le livre qu’il lui a consacré: << Il témoigne puissamment du désarroi de notre époque. L'inaction de ses personnages, leur vie absurde, Bernard BUFFET  les exprime comme un mal dont on est soi-même victime, avec violence en se donnant soi-même tout entier à cette œuvre de vengeance, c'est à dire en y mêlant intimement l'amour et la haine. >>.

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Pour un vieux et fidèle auditeur, comme moi de France-Culture, on ne peut lire un texte de Descargue sans entendre sa voix qui à su passionner tant de gens pour l’art moderne, et cela sans exclusives durant tant d’années. C’est une curieuse expérience pour un vieil habitué de ses confidences radiophoniques de le découvrir dans ces pages tout jeune et déjà passionné. Pierre Decargue, dans ses récents livres de souvenirs, me semble (je ne les ai pas près de moi), bien oublieux de son ancienne admiration pour Buffet...



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Un des grand mérite de la biographie de Lamy, est de rappeler l’incroyable précocité de Bernard Buffet qui entre à I'École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris en décembre 1943, dans l'atelier du peintre Eugène Narbonne, où il est déjà considéré comme très doué. Il s'y lie notamment d'amitié avec les peintres Maurice Boitel et Louis Vuillermoz.



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un tableau de Maurice Boitel.

“Bernard Buffet le samouraï” me procurera tout au long de ses pages de constants bonheurs de découvrir des gens jeunes et inconnus, que j’ai croisés, et parfois admirés, chenus, cela principalement sous la voûte du Grand Palais lors des Salons d’Automne des années 80. La vénérable institution brillait alors de ses derniers feux sous la férule de Mac Avoy... Il en est ainsi de Jean-Pierre Capron, Boitel et de bien d’autres...
Est-ce un soupçon de vanité mais il est toujours curieux et parfois émouvant, de découvrir dans les pages d’un livre des personnes que l’on a côtoyées, connues ou même seulement croisées. Ainsi il m’est étrange de découvrir que Jean-Pierre Capron a été l’un des amis les plus proches et les plus fidèles de Bernard Buffet. Je le croisais dans les allées du Grand Palais lors de chaque Salon d’Automne, toujours d’une urbanité parfaite, toujours accompagné de son compagnon d’un si petit format qu’ avec Jean-Claude Farjas nous l’avions surnommé le jockey... Ce garçon paraissait être le petit fils de son ami... C’est lui qui apportait rituellement la contribution de Capron au Salon, bien peu était impatient de découvrir la toile de l’artiste qui pourtant vivait très bien de sa production ce qui resta mystère pour moi... Les peintres contemporains qui semblaient avoir l’aval de Bernard Buffet me semblaient bien médiocres. Mais peut-être comme pour Boitel il voulait surtout rester fidèle à ceux qui ne l’avaient pas méprisé à ses tout débuts?



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tableau de Jean-Pierre Capron
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Portrait de Capron par Buffet.

 

Le hasard du calendrier a voulu que durant ma lecture de cette biographie, je reçoive un e-mail m’invitant à assister à la pose d’une plaque commémorative, peinte par Jean-Pierre Alaux pour le souvenir de Maurice Boitel...
La première exposition de Bernard Buffet, se déroule dans la librairie-galerie de Guy Weelen et Michel Brient. Le soir du vernissage : personne. C’est un jour de grève, et en plus, il neige. Mais, insensiblement, comme l’a dit Bernard Buffet lui-même : « c’est parti tout seul », et toutes les œuvres ont été vendues. Raymond Cogniat achète pour le Musée National d'Art Moderne de Paris une peinture : " Nature morte au poulet ". Comme toutes les toiles du peintre achetées par les pouvoirs publics, elle est remisée aujourd’hui dans les réserves du musée! Pierre Descargue  est le premier à noter ce qui distingue d’emblée le nouveau venu : « Il témoigne puissamment du désarroi de notre époque>>. Presque en même temps meurt à 38 ans Francis Gruber  dont on a vu un moment, à mon sens à tort, le grand inspirateur de Buffet. Aujourd’hui le rapprochement de Gruber avec Julian Freud me parait pus pertinent...



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 tableau de Gruber

 

Jean Claude Lamy n’élude les penchants homosexuels du peintre. Bien au contraire il met au centre de son livre l’amour entre Bernard Buffet et  Pierre Berger: << Un soir d’avril 1950, Buffet se trouve à la galerie Visconti Richard Anacréon passe une tête, accompagné de son jeune assistant (Pierre Bergé). Maurice Garnier remarquent immédiatement leur attirance réciproque.>>. Pierre Bergé dans “Les jours s’en vont je demeure” (Gallimard Folio n° 4087) narre ainsi leur rencontre: << Il avait vingt ans, j’en avais dix huit et, comme tous les coups de foudre, le nôtre frappa à la vitesse de l’éclair... Nous nous retrouvâmes le dimanche suivant... Le soir nous avons cherché un hôtel et finîmes dans un endroit douteux, rue des canettes, où une femme digne et silencieuse nous conduisit à une chambre non sans nous avoir donné une serviette ravaudée. C’était Céleste Albaret, l’ancienne gouvernante de Proust...>>.



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L’auteur sait à propos de cette extraordinaire histoire d’amour, souvent trouver les mots justes qui font sourdre l’émotion: << A Manosque comme à Reillanne, les séjours de Bernard et de son compagnon n’ont laissé aucune trace visible. Pas de rue portant le nom du peintre ni de plaque commémorative. Après la disparition des derniers survivants qui fréquentèrent les deux jeunes gens que l’on croyait liés à la vie et à la mort, il ne reste qu’un sentiment de vide comme celui qui suit un amour brisé. Le triptyque “Horreur de la guerre”, ce chef d’oeuvre que Bernard à peint à Nanse en 1954, méritait un lieu d’exposition dans la région. Car c’est en Haute Provence que son art essentiellement concret, domina toute la peinture de sa génération.>>. Dans tout le livre c’est la seule fois où transparaît l’avis de Lamy sur la peinture de Bernard Buffet et ceci à la lumière de l’amour qui unissait Buffet et Bergé. En ce qui me concerne je ne partage pas cet avis de considérer La série des horreurs de la guerre (thème largement partagé à l’époque) comme le sommet de l’oeuvre qui reste pour moi les toiles dites “misérabiliste” de la période 1945-1950.




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Le récit de la vie du peintre a dans l’ouvrage toujours en contre point la réception critique de son travail, Lamy quant à lui s’interdit (à une exception prés) de porter un jugement sur la peinture de son sujet. La plupart des extraits de critiques sont à la fois défavorables à Buffet et bien Choisis, comme cette dernière, datant de 1960, de Pierre Cabanne: << Après avoir été le symbole d’une époque angoissée et dure, Buffet semble n‘être plus aujourd’hui, aux yeux de beaucoup, que le produit de la publicité et de la spéculation, la victime de la complaisance mondaine ou le forçat de sa surabondance et de sa facilité.>>.
 
chagalov: Bernard Buffet, ca 1960-Étienne par Ostier [+] Ader Nordmann à partir de

Bernard Buffet, vers 1960 par Étienne Ostier 

 

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On un pu parler d’un véritable phénomène Buffet. Les prises de positions sur son art dépassait de loin le cercle restreint (néanmoins beaucoup moins qu’aujourd’hui) des critiques d’art. Ainsi Viallatte s’enflamme dans sa chronique de “Spectacle du monde”: << La signature de Bernard Buffet ressemble à un fagot d’épines. Quand il peint un bouquet c’est un bouquet de chardons: un animal c’est le homard ou le grondin, une bête tout en pinces, en arrêtes et en griffes; en piquants et en barbelé. Ses personnages n’ont que des os; ses poires aussi, il a inventé la poire en bois, longue, noire et mince comme un fil, pour les jours de deuil et de famine. Tout ce qu’il peint naît en carême... Ces toiles pourtant ne sont pas sans âme. Elles ont même une âme véhémente; pauvre, agressive, hargneuse et douloureuse; une âme maigre, longue acide, d’orphelin qui revient du cimetière dans une chambre où il n’y a pas de feu; une âme menaçante et menacée qui se venge de l’homme, qui gâche la joie, qui fait avorter les récoltes, qui jette un sort sur les navets... Avec ça des dons éclatants: la composition est solide, le dessin sûr, la couleur rare; une manière qui étonne par sa délicatesse. Il est ferme, brutal, subtil. Il a créé un monde à lui. Il impose sa règle du jeu; c’est la marque des grands.>>. (Alexandre Vialatte.


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Bernard Buffet est certainement le premier peintre vivant dont je vis un tableau, expérience commune à bien des personnes de ma génération. Pendant longtemps une reproduction de son “Grand duc” décora ma chambre d’enfant...


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La meilleure part du livre est celle où Lamy avec beaucoup d’intensité et de chaleur ressuscite tout le petit monde intellectuel et mondain de la IV République. Un temps où Paris Match consacrait dix pages couleurs à un peintre de vingt huit ans... Un article qui déclencha un tollé causé aussi bien à cause des déclarations de l’artiste que par l’étalage du luxe dans lequel il vivait... Epoque où pouvait exister une prestigieuse revue culturelle de droite, La Parisienne, dans laquelle François Nourissier étrillait le peintre; des année où “Le Berry républicain” comparait les mérites de Carzou et de Buffet... Qui se souvient aujourd’hui de Carzou, de ses toiles au fond monocolore sur lequel une femme rencontrait un canon, tout pareillement hérissés de piquants tels d’incongrus porcs-épics. Peut-être qu’un jour, la postérité ne sera plus oublieuse, tant mieux, tant pis!? Qui peut le savoir? Mais soyons reconnaissant à Jean-Claude Lamy de faire revivre, l’espace d’une lecture, tout un monde, qui, l’instant d’une république s’est cru immortel.


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tableau de Carzou.

“Bernard Buffet, le samouraï” en filigrane pose de nombreuses questions comme celle de la place du marchand dans la carrière d’un peintre: << Emmanuel David a misé sur Buffet comme un joueur bien inspiré à la roulette. Cela lui rapportera gros. Mais le peintre lui, sort il gagnant de cette “affaire”? Pierre Descargues se pose la question en s’étonnant que l’artiste accepte de peindre des oeuvres en série au rythme d’un tableau par jour... Il regrette ensuite implicitement le choix qu’a fait Buffet de confier ses intérêts à Emmanuel David: << Que serait il advenu si au lieu de se confier à David, Buffet avait répondu à la proposition d’un autre marchand qui fut celui de Miro, des surréalistes et par la suite de Riopelle, de Paul Kallos, de Mathieu et de Veira da Silva. Le marchand se nommait Pierre Loeb. >>.


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portrait de Maurice Garnier par Bernard Buffet.
 

L’ouvrage par ailleurs s’interroge  à la fois sur le pouvoir de la critique d’art  sur celui de l’état sur le goût de l’ intelligentsia. Celui qui fut longtemps le bras droit d’Emmanuel David puis son successeur, Maurice Garnier explique ainsi le retournement de la critique envers son poulain: << Oui, absolument ! Il y a eu plusieurs raisons, en 1958, qui ont fait basculer Bernard Buffet dans l'incompréhension vis-à-vis des pouvoirs officiels, mais pas du grand public. Justement, c'est son succès auprès du plus grand nombre qui a déplu. André Malraux, en créant le Ministère des Affaires Culturelles, à voulu soutenir l'art abstrait, ce qui était tout à fait légitime. Mais pour cela, il fallait évincer, éliminer Bernard Buffet car l'artiste était "encombrant". Il marquait trop fortement la continuité de la peinture classique, figurative. Bernard Buffet a été trop tôt considéré comme un "phénomène". Il n'avait que trente ans !>>. Déclaration qui soulève le problème de l’art officiel et de l’influence de Malraux durant le pouvoir gaulliste. Cette main mise du ministre de la culture sur l’art, pour lui le grand peintre contemporain était Chagall, ne pourrait il pas expliquer en partie le déclin de Paris et son remplacement comme capitale de l’art par New-York?


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Lorsque l’on referme le livre de Lamy on a appris beaucoup de choses mais nous ne pouvons pas véritablement cerner qui était Bernard Buffet. On a le sentiment d’avoir rencontré un homme faible dont l’art a correspondu miraculeusement, durant quelques années à l’attente de son époque. Et dont des personnes au début inconsciemment en on fait un véhicule de leurs espoirs, de leurs ambitions, de leurs idées... Le pur Buffet meurt dès sa rencontre avec le galeriste Emmanuel David qui enclenche le processus de production à outrance en permettant l’écoulement de la production de la machine à peindre Buffet qui ne savait que peindre et qui finalement n’aimait que cela. Puis viendra le système de la grande exposition annuelle mis en place par Pierre Bergé et Maurice Garnier. Mais il serait réducteur de n’y voir qu’un dessein mercantile de ces hommes. Ils étaient aussi animé par l’admiration pour l’oeuvre et par le souci de préserver le fragile équilibre du peintre, équilibre qu’il n’atteignait que par un travail forcené. Buffet était une sorte de monstre prisonnier de sa frénésie de peinture...
L’inavoué personnage central du livre n’est pas Bernard Buffet mais Pierre Bergé. Je suggère que Jean-Claude Lamy lui consacre son prochain livre qui ne pourrait être que passionnant sur ce prodigieux entremetteur dont l’émergence de la fortune reste pour moi un grand mystère. Mais l’écriture d’un tel livre ne doit pas être sans risque... La couverture est toute trouvé, écoutons Mag Bodard qui découvrait le nid du couple Bergé-Buffet: << La maison de Buffet est ravissante... Ses plus belles toiles y sont au mur dont un immense portrait de “la commode” tout nu, avantages au vent... >>, il faut savoir que “la commode” était le surnom de Bergé; on disait alors des deux inséparables amis, voilà Buffet et sa commode! Ce tableau ferait un parfait “visuel” pour cette biographie... Il sera intéressant de guetter si “Bernard Buffet, le samouraï” est chroniqué dans “Têtu” dont Pierre Bergé est le propriétaire...


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La thèse sous-jacente de Lamy est que privé de son amant mentor, l’art de Buffet n’a fait que s’étioler ne répondant plus à une nécessité intérieure mais ne devenant plus qu’une mécanique de survit, une occupation addictive vide de sens. On peut remarquer une importante différence entre le témoignage de Pierre Bergé dans son livre qui écrit qu’il était resté en contact avec son ancien amant et la biographie de Lamy qui laisse entendre que les deux hommes ne se serait plus revu après leur séparation.
Sans doute par manque d’audace ou par égard pour Annabel l’auteur ne fait que murmurer son opinion mais elle reste clairement audible. La pagination est  très révélatrice de la thèse de l’auteur. Il consacre 140 pages au début du peintre, puis 120 pages de ce que l’on peut appeler l’ère Bergé (1950-1958) et seulement 45  pour les quarante dernières années de la vie de Bernard Buffet!
Je ne suis pas certain que Lamy ait voulu que l’on perçoive la biographie de Bernard Buffet qu’il a écrite comme je l’ai ressenti: la faillite douloureuse d’un homme...


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Laissons le dernier mot à Pierre Bergé qui a fait dans “Les jours s’en vont je demeure” un portrait touchant de Bernard Buffet dans lequel il ne nie  pas ses responsabilités et qui me parait lucide même s’il n’est sans doute pas dénué d’amertume: << Avec la célébrité, des gens de toute sorte entrèrent dans sa vie. Beaucoup de parasites. Il n’était pas dupe, me le disait, s’en amusait. En fait, un peu avant l’âge de trente ans il avait abdiqué. J’ai toujours su qu’il avait mesurer l’impasse dans laquelle il s’était fourvoyé, dont il ne pouvait plus sortir. Il a essayé de peindre différemment, d’aborder la couleur, de changer sa technique. C’était en juillet 1957. Il fit ainsi une dizaine de toiles, me les montra, les détruisit. Nous n’en reparlâmes jamais. Il reprit ses pinceaux et continua à cerner de noir des bouquets de chardons, des poissons plats, des têtes de clown. Il était devenu amer, se consolait avec l’alcool, le sexe. Il peignait toujours, avec une espèce de rage, comme pour se venger de cette célébrité qui l’encombrait et qu’il savait, d’une certaine manière, usurpée. Il aurait voulu tout recommencer, revenir à la peinture telle qu’il l’avait aimée dans son enfance lorsqu’il traversait Paris pour suivre, place des Vosges, les cours de M Darbefeuille. C’était trop tard. J’avais été complice, probablement coupable. J’avais tant cru en son génie. Tout cela tourna mal. Une guerre de marchands s’engagea. Le plus malin l’emporta. La vérité est qu’il n’eut jamais de marchand à l’égal d’un Kahnweiler, Rosenberg, Pierre Loeb, Vollard. Capable de le comprendre - surtout de comprendre la peinture - de lui parler, de le mettre en garde, de le guider. Il partait à la dérive devant des témoins béats d’admiration, incapable de voir qu’il allait se fracasser, se perdre. Ils se contentait de le rassurer, de subvenir à ses besoins, de jouer le rôle de banquier, de secrétaire, d’intendant. Il ne savait rien, on lui cachait tout. Il n’avait plus aucun rapport avec la vie ni avec l’art de son temps. Il ne lui restait que des japonais qui l’admiraient on ne sait trop pourquoi. Il était trop intelligent pour s’en satisfaire, il n’était pas dupe...>>


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Commentaires lors de la première édition de ce billet

hugues-alexandre tartaut25/06/2013 03:08

bonjour et merci pour votre amicale réponse ; la vie, ou du moins les chemins qu'elle emprunte , m'étonne toujours ... oui , bien sûr , Jean-Pierre le fidèle d'édouard Mac'Avoy , et puis Alain Daniélou ( et son Jacques Cloarec ) et le colle labirinto à zagarolo ... souvenirs , souvenirs ... Alain Daniélou qui m'a fait aimer l'Inde où je vais souvent et qui abrite ma fondation pour les enfants orphelins Bouddhistes de l'Himalayas ... Alain Daniélou , Edouard Mac'Avoy , ... des maîtres pour un jeune garçon qui avait faim et soif de tout apprendre ... je ne crois pas que dans notre
société actuelle devenue non permissive , intolérante , puritaine, le tout dissimulé sous des aspects libertaires , un jeune garçon puisse encore vivre sa vie de cette façon là ...
en ce qui concerne une rétrospective de l'oeuvre de Bernard Buffet à paris , je crois malheureusement ( ?... ) que cela sera impossible avant des années , et des années ... durant ces vingt dernières années , j'ai tout essayé , en vain ... Bernard Buffet me répétait souvent : " et dire que dans ma propre patrie je suis contraint de me sentir comme un exilé ... " ; de fait , ses cendres reposent au japon ...
Recontactez-moi lorsque vous y partirez , je vous mettrai en rapport avec la directrice du musée bernard buffet de Suruga-Daira , miss koko Okano .
Pour votre blog , je vous en prie ; j'aime les garçons en noir et blanc ... et puis certains artistes que vous nous faites découvrir ... et tous mes voeux chaleureux vous accompagnent pour la suitede votre entreprise , avec mon meilleur souvenir , Hugues-Alexandre Tartaut

 

lesdiagonalesdutemps25/06/2013 07:26


 

Merci encore pour vos commentaires. Je ne manquerais pas de vous contacter lors de mon départ pour le Japon.


Nous sommes nombreux à nous sentir éxilé dans notre propre pays.




 

 
 

hugues-alexandre tartaut24/06/2013 05:19

Bonjour et merci pour votre aimable réponse ; je suis désolé mais je n'avais pas pris connaissance de vos précédentes réponses ... je crois cependant que vous êtes dans l'erreur en ce qui concerne.
Bernard Buffet , tant l'homme que le peintre , et vous émettez un jugement qui ne reflète en aucune façon sa condition d'homme et d'artiste ... j'ai partagé sa vie pendant près de douze années , et je puis vous affirmer qu'il était un être puissant , volontaire et libre ... libre de toute influence , et ni Pierre Bergé , ni Annabel , et encore moins Garnier n'ont eu une quelconque influence sur sa personnalité intérieure et sur son travail ... même si ces derniers l'ont laissé entendre - mais " ça " c'est leur ego qui parle ... - quant à moi , je respecte trop les artistes pour les juger - " ... les oeuvres d'art sont d'une intime solitude , rien n'est pire que la critique pour les juger ... " - d'ailleurs si tel n'avait pas été le cas , jamais je n'aurais pu travailler avec Pierre Cardin , Yves Saint Laurent , Bernard Buffet , etc ... bien entendu , chacun est libre d'aimer ou de ne pas aimer tel artiste , telle oeuvre d'art , et c'est heureux ... mais de grâce , ne
parlez pas de choses que vous ne connaissez pas , en dehors du fait que vous les ayez lues dans la presse , les livres , etc ... la " vérité " sue chacun d'entre nous n'est pas là ...et ne croyez pas que je sois partial , là encore ça ne reflète pas ma personnalité , ni la réalité car vous ne me connaissez pas ...
En ce qui concerne une rétrospective Bernard Buffet à paris qui n'a pas eu lieu depuis 1958 , il n'y en aura pas ... les pouvoirs culturels français qui se succèdent , et qui se ressemblent dans leur médiocrité , leur ignorance et leur fatuité m'ont poussé à prendre récemment des dispositions à l'égard de l'oeuvre de Bernard Buffet pour tourner définitivement la " page française " en délocalisant la gestion de l'oeuvre en Asie , où je travaille et vis depuis plus de trente ans ..d'ailleurs je publierai dans quelques temps les " mémoires de bernard buffet " que j'ai écrites sous
sa dictée durant les dernières années de sa vie en langue japonaise , chinoise et anglaise pour être diffusées en Asie et dans les pays anglophones exclusivement ... oui , allez voir le musée Bernard Buffet de Suruga - Daira , préfecture de Shizuoka près de la ville de Mishina ; le lieu est magnifique entre le Fujiyama et la baie de Suruga, la collection rassemblée par Kiichiro Okano
remarquable , et les cendres de Bernard Buffet y reposent dans les jardins du musée ... tout un symbole !
Quoiqu'il en soit , c'est aimable à vous de vous préoccuper de Bernard Buffet ... et encore bravo pour votre blog dont j'aime souvent la teneur intellectuelle , culturelle et esthétique .. et bien entendu les beaux ( mais c'est une évidence ) éphèbes qui ont toujours fait vibrer ma vie au quotidien .. avec mon meilleur souvenir , Hugues-Alexandre Tartaut,
p.S pour vous faire sourire ,adolescent j'ai beaucoup posé pour Edouard Mac'Avoy dans son merveilleux atelier du cherche-midi, je dois avouer qu'il fur un " maître " dans nombre de domaines ... et que son amour des garçons l'ont conduit à les magnifier ... " la Beauté sauvera le monde " ?... je suis d'accord avec Dostoievski, au moins pour les garçons ...

 

lesdiagonalesdutemps24/06/2013 08:17


 

Merci beaucoup pour votre réponse et l'évocation émouvante pour moi de l'atelier magique de Mac Avoy où j'ai déjeuné souvent en particulier avec Jean Pierre Prévost et Daniélou et beaucoup d'autres toujours en petit comité.


J'ai aux murs ma bibliothèque quatre grands dessins de Mac Avoy représentant des garçons dont deux portraits. Peut êtes vous sur mes murs?


Je prend acte de vos précieuses remarques et je ne doute pas de la supériorité de vos connaissances sur Bernard Buffet par rapport à moi. Je n'écris que le ressenti devant une oeuvre, celui d'un simple amateur. J'aimerais si cela est possible que vous me disiez ce que vous pensez de l'influence de Gruber sur les débuts de Bernard Buffet.


Je suis entièrement d'accord sur la médiocrité des instances dirigeantes françaises en ce qui concerne la culture (et pas seulement). Il serait très dommage pour ne pas dire plus si aucune grande exposition de Bernard Buffet n'avait pas lieu en France. Il y a tout de même des musées à Paris qui ne suivent pas la doxa du ministère en particulier les musées privés comme la Pinacothèque et aussi le musée de la Marine et celui de la Poste et dans une moindre mesure le musée d'Art Moderne de la ville de Paris...


J'espère me rendre au Japon au printemps prochain et je ne manquerai pas alors de visiter le musée dont vous m'indiquez l'adresse.


Un grand merci pour les compliments dont vous gratifiez le blog. 




 

 
 

hugues-alexandre tartaut20/06/2013 09:10

A propos de votre article sur Bernard Buffet et le livre pathétique de Lamy, "le samourai" que je viens de découvrir : je regrette que vous colportiez de semblables inepties car votre blog est généralement passionnant ... La vérité sur Bernard Buffet est assurément bien différente , cordialement , unique ayant-droit moral sur l'oeuvre de Bernard Buffet et exécuteur testamentaire

 

lesdiagonalesdutemps23/06/2013 10:02


 

Je suis assez surpris de votre réaction. Pour vous répondre j'ai relu mon billet. Vous conviendrez tout d'abord que le fait d'être l'exécuteur testamentaire de Bernard Buffet ne vous met pas dans une position d'objectivité (et c'est bien naturel). Je ne trouve pas le livre de Lamy pathétique mais dans mon article je fais de sérieuses objections quant à sa qualité en particulier au sujet de sa construction, surtout dans sa première partie. Je ne prétend ni connaitre comme vous l'oeuvre, j'ai néanmoins vu presque toutes les expositions du peintre chez Garnier de la fin des années 60 à ce jour. En outre j'ai rencontré quelques fois Bernard Buffet dans le cadre du Salon d'Automne par le truchement de mon ami Edouard Mac Avoy. J'ai surtout très bien connu Héraut qui fut un de ses "découvreurs" et Capron un de ses vieux amis. Je n'ai aucun moyen pour dire si tout ce qu'avance Lamy est exact, cependant beaucoup de points recoupent ce que j'ai entendu me dire par Capron
et Héraut. Mon sentiment sur Bernard Buffet est mitigé. Je considère que ses meilleures oeuvres sont celles du tout début sous l'influence (?) de Gruber. Je pense que l'homme était faible (mais sa fin et ses dernières toiles montrent sa force et son courage) et trop influençable. Je pense que Bergé, Garnier et sa femme ont orienté sa carrière et surtout forcé (?) à une production pléthorique qui ne faisait de lui le plus souvent qu'un illustrateur (parfois très inspiré mais rarement) de thèmes qui lui semblaient imposés de l'extérieur. Mais sans doute que c'est dans cette frénésie de peinture dans lequel il s'absorbait qu'il trouvait un certain bonheur et un équilibre. Voilà ce que j'ai ressenti devant ses tableaux dont certains sont remarquables mais il faut beaucoup trier.

Je maintiens que ce livre tout imparfait qu'il soit remet en lumière Buffet qui n'a pas la place qu'il mérite dans l'art français. J'espère puisque vous êtes l'exécuteur testamentaire de l'artiste que vous préparez une rétrospective Buffet à Paris.


Enfin pourriez vous me dire si un musée au Japon est consacré à Bernard Buffet pour que j'en fasse la visite lors de mon prochain voyage dans ce pays.


J'ajouterais que Bernard Buffet me parait un peintre beaucoup plus complexe que ce que semble penser ses laudateurs et ses détracteurs.




 

 
 

hugues-alexandre tartaut13/08/2012 16:25

Merci , cher Monsieur , pour votre aimable réponse ; non , il n'y a aucune partialité dans mon commentaire , simplement une vérité !j'ai vécu dans l'intimité de Bernard Buffet les 10 dernières années de sa vie , un compagnon de voyage en quelque sorte ..., et il s'est beaucoup confié à moi ... jusqu'à son "grand départ " le 4 0ctobre 1999 ... quant à vos commentaires , j'admets bien volontiers qu'ils sont sensibles et intelligents ... mais ne vous fiez pas à tout ce qui a pu être écrit et dit ... quant à Pierre Bergé , que je connais bien et qui est un ami depuis que j'ai 17 ans .... il est ce qu'il est devenu ... un homme d'importance et de pouvoir dont la mémoire s'adapte à l'image qu'il souhaite laisser à la postérité ... Bernard Buffet avait raison : " ... tout n'est que vanité !... ", avec ma considération la meilleure , hat

 

lesdiagonalesdutemps13/08/2012 18:33


 

J'ai eu l'occasion et l'honneur de rencontrer plusieurs fois Bernard Buffet dans le cadre du Salon d'automne dont j'étais l'un des administrateurs, j'étais président de la section photographique, lorsque Mac Avoy qui était un ami, présidait cette institution. J'ai le souvenir en ce qui concerne Bernard Buffet d'un homme affable et timide de premier abord qui se "dégelait" ensuite. Je suis totalement d'accord avec ce que vous dites sur Pierre Bergé mais la postérité n'est pas toujours aveugle. Bernard Buffet comme beaucoup de gens de ma génération a été le premier peintre français contemporain dont j'ai su le nom. Je me dis que mon amour actuel de la peinture, souvent bien différente de celle de Bernard Buffet, lui doit certainement quelque chose.




 

 
 

hugues-alexandre tartaut12/08/2012 04:43

Exécuteur testamentaire et unique ayant droit moral sur l'ensemble de l'oeuvre plastique & littéraire de Bernard Buffet ( 1928 / 1999 ) , je viens de prendre connaissance de votre commentaire sur le pitoyable livre de Jean-Claude Lamy , que Bernard Buffet surnommait à juste titre , lorsqu'il le voyait : " ... tiens , voilà celui qui n'a surement pas inventé l'eau tiède !.... " ; on comprendra dés lors le peu de crédit que l'on doit accorder à ce " bafouillage " illisible , ... qui enfonce des portes ouvertes depuis les débuts du jeune garçon Bernard Buffet, et qui assurément est loin , bien loin de la vérité vraie ... c'est le résumé de la " vieille " histoire du non moins vieux Maurice Garnier , une supercherie !... quant au commentaire de Pierre Bergé , car c'est bien d'un commentaire dont il s'agit , ce n'est guère " glorieux " pour ce dernier ,dont la mémoire , si vive en temps ordinaire , semble dans ces propos-là défaillante ... enfin , pour rétablir certaines vérités , seul Bernard Buffet a décidé , seul avec lui -même dans son atelier et ce dés le début des années 50 , d'établir une exposition annuelle en Février , en souvenir de ses souvenirs ... ni M. Garnier , ni Pierre Bergé n'ont eu leur mot à dire ..; les décisions de Bernard Buffet n'ont jamais été discutables par qui que ce soit ... avec ma considération la meilleure ,
Hugues Tartaut

 

lesdiagonalesdutemps12/08/2012 07:32


 

Je vous remercie de votre commentaire qui, s'il est partial, mais ce n'est pas un défaut en un temps où coule surtout l'eau tiède, sur un livre tout aussi partial, il ne contredit pas la teneur de mon billet. En effet c'est curieux que Pirre Bergé soit aussi peu disert sur ses débuts et en particulier sur le rôle que Bernard Buffet y a joué.

 

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18 février 2020

La chambre de Giovanni de James Baldwin

Beauford Delaney, James Baldwin, c.1955

Beauford Delaney, James Baldwin, c.1955

 

Curieusement je n’avais jamais lu le roman le plus gay d’un de mes écrivains préférés, James Baldwin, peut être parce que à l’époque où je découvrais ce grand écrivain américain, au début des années 70, “La chambre de Giovanni” était difficilement trouvable. Chronologiquement, il date de 1956, ce court roman, est un des premiers textes de Baldwin. Il précède à la fois les deux chefs d’oeuvre du romancier, “Un autre pays” (1962) et “L’homme qui meurt” (1968), et ses grands livres politiques tel “La prochaine fois le feu”, mais il est postérieur aux premières nouvelles qui composent “Face à l’homme blanc”. Autant de livres édités par Gallimard, alors que ” La Chambre de Giovanni” est paru chez Rivage.

Mais avant d’aller plus loin il me semble indispensable de revenir sur la personnalité de James Baldwin. Il est né en 1924, Premier de neuf enfants de sa mère et enfant illégitime, il ne rencontra jamais son père biologique et n’a même sans doute jamais connu son identité. James Baldwin est élevé par son beau-père, pasteur fondamentaliste et prédicateur. Il grandit dans les rues de Harlem. Alors que son beau-père s’opposait à ses aspirations littéraires, Baldwin trouva du soutien auprès d’un professeur ainsi qu’auprès du maire de New York, Fiorello H. LaGuardia. A l’âge de 14 ans, il devint prêcheur dans une église pentecôtiste de Harlem. Après avoir obtenu son diplôme de fin d’études au lycée DeWitt Clinton dans le Bronx, il s'est installé à Greenwich Village où Il commence à écrire. Il gagne un prix littéraire pour ses articles. Ce qui lui permet de quitter les Etats Unis, dégoûté par leur injustice raciale. Il s'installe à Paris où il vit dans la pauvreté. Il y retrouve d’autres exilés noirs américains comme Chester Himes et Richard wright, son mentor en littérature. Il publie son premier roman, “Les élus du seigneur”, partiellement autobiographique, en 1953. En 1957, il retourne aux Etats-Unis pour participer au Civil Right' s Movement aux côtés de Martin Luther King et Malcolm X. Il publie son essai sur les relations raciales, 'Nobody Knows my Name', en 1961 suivi de son grand roman 'Another Country (Un autre pays) en 1962, et de son essai 'The Fire Next Time (La prochaine fois le feu). Ce dernier est considéré comme l'un des plus brillants essais sur l'histoire de la protestation des Noirs. Ces ouvrages lui attirent une large audience. Il y prédit une explosion de violence à travers le pays si les Blancs ne changent pas d'attitudes envers la population noire. James Baldwin a également écrit deux pièces de théâtre, 'The Amen Corner' (1955) et 'Blues for Mister Charlie' (1964). D’autres romans suivront “L’homme qui meurt”, “Harlem quartet” ... Il meurt d’un cancer le 1 er décembre 1987 à Saint-Paul de Vence.

L’homosexualité est un des thèmes récurrent dans son œuvre. Pour Baldwin l’Amérique est une famille déchirée, la haine du noir se nourrit de la psychosexualité tourmentée héritée du puritanisme dans lequel le noir est objet de rejet mais aussi de désir. Sa nouvelle “A la rencontre de l’homme blanc” est emblématique de la vision des relations humaines qu’a Baldwin. On y voit un homme noir qui est lynché à la fois à cause d’un désir homosexuel inavouable de l’homme blanc qui en même temps considère le noir comme son rival sexuel par sa supposée grande virilité. 

On peut considérer James Baldwin comme étant l’écrivain qui a le plus influencé Toni Morrison. 

“La chambre de Giovanni” présente un intérêt spécial pour le lecteur français et en particulier parisien puisqu’il se passe dans le Paris de la quatrième république; ce qui est le cas aussi, mais pour une partie seulement, d’”Un autre pays” pour lequel on a parfois le sentiment que “La chambre de Giovanni” a servi d’ esquisse. A ce propos quelques erreurs géographiques de détail montrent que le livre n’a pas été écrit par un parisien et probablement pas à Paris. En effet  la rue Bonaparte ne relie pas la Seine à Montparnasse. Il y a aussi quelques aberrations sociologiques. Il est fort improbable que le galetas de Giovanni possède le téléphone au milieu des années cinquante alors que bien des bourgeois ne parvenaient pas à l’obtenir! Mais ce ne sont là que vétilles car l’ouvrage ressuscite remarquablement cette époque. 

Le livre dissèque, en une suite de retours en arrière, l’histoire d’amour entre deux hommes au milieu de leur vingtaine, David un américain qui est en France pour se fuir et Giovanni un émigré italien, tous deux vivent d’expédients dans le monde faisandé du Saint Germain post existentialiste. Quand ils se rencontrent David est seul à Paris, la femme qu’il croit aimer, Hella est parti faire une escapade en Espagne pour réfléchir à leur possible avenir commun. Dans les toutes premières pages, on apprend que Hella est repartie en Amérique et que Giovanni va être guillotiné. Les 200 pages de “La chambre de Giovanni” nous apprendront comment ils en sont arrivés là. Le roman nous entraîne dans un monde à la Modiano (revu par Genet), avec à la fois plus de psychologie et une syntaxe moins maigre que chez l'écrivain français. Plus que sur l’amour homosexuel, “La chambre de Giovanni” est un roman sur la honte de soi et sur l’incapacité de reconnaître ce que l’on est, dans le cas du narrateur de cette histoire, qui la raconte à la première personne, celle d’être homosexuel. On peut même dire que David a une sorte d’homophobie intérieure. En cela, et pas seulement par son décor, ce livre me parait daté, mais peut être suis-je dans l’erreur, aveuglé par la permissivité urbaine, un peu en toc, de nos jours.

Si ce livre est modianesque c’est par son décor avec ses cafés désuets et un peu minables qui n’avaient alors pas vraiment changés depuis Zola mais qui ont totalement disparu depuis. C’est aussi par ses personnages interlopes. Mais à la différence de Modiano, qui n’a toujours fait que frôler le monde homosexuel avec une certaine fascination mais n’osant pas y entrer, sans doute parce qu’il “n’en est pas”, Baldwin met lui son livre au cœur de ce milieu. Aujourd’hui, le roman apparaît aussi comme une sorte de reportage d’un certain monde homosexuel parisien des années cinquante, ce que ne pouvait pas, bien sûr, imaginer l'auteur lorsqu'il écrivait ces pages d’autant que l’on ressent un certain dégout, une certaine volonté de distanciation de la part de Baldwin envers cet univers. Sans doute parce qu’à l’époque où il écrivait ‘La chambre de Giovanni”, lui aussi avait du mal à accepter sa sexualité. David comme presque tous les héros de Baldwin est un looser mais sa particularité est que c’est un médiocre avec lequel le lecteur a beaucoup de mal à entrer en empathie. L’autre particularité de David par rapport aux autres personnages principaux de l’écrivain est qu’il est blanc. On peut penser que cela a été une manière pour Baldwin de se mettre à distance de son homosexualité.

 

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James Baldwin par Robert Littleford

 

La lecture de l’ouvrage est pénible par le dénie au bonheur possible d’un homosexuel. Voici un exemple significatif de son ton: << C’est une question banale, mais l’ennui avec la vie, c’est qu’il est si banal de vivre. Tout le monde, en fin de compte, suit la même route sombre (et la route a une façon d’être à son plus sombre, à son plus traître, lorsqu’elle semble la plus claire) et il est vrai que personne ne reste dans le jardin d’Eden. Évidemment le jardin de Jacques n’était pas le même que celui de Giovanni. Le jardin de Jacques était peuplé de footballeurs et celui de Giovanni était peuplé de jeunes filles mais, finalement, ça ne parait pas avoir une grande différence. Peut être que tout le monde a un jardin d’Eden, je ne sais pas; mais on a à peine le temps de l’entrevoir avant que surgisse l’épée flamboyante. Peut être que le seul choix que la vie nous laisse est de garder le souvenir du jardin ou de l’oublier...>>.

“La chambre de Giovanni” est particulièrement cruel pour les vieux invertis qui ne sont décrits que comme de pauvres hères ridicules qui ne peuvent qu’acheter les faveurs d’une jeunesse qui les méprise et les exploite.

La chambre de Giovanni n’est ni le plus grand livre de son auteur ni le plus agréable à lire mais il est un témoignage poignant de la difficulté intérieure à vivre son homosexualité, il y a seulement cinquante ans.

18 février 2020

un inédit de Paul Morand sur Montherlant

un inédit de Paul Morand sur Montherlant
un inédit de Paul Morand sur Montherlant
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un inédit de Paul Morand sur Montherlant
un inédit de Paul Morand sur Montherlant
un inédit de Paul Morand sur Montherlant
un inédit de Paul Morand sur Montherlant
Paul Morand chez lui, à la fin des années 20

Paul Morand chez lui, à la fin des années 20

18 février 2020

Un inédit de Paul Morand, Homère survolé

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18 février 2020

22/11/63 de Stephen King

22/11/63 de Stephen King

Subodorant qu'un grand nombre de mes visiteurs rechigne à s'enfoncer dans les tréfonds du blog, j'ai pensé que c'était une bonne idée que de republier le billet que j'avais consacré au livre de Stephen King alors que Canal + diffuse son adaptation. 

Adaptation qui au vu des trois premiers épisodes me parait tout à fait correcte. Il est vrai que la présence de Stephen King comme producteur exécutif et celle de JJ Abrams à la production devraient être la garantie d'une production soignée. Dans le rôle principal James Franco est crédible. Le seule reproche, mais on peut presque le faire à tous les films se déroulant dans les années 50, pourquoi ne montrer que des voitures rutilantes, Il y avait aussi à l'époque des guimbardes crasseuses. Je peux en témoigner. Ceci dit l'amateur de belles américaines se régale. 

 

22/11/63 de Stephen King

 

Je ne sais pas si Stephen King est un grand romancier (on peut le penser si on a lu qu' « Un élève doué ») ne l'ayant guère fréquenté (un peu tout de même), j'avais été assez vite découragé naguère par son style d'écriture raplapla, en revanche, comme beaucoup, je connais les romans de l'auteur grâce à leurs adaptations cinématographiques (je les presque toutes vues) dont j'ai beaucoup apprécié la plupart en particulier, ce n'est pas très difficile à deviner « Stand by me » (tiré de "Corps") mais aussi « Dead zone », « Shining »... Or donc, habituellement je passais à coté de ses productions, pas seulement en raison de la forme mais aussi du fond. Contrairement à la plupart de mes contemporains, semble-t-il, je goûte assez peu les histoires de serial killer et autres massacreurs, en particulier d'enfants, même si j'ai suivi avec constance la série "Dexter" et que je ne suis pas près d'oublier « Le corps exquis » de Poppy Z. Brite (édition J'ai lu).

Ce qui m'a attiré pour lire « 22/11/63 » c'est la possibilité d'une uchronie. Cette date, il est bien rare qu'un roman ait une date pour titre, est le jour où le président Kennedy fut assassiné à Dallas. Tout le roman tourne autour de cette date cruciale pour l'Amérique.

Nous sommes en 2011. Le héros de 22/11/63, Jake Epping est un bon prof d'anglais (comme King qui le fut quelque temps) trentenaire dans le lycée de Lisbon (9000 habitants au recensement de 2000), état du Maine. Il a l'habitude de manger dans un rade tenu par Al Templeton qui sert des hamburgers gouteux et peu chers. Au fil des ans les deux hommes sont devenus des copains. Un jour, Al, sentant sa dernière heure proche, il est atteint d'un cancer fulgurant aux poumons, décide de révéler à son ami un grand secret: Peu après son installation il a découvert, dans son arrière boutique un escalier menant à... 1958! Démocrate convaincu, itou pour Jake Epping, il lui est venu l'idée démiurgique de changer l'Histoire. Pour cela d'éviter l'assassinat de John Kennedy (d'où le titre du roman) mais la maladie venant il a décidé de passé le relai à son ami Jake. Ce dernier d'abord peu emballé, va finalement accepter le fardeau... Ne comptez pas sur moi pour vous révéler s'il va réussir dans sa o combien périlleuse entreprise car c'est cette interrogation qui vous fera tourner les 1000 pages de 22/11/63 avec avidité car si King n'est pas un grand styliste c'est un formidable raconteur d'histoires et un maitre du suspense.

22/11/63 de Stephen King
 

Je vous dirais juste que le narrateur de toute l'histoire est le héros principale et qu'il raconte ses souvenirs; on peut donc, à moins qu'il nous écrivent de l'au delà, qu'il s'est déjoué des pièges du temps... J'ajouterais que sur la longue route vers son objectif, Jake Epping voudra redresser quelques torts mais aussi, qu'il fera la rencontre de l’amour de sa vie...

L'écriture de Stephen King est fluide, ses phrases sont courtes et les mots simples qu'il emploie font de ce maousse pavé une lecture facile et agréable malgré ses longueurs. On peut se demander d'ailleurs pourquoi King fait si long, que je sache il n'est pas payé à la ligne comme les feuilletonistes français de la fin du XIX ème siècle et du début du XX ème, d'autant que la longueur du roman ne sert pas à épaissir ses personnages qui sont trop manichéens et souvent trop archétypaux. Cette propension à l'étalement est d'autant plus mystérieuse qu'à mon avis ses meilleurs histoires, « Un élève doué » et « Stand by me » sont développées dans des formats courts. Dans 22/11/63 on est donc fortement tenté de sauter des pages en particulier lors de la traque interminable d'Oswald pour accélérer le temps et filer vers le dénouement.

Chose très intéressante et surprenante dans le climat dans lequel fut écrit ce livre, en 2010, King n'est pas un adepte, au sujet de l'assassinat de Kennedy, de la thèse de la conspiration comme le sont tant d'autres, dont ses confrères Norman Mailer et James Ellroy. King s'en tient à la version officiel du tireur unique: Lee Harvey Oswald. C'est d'autant plus étonnant qu'il a écrit un roman clairement complotiste: Charlie (1980).

Les noms de Mailer et d'Ellroy me donne l'occasion de comparer des styles d'écrivains ayant traité un même sujet, en l'occurrence le drame de Dallas. Si je persiste et signe en réitérant l'évidence que King écrit platement, ce qui devrait faire hurler ses inconditionnels, si toutefois il y en a qui lisent ces lignes, ce qui est douteux. Je me suis aperçu que les lecteurs d'auteurs tel que King ne supportent pas que l'on critique leur idole car ils pensent en toute bonne fois que c'est le summum de l'écriture pour la bonne raison qu'ils ne lisent que des romans dit de genre. En ce qui me concerne, ignorant cette notion fallacieuse de genre, j'évalue l'écriture de King à l'aune de celle de Proust, Balzac, Conan Doyle, Joyce, Truman Capote... enfin de tous les écrivains dont les oeuvres s'empoussièrent plus ou moins sur les rayons de mes bibliothèques. Donc je répète que le plaisir de la lecture chez King ne vient pas de l'agencement des mots ni même de l'invention romanesque mais de son talent dans la construction de ses romans, de la justesse de ses observation et de sa facilité de lecture. Comparons le donc sans apriori à ses deux compatriotes pré cité sur le sujet de l'assassinat de Kennedy. Si Norman Mailer a écrit un chef d'oeuvre avec « Les nus et les morts » on peut se dispenser de lire le reste de sa production et en particulier son livre sur l'affaire Kennedy Oswald. Un mystère américain (Oswald's Tale: An American Mystery), 1995, dans lequel l'esprit obscurcit par ses marotte politique il en a complètement oublié la littérature. C'est encore pire avec Ellroy qui après avoir écrit sa magistrale première série la Trilogie Lloyd Hopkins et le formidable « dahlia noir » s'est mis dans la tête d'écrire comme John Dos Passos et n'a plus fabriqué que des livres illisibles. Il est donc préférable de lire 22/11/63 de King si l'on veut avoir une idée de l'Amérique de ce temps là. Sur le plan historique, 22/11/63 sonne toujours juste, quand par exemple éclate la crise des missiles, c'est comme si vous y étiez. La reconstitution doit s'appuyer sur des recherches trapues, mais jamais le poids des informations nuit à la fluidité de l'histoire. Sauf méconnaissance (et elle est grande) tous les événements rapportés semblent rigoureusement exacts à l'exception semble-t-il d'un combat de boxe qui aurait opposé Dick Tiger à un certain Tom Case en août 1963. Case n'a jamais existé. Mais le reportage sur cette confrontation est un beau morceau de littérature sportive.

 

22/11/63 de Stephen King

Sans connaître tous les détails de la biographie de l'auteur, on peut subodorer que ce roman est aussi un voyage dans l'enfance de King, il est né en 1947, dans ce qui le faisait rêver quand il avait 10 ans, les voitures (la mythique Ford Sunliner), la musique (les Everly Brothers), les jus de fruits, les cigarettes... Toute l'ambiance du Corps (extrait du recueil Différentes saisons), adapté au cinéma en 1986 sous le titre « Stand by me ».

La traduction est due à Nadine Gassie. Elle semble honorable même si une relecture supplémentaire n'aurait peut être pas été inutile, mais bon plus de 1000 pages, soyons indulgent. Notons tout de même que la traductrice semble fâchée avec la forme négative de la conjugaison, ce qui n'est pas gênant dans la bouche édentée d'un plouc du Texas mais un peu bizarre dans celle d'un professeur d'anglais du Maine.

Si on peut considérer 22/11/63 comme un roman en marge de la production de l'écrivain, on retrouve néanmoins beaucoup des thèmes habituels de Stephen King, l'amitié entre deux hommes, comme dans « Un élève doué », après tout c'est d'abord par amitié pour Al que Jake se lance dans cette folle aventure, l'enfance et la jeunesse dans les année 50, comme dans « Stand by me », la folie meurtrière, comme dans presque tous ses livres, le massacre en passant de quelques enfants comme dans nombre de ses histoires... Il y a même quelques clins d'oeil à ses anciens romans comme cette voiture qui tient un rôle dans 22/11/63 et qui ressemble étrangement à « Christine ». On retrouve aussi la ville de Derry (une des villes imaginaires de King; un concentré d’Amérique dans un petit bled paumé) dont on a pu déjà arpenter les rues dans « ça »...

Dans cette rue grise avec l'odeur des fumées industrielles dans l'air, et l'après-midi saignant sa couleur de crépuscule, le centre ville de Derry était à peine plus séduisant qu'une putain morte sur un banc d'église.

 

King jaloux d'Irving? J'ai ressenti à lecture de ce thriller fantastico-historique la velléité de Stephen King d'échapper au roman de genre. Un peu comme Simenon a voulu un temps écrire des romans « sérieux ». Il me semble que ce ne serait pas une bonne idée pour Stephen King tant 22/11/63 démontre qu'il n'en a pas les moyens littéraires s'il excelle dans les scènes d'action, les moments forts de son intrigue, il ne sait pas gérer les moments faibles et ses mièvres scènes d'amour et de tendresse évoquent plus les romans du style Arlequin que tout autre livre. Ce qui ne veut pas dire que l'on ne puisse pas être ému par un roman Arlequin lorsque c'est Stephen King qui l'a écrit. Ce qu'il fait très bien en revanche c'est de camper le monde des gens modestes des petites villes américaines. Stephen King est un bon auteur naturaliste. On a parfois l'impression, et c'est le meilleur du livre, d'entendre King, lors d'une soirée, attablé avec lui dans un « diner » du Maine, nous raconter tous les potins du bled.

22/11/63 de Stephen King

22/11/63 est un roman que l'on peut qualifier de gauche. Stephen King croit en l'homme et encore plus dans le peuple. Il aime les gens, un peu comme Sturgeon (je ne cite pas ce nom par hasard...). De gauche à l'américaine, Stephen King n'est en rien marxiste par le fait même de croire que la mort d'un homme peut changer l'Histoire, pas de sens de l'Histoire Marxiste ou Hégélien dans son récit. King semble adepte du déterminisme historique ce qui n'est pas tout à fait la même chose. L'excellente fin du livre donne plutôt paradoxalement l'envie d'être Républicain (pour ceux qui ont déjà lu le roman, je rappellerai que le gouverneur George Wallace était issu des rangs démocrates.).

Il est coutumier aujourd'hui d'accoler le qualificatif de postmoderne à nombre d'écrivains sans que cela veuille dire grand chose dans la plupart des cas. Mais curieusement je n'ai jamais encore vu associé cet adjectif à Stephen King. Pourtant, il me semble qu'il n'est pas oiseux de le lui appliquer à propos de « 22/11/63 ». Le fait qu'il est pris habilement comme héros un professeur d'anglais a sans doute masqué la chose, pourtant bien des péripéties (certes annexes) du roman rappellent par exemple certaines que l'on rencontre dans le dernier ouvrage de John Irving « A moi seul bien des personnages ». mais ce roman est paru aux Etats-Unis un an après celui de Stephen King qui mentionne le nom d'Irving dès la deuxième page de son livre. Troublant. Notre professeur d'anglais cite, toujours à très bon escient, une palanquée d'écrivains, Steinbeck, Irving Shaw, Norman Mailer, Ray Bradbury, Mac Donald... (on s'aperçoit que ce graphomane de King est aussi un gros et bon lecteur) qui ne me paraissent pour la plupart, pas avoir de rapports, même lointains avec « 22/11/63. En revanche lorsque j'ai terminé la lecture du roman, je me suis souvenu que vers le milieu est apparu celui de Balzac. Je me suis demandé, en regard aux nombreux personnages du livres, dont la plupart n'ont aucun rapport avec l'intrigue principale, si Stephen King n'avait pas l'ambition inconsciente d'écrire une sorte de Comédie Humaine (je rappelle que le livre compte 1000 pages) de l'Amérique du début des années 60.

22/11/63 de Stephen King

Comme dans toutes les histoires de voyages dans le temps, Jake Epping va se demander si la moindre de ses actions, mêmes les plus minimes, n'auront pas de graves conséquences sur l'Histoire ou plus modestement sur la vie de personnes qu'il a croisées, le fameux effet papillon. Littérairement c'est une bonne affaire pour l'auteur qui a trouvé ainsi un ingénieux procédé narratif, pour que son histoire s'auto-alimente habilement (d'où en partie l'épaisseur de l'ours) car tout bouleversement du passé , aussi infime fût-il , induit forcément d'inévitables altérations futures...

Comme je l'ai écrit précédemment ce roman est une possibilité d'Uchronie mais c'est en réalité un classique voyage dans le temps. A la différence de la plupart des récits de ce genre notre voyageur temporel n'est pas ici un touriste, un historien comme chez Connie Willis, ou un voyageur spatio-temporel professionnel comme dans « La patrouille du temps » de Poul Anderson. Il est même l'exact négatif des héros des nouvelles de Poul Anderson (quoique). Ces derniers ayant pour mission d'empêcher que l'Histoire diverge de celle que nous connaissons. Jake Epping, tout au contraire, désire faire dévier « notre » Histoire en faisant que Kennedy ne soit pas assassiné. « 22/11/1963 » n'est pas le seul roman dans lequel le héros veut changer l'Histoire pour « l'améliorer ». On peut citer « Le faiseur d'histoire » de Stephen Fry où l'on voit un personnage tenter qu'Hitler ne naisse pas mais comme dans le livre de King l'Histoire s'avère têtue... Autre différence majeure avec beaucoup de récits de ce type, mais pas tous, assez rapidement, le héros ne va plus désirer revenir à son époque mais vouloir vivre dans le passé. Non pourtant qu'il idéalise ce « bon vieux temps ». Ce roman peut faire rêver le lecteur car la plupart d'entre nous, au moins une fois dans notre vie, a désiré changer d'existence, en vivre une seconde mais comme dans « L'échange » d'Alan Brennert, Jake Epping s'aperçoit que ce recommencement n'est peut être pas meilleur que sa vie initiale. Il y a un pessimisme profond qui transpire de ce thriller où l'on voit qu'il est difficile d'échapper à un destin, à une sorte de fatalité, à une vie qui serait en quelques sorte partiellement pré-écrite. Il faut préciser que l'auteur paraît parfaitement agnostique et que les dénonciations de la bigoterie sont nombreuses. Il reste que comme tout américain ayant biberonné la bible avant ses premières dents cela laisse des traces... Jake Epping est parfois saisi d'un doute et si le fait d'empêcher la mort de Kennedy le 22 novembre 1963 ne changeait pas l'histoire et qu'il soit assassiné quelques jours plus tard en un autre lieu. Il aurait vécu autant de souffrance pour rien, car il en bave notre gentil professeur.

Un des aspects les plus intéressants du livre, essentiellement dans son premier tiers, réside dans les comparaisons que fait le héros entre l'époque d'où il vient, 2011, et l'époque où désormais il vit, la fin des années 50 et le début des années 60. Ce parallèle doit avoir encore plus de saveur pour des américains ayant connus ces deux époques. Pour faire vite, il trouve que 1958, pue horriblement, que la ségrégation racial et le racisme sont bien installé mais qu'il y a une plus grande solidarité entre les gens, que les objets que l'industrie produit sont plus beaux et d'une meilleure qualité et que ce que l'on mange est plus savoureux qu'en 2011.

Si Stephen King a écrit somme toute un classique récit de voyage dans le temps et a beaucoup emprunté à ses prédécesseurs, de façon inconsciente ou non, il apporte néanmoins à cet exercice quelques nouveautés, c'est le charme et la condition obligée du postmoderniste si celui-ci ne veut pas être qualifié de plagiaire. Il introduit le fait que dans la vie beaucoup d'évènements qui jalonnent notre existence ont des échos, des sortes de répétitions, un éternel retour (approximatif) pour employer concept connu. L'auteur toutefois peine a donner un sens à ce phénomène.

Je conseillerais vivement ce pavé aux passagers embarqués pour un vol de longue durée du Type Paris-Tokyo, Los Angeles ou Djakarta (vols que j'ai utilisés), il devrait vous faire le voyage, ainsi qu'aux étudiants de tous niveaux devant se pencher sur l'Histoire et les mentalités en Amérique au milieu du XX ème siècle. Ils en apprendront plus dans 23/11/63 que dans bien des essais et passeront un plus agréable moment.

 

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18 février 2020

André Gide sexuel

J'ai trouvé l'article ci-dessous sur l'excellent site d'Argoul, (https://argoul.com/) lieu que je vous conseille de fréquenter sans modération.

Il écrit à 19 ans (14 mai 1888) : « La mélancolie chez les Anciens, ce n’est pas dans la morne douleur de Niobé que je l’irais chercher, ni dans la folie d’Ajax – c’est dans l’amour leurré de Narcisse pour une vaine image, pour un reflet qui fuit ses lèvres avides et que brisent ses bras tendus par le désir… »p.13. Narcisse, c’est lui-même André, aspirant au fusionnel et ne trouvant que l’éphémère.

Quelques jours plus tard, le 17 mai, il a cet aveu en vers :

« Ne pourrais-je trouver ni quelqu’un qui m’entende

Ni voir quelqu’un qui m’aime et que je puisse aimer

Qui pense comme moi et qui comme moi sente

Qui ne flétrisse pas mon âme confiante

Par un rire moqueur, qui la pourrait briser ? » p.17.

« J’ai vécu jusqu’à vingt-trois ans complètement vierge et dépravé », avoue-t-il en mars 1893 p.159. C’est la Tunisie et l’Algérie, pour lui, qui le déniaise cette année-là en compagnie du peintre Paul Laurens ; il le contera dans Si le grain ne meurt. Il faudra que le printemps 1968 passe pour balayer cette odieuse contrainte sexuelle, morale et religieuse (mais elle revient avec l’islam !). Des ados d’aujourd’hui s’interrogent sur « dormir nu à 14 ans » (requêtes du blog). Gide leur répond, il y a déjà un siècle : « Sentir voluptueusement qu’il est plus naturel de coucher nu qu’en chemise » 18 août 1910 « bords de la Garonne ») p.647.

 

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Séparer radicalement la chair et l’esprit engendre la névrose, et le christianisme a été et reste un grand pourvoyeur de névrose. « Je ne suis qu’un petit garçon qui s’amuse – doublé d’un pasteur protestant qui l’ennuie » (2 juillet 1907) p.576. Haïr le désir pour adorer l’idéal n’est pas la meilleure façon de se trouver en accord avec le monde. « Le propre d’une âme chrétienne est d’imaginer en soi des batailles ; au bout d’un peu de temps, l’on ne comprend plus bien pourquoi… (…) Des scrupules suffisent à nous empêcher le bonheur ; les scrupules sont les craintes morales que des préjugés nous préparent » (septembre 1893) p.173. Freud nommera cela le Surmoi. Des « personnalités dont s’est formée » la sienne (1894) p.196, on distingue principalement des rigoristes et des austères : « Bible, Eschyle, Euripide, Pascal, Heine, Tourgueniev, Schopenhauer, Michelet, Carlyle, Flaubert, Edgar Poe, Bach, Schumann, Chopin, Vinci, Rembrandt, Dürer, Poussin, Chardin ».

Marié en 1895 à 26 ans avec sa cousine amie d’enfance Madeleine, de deux ans plus jeune que lui, il ne consommera jamais l’union, préférant de loin l’onanisme solitaire ou à deux (il a horreur de la pénétration et ne pratique pas la sodomie). Il est attaché à celle qu’il appelle le plus souvent Em dans son Journal (Em pour M., Madeleine, mais aussi pour Emmanuelle, ‘Dieu avec nous’). Il a pour elle « une sorte de pitié adorative et de commune adoration pour quelque-chose au-dessus de nous » (janvier 1890) p.116. Sa femme reste pour lui la statue morale du Commandeur, le phare pour ses égarements, la conscience du Péché.

Son grand amour masculin, en 1917 (à 48 ans), est pour Marc Allégret le fils de son ex-tuteur, 16 ans, dont il est conquis par la jeunesse plus que par la beauté : « Il n’aimait rien tant en Michel [pseudo pour Marc] que ce que celui-ci gardait encore d’enfantin, dans l’intonation de sa voix, dans sa fougue, dans sa câlinerie (…) qui vivait le plus souvent le col largement ouvert » p.1035. Cet amour du cœur et des sens pour Marc fera que sa femme brûlera ses trente années de correspondance avec elle, une part vive de son œuvre. Elle savait pour son attirance envers les jeunes, mais il s’agit cette fois d’une infidélité du cœur qu’elle ne pardonne pas.

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La peau, la nudité, est pour André Gide la jeunesse même ; ainsi regarde-t-il les enfants de pêcheurs se baigner en Bretagne (p.86), ou admire-t-il le David de Donatello : « Petit corps de bronze ! nudité ornée ; grâce orientale » (30 décembre 1895) p.207. « Ce contre quoi j’ai le plus de mal à lutter, c’est la curiosité sensuelle. Le verre d’absinthe de l’ivrogne n’est pas plus attrayant que, pour moi, certains visages de rencontre » (19 janvier 1916) p.916. Il note souvent ses éjaculations par un X, aboutissant parfois à une comptabilité cocasse : « Deux fois avec M. (Marc Allégret) ; trois fois seul ; une fois avec X (un jeune Anglais) ; puis seul encore deux fois » 15 juillet 1918, p.1071.

 

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André Gide est sensuel, mais surtout affectif ; il n’a de relations que mutuellement consenties, joyeuses, orientées vers le plaisir. Sa chasse érotique est surtout celle des 14-18 ans – ni des enfants impubères (dont il se contente dans le Journal d’admirer la sensualité), ni des hommes faits. Nombreuses sont ses expériences, avec les jeunes Arabes en Algérie, des marins adolescents à Etretat, un petit serveur de Biarritz, un jeune Allemand dans un train, des titis parisiens de 14 ans qui aiment « sonner les cloches », Charlot un fils de bourgeois parisien déluré de 15 ans, Louis un paysan des Alpes…

 

« Le portrait D’Edouard VI de Holbein (Windsor Castle) (…) Disponibilité de ce visage ; incertaine expression d’enfant ; visage exquis encore, mais qui cessera vite de l’être… » (février 1902) p.347

« Le portrait D’Edouard VI de Holbein (Windsor Castle) (…) Disponibilité de ce visage ; incertaine expression d’enfant ; visage exquis encore, mais qui cessera vite de l’être… » (février 1902) p.347

 

« Plus encore que la beauté, la jeunesse m’attire, et d’un irrésistible attrait. Je crois que la vérité est en elle ; je crois qu’elle a toujours raison contre nous. (…) Et je sais bien que la jeunesse est capable d’erreurs ; je sais que notre rôle à nous est de la prévenir de notre mieux ; mais je crois que souvent, en voulant préserver la jeunesse, on l’empêche. Je crois que chaque génération nouvelle arrive chargée d’un message et qu’elle le doit délivrer » (26 décembre 1921) p.1150. Il publiera Corydon, un livre un peu pensum sur le rôle civilisateur de l’homosexualité, en 1924, bien qu’il l’ait écrit dès 1910.

Mais il aura le 18 avril 1923 une fille, Catherine, d’une liaison avec Elisabeth Van Rysselberghe (p.1189). Et Marc Allégret se trouvera une copine passé vingt ans, avant de devenir un réalisateur reconnu grâce à Gide qui lui donne du goût et de la culture.

André Gide présente avec humour dans son Journal un plaidoyer pro domo : « Socrate et Platon n’eussent pas aimés les jeunes gens, quel dommage pour la Grèce, quel dommage pour le monde entier ! »p.1092. Il va même plus loin – ce qui va choquer les ‘bonnes âmes’ qui aiment se faire mousser à bon compte grâce à la réprobation morale : « Que de telles amours puissent naître, de telles associations se former, il ne me suffit point de dire que cela est naturel ; je maintiens que cela est bon ; chacun des deux y trouve exaltation, protection, défi ; et je doute si c’est pour le plus jeune ou pour l’aîné quelles sont le plus profitables » p.1093. Rappelons qu’il s’agit de relation avec des éphèbes – donc pubères actifs d’au moins 14 ans – qu’il ne faut pas confondre avec des « enfants », immatures et usés comme jouets. Comment dit-on, déjà, en politiquement correct ? « Pas d’amalgame ? »

André Gide, Journal tome 1 – 1887-1925, édition complétée 1996 Eric Marty, Gallimard Pléiade, 1748 pages, €76.00

18 février 2020

Le crime du Palace de Florence Tamagne

Le crime du Palace de Florence Tamagne
Florence Tamagne lors de l'interview que j'ai réalisée d'elle pour la sortie en DVD du documentaire de Rob Epstein et Jeffrey Friedman, Paragraphe 175

Florence Tamagne lors de l'interview que j'ai réalisée d'elle pour la sortie en DVD du documentaire de Rob Epstein et Jeffrey Friedman, Paragraphe 175

 

C'est, je crois dans le livre de "la soeur" d'Edith Piaf, livre qui, un été de ma prime jeunesse, fleurissait sur presque toutes les serviettes de la plage que j'ai lu pour la première fois le nom d'Oscar Dufrenne, cité par analogie avec celui de Leplée, le mentor de la môme, victime d'un assassinat assez semblable à celui coûta le vie à Dufrenne. Bien des années après, préparant l'interview de l'historienne Florence Tamagne, pour compléter l'édition en dvd de Paragraphe 175, je suis retombé sur cette même affaire en lisant son indispensable "Histoire de l'homosexualité en Europe, Berlin, Londres, Paris 1919-1939. Je la retrouvais récemment lisant le plaisant roman "Le bal des hommes" dans lequel le meurtre d'Oscar Dufrenne est très présent par les conséquences qu'il a eu sur le milieu homosexuel parisien de l'avant-guerre. Voulant comme je le fais souvent au cours d'une lecture, j'ai cherché à approfondir mes connaissances, via la toile, sur l'assassinat d'Oscar Dufrenne. J'y ai découvert d'une part un article de Florence Tamagne dans la revue d'Histoire moderne et contemporaine, texte d'une dizaine de pages, alors que l'historienne couvrait l'évènement en seulement deux pages dans son Histoire de l'homosexualité et d'autre part une recension très complète de ce fait divers dans un blog en déshérence qui a disparu depuis et qui s'intitulait si je me souviens bien "Et après".

L'exposé des faits que vous pouvez lire ci-dessous doit beaucoup à ce dernier site qui lui même puisait largement dans l'article de Florence Tamagne que je mentionne en source.  

 
Oscar Dufrenne et son mystérieux marin
 
Oscar Dufrenne et son mystérieux marin

Ce 25 septembre 1933 vers minuit trente, le comptable du music-hall cinémaLe Palace toque à la porte du directeur de l'établissement. Pas de réponse. Il entre et aperçoit sur le sol un corps, caché sous une carpette. Il s'agit d'Oscar Dufrenne, cinquante-huit ans, assassiné dans son propre bureau vers 22 h 30. Blessé au crâne par dix-sept coups de queue de billard, le directeur est mort étouffé sous la carpette. Absorbé par le film qui était projeté ce soir-là, le public n'a vu ni entendu quoi que ce soit qui puisse aider les enquêteurs. Le lendemain, le tollé est énorme. Dufrenne, ce n'est pas n'importe qui dans le Paris d'alors. Ce prince de la nuit ne manque pas non plus d'activités le jour : conseiller municipal radical-socialiste du 10e arrondissement, conseiller général du département de la Seine, président du Syndicat des directeurs de spectacles, arbitre au tribunal de commerce, mécène de diverses oeuvres de bienfaisance... « Sa joie était de se pencher sur les humbles et de leur faire oublier, autant que possible, les inégalités de fortune. Combien de malheureux n'a-t-il pas secourus? Combien d'artistes n'a-t-il pas soutenus et encouragés? Combien de misères n'a-t-il pas soulagées? », écrit (non sans malice si l'on sait lire entre les lignes) le journaliste chargé de sa nécrologie dans le N° 592 de La Semaine à Paris. Une sacrée réussite pour cet imprésario né à Lille dans un milieu modeste et qui, depuis 1914, avait su redonner de l'éclat à plusieurs grands établissements de la capitale : Le Concert Mayol, Le Casino de Paris, L'Empire et bien sûr Le Palace, « où marlous chics et hommes du monde voisinent tellement qu'on s'y tromperait ». L'Humanité décrit Dufrenne comme un « magnat du spectacle "bien français" », « grand exhibiteur de cuisses, exploiteur d’usines "à plaisir" et homme de gauche ». Bref, « comme disent les travailleurs dans leur langage direct : – il n’y a que chez les bourgeois qu’on voit des choses pareilles ». Ce « monde corrompu et jouisseur de la haute société bourgeoise » où Dufrenne « s’enfonce davantage dans le bourbier du vice » pour finalement périr « dans une ignoble rumeur de scandale, victime du crime le plus crapuleux, le plus abject, après avoir lui-même introduit l’individu équivoque qui devait le massacrer ».

 

Le crime du Palace de Florence Tamagne
Les souvenirs de Jackie Sardou à propos d'Oscar Dufrenne

Les souvenirs de Jackie Sardou à propos d'Oscar Dufrenne

 

Au lendemain du meurtre ce sont logiquement les réactions de compassion qui dominent. La victime est louée, son parcours mis en valeur. La foule présente devant le Palace n’était pas composée que de curieux attirés par le sang, mais aussi d’habitants du quartier et de familiers venus lui rendre hommage. Ses obsèques, religieuses, furent d’ailleurs le moment d’une communion passagère. Des représentants, entre autres, des métiers du spectacle, de l’Hôtel de ville, de la Préfecture de police ou du parti radical défilèrent en cortège derrière l’Harmonie du 10e arrondissement, suivie de chars fleuris appartenant aux différentes associations présidées par Dufrenne, jusqu’à l’église où furent célébrées la générosité du défunt et son action en faveur des plus démunis. Pour L’Humanité, on assista là au défilé de la « fine fleur des édiles bourgeoises » associé au «Tout-Paris des poules de luxe, des cabotins de la haute, des petits jeunes gens spéciaux [qui] ont formé un digne cortège à leur égal ou maître ». Les actualités cinématographiques s'attardent sur le visage éploré d'« un homme grisonnant, nez busqué, regard sombre ». C'est Henri Varna, de douze ans le cadet du défunt, dont il est l'associé et le compagnon en titre. Mayol raconte dans ses Mémoires, parues en 1929, que « c'est dans l'un des spectacles [montés par] Dufrenne, que débuta, d'abord comme acteur, ensuite comme auteur, un jeune garçon : Henri Varna, devenu [...] le bras droit de Dufrenne dans la plupart de ses opérations ». Mais pas dans toutes, car le couple Dufrenne-Varna est plutôt du genre libre. On sait notamment que le premier aime hanter les promenoirs, ces couloirs situés au fond de la salle qui constituent, comme dans tous les music-halls de l'époque, des lieux de chasse et de flirts plus ou moins poussés pour les amateurs de bagatelle tarifée ou non.

Arrêtons nous sur le personnage de Varna, un nom que je voyais aux frontons et dans les programmes des théâtre quand je commença à fréquenter ces lieux  dans les années 60.

 

bien des années après "l'affaire" Varna en directeur du Casino de Paris

bien des années après "l'affaire" Varna en directeur du Casino de Paris

Henri Varna, de son vrai nom Henri Vantard est né à Marseille en 1887. Il grandit dans le quartier du Panier. C'est dans cette ville qu'il débute une carrière d'acteur. En 1908, il monte à Paris et obtient des petits rôles dans le cinéma muet en 1910 sous la direction de Louis Feuillade. Au théâtre, on le retrouve sur la scène du Théâtre de l'Atelier ou au théâtre des Célestins à Lyon. Ayant plus d'une corde à son arc, il est aussi parolier et chanteur sous le pseudonyme de Varnel. C'est sur la scène du Bataclan qu'on peut l'entendre chanter. En 1912, il se produit sur la scène du Casino de Cayeux-sur-Mer dont le responsable artistique est l'imprésario Oscar Dufrenne.
Cette rencontre avec Oscar Dufrenne va être le tournant de sa vie. Il en devient l'amant puis l'ami. Oscar Dufrenne en fait son assistant puis son associé. A eux deux, il vont être à la tête de nombreux théâtres parisiens. Ils vont commencer par être directeurs artistiques puis propriétaires du Concert Mayol (1913 à 1928) où ils montent de nombreuses revues à succès comme "Venez z'ouir", "Du bleuet, du muguet et des coquelicots"... Puis ils dirigent "Les Bouffes du Nord" (1917 à 1923), "les Ambassadeurs" "le Moncey Music-Hall" et "le Palace" (1923). Ils construisent la magnifique salle de l'Empire en 1924 qu'ils dirigent jusqu'en 1931 avant de la céder au financier et escrocs Alexandre Stawisky. En septembre 1929, Henri Varna dirige le Casino de Paris où il monte une vingtaine de revues, notamment avec Mistinguett. C'est sur cette scène qu'il va lancer le jeune chanteur corse Tino Rossi.
Mais en 1933, Oscar Dufrenne meurt assassiné dans son bureau du théâtre du Palace par un amant de passage. Henri Varna va se retrouver seul à la tête de cet empire des nuits parisiennes. Il va consacrer ses efforts sur le Casino de Paris mais surtout sur le théâtre Mogador dont il prend la Direction et qu'il va transformer en temple de l'opérette de 1940 jusqu'en 1966. Durant l'occupation, il reste à la tête du Casino de Paris, de Mogador, du Palace et du théâtre de la Renaissance. Dans les années 50 et 60, il va confier la revue du Casino de Paris à Line Renaud puis à Mick Micheyl. En 1966, il prend sa retraite. Roland Petit lui succède au Casino de Paris, Henri Marcellin lui succède à la tête de Mogador.
Il décède d'une crise cardiaque à Paris en 1969, à l'âge de 82 ans.

 

Le crime du Palace de Florence Tamagne
un marin de fantaisie photographié par Raymond Voinquel

un marin de fantaisie photographié par Raymond Voinquel

Oscar Dufrenne et son mystérieux marin
Oscar Dufrenne et son mystérieux marin

Au Palaces’était mise en place, dès la connaissance du meurtre, une véritable conspiration du silence de la part des proches de Dufrenne, soit que l’on voulût préserver « la mémoire du patron », soit que l’on désirât protéger sa propre réputation. Ses préférences sexuelles ne furent pas mentionnées aux policiers chargés de l’enquête, prévenus une heure après la découverte du corps. Les ouvreuses de l'établissement avouent seulement le lendemain matin avoir aperçu, trois jours avant le drame, un jeune homme habillé en marin. Il se tenait au promenoir et Dufrenne était venu le retrouver comme une vieille connaissance, l'emmenant dans son bureau pour lui laisser une invitation - ce « billet de faveur » qui allait conduire à la rencontre fatale... « Hier j’ai levé un beau marin et j’ai pensé à toi » aurait confié Dufrenne à l'artiste Lyjo. Et ce dernier de préciser lorsqu'il témoignera plus tard au procès de l'assassin présumé qu'« il ne pouvait s’agir que d’un marin véritable et non d’un démobilisé ou de fantaisie, ces deux dernières catégories ne pouvant nous intéresser ».

 

Oscar Dufrenne et son mystérieux marin

 

L'attitude du personnel et des proches coïncidait avec celle adoptée du vivant de Dufrenne, quand le personnel, conformément à ses instructions et pour lui permettre de « faire son choix », éteignait les veilleuses. Serge Nicolesco, le secrétaire particulier de Dufrenne, fut l’un des seuls à parler. Il faut dire que, ancien amant de Dufrenne, réputé instable (il l’aurait mordu lors d’une crise de jalousie), il faisait alors figure de principal suspect. Il était par ailleurs fort remonté contre le nouveau favori en titre, Jean Sablon, qu’il n’avait de cesse d’accabler. Cela lui permit d’établir quelques mises au point subtiles quant à la nature des relations entretenues par Dufrenne, et la manière dont celles-ci pouvaient être perçues. Il différenciait ainsi clairement ses liaisons durables du mode de vie « déréglé » qu’il affectait depuis quelque temps, caractérisé par « de mauvaises fréquentations » avec différents gigolos dans des boîtes de nuit de Paris ou de la Côte d’Azur. Il laissait d’ailleurs entendre qu’il aurait rompu avec Dufrenne à cause de sa « façon de s’afficher en public »: « Je n’avais nullement l’intention de m’exhiber en leur compagnie [Dufrenne et Sablon], et être ridiculisé ». Sablon, en retour, s’il raillait Nicolesco, jaloux, violent et et suicidaire, confirme du moins que Dufrenne et lui avaient pris du bon temps pendant les vacances, et décrit un véritable circuit organisé des lieux de plaisirs homosexuels de la Côte.

 

Oscar Dufrenne et son mystérieux marin

 

Il évoque également le caractère de Dufrenne et la manière dont celui-ci gérait certaines relations de passage ; victime d’une tentative de chantage, il aurait simplement mis le garçon à la porte, anecdote confirmée par Nicolesco: «mon patron était très fort, courageux, et ne se gênait nullement pour flanquer à la porte n’importe qui cherchant à l’intimider ou tentant de le faire chanter. Il raillait souvent Varna [son associé] à ce sujet, prétendant que ce dernier, dans un cas analogue, se laisserait frapper sans rien dire et donnerait tout son argent ». Dufrenne ne dédaignait pas pour autant les situations à risque : Nicolesco le surprit un jour «en conversation » avec un garçon dans son bureau, dans lequel avait été spécialement aménagé un lavabo, camouflé aux regards, pour ce genre d’occasions. Les rapports des Renseignements généraux confirment que « si la vie de M. Dufrenne n’était pas sans donner lieu à critiques il faisait preuve d’une certaine discrétion et d’autre part son action dans le domaine de la bienfaisance avait su lui assurer de nombreuses sympathies. » Il n’en était pas de même pour Henri Varna, sur lequel on recueillait des «anecdotes peu flatteuses en général». Il faut dire qu’il cumulait les transgressions de classe, de race et de genre : il aimait racoler ses partenaires sur les Grand Boulevards avant de les faire monter dans sa petite Delage pour les conduire dans sa propriété de Montmorency, il se plaisait à se travestir, vêtu d’une robe de pensionnat, genre «Demoiselle en Uniforme», et appréciait les ébats en plein air, non sans s’entourer de quelques précautions: « on l’a vu dernièrement se déculotter à une heure avancée de la nuit, rue de la Charbonnerie, et offrir sa personne à un algérien, pendant que ses gardes du corps, aux aguets, surveillaient les alentours ».


 

Jean Sablon (1906-1994) vers 1930

Jean Sablon (1906-1994) vers 1930

Le crime du Palace de Florence Tamagne
 

Si les proches renâclent à livrer des détails personnels, la vie privée du directeur du Palace est bien connue dans le milieu du spectacle et la presse s'en donne à coeur joie. On brode sur la scène du crime dont la nature sexuelle est immédiatement perceptible aux policiers. « La chemise et la flanelle sont relevées jusqu’aux seins ; le pantalon est ouvert, le caleçon est maintenu par un seul bouton, mettant à nu le ventre et les parties sexuelles. La main droite est repliée sur le ventre, la main gauche étendue sur le tapis ». L’autopsie du Dr Paul apporte des précisions supplémentaires : « Aucune lésion n’a été relevée au niveau des organes génitaux et de l’anus, non plus qu’aucune trace de sperme, ni dans la bouche, ni dans l’anus. Par contre, l’examen microscopique a décelé, dans une gouttelette blanchâtre prélevée à l’extrémité de la verge, la présence des éléments du sperme. De même, les constatations faites sur le caleçon, souillé de sperme au niveau de l’entrejambe, autorisent à penser que des actes érotiques ont accompagné la scène du meurtre ».

 

Oscar Dufrenne et son mystérieux marin

 

Très vite, coururent les plus folles rumeurs. La principale voulait que la fellation, à laquelle se livrait, pensait-on, Oscar Dufrenne, au moment du crime, ait mal tourné. Il aurait mordu la verge de son partenaire, qui aurait été transporté ensuite dans une clinique – juive – de Neuilly, une partie du gland arrachée, hypothèse entretenue par Léon Daudet. Ecoutez-moi, l'hebdomadaire de Marthe Hanau, y va de son commentaire : "Une infirmière pour enfants anormaux [...] au regard d'une fixité inquiétante et au système nerveux agité s'en vient déclarer à la police que l'assassin est un fils Malvy : preuve la mutilation caractéristique pour laquelle ce garçon serait venu se faire soigner dans une clinique. L'an dernier déjà, au moment du drame, la feuille à Daudet avait accusé le fils Malvy. Cette fois, il y a une nuance qui est une échappatoire. On met en cause un fils qui serait naturel, ce qui rend le contrôle difficile. Et, à la faveur de cette équivoque, on peut continuer à servir au lecteur une fable qui résiste aux démentis. M. Malvy fils a porté plainte en diffamation. Il reste à savoir dans combien de temps il obtiendra justice, et même s'il l'obtiendra : les juges ont souvent manqué de courage quand il s'agissait de frapper les gens de L'Action française..."

 

Oscar Dufrenne et son mystérieux marin

 

La police appréhende et interroge « un homme de trente cinq ans environs », désigné dans Le Petit Journal comme monsieur T., « dont le signalement correspond assez bien à celui du mystérieux marin, très connu dans les cercles spéciaux de Montmartre. Il habite dans le 9e arrondissement, mais n'a jamais appartenu à la Marine. Bien que ne possédant aucun métier bien défini - il prétend avoir hérité une assez belle fortune de sa mère, et par ailleurs "s'occuper d'affaires", - cet individu emploie un secrétaire, âgé de seize ans, auquel il donne des appointements mensuels de trois mille francs et qui répond au doux nom de Mésange. Cette particularité a fortement retenu l'attention des enquêteurs. En effet, on se souvient que certains témoins entendus dans les premiers jours qui suivirent le drame déclarèrent avoir aperçu le "marin", la veille du jour tragique, en compagnie d'un petit jeune homme de seize ans environ, aux allures singulières. Le secrétaire au gentil minois a, lui aussi, été amené dans les locaux de la rue des Saussaies et a dû répondre à un interrogatoire serré. » Mais le suspect, transfuge du music-hall, et son jeune secrétaire, sont très vite mis hors de cause... Les rumeurs vont bon train. Elles penchent un temps pour un journaliste ou un sportif de haut niveau. Rien n’attestait pourtant que l’assassin ait été blessé, encore moins grièvement. Nicolesco, le secrétaire de Dufrenne, avait appelé Malvy (dont Dufrenne était présenté comme «l’intime et le protégé ») immédiatement après la découverte du corps, ouvrant la voie aux hypothèses les plus folles. « La piste de la clinique », tout comme celle du sportif ou du journaliste furent suivies, sans aucun résultat, par les services de police, de même que celles de dizaines de marins ou prostitués, dénoncés par des particuliers, des indicateurs, ou les services de renseignement de la Marine. Malgré le procès intenté par Malvy contre L’Action française, la preuve apportée de l’alibi de l’un de ses fils, tandis que l’autre – le principal suspect – était décédé depuis plusieurs années (!), la rumeur enfla jusqu’à prendre des proportions inouïes. S’ajoutèrent un certain nombre de témoignages fantaisistes, qui, coïncidant avec l’arrestation de Laborie, bénéficièrent d’un maximum de publicité.
 

Oscar Dufrenne et son mystérieux marin

 

L’infirmière Lacroix, dont l’enquête révéla qu’il s’agissait bien d’une mythomane, ne fut pas avare des détails qu’elle distilla à la presse comme aux services de police. Elle écrivit également au père de Laborie pour l’assurer de l’innocence de son fils : «Votre fils a-t-il la verge coupée. Non, sûrement, et tandis que le coupable à [sic] la verge coupée par les dents de Dufrenne, puisqu’à l’autopsie on a trouvé le morceau dans la gorge de ce vieux cochon. » Elle aurait ainsi rencontré ce fameux « fils Malvy », surnommé selon elle « Georgette », dont la verge « était en effet sectionnée au-dessous du gland », mais il n’était pourtant pas le seul coupable : « Nicolesco qui participait à la scène d’orgie – il sodomisait M. Dufrenne pendant que celui-ci suçait la verge du fils Malvy – a aidé ce dernier à porter M. Dufrenne sur un divan et à recouvrir celui-ci de coussins dans le but de l’étouffer ». Cette hypothèse fut en partie confirmée par un autre « témoin », Raymond Perrier dit «Bobby », gigolo suicidaire réduit à la mendicité, mais qui avait le sens de la mise en scène. Non content de déposer, au lendemain de l’arrestation de Paul Laborie, une couronne sur la tombe de Dufrenne avec l’inscription «Au marin inconnu – Laborie innocent », il se lança ensuite dans une tournée de conférences, bientôt interdites, qui lui permirent d’exposer sa carrière d’« inverti professionnel », puisque c’est ainsi qu’il se présentait, sa soi-disant relation passée avec Dufrenne et les informations qu’il détenait sur le meurtre. Il « se déguisait en marin, habitait 77, avenue Simon-Bolivar chez une dame dont il avait orné les murs de la salle à manger de photos tendrement dédicacées par plusieurs personnages connus ». Dufrenne, qui l’aurait entretenu sur un grand pied pendant des mois, lui aurait parlé du marin – le fils Malvy, bien entendu – qu’il aurait lui-même croisé à plusieurs reprises dans le hall du Palace, notamment le soir du meurtre, commandité par Nicolesco. Ces « révélations » avaient beau ne reposer sur aucun fait réel, les « témoins » se contentant de broder à partir des éléments d’enquête parus dans la presse, elles contribuèrent à alimenter, dans l’atmosphère de corruption et de scandales à répétition qui était celle de la France des années 1933-1935, la croyance en une manipulation policière, au bénéfice de personnalités politiques de premier plan, vautrées dans le stupre et la perversion.

 

Oscar Dufrenne et son mystérieux marin

 

Les témoignages se contredisent et l'enquête s'enlise. Une partie du public s'amuse à traquer le coupable parmi quelques célébrités repérées comme efféminées, et les chansonniers y vont de leurs couplets satiriques. Car de « genre équivoque » ou de « sexe indéterminé », l’assassin de Dufrenne, puisqu’il a des pratiques homosexuelles, doit être efféminé. D’où l’ambiguïté du signalement du marin : initialement décrit par la police comme un jeune homme de 25 ans, vêtu en matelot, mesurant 1 m 75 environ, au teint pâle, aux cheveux bruns et au nez busqué, il se vit progressivement gratifié, par les témoins, ou par la presse, d’une « silhouette déhanchée » et d’un « regard féminin langoureux », tandis que d’autres insistaient sur son « cou de taureau » et sa « poitrine de bagnard ». Comme le remarquait ironiquement L’Oeuvre, alors que l’affaire piétinait : « ce phénomène qui tient à la fois du bovin, du rapace et de l’androgyne, ne peut manquer d’attirer l’attention des populations ». La police finit, grâce à un indicateur, par l'identifier : Paul Laborie, un marin démobilisé et «pédéraste professionnel», connu dans le milieu parisien sous le sobriquet de Paulo les belles dents.

 

Oscar Dufrenne et son mystérieux marin

 

« Beau jeune homme de 23 ans, [il] appartient à cette faune spéciale qui évolue dans divers bars louches de Montmartre et qui échappe, tant son activité coupable est diverse, à toute classification définie. » Mais l'homme a déjà fui à Barcelone, nouvelle capitale des plaisirs et sûr refuge pour les hors-la-loi. Dénoncé un an après les faits par une maîtresse jalouse, Laborie est arrêté puis extradé vers Paris. « De profil, avec ses traits nets, ses cheveux lustrés, et son menton volontaire, il ressemble au beau jeune homme sportif que les journaux de mode proposent à l’admiration de leurs lecteurs », même si « de face, il montre un visage inquiétant, asymétrique et boutonneux ». « Un visage [...] non seulement fatigué mais prématurément vieilli », lit-on ailleurs. C'est que « les années d’aventure et de débauche comptent double »... « Après avoir [...] reconnu qu'il avait été très intime avec le directeur du Palace, Laborie s'est repris ensuite, déclarant qu'il n'avait, jamais eu avec lui de relations suivies. » La presse retrace sa « vie de fils de famille perverti, s'adonnant à tous les vices et aux pires débauches, souteneur, pédéraste et trafiquant de drogues. Ses parents, établis pelletiers à Libourne, l'envoyèrent étudier à Paris. il logea d'abord dans une pension catholique de la rue des Petits-Carreaux d'où il passa dans un hôtel, partageant la chambre d'une prostituée dont il vivait. Ce sont ensuite des allées et venues entre Paris, Libourne, la Tunisie où il fait son service, la Havane, et l'Espagne.» Il est même « engagé pour tenir un rôle de souteneur dans une pièce jouée en mai ou juin 1934 » avant d'être arrêté pour trafic de stupéfiants par la police, qui « le laisse cependant filer en Espagne au bout de 15 jours. »

 

Le crime du Palace de Florence Tamagne
Le crime du Palace de Florence Tamagne

 

A l'automne 1935, s'ouvre le procès Laborie. « Sur quoi repose l'accusation ? D'abord sur le témoignage d'un autre inverti, "Alphonsine". Laborie déclare que ce dernier agit par vengeance, et jalousie. Un barman, Davidovitz, lié avec Dufrenne, déclare reconnaître en Paul Laborie le "marin" qu'il rencontra dans le promenoir du Palace le soir du crime. Mais ne confond-il pas ce "marin" avec un autre ? Le costume est, paraît-il, très demandé de ces messieurs de la haute noce. Laborie a des défenseurs, en particulier un dont il fut beaucoup parlé, "Bobby" qui cite un autre prénom comme étant celui de l'assassin. Paul Laborie est défendu par Maître Jean-Charles Legrand et c'est Maître Lévy Ouimann qui représente la soeur de la victime. » La presse souligne l'ambiance carnavalesque des débats, ponctués d'incidents tragi-comiques, et évoque «une atmosphère de boîte de nuit». Le compte-rendu de la première audience nous montre un « Laborie, immobile, [qui] écoute. Il semble indifférent. Parfois un sourire [lui] creuse les joues ». Car malgré les fortes présomptions qui pèsent sur lui, la fragilité des preuves, le soutien de ses amis, les déclarations théâtrales et souvent contradictoires des témoins conduiront à son acquittement.

 

Le crime du Palace de Florence Tamagne

 

Dans Le Populaire, Maurice Germain se demande si le meurtre de Dufrenne n’était pas inévitable, si même il n'était pas mérité : «Quand on reçoit un monde un peu mêlé, un vol de portefeuille ou même quelques horions sont un risque auquel on est souvent exposé, n’est-ce pas? ». C’est de cette logique que l’avocat général s’inspira lorsqu’il demanda pour Paul Laborie les circonstances atténuantes, du fait même des «moeurs de la victime » et de la « tentation qu’il offrait si imprudemment à d’abominables partenaires ». Une position soutenue par la majorité de la presse, quand bien même elle pensait Laborie coupable, car : « Laborie le valait [Dufrenne] et il valait Laborie ». Il y eut donc bien dans l’affaire, deux coupables: Dufrenne, « dont l’indicible perversité appela l’assassin, et Laborie qui a répondu, appâté, fasciné par sa proie elle-même ». Et on peut même lire dans L’Oeuvre que « l’incompétence des tribunaux créés par les hommes pour juger les hommes devrait aller jusqu’à l’ignorance d’un assassinat lorsque l’assassinat a lieu dans ce qu’on est convenu d’appeler "le milieu spécial" ».

 

Oscar Dufrenne et son mystérieux marin

 

Pour lui, le procès Dufrenne a valeur d’enseignement pour tous ceux qui partageraient ces goûts : « ce sport étrange [a] ses risques » et « les gens indécis que pourrait attirer une curiosité perverse vont être retenus par une prudence salutaire. Un coup de queue de billard sur le crâne est si vite donné et reçu, lorsqu’on a le dos tourné ». Qu'advint-il de Paulo les belles dents? Arrêté quelques mois plus tard pour un cambriolage en Gironde, il est condamné en novembre 1936 à dix ans de réclusion et dix ans d'interdiction de séjour.

sources :

http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=RHMC_534_0128#no2

une belle rêverie de Pierre Le Tan sur l'éventuel assassin

une belle rêverie de Pierre Le Tan sur l'éventuel assassin

 

Le grand mérite du livre de Florence Tamagne est de replacer l'affaire Dufrenne dans son contexte historique, sociologique et artistique. Tout ce que j'avais lu auparavant sur ce fait divers (il n'est pas bien difficile de se plonger dans les journaux de l'époque) n'avait trait qu'au crime et à ses suite, l'enquête et le procès. "Le crime du Palace" nous révèle la personnalité d'Oscar Dufrenne qui lors du procès comme nous l'expose l'historienne passa, à cause de son homosexualité, passa quasiment du stade de victime à celui de coupable. Florence Tamagne réhabilite cet homme, même si le terme de réhabilitation simplifie grossièrement le travail de l'essayiste, qui s'il n'était certainement pas un saint était un self made man remarquable était aussi un très généreux donateur pour un grand nombre d'oeuvres sociales. S'il est incontestable qu'Oscar Dufrenne, roi de la nuit parisienne des années 20 et conseiller municipale du 10 ème arrondissement de Paris, est un modèle d'ascension sociale républicaine, ses parents étaient de modestes ouvriers du nord de la France, je reprocherais à Florence Tamagne, sans doute par militantisme, de ne pas mentionner que son homosexualité n'a sans doute pas été pour rien dans son élévation sociale.

Par le biais de cet étonnant itinéraire, Florence Tamagne, dans un style clair et précis, nous brosse un tableau de plus de trente ans de "vie parisienne", de la belle époque aux années trente en passant par les années folles. Constamment elle revient sur la sociologie de ce monde des théâtres et du music-hall en indiquant de quels milieux et de quelles régions les artistes proviennent. N'oubliant jamais de mentionner leurs cachets en donnant la correspondance en euros de 2017. Je songe qu'une telle plongée dans le monde artistique actuel serait très éclairante mais se heurterait probablement à la dictature du politiquement correct. Elle n'omet pas non plus de replacer ce petit groupe humain dans la société de son temps.

Le fait qu'Oscar Dufrenne soit également un homme politique, il est conseiller municipal et il a échoué de peu à la députation, permet également à l'auteur de relater les moeurs politiques d'un temps qui s'éloigne mais dont les pratiques électorales ne sont pas si différente de notre époque. Malheureusement il n'y a plus de seigneur de la nuit pour distribuer des billets de théâtre à ses éventuels électeur.

Grande spécialiste de la condition des gays en Europe dans l'entre deux guerres, l'auteur revient sur ce sujet mais d'une façon plus ludique que dans sa thèse; allant jusqu'à proposer un itinéraire gay parisien pour une soirée très bien rempli. Voila qui pourrait être très utile pour un voyageur spatio-temporel ayant ce penchant. Je ne manquerai d'emporter le texte de ce parcours la prochaine fois que j'irai à Londres où je ne manque jamais de me rendre dans la cathédrale Saint Paul; les lecteurs de "Blitz" de Connie Willis me comprendront... Certes je crains que cela ne puisse intéresser qu'une frange modeste de son lectorat.

Ce qui semble avoir le plus intéressé l'auteur c'est le traitement de ce fait divers par la copieuse presse de l'époque. Grâce à ce prisme bien particulier le livre nous donne un bon bon aperçu de ce que pouvait être la perception par les journaux, donc par le public d'un tel scandale et quel était leurs visions de l'homosexualité.

La radiographie du milieu gay parisien juste avant le meurtre de Dufrenne nous parait de voir ce qu'était alors la vie de ces "irréguliers" et de la comparer à l'existence d'un homosexuel à Paris aujourd'hui.

Le meurtre de Dufrenne est beaucoup plus qu'un fait divers car il aura de lourdes répercussions durant de longues années, jusqu'à la fin des année 60, alors que le nom de l'infortuné directeur du Palace est tombé dans l'oubli, sur la perception et la répression de l'homosexualité. Le crime fait cesser la relative tolérance dont bénéficiait la visibilité de l'homosexualité. Ce changement est agréablement illustré par le roman de "Le bal des hommes de Gonzague Tosseri (j'ai consacré un billet à ce roman: http://lesdiagonalesdutemps.over-blog.com/2014/11/le-bal-des-hommes-de-gonzague-tosseri.html).

Je regrette que le livre réponde peu et même imparfaitement à la question que nombre de lecteurs devrait se poser: Que sont devenu les protagonistes de cette histoire. Je suis particulièrement surpris que Florence Tamagne ne mentionne pas un autre fait divers dont Paul Laborie fut, quelques mois après sa libération, le "héros". Il est impliqué dans un cambriolage et pour celui-ci il sera condamné (voir immédiatement ci-dessous la reproduction des page de la revue "Détective" ayant trait à cette nouvelle affaire). Le livre indique que Paul Laborie aurait émigré au Chili, certes sa famille avait quelques liens ancien avec ce pays mais cette idée de départ semblait plus à une velléité qu'autre chose.

Autre personnage dont la biographie mériterait une expertise celle du secrétaire-amant de Dufrenne, le bouillant Serge Nicolesco.

 

Le crime du Palace de Florence Tamagne
Le crime du Palace de Florence Tamagne
Le crime du Palace de Florence Tamagne
Le crime du Palace de Florence Tamagne
passage ayant trait au rapports entre Dufrenne et Nicolesco dans "Le crime du Palace"

passage ayant trait au rapports entre Dufrenne et Nicolesco dans "Le crime du Palace"

Le site des français libres indique que le Le 30 juin 1940, Deux Simoun et un Bloch 81 "sanitaire", venant de Damas, se posent à Ismaïlia. L'adjudant-chef Cornez et le sergent Nicolesco  pilotent les Simoun, et le sergent Portalis, pilote le Bloch 81. A bord, ils ont transporté les sergents mécaniciens Cabille, Fruchard et les sergents armuriers Guilhem et Mery. Les deux officiers de l'état-major de Beyrouth, les capitaines Sacquin et d'Hérouville sont encore sur l'aérodrome. Le ralliement des nouveaux venus s'effectue donc en leur présence. S'agit-il de notre Nicolesco? C'est fort probable car rappelons qu'à l'époque du meurtre il possédait et pilotait un avion. Le site précédemment cité, indique pour Nicolesco 1902, ce qui correspond, moins évident est la profession mentionnée: ouvrier!! Ce pilote se serait également illustré dans des courses aéronautiques dans les annèes 30 au commande de son Moth... On aimerait en savoir plus.

"Le crime du palace" est édité sérieusement avec des notes en fin de volume. Elles sont concises et très informatives. Les notes sont suivies d'une copieuse bibliographie. Je regrette l'absence d'un cahier de photographies qui aurait permis de mettre des visages sur certains des noms mentionnés. J'ai essayé, modestement dans cet article de palier à cette absence.

18 février 2020

La Fab d'Agnes B., Hardiesse

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Basquiat

 

Agnes B. ouvre un bel espace où elle présente une partie de sa collection. Les oeuvres vont du magnifique à l'insignifiant mais offre des découvertes d'artistes, du moins en ce qui me concerne comme Jean Claracq ou Thibaut Bouedjoro. Agnes B. a la chance de posséder les deux plus beaux Klossowski que je connaisse et des Gilbert et George peu commun. Le lien entre les pièces exposées est assez lâche, disons que beaucoup affiche une sensualité discrète.

 

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Basquiat

 

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Warhol

 

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Gilbert et George

 

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Gilbert et George

 

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Klossowski

 

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K. Anger

Paris le 15 février 2020

17 février 2020

André Gide & Marc Allégret, Le roman secret de Pierre Billard et la correspondance Gide-Marc Allégret

André Gide &amp; Marc Allégret, Le roman secret de Pierre Billard et la correspondance Gide-Marc Allégret (réédition augmentée)

 

Récemment lisant mon magazine préféré sur le cinématographe, soit Positif, je butte sur la nouvelle de la disparition de Pierre Billard. La triste nouvelle m'avait échappé mais il faut dire qu'elle n'a pas fait la une des gazettes... Pourtant avec la mort de Pierre Billard nous avons perdu à la fois un grand critique de cinéma, un grand biographe, il est l'auteur de livres sommes, sur René Clair et Louis Malle, et un grand historien du cinéma. Il est l'auteur d'une histoire du cinéma français "L'âge classique du cinéma français, Du cinéma parlant à la Nouvelle Vague. Un fort volume de 750 pages que je consulte souvent de conserve avec les deux beaux albums de Siclier sur le même sujet. La suite de cette Histoire du cinéma, "L'Age moderne", est signée par son fils, Jean-Michel Frodon. Dans l'introduction, de son gros volume Pierre Billard écrivait: << ... motivation d'ordre strictement personnel, biographique en quelque sorte, pour ne pas dire biologique (...) A près cinquante années de compagnonnage cinématographique, et plus de deux mille articles publiés (dans Les Nouvelles littéraires, Candide, L'Express, Le Point, Cinéma 55 et la suite...), minces copeau arrachés aux branches de l'actualité, le besoin grandit de dégager une vue d'ensemble, de remettre en ordre et en perspective le territoire parcouru, dont on a accumulé des "flashes" éparpillés, sans jamais le contempler dans son unité et sa continuité.>>.  

Mais aujourd'hui il reste surtout pour moi comme l'auteur d'un livre capital: "André Gide et Marc Allégret, le roman secret". Il y a quelques mois j'ai commis un billet sur cet ouvrage. En hommage à Pierre Billard je le réédite aujourd'hui.   

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Ne croyez pas que je vais vous entretenir de vieilles lunes mais au contraire je vais vous parler d'ouvrages d'une éternelle modernité. Ils traitent principalement d'un sujet tabou depuis l'avènement des monothéismes: la relation amoureuse et sexuelle entre un homme mûr et un adolescent. Cette proximité entre André Gide (1869-1951) et Marc Allégret (1900-1973), puisque c'est d'eux qu'il s'agit, à la double particularité de s'étendre sur près de quarante ans et d'intéresser un des plus grands esprits du XX ème siècle et un garçon qui deviendra un cinéaste estimable et reconnu.

Pierre Billard dans « Le roman secret » raconte ce commerce au long cours. Concomitamment au livre de Billard, il me paraît indispensable de lire le volume de la correspondance entre Gide et Allégret. Elle s'étend de 1917 à 1949. Ma recension mêle intimement les deux ouvrages, c'est ainsi que je les ai lus. Ce sont deux lectures étonnantes car on y découvre, en particulier dans leurs échanges de lettres un Gide plus intime que dans ses autres correspondances publiées et paradoxalement que dans son journal dans lequel il est néanmoins utile aussi de se replonger, en particulier pour les années 1917 et 1918. A cette occasion on sera d'ailleurs frustré de ne rien trouver sur l'escapade à Cambridge. Mais heureusement Pierre Billard vint... Il n'est pas inutile non plus de reprendre l'amusant ouvrage « Le diable à la NRF » de José Cabanis qui montre qu'André Gide y était accompagné de nombreux diablotins... Et de picorer dans les autres correspondances de Gide avec nombre de personnages qui vont passer dans ce roman. Toutefois ce n'est pas indispensable à l'immersion dans cette histoire tant les notes en bas de page de la correspondance Gide-Allégret nous renseignent sur les faits et gestes de Gide et de ses amis durant la période concernée.

 

Marc Allégret (à environ 20 ans) et André Gide

Marc Allégret (à environ 20 ans) et André Gide

 

Pierre Billard avec à la fois un prosaïsme réjouissant, tout en étant pudique, et respectueux de l'intime, décortique avec un allant entrainant les rapports entre André Gide (oncle André) et Marc Allégret de 31 ans son cadet. Nous avons ainsi les quarante dernières années de la vie d'André Gide vues sous l'angle de cette amitié hors du commun. Les liens entre les deux hommes ont comme paysage toutes l'intelligentsia de toute l'Europe dans l'entre deux guerres.

Billard, bien que loin de ramener la relation entre l'ainé et le cadet à une simple affaire de sexe, cet aspect là ne sera qu'éphémère entre ces deux êtres d'exception, nous entretient néanmoins avec beaucoup de précision sur leurs pratiques respectives fort différentes l'une de l'autre. Disons que la « chose » les occupait beaucoup. L'oncle André aimait surtout se tirer sur la tige alors que le futur cinéaste désirait combler ces dames (très jeunes de préférence). Lors de la vente publique de ses papiers privés, le 17 décembre 2014, on s'est aperçu que Marc Allégret avait été littéralement couvert de femmes. Il y avait un lot de 265 lettres de jeunes femmes dont certaines au contenu explicite. Il me semble que Gide et Marc avaient un point commun dans leurs activités sexuelles: le voyeurisme. Ce qui, à la réflexion est bien naturel pour un romancier et surtout pour un cinéaste...

 

Villa Montmorency demeure de Gide avant "le vaneau"

Villa Montmorency demeure de Gide avant "le vaneau"

 

Cette narration de l'amour d'un homme à l'approche de la cinquantaine pour un garçon de 16 ans (l'âge de Marc au début de leur relation intime) reste parfaitement actuelle alors que les prémices de leurs rapports datent d'un siècle. Elle résonnera chez beaucoup de ceux qui ont été dans une situation similaire, et on vécu quelque chose d'approchant à l'histoire d'amour entre le grand écrivain et le futur cinéaste, en particulier si le garçon se révèlera, à l'usage, si je puis dire, hétérosexuel. Sans m'identifier à l'oncle André, j'ai retrouvé dans son exemple, des stratagèmes d'approche que j'ai utilisés pour un cas ressemblant à ce qui nous est décrit; j'ai jadis remplacé Cambridge par Naples, ce qui est un peu moins chic... A la lecture de cet essai et surtout à la lecture de la correspondance, on voit combien dans une telle histoire, il est important de circonvenir les parents ou du moins de les séduire. Certes aujourd'hui, on a rarement la chance, comme Gide, de tomber sur un père catéchumène parti évangéliser le bamboula dans une lointaine Afrique... et sur une mère aussi évanescente. Gide s'applique dans ses stratagèmes de séduction à s'approprier le jeune Marc tout en le libérant. Le beau raccourci qu'a donné de lui Kléber Haedens illustre parfaitement cette démarche: << Gide hait les familles où l'enfant étouffe, où les désirs se meurent et il fait signe à l'inconnu qui passe sur les routes et appuie son beau visage de démon à la fenêtre où l'enfant ébloui l'aperçoit. >>. Une partie non négligeable des lettres de Marc est consacrée à l'étouffoir que constitue sa famille, archétype des familles protestantes que j'ai pu connaître quelques 80 ans plus tard... On y voit que l'étouffoir protestant est moins le fait d'interdits moraux, comme celui des familles catholiques, que d'une occupation intégrale du temps et de l'espace de l'adolescent; ne lui laissant pas un instant de liberté, moment qui serait aussitôt considéré comme de la paresse. Ces familles protestantes, dans lesquelles Dieu est bien peu présent, rien sur la religion, ni sur la croyance dans la correspondance, c'est aussi pour cela qu'elle nous apparaît comme si moderne, notre fils de pasteur semble un parfait athée, ne prêche pas la foi, mais traque le sybarite...

 

Marc vers 1918

Marc vers 1918

 

Pour bien lire cette extraordinaire correspondance entre les deux hommes, il faut avoir en mémoire ce que disait Roland Barthes à propos d'une adolescence protestante: << Je pourrais dire à la rigueur avec la plus grande prudence, qu'une adolescence protestante peut donner un certain goût ou une certaine perversion de l'intériorité, du langage intérieur, celui que le sujet se tient constamment à lui-même.>>. Gide est donc d'abord pour Marc, l'homme qui lui permet de s'évader de sa cellule familiale. Oncle André pour se faire est un maitre à duper les geôliers. Tout obstiné à sa tâche libératrice, il ne se départit pas néanmoins d'une extrême prudence dans ses ruses de sioux pour mentir à la tribu des Allégret. Sartre avait bien vu le personnage: << C'est peut-être ce mélange de cautèle et d'audace qui rend Gide exemplaire : la générosité n'est estimable que chez ceux qui connaissent le prix des choses et, semblablement, rien n'est plus propre à émouvoir qu'une témérité réfléchie.>>.

André Gide &amp; Marc Allégret, Le roman secret de Pierre Billard et la correspondance Gide-Marc Allégret (réédition augmentée)

Il est bon d'avoir également en mémoire la différence d'aisance entre les deux protagonistes. Gide n'a d'autre préoccupation que celle de gérer des biens et il se consacre, sans souci matériel, à la passion d'écrire, de voyager, de sentir, d'analyser et d'aimer. A ce propos, il n'est pas interdit d'avoir le regret d'un temps où la vie littéraire était plus généreuse que la nôtre et plus pourvue des loisirs favorables à l'entretien de soi-même et des amitiés, à la poursuite de la seule œuvre d'art... Les revenus chez les Allégret sont plus chiches et Marc ne peut envisager aucun héritage. 

 

André Gide peint à 21 ans par Jacques-Emile Blanche

André Gide peint à 21 ans par Jacques-Emile Blanche

 

Cette correspondance n'est pas heureusement constituée que de récriminations familiales et de stratagème pour fuir la pieuse prison. Les passages amusants abondent et sont souvent dus à la plume de Marc qui ne se prive pas d'égratigner les pontifiants, en particulier Jacques-Emile Blanche (vieil ami de Gide). On y découvre également des portraits surprenants comme ceux des tout jeunes Balthus et Pierre Klossowski (fort encombrante cette fratrie!).

 

Marc vers 1918

Marc vers 1918

 

C'est une belle histoire d'amour que relatent le livre de Billard et la correspondance croisée. A propos des rapports entre Gide et Marc, dans sa compacte biographie de Cocteau, Claude Arnaud affirme: << C'est la première fois, ce sera la dernière, que Gide éprouve un sentiment violent.>>.

Le commerce entre l'ainé et le jouvenceau est aussi une association fructueuse. Gide pendant des années entretient financièrement Marc. Il lui ouvre surtout les portes de tout un univers intellectuel et mondain qui éblouit le jeune homme. De cette liberté, le garçon, fort dégourdi, en profite aussitôt, parfois un peu trop lorsqu'il se tourne vers la « concurrence » (Cocteau). Gide est un véritable Pygmalion, il est l'éveilleur de la conscience et de l'intelligence de son ami. veillant sans relâche sur ses études, ce qui n'est pas inutile car le courage en la matière ne semble pas être la qualité dominante de Marc, qui est en revanche un insatiable lecteur comme Gide d'ailleurs. En échange l'apport de Marc tout au long de leur relation sera important, changeant et divers, amant, factotum (le garçon est d'une incroyable débrouillardise et possède un entregent inné) chauffeur, confident, secrétaire, aide traducteur... Et à l'occasion rabatteur pour l'oncle André, ainsi dans une lettre datée du 24 mars 1921, Marc écrit: << J'ai fait la connaissance d'un très gentil groom des wagons-lit (…) je vais tâcher de l'emmener à la Sapinière (maison dans le midi où réside alors Gide)>>. Ce qui est très rigolo c'est que le garçons, Roger, treize ans, s'est pris les doigts dans une porte et que Marc Allégret a pris ce prétexte pour prendre langue avec le garçon et le fait soigner chez le pharmacien avec les deniers que lui a fourni oncle André pour ses menus besoins. N'est-ce pas là un exemple d'une fructueuse collaboration? Dans la lettre suivante Marc raconte qu'il s'est fait draguer par un marcheur des boulevards et songe à accepter son invitation à diner. Gide répond au deux lettres, il encourage Marc, à se rendre chez le monsieur et se dit « furieusement » intéressé par le petit Roger tout en indiquant qu'il espère bien retrouver lorsqu'il reviendra à la Sapinière l'année prochaine, le petit jardinier qui venait s'asseoir près de lui... Dans une autre missive, datée d'octobre 1923, Marc narre une petite aventure: <<en pensant à toi j'ai parlé à un collégien avec qui nous fumes seul dans un wagon pendant une heure et demie. Larges pantalons comme ceux que tu apprécies chez les boyscouts; il s'est blessé au genou dimanche dernier et nous a fait tâter la bosse douloureuse. Je me suis improvisé étudiant en médecine et j'ai recherché l'origine du traumatisme au dessus du genou brun, le long d'une cuisse dorée...>> où comment faire vivre à son correspondant une extase pédérastique par procuration... Tout cela est d'une époustouflante liberté...

 

André Gide &amp; Marc Allégret, Le roman secret de Pierre Billard et la correspondance Gide-Marc Allégret (réédition augmentée)

 

Mais Marc est surtout durant la période de leur grande passion (1917-1926) la muse d'oncle André. Sans Marc pas de « Faux monnayeurs » que je tiens pour être le chef d'oeuvre de Gide. Livre que Beigbéder loue en ces termes irrévérencieux: << Les Faux-Monnayeurs sont le cri de sincérité d'une bande d'adolescents dans une époque de mensonge confortable. 43 ans avant Mai 68, le vieux scrogneugneu était un vrai révolté, un immoraliste hédoniste, qui osa dire qu'il aimait les mecs à une époque où Proust restait dans son placard. >>. Paul Morand d'après l'abbé Mugnier n'est pas en reste:  << Paul Morand a fait l'éloge des Faux-monnayeurs de Gide. Un renouveau littéraire. Gide est parti à la suite du Charlus de Proust disait-il. Jusque-là Gide ne disait rien de son mal, Mme Gide l'ignora jusqu'à la conver­sion de Ghéon. >>.

Ces deux livres montrent combien Gide a une propension et une habileté à faire travailler les autres pour lui. A sa décharge on constate qu'il est sollicité pour une multitude de choses. Parfois la nébuleuse gidienne fait penser à une société d'entraide dont les membres seraient les uns les autres dans une dépendance consentie.

Il n'est pas inutile de rappeler que néanmoins Marc Allégret est essentiellement hétérosexuel, ce qui ne l'empêche pas quelques entorses à cette « normalité ». Tout dans cette relation tord le cou à une vieille antienne qui a bien du mal à trépasser, celle que la fréquentation d'un ainé homosexuel par un jeune peut lui donner le goût des hommes alors qu'il ne l'avait pas. On voit bien avec Marc Allégret que cette idée est fausse, puisque le neveu préféré d'oncle André a été ensuite un éternel coureur de jupons qu'il s'est marié et a fait souche... On voit que dans le « voyage au Congo » où il ne parle à propos de ses désirs que de femmes qu'il a fait définitivement le choix de l'hétérosexualité, après à mon avis une longue période d'ambiguité en ce domaine. Le périple africain montre Marc très sensible aux très jeunes filles. Malgré son sens de l'ellipse on comprend en lisant ses carnets qu'il a une relation sexuelle avec une jeune fille de quatorze ans. Mais que les bonnes âmes ne s'effarouchent pas, il était (et l'est toujours) courant en certaines contrées d'Afrique de marier les adolescentes à cet âge.

André Gide &amp; Marc Allégret, Le roman secret de Pierre Billard et la correspondance Gide-Marc Allégret (réédition augmentée)

Une telle recension d'une passion pédérastique qui se mue en compagnonnage est unique. Qu'avons nous dans nos bibliothèques sur le sujet, ou approchant? A part ce livre étonnant, je ne vois guère (mais vos bibliothèques sont peut être plus copieuses que les miennes) que les navrantes péripéties de Roger Peyrefitte avec Malagnac, gigolo de petite envergure. Les avanies de l'auteur des « Amitiés particulières » avec ce garçon sont romancées dans deux ouvrages, « Notre amour » d'une belle sincérité et « L'enfant de coeur » dans lequel pointe déjà la sénilité de son auteur.

Plus intéressantes sont les aventures amoureuses avec des adolescents que nous conte sans ambages Claude Michel Cluny (1) dans les tomes de son journal où il n'omet pas non plus de rendre hommage à Gide: << Les générations qui viennent n'imagineront pas de quel empois moral il a contribué à nous débarrasser. Pour moi, il m'a conforté dans un souci d'exigence. La liberté sexuelle, elle m'était acquise, naturellement, sans questions inutiles : je voulais aimer qui j'aimais, et n'avais besoin ni d'un guide ni d'un blanc-seing. Mais il a eu, certainement, une influence libératrice sur beaucoup, et surtout sur la société. Ce n'était pas rien ! ». C'est en particulier dans le volume intitulé « Les Dioscures » que Cluny narre les relations amoureuses, et séparées, qu'il entretient avec deux garçons de dix sept ans. Il y a chez Cluny le même souci d'éducation envers les jeunes gens que chez Gide, mais moins formalisé que chez l'auteur des « Faux monnayeurs », alors que cette préoccupation semble absente chez Peyrefitte. Il faut ajouter que Cluny ne s'intéresse pas du tout aux enfants, contrairement à Gide qui est principalement pédophile, mais seulement aux adolescents. Les rapports avec l'être aimé chez Cluny dans le temps est très différent de celui qu'a entretenu Gide vis à vis de Marc. Alors que ces deux hommes ont fait preuve d'une indéfectible fidélité de coeur entre eux, chez Cluny, lorsque le garçon dépasse l'âge du désir de l'ainé, ce dernier s'éloigne, l'amour s'effiloche...

 

Marc et Gide en 1920

Marc et Gide en 1920

Dans toutes relations fortes, il y a un moment fondateur, que presque toujours les intéressés ne savent déceler. Je pense que celui entre oncle André et Marc est le voyage des deux bougres à Cambridge. Il a été la pierre angulaire de toute leur histoire et l'un des tournants majeurs dans la vie de Gide; ce que semble ignorer les gidiens patentés. L'inextinguible curiosité du plus jeune a renouvelé et multiplié celle de l'ainé pour le restant de ses jours. Cette escapade anglaise a aussi donné une sorte de modèle pour Gide lorsqu'il rencontre « la famille » (dans le sens que Simone de Beauvoir et Sartre donnaient à ce mot) de Bloomsbury dont inconsciemment ou nom, il reproduira « l'organisation » qu'il construira autour de lui jusqu'à sa mort. La rencontre du groupe de Bloomsbury aura une autre conséquence importante, même si elle ne fut pas immédiate sur la vie de Gide. Elle modifiera en profondeur son orientation politique qui n'infusera que lors du  « le Voyage au Congo ». Périple qui marque véritablement le début de son engagement politique. En cette année 1918 où il fait le voyage vers l'Angleterre accompagné de Marc, Gide et encore plus son jeune ami, sont proches de l'Action-Française. Quinze ans plus tard on peut considérer Gide comme un compagnon de route du Parti Communiste. Certes ses yeux se décilleront bien vite, ce qui nous donnera son courageux et lucide « Retour d'URSS »... De l'autre coté de la Manche, nos voyageurs rencontrent le groupe de Bloomsbury en presque son entier: Virginia Woolf, Lytton Strachey, Keynes, Vanessa Bell, Roger Fry, Duncan Grant... Ce dernier dans une lettre à Vanessa Bell parle des deux français avec une belle lucidité: << Marc Allégret est très beau, mais évidemment hétérosexuel. Il serait le neveu de Gide qui lui est ouvertement pédéraste.>> Ceci écrit en 1918, le coup d'oeil cursif du peintre... Billard révèle (pour moi tout du moins) la proximité d'un autre anglais considérable: Rupert Brooke avec la « famille » gidienne.

André Gide &amp; Marc Allégret, Le roman secret de Pierre Billard et la correspondance Gide-Marc Allégret (réédition augmentée)

Le voyage en Angleterre provoquera l'ire de Madeleine, la femme vierge de Gide, qui jalouse de l'idylle de son Mari avec Marc, par vengeance et dépit brulera toutes les lettres que Gide lui avait adressées depuis leur rencontre. L'auteur de « L'immoraliste » considérait cet échange comme une partie importante de son oeuvre. Il affirmait y avoir mis « le meilleur de lui-même ». Il sera très affecté par cette perte. 

 

photo Marc Allégret prise lors du voyage au Congo

photo Marc Allégret prise lors du voyage au Congo

Gide au Congo, 1925, photographie de Marc Allégret

Gide au Congo, 1925, photographie de Marc Allégret

« Le roman secret » est le récit d'une histoire rare, un amour de quarante ans entre deux hommes ou plus exactement d'une longue amitié après une passion. La narration d'une telle aventure est je crois unique en littérature. Il y a bien quelques romans ou journaux intimes qui proposent quelques fragments d'histoires comparables mais rien sur une telle distance et avec une telle précision. Cette est possible grâce aux innombrables écrits intimes d'André Gide et aussi aux témoignages des amis du grand homme. Si Gide ne s'épanchait guère et cryptait sa correspondance suivant les destinataires de ses lettres, il s'est néanmoins confié à plusieurs de ses correspondants sur la relation qu'il entretenait avec Marc et l'incidence qu'elle avait sur sa vie et sur son oeuvre. Car sans cette passion, je le répète il n'aurait pas accouché de son chef d'oeuvre, « Les faux monnayeurs » (Roger Martin du Gard entre autres pensait que c'était son meilleur livre) dans lequel il s'est amusé à donner un bien mauvais rôle à Cocteau qu'il ne tenait pas en définitive en grande estime et à diffracter en plusieurs créatures son cher Marc. Il me semble que l'importance de Marc dans la naissance des « Faux monnayeurs » est constamment sous estimée au profit d'anecdotiques faits divers, un trafic de fausses monnaies aux abords du jardin du Luxembourg et le suicide d'un d'adolescent en pleine classe qui sont certes présents dans le roman mais en sont plus le décor que la chair... D'ailleurs pour Françoise Giroud qui a travaillé à l'adaptation des « Faux monnayeurs » que devait tourner Agnieszka Holland, projet qui lui aussi ne vit pas le jour << Gide a écrit ce livre pour épater Marc Allégret... Olivier, dans Les Faux-Monnayeurs, c'est lui, c'est Marc Allégret, cela ne fait aucun doute. Quant à l'oncle Edouard, c'est Gide lui-même.>>.

 

André Gide &amp; Marc Allégret, Le roman secret de Pierre Billard et la correspondance Gide-Marc Allégret
André Gide &amp; Marc Allégret, Le roman secret de Pierre Billard et la correspondance Gide-Marc Allégret
 

On ne peut que déplorer que Marc Allégret n'est pas réussi à réaliser l'adaptation des « Faux monnayeurs » comme il en avait le projet. Récemment ce roman a été adapté, et bien, par Benoit Jacquot (j'ai consacré un billet à cette adaptation (2):http://www.lesdiagonalesdutemps.com/article-les-faux-monnayeurs-un-film-de-benoit-jacquot-120615319.html) Pour continuer dans les incroyables entrelacs sentimentaux de la planète gidienne, il ne faut pas oublier que Françoise Giroud a été amoureuse de Marc : « L'amour est très violent à cet âge. En vérité, je n'ai jamais aimé personne davantage que Marc Allégret, et cela, pendant des années. Lui m'aimait beaucoup, tout le monde aura saisi la nuance. » (Françoise Giroud, On ne peut pas être heureux tout le temps, Fayard, 2001).

Manuscrit autographe par Marc Allégret de son scénario pour Les Faux-Monnayeurs, 1965 *

Manuscrit autographe par Marc Allégret de son scénario pour Les Faux-Monnayeurs, 1965 *

Les lettres corrigent l'impression de tiédeur de leur amour à laquelle peut faire penser la lecture de l'essai de Billard. Cet échange (aujourd'hui inimaginable en raison de la dictature du téléphonage) rendrait jaloux n'importe quel homme qui a été un jour amoureux d'un adolescent ou d'un jeune homme. Ils sont peu à avoir eu la chance de lire des missives de l'être aimé, cela durant au moins dix ans d'affilés, qui se terminent par: << ton M qui t'aime, love, Je t'embrasse bien fougueusement, je t'espiole le front avec madness, je t'embrasse avec hardiesse, je ne suis qu'un hall d'attente, Viens donc le plus tôt possible love...>>.

André Gide &amp; Marc Allégret, Le roman secret de Pierre Billard et la correspondance Gide-Marc Allégret (réédition augmentée)
André Gide &amp; Marc Allégret, Le roman secret de Pierre Billard et la correspondance Gide-Marc Allégret (réédition augmentée)
André Gide &amp; Marc Allégret, Le roman secret de Pierre Billard et la correspondance Gide-Marc Allégret (réédition augmentée)

En revanche l'essais de Billard met en perspective sur le long terme certains événements dont la correspondance au jour le jour nivelle l'importance.

On est surpris de cette relation et surpris de la non surprise de Billard qui semble voir tout cela de Sirius sans jamais juger mais avec un flegme imperturbable. Non seulement il n'est pas étonné de l'amour qui se développe entre Gide et Marc mais pas plus des revirements sentimentaux ou politique de Gide et par la même de son jeune ami. En 1918 on les voit proche de l'Action -Française puis farouchement anticolonialiste (Le voyage au Congo). Gide devient dans les années 30 un compagnon de route du Parti Communiste avant d'en devenir un renégat après la publication du « Retour de l'URSS ».

Billard a fait des paris raisonnables lorsque les sources lui manquent; par exemple sur la sexualité de Marc: << Nous avons fait le pari de son hétérosexualité (fondé sur ce que nous connaissons), ramenant sa complicité sexuelle avec Gide à des attouchements et des jeux dominés par l'onanisme.>>. Il reste que Billard sous entend que le garçon était large d'esprit sur la question: << Nous rencontrons souvent Marc en compagnie d'homosexuels. Par exemple le jeune peintre Emmanuel Fay et le jeune comédien Marcel Herrand souvent inséparables retrouvent Marc dans les galerie ou les coulisses de théâtres et l'entrainent dans un chaleureux compagnonnage. Coïncidences sans signification? Possible, mais on ne peut pas exclure que Marc, initié aux pratiques gidiennes n'est pas refusé d'élargir son champ d'expérience.>>. A propos d'Emmanuel Fay, Gide le décrit ainsi dans son journal: << un ami digne de Marc et dont je ne voudrais ne pas être jaloux.>>.    

Emmanuel Fay

Emmanuel Fay

Les lettres qu'échangent nos deux correspondants illustrent et confirment ce que l'on savait du nomadisme de Gide mais aussi de la plupart des membres de son entourage. C'est presque un miracle lorsque ces gens parviennent à se rencontrer. Nombreuses sont d'ailleurs les lettres écrites dans des trains, des gares, des bateaux. Ce qui correspond bien au portrait que Maurice Martin du Gard fait de Gide dans ses « Mémorables »: << Avec sa tenue classique de voyage, dans un vaste pardessus de ratine beige, le chapeau taupe plus foncé, M. Gide avait son air d'arriver de loin et de repartir le soir même, de loin ou de près, de l'Afrique du Nord ou de Normandie, mais toujours entre deux trains et deux désirs, à la quête de lui-même. >>.

Gide me paraît le premier et peut être le seul intellectuel européen du XX ème siècle. Il entretient des relations intellectuels avec maint penseurs de presque tous les pays d'Europe qu'il visite tour à tour et même lorsqu'il va en Afrique ou en URSS, il donne de ces contrées un point de vue europeiste.

On découvre dans la correspondance, surtout au début, ce que j'appellerais un antisémitisme d'habitude, qui était celui alors, de la quasi totalité des français. Mais souvenons nous entre autres par exemple que c'est Gide qui permet au juif Malaki, alias jean Malaquais (prix Renaudot 1939) de quitter la France en 1941: << N'était André Gide, Galy et moi serions en route pour fertiliser de nos cendres les sillons du Troisième Reich. » (Journal du métèque - 8 oct 1942). Cette petite incise pour corriger certaines allégations, comme celle aberrante se Christophe Malavoy qui assimilait l'antisémitisme de Céline avec celui prétendu de Gide.

Billard ne nous dit pas tout et en particulier comment Gide pour Marc a troqué sa pédophilie pour une pédérastie socratique. Pourquoi dans le cheptel de la famille Allégret a-t-il jeté son dévolu sur Marc et non sur Yves dont l'âge correspondait plus à ses attirances habituelles? Il est vrai que dans les quelques photos que je connais de Marc adolescent, avec sa bouche boudeuse il paraît rimbaldien en diable.

Cette relation, en coulisse intriguait, en fait c'est toute la vie de Gide qui surprenait ses contemporains même si devant lui, ils ne laissaient rien paraitre. Ainsi Morand, dans son style bien personnel et sa morale qui l'est encore plus, s'en ouvre à Jacques Chardonne dans une de ses lettres: << Je lisais cette nuit une étude de Kanters sur Gide, d'ailleurs bien faite, dans la revue de Paris. Marc Allégret (dit ouvertement Kanters, citant Gide: << Ce séjour en Angleterre réussi au-delà de tout ce que j'espérais.>>) a été aimé par Gide dans tous les sens. Or on me dit que Marc n'était pas pédéraste et ne l'a jamais été; je ne puis la-dessus, questionner la petite Claudine Jardin, que vous avez connu chez moi, la fille de Jean Fayard qui est, depuis 2 ans, la maitresse de Marc... Ce que ni Delay, ni Schlumberger, Martin du Gard n'ont expliqué, c'est ce qui a poussé Gide à avoir sa fille Catherine avec une femme, c'est à dire en utilisant le sexe abhorrée? Qu'il est été pédé, soit, si ça lui plait; qu'il est trahi sa noble épouse au bénéfice de petits cireurs de bottes de Biskra, soit; mais ce qui est mufle, vraiment vicieux, et même démoniaque, c'est la trahison au deuxième degré, avec une personne d'un autre sexe. Non seulement c'est monstrueux, mais cela anéantit ses larmes littéraires, La porte étroite et toutes les nobles invocations au pur amour pour Madeleine. C'est la petite madeleine de Proust mais au lieu de se dissoudre dans une tasse de thé, celle de Gide se dissout dans une cuvette de larmes de crocodile huguenot.>> (12 Mars 1963, Correspondance Morand- Chardonne, tome II, page 727).

On aimerait parfois en connaître d'avantage par exemple qu'est devenu le lieutenant Verdier et surtout les clichés fort intimes qu'il a pris de Marc alors âgé de dix sept ans. La figure d'Emmanuel Fay reste bien flou; à sa mort Marc écrit à l'oncle André qu'il connait son premier chagrin d'amour... Il aurait été intéressant également d'avoir un peu plus d'informations sur Eugène McCown (photo immédiatement ci-dessous pour en savoir plus sur le personnage:William Eugene McCown (1898 - 1966) - Find A Grave Memorial)peintre avec lequel Crevel avait eu une liaison et qu'en 1924 Marc fréquente assidument...

William Eugene McCown

Il faut se garder d'anachronisme et pour cela, les mots ne porte pas les mêmes charges émotionnelles hier qu'aujourd'hui. Pour cette raison il faut que je fasse une incise et précise ce que recouvre le terme pédophile appliqué à Gide. C'est un amour général des enfants qui n'est pas toujours, loin de là, sans pour cela l'exclure, associé à une relation sexuelle. Relation sexuelle dans laquelle Gide se refuse à toutes pénétration, du moins c'est certain pour la sodomie dont Gide à horreur. Gide toute sa vie s'est intéressé à l'éducation des plus jeune en particulier dans les années 30 aux expérimentations dans ce domaine de Ray Strachey que l'on peu considérer comme un précurseur de « Summerhill ». Son amour des enfants lui fera désirer d'en avoir un, serait ce par l'intermédiaire de Marc. L'opération ayant échoué, il se mettra, si je puis dire lui même au travail...

Je ne voudrais pas que l'on pense que dans leurs échanges de lettres, Gide et Marc Allégret ne s'entretiennent que d'histoires de petits garçons et d'imbroglios familiaux. Il y est également beaucoup question de littérature de peinture et surtout de théâtre. Mais il y a aussi des absents dans ces missives, Dieu, tout d'abord, comme je l'ai déjà signalé mais aussi l'Histoire et dans une certaine mesure le cinéma.

 

René Crevel peint en 1922 par J.E. Blanche

René Crevel peint en 1922 par J.E. Blanche

André Gide &amp; Marc Allégret, Le roman secret de Pierre Billard et la correspondance Gide-Marc Allégret (réédition augmentée)
André Gide &amp; Marc Allégret, Le roman secret de Pierre Billard et la correspondance Gide-Marc Allégret (réédition augmentée)

Sur ce dernier point Pierre Billard, ancien critique de cinéma et biographe de Louis Malle, avance que Gide, s'il était cinéphage, n'avait que mépris pour ce mode d'expression qu'il ne considérait pas comme un art. Il explique le relative éloignement de Marc à partir du milieu des années 30, par la déception qu'aurait eu Gide de voir son protégé se lancer à corps perdu dans le métier de cinéaste. Je ne pense pas que cette théorie soit complètement juste, d'autant que Gide n'a pas toujours dénigrer le cinématographe. Dans une interview de 1930 ne déclarait-il pas?: << Qu'il voyait le cinéma parlant supplanter le théâtre pour peu que l'on s'adresse à de vrais écrivains.>> il me semble que d'une part que c'est plus l'égarement de Gide vers « les camarades » et d'autre part la présence auprès d'oncle André de plus en plus envahissante de Pierre Herbart, que Marc n'appréciait pas (c'est un euphémisme) qui ont fait prendre à Marc ses distances. Distance que Billard surestime grandement. Par exemple Marc Allégret terminait une lettre en 1944 à oncle André par << Reviens vite. Je t'embrasse de tout mon coeur>>. Si il y a séparation de corps, il n'y a pas séparation d'esprit. Cette prise de distance est due aussi au stakhanovisme cinématographique de Marc et à la bougeotte effrénée des deux amis, comme d'ailleurs de la quasi totalité des membres de la mouvance gidienne; ces gens là ne se voyait qu'entre deux trains, deux bateaux puis plus tard deux avions, en fait ils ne faisaient le plus souvent que se croiser! D'autre part il ne faut pas oublier qu'au moment de la mort de Gide, Marc était en plein tournage d'un film sur son cher oncle. Il y aurait d'ailleurs tout un livre (et même plusieurs) à écrire sur le rapport de Gide à l'image. Peu d'écrivains de son époque ont été aussi photographiés et peints que lui. Je me souviens que Mac Avoy m'avait dit avoir été surpris de la disponibilité d'André Gide lorsqu'il avait fait son portrait et du plaisir évident qu'il avait à poser alors qu'il était déjà très malade.

Dessin préparatoire au portrait d'André Gide, Mac Avoy, 1949

Dessin préparatoire au portrait d'André Gide, Mac Avoy, 1949

 

A propos d'images il est regrettable qu'au « Le roman secret » l'éditeur n'ait pas cru bon d'y ajouter un livret de photographies. On aurait pu mettre un visage sur quelques uns des personnages de cette fourmillante saga et cela aurait également donné l'occasion de montrer le talent photographique de Marc dont Michel Cournot parle si bien: << Les images que rapportera Marc Allégret sont bien révélatrices de son caractère. Il évite entièrement les facilités du spectaculaire. Les femmes et les hommes dont il prend l’image, il s’emploie à montrer leur amour-propre, la dignité de leur allure. Images d’une grande probité, d’un rare talent. Il est émouvant de voir là, en Afrique, les débuts d’un cinéaste de grande dimension, qui reste sous-estimé.>>.

André Gide &amp; Marc Allégret, Le roman secret de Pierre Billard et la correspondance Gide-Marc Allégret
André Gide &amp; Marc Allégret, Le roman secret de Pierre Billard et la correspondance Gide-Marc Allégret
photos Marc Allégret prises lors du voyage au Congo

photos Marc Allégret prises lors du voyage au Congo

La présence du mot roman dans le titre « Le roman secret » n'est pas usurpée. Pierre Billard a écrit son essai comme un roman; un roman à l'ancienne, dans lequel l'auteur a toujours une longueur d'avance sur son lecteur. Les adresses à ce dernier, ce que fait fréquemment Pierre Billard, dynamisent l'écriture de son livre qui est bien édité comme l'est la correspondance. Si « Le roman secret » ne possède pas d'indexe, à l'inverse du volume de lettres entre oncle André et Marc, son découpage clair en chapitres, facilite la consultation. Dans sa préface l'essayiste pose une question à méditer: <<Que valent les rapports hiérarchiques dans une histoire d'amour?>>...

Il ne faudrait pas que la forte personnalité des deux protagonistes principaux occulte la foule des seconds rôles prestigieux qui traversent ce récit: Cocteau, Roger Martin du Gard, Paul Valéry, Léon Blum, Malraux, Copeau, Yves Allégret... ou de ceux qui moins célèbres sont des membres essentiels de la tribu gidienne comme Elisabeth van Rysselberghe et surtout sa mère, dite la petite dame ou encore Yvonne de Lestrange, dite pomme (1892-1981). Il est intéressant d'aller voir ce que dise d'autres auteurs comme Jacques Chardonne sur ces personnages de l'entourage de Gide, sur Madame Muhlfeld (dite la sorcière dans la correspondance) par exemple: << Je suis allé chez Madame Muhlfeld que trois fois dans ma vie. Gide et Valéry n'y allaient point par terreur. Ils y allaient comme on va au café; toujours ouvert à partir de 5 heures. C'étaient les moeurs du café. Où aller en fin de journée? C'était très libre de façons. On y recevait pas une divorcée: juifs exclus, je crois. Jamais de femmes d'ailleurs. Madame Muhlfeld s'y est tuée. Où vont les hommes à présent, à 5 heures?>>. Cet extrait d'une lettre à Paul Morand est représentatif de l'absurde antisémitisme de Chardonne qui semble ignorer que Madame Muhlfeld (1875-1953) fut juive!

L'oncle André espérait que son protégé embrasse la carrière journalistique ce qui n'était pas irréaliste dans la mesure où Marc fait parfois preuve d'un beau talent littéraire dans ses lettres.

Jean Claude et Pierre Masson ont établi et annoté la correspondance Gide-Allégret. Il ont valeureusement pris la suite de Daniel Durosay, mort à la tâche. Ils ont eu l'excellente idée de faire commencer leur ouvrage par de courtes biographies des membres de la tribu Allégret. Cette heureuse initiative m'a fait songer qu'un dictionnaire amoureux autour de Gide, comme il en existe autour de Proust, serait bien utile aux lecteurs pour démêler les imbrications entre les affidés gidiens.

André Gide &amp; Marc Allégret, Le roman secret de Pierre Billard et la correspondance Gide-Marc Allégret

Si la lecture de ces deux ouvrages corrige le portrait que l'on pouvait avoir de Gide, le révélant beaucoup plus généreux que l'image qu'on lui attribut habituellement, néanmoins on ne contredira pas Angelo Rinaldi lorsqu'il avance que Les écrivains qui font profession de se raconter par le menu sont quelquefois les plus opaques, elle permet surtout de découvrir la personnalité très attachante de Marc Allégret dont le nom désormais n'évoquera plus seulement le cinéaste d' « Entrée des artiste » et le découvreur de futures vedettes. Il a mis le pied à l'étrier à Simone Simon, Bernard Blier, Brigitte Bardot, Alain Delon, Jean-Paul Belmondo... Il est bouleversant que dans ces pages ont assiste à l'éclosion d'un être. Ces deux volumes forment d'abord un roman de formation. On ne pourra que constater que les leçons d'oncle André ont été profitables. Elles ont transformé un garçon certes vif d'esprit et curieux mais dispersé et guetté par l'indolence en un homme acharné au travail et ne se détournant pas de ses buts. Elles n'ont toutefois pas réussi à donner une totale confiance en lui à Marc, sans doute que l'ombre de Gide était trop grande et trop dense même pour un Marc Allégret...

Au delà de l'apport indéniable que ces ouvrages apportent à l'Histoire littéraire du XX ème siècle, Billard réussit dans un livre d'érudition à donner une leçon de vie.

André Gide photographié par Marc Allégret lors de leur voyage au Congo

André Gide photographié par Marc Allégret lors de leur voyage au Congo

* Ci-dessous document découvert sur le merveilleux site e-gide: http://e-gide.blogspot.fr/

Lot 6 d'une vente Marc Allégret
Marc Allégret (1900-1973) cinéaste. Manuscrit autographe, Les Faux-Monnayeurs, 1965 ; environ 340 pages in-4 en feuilles sous chemise dos toilé et étui.
 
Projet d’adaptation cinématographique inachevé du célèbre roman d’André Gide, paru en 1925. Roger Vadim, déjà producteur de plusieurs réalisations d’Allégret, soutenait ce film. Récit difficile à porter à l’écran, notamment en raison des différents points de vue et genres narratifs, le projet fut finalement abandonné vers 1966. Si le scénario ne présente pas une continuité, et est resté inachevé, il nous permet néanmoins de constater que la trame narrative du livre a été conservée, et que Marc Allégret (modèle d’Olivier) a beaucoup travaillé à cette adaptation. Au manuscrit de premier jet, abondamment corrigé et augmenté, s’ajoutent des notes de travail. Les Faux-Monnayeurs, début du scénario (97 p., pag. 1-92 avec ff. ajoutés).
Découpage détaillé, avec dialogues, indications scéniques, didascalies et voix-off. Le manuscrit est rédigé au recto de feuillets de papier quadrillé à grands carreaux perforés, écrit à l’encre noire avec quelques pages au stylo bleu ou rouge ; de nombreuses corrections sont portées au stylo rouge. Ce premier jet présente des ratures, des suppressions, des additions interlinéaires ou dans la marge, des indications pour la dactylographie. Le scénario s’ouvre à Paris avec (p. 1-12) l’apparition d’Édouard et sa rencontre avec le jeune Georges, qu’il surprend en train de voler un ouvrage sur l’étal d’un bouquiniste. Le journal manuscrit que Georges a laissé tomber intrigue Édouard, lui-même écrivain. Le jeune homme se trouve être son neveu, le fils de sa demi-sœur Pauline, chez laquelle il se rend immédiatement. Il y croise le mari Oscar Molinier, et Olivier, un autre de ses fils. Le générique intervient après ces premières séquences. Une scène au Palais de Justice introduit Molinier, présidant une audience de la Chambre correctionnelle, et le juge d’instruction Albéric Profitendieu. Il est question d’une affaire de prostitution de mineurs (p. 13-16)... Le jeune Bernard Profitendieu, chez lui, écrit une lettre à Albéric, après avoir découvert que l’homme qui l’élève n’est pas son vrai père. Il s’enfuit du domicile familial (p. 17-22)... Bernard et Olivier, camarades de lycée, se retrouvent au Luxembourg, le premier souhaitant se faire héberger temporairement chez le second (p. 23-24)... Albéric Profitendieu découvre la lettre de son fils adoptif – introduction de Cécile et Caloub, demi-sœur et demi-frère de Bernard (p. 25-32).
Olivier, accueille Bernard chez lui le soir. Les deux jeunes évoquent sa récente découverte et son avenir hors de son foyer. Ils entendent Vincent, le frère d’Olivier, sortir et pensent qu’il rejoint une maîtresse (p. 33-40).
Vincent a en fait accepté de donner des soins au père âgé du comte de Passavant, chez lequel il se rend. Il apprend que le vieil homme est décédé. Il est également question d’une soirée que les deux hommes ont passée dans un cercle de jeux, durant laquelle Vincent a perdu beaucoup d’argent (p. 41-45).
scène entre Bernard et Olivier. Ce dernier compte aller chercher à la gare son oncle Édouard, qui arrive de Londres le lendemain. Il évoque l’affection qu’il porte à son oncle et leur commune aspiration à écrire (p. 46-48).
Flash back dans le cercle de jeux et introduction du personnage de Lady Lilian Griffith, riche américaine (p. 49-56).
Bernard quitte la chambre d’Olivier à l’aube pour se rendre à la gare (p. 57-60).
On suit le parcours en train d’Édouard, de la gare maritime de Dieppe à Paris, travaillant à son journal. Commentaire de l’auteur : Les Faux-Monnayeurs, est-ce un bon titre ? Édouard n’en est pas sûr. C’est le roman auquel il pense sans cesse et depuis longtemps. Il n’en a pas encore écrit une ligne, mais il transcrit ses notes, ses réflexions sur ce carnet (p. 61 A-E).
Flash back introduisant Laura. On comprend que le retour d’Édouard est lié à une lettre qu’il a reçue (p. A-C).
Gare Saint-Lazare, Olivier retrouve l’oncle Édouard sur le quai – Bernard assiste discrètement à la scène, la tension est palpable : Le jeu des acteurs peut mieux que toute autre chose faire ressortir ces nuances fugitives, ces gestes amorcés et retenus, les mots qui viennent à la place d’autres qu’on n’ose pas dire – enfin tout ce qui crée ces situations tendues faites de touches, d’impressions presque inexprimables et que le cinéma peut restituer à merveille ... Tandis que les deux hommes vont prendre un café, Bernard subtilise la valise d’Édouard à la consigne de la gare (p. 65-73).
Dans le métro, Bernard ouvre la valise, trouve le journal d’Édouard et en débute la lecture, captivante. Le journal est lu en voix-off ; Édouard relate son mariage avec Laura (p. 74-90)... Au fil des dernières pages, la lecture du scénario est plus chaotique, avec de nombreuses modifications et parties supprimées. Les Faux-Monnayeurs, Construction détaillée et dialogues provisoires, 15 août 1965 ([2]-6 p. A-F).
Indication : Tous les dialogues sont là à titre indicatif du sens des scènes. Ils doivent être réécrits tant pour leur forme que pour leur longueur ... La scène concernée est celle de la lecture du journal d’Édouard par Bernard. Les manuscrits de plusieurs scènes, reprises par l’auteur, sont joints au dossier. La plupart rédigés au stylo bleu ou noir (titres en rouges), sur papier blanc, ils comportent de nombreuses corrections, ratures, aaddits. On peut y lire, souvent en première page, des commentaires d’appréciation de l’auteur ( bon , vu ), ainsi que des indications relatives à la mise au net ( fait , tapé , copié et arrangé , pages refaites , à la dactylographie ; les pages concernées ont pour la plupart été biffées).
Fin (3 p. A-C).
Scène finale entre Olivier et Édouard, dans l’appartement de ce dernier. Bernard, prévenu par son frère Caloub que son père adoptif allait mal, vient avec lui chercher sa valise. S’adressant à Édouard: Vous aviez raison, ma place est auprès de lui . Olivier à Édouard : Mais alors ce sera un livre très moral Les Faux Monnayeurs. Je suis sûr que ça t’étonnera toi-même ... La scène se termine soudainement lorsqu’Édouard se tourne vers Caloub pour lui demander son nom... Extérieur et vestibule Molinier (6 p. A-D).
Mort de Bronja – La Machination (9 p.).
Fin La Pérouse Édouard (2 p. A-B).
Bernard passe son bachot – L’ange (10 p.).
Édouard et Bernard après le bachot (11 p. ?-?).
Le Banquet (18 p. A-Q).
Gare St Lazare (13 p. A-L).
Flash back journal Édouard (6 p.).
Gare de Dieppe Maritime (6 p.).
Chambre d’hôtel Laura (3 p.).
Chambre d’Olivier Molinier (3 p.).
Notes pour le train Édouard (3 p.).
Avant fin de la lecture du journal d’Ed. par Bernard (4 p. A-D).
2e partie. Premières notes (29 p.).
3e Partie (103 p.).
Plus un extrait de scène avec dialogues et indications diverses (7 p.).

Nota

1- Pour retrouver Claude Michel Cluny sur le blog: L'or des Dioscures de Claude Michel ClunyClaude Michel Cluny, à propos d'Agostino,  Le retour des émigrés de Claude Michel Cluny,  Sous le signe de Mars de Claude Michel Cluny

2- Les curieux qui iront voir mon billet sur l'adaptation des "Faux monnayeurs" par Benoit Jacquot y trouveront quelque contradictions et même incohérences avec le présent billet. C'est tout d'abord je suis un peu moins ignorant aujourd'hui qu'hier et que pour cette critique des ouvrages sur les rapports entre Gide et Marc Allégret, j'ai relu partiellement "Les faux monnayeurs" qui m'est apparu un bien plus grand livre à ma troisième lectures qu'aux précédentes. Je le tiens pour un indéniable chef d'oeuvre, ce qui ne veut pas dire qu'il ne possède pas quelques scories. Il m'est apparu comme le premier et un des seuls roman d'auti-fiction car dans la quasi totalité des ouvrage sur lequel on appose cette marque, il n'y a presque jamais de fiction. Mon regard sur les faux monnayeurs a été légèrement modifié par les deux livres que je chronique ci-dessus. C'est doute la difficulté et le plaisir de lire Gide que de voir notre sentiment évolué (positivement) au fur et à mesure que l'on s'enfonce dans cette oeuvre foisonnante dont la correspondance est un continent à ne pas négliger.

3- Un grand merci à Ismau pour l'envoi  des images issues d'"Un album de famille" 

 

Commentaires lors de la première édition du billet

ismau15/05/2015 18:27

Merci pour ce billet, si riche et détaillé que je l'ai lu plusieurs fois avec le plus grand intérêt . Il me donne bien sûr d'abord envie de lire cette singulière Correspondance Gide-Allégret, et le Pierre Billard peut-être, puisque cette lecture parallèle semble fructueuse . J'aime beaucoup ce que vous dites à la fin, concernant votre évolution ( dont je me réjouis ! ) à la relecture de Gide . Cette redécouverte de relecture, pas uniquement avec Gide mais en particulier avec lui, j'en ai moi-même fait l'expérience . Ayant spécialement tout lu de lui - sauf sa correspondance – dans mon adolescence ; je l'ai relu régulièrement ensuite, 2 ou 3 fois pour certains livres, chaque fois avec de nouvelles découvertes et un bénéfice étonnant . C'est vrai pour les Faux Monnayeurs, mais aussi par ex. pour Les Caves du Vatican : un chef-d'oeuvre de même niveau à mon avis, et très drôle … ou Paludes ! Et d'autres .
C'est justement ma relecture récente très soigneuse du Journal, et de ses divers Carnets, qui me permet de dire qu'il contient tout de même beaucoup plus que vous ne semblez le dire sur la relation Gide-Marc . Il n'est pas besoin de Claude Arnaud pour dire la violence inouïe du sentiment amoureux de Gide, il suffit de lire le Journal depuis le 5 mai 1917 '' Merveilleuse plénitude de joie . Je me retiens de parler de l'unique préoccupation de mon esprit et de ma chair … ''etc Le ton assez mélancolique des précédentes pages change brusquement, c'est amusant et émouvant … il n'est plus question que de M. Quelques semaines plus tard, en août, c'est l'effervescence du voyage en Suisse avec Marc, qui précède donc d'un an le voyage à Cambridge . 5 jours de camping racontés curieusement en changeant simplement les prénoms, Marc s'appelle Fabrice, et lui Michel . N'est-ce pas, tout autant que Cambridge, le ''moment fondateur'' ? En tous cas, sa passion amoureuse se révèle à chacun de ses mots, idem dans les mois qui suivent où M. réapparaît . Pourquoi donc ensuite le séjour à Cambridge est-il étrangement passé sous silence ? Sans doute à cause de sa femme … Et là, de retour d'Angleterre, ces pages arrachées, le Journal qui s' interrompt brusquement … curieux contraste avec l'euphorie des pages précédentes . La suite se trouve dans ''Et nunc manet in te'', publié après la mort se sa femme, avec le récit de la terrible crise qui affecte son couple, et son désespoir concernant leur correspondance brûlée  ( vous la minimisez je crois ) '' Je m'étais retiré dans ma chambre où j'espérais toujours qu'un soir elle viendrait me retrouver ; je pleurais sans arrêt, sans chercher à rien lui dire que mes larmes, et toujours attendant d'elle un mot, un geste .'' avec le souvent cité ''Je souffre comme si elle avait tué notre enfant'' et pire ''Par la suite, je ne repris jamais goût à la vie jamais plus'', puis'' Je suis comme si j'étais déjà mort depuis longtemps'' . Toujours dans le Journal, où en y retournant, c'est encore très intéressant après 1918, concernant l'évolution de sa relation avec Marc . Il s'y plaint gentiment mais souvent en effet de la paresse de Marc, et de ses relations superficielles avec des demoiselles . Il semble davantage en décalage d'âge et de préoccupations, n'ayant pas les mêmes valeurs . Une incompréhension, un mépris du cinéma réitéré, qui m'avait choquée ( je vous trouve un peu trop indulgent cette fois ) Sinon, leur amitié transparaît dans le Journal sporadiquement jusqu'à la fin . Beaucoup de jugements communs ( dont ceux négatifs sur Jacques-Emile Blanche, que Gide égratigne également beaucoup, mais c'est un ''détail'' )
Sinon quelques questions : Gide et Marc proches de l'Action Française ? ( je me souviens qu'il était dreyfusard dans sa jeunesse, alors que Valéry lui était antidreyfusard ) Leur voyeurisme ? ( ? ) Gide voulait avoir un enfant ? ( pour moi c'est la mère de sa fille qui plutôt en voulait un, à tout prix et avec ''presque'' n'importe quel père )
Catherine Gide justement ! c'est un peu autour d'elle et beaucoup autour de son père, que tourne un très agréable livre de photos : ''André Gide – Un album de famille '', où se trouvent de nombreuses photos d'écrivains et artistes bien sûr, mais aussi des photos de Marc jeune ( 8 ou 9 ) . Si vous en voulez quelques unes ...

 

lesdiagonalesdutemps15/05/2015 21:18

Merci pour ce beau commentaire. Si vous pouviez m'envoyer des photos de Marc Allégret jeune cela sera parfait. Je les introduirais dans mon billet pour en enrichir l'illustration. Je n'ai pas encore fait l'acquisition de "l'album de famille". En revanche pour creuser cette histoire j'ai acquis cette semaine Carnet du Congo de Marc Allégret et Marc Allégret découvreur de stars, billet à suivre mais pas tout de suite...
Gide m'a toujours beaucoup intéressé et, comme vous, j'ai lu ses romans et soties à la fin de mon adolescence puis un peu plus tard Corydon et Si le grain ne meurt et vers 1990 le journal. Je trouve que "Les faux monnayeurs"est un très grand livre, ce qui ne veut pas dire qu'il n'aurait pas des défauts comme celui d'un montage trop "cut" par exemple. Je vais relire le journal car je l'ai lu la première fois dans la première édition de la Pleiade qui ne comporte pas de notes.
Moi aussi je suis très intrigué par le silence de Gide lors du pas assez fameux voyage à Cambridge. Si je maintiens que c'est un moment capital pour Gide, ce n'est pas tant à propos de sa relation avec Marc mais par la découverte de l'organisation du groupe de Bloomsbury qui l'influencera dans la construction de "la famille" gidienne. Je pense aussi que ce contact fera obliquer politiquement Gide vers la gauche et surtout vers le pacifisme qui était une caractéristique de la plupart des membres du groupe de Bloomsbury.
Et bien sûr ce voyage a aussi pour conséquence la destruction de sa correspondance avec Madeleine. Je n'en mésestime pas l'importance, je cite ce drame (pour Gide) mais ce n'est que très périphérique par rapport aux deux livres dont ce billet traitait.
Je ne suis pas d'accord avec vous, ni avec Billard sur le mépris de Gide du cinéma (en dépit de certaines de ses déclarations). Il y a beaucoup travaillé élaborant des scénarios qui ne furent certes jamais tournés. Il a fait des pieds et des mains pour que ses livres soient adaptés au cinéma et regrettait lorsque l'opération échouait. Il était très content de l'adaptation de "La symphonie pastorale". Le problème avec Gide c'est qu'il n'hésite pas à se contredire.
En 1918 Gide pensait, à regret néanmoins, que l'Action Française était la seule perspective pour la France. Il avait alors une grande crainte de l'exportation de la Révolution bolchévique en France. Quand à Marc on le voit même organiser un mini meeting de l'A. F. D'autre part Gide avait une considération certaine pour le littérateur Maurras et le critique qu'était Léon Daudet. Tout cela est dans cette correspondance et bien d'autres choses encore. Mais le plus important c'est que ces deux livres montrent un Gide très généreux mais aussi assez tyrannique avec Marc mais l'inverse est vrai aussi on voit Marc profiter de Gide et l'aider également. Ce qui ressort c'est que la galaxie gidienne est une véritable entreprise d'entre aide mutuelle très très efficace d'autant plus efficace que ses membres étaient d'accord sur les points importants comme ce bébé. Elisabeth, je suis d'accord avec vous voulait un enfant mais Gide et Marc aussi.

 
 

xristophe15/05/2015 01:26

C'est vrai, cette Correspondance se présente a priori comme un trésor - elle est tentante... (Je n'ai pas dit temps-tante !)

 
 

xristophe15/05/2015 01:18

Mettez votre Rinaldi préféré - après en avoir discuté avec elle ? (Votre notation est d'une exquise justesse : on dirait du... Rinaldi !)

 
 

xristophe14/05/2015 16:16

Un lit fait de tous les ouvrages de Rinaldi, pour Clara ! Quelle merveille serait cette photo - (quelle gentillesse si vous "me" la réalisiez !) Sûr qu'elle "sentirait" là qqch de spécial : l'odeur de tous ces félins adorés, félins, félines, avec, en plus, le fumet rare d'un génie supérieur à tout ce qu'elle a pu connaître en fait de litières pourtant enchantées...

 

lesdiagonalesdutemps14/05/2015 16:29

Je vais essayer mais Clara comme je vous l'ai écrit ne se couche pas sur les livres je pose les ouvrages devant elle mais lorsqu'il y en a trop, elle s'enfuit voyant son espace vital menacé.

 
 

xristophe14/05/2015 16:05

Pour la richesse d'étoffe des "Monnayeurs", (les nombreux personnages, notamment), on ne peut qu'être d'accord avec vous ; et pour le fait qu'alors, je fusse trop jeune pour apprécier correctement ce livre, que je lisais "officiellement" pour entrer en classe Terminale (en cours privé - exceptionnellement car sinon j'aurais dû au lycée Berlioz "redoubler", alors que seules les maths étaient en cause !), une liste nous avait été donnée de choses à lire avant d'enter et durant les vacances d'été, avec bcp de Gide ( je trouvais cette "contrainte" paradoxale ; mon père m'avait donc acheté tout ça ) : le prestigieux patron de cette "boîte" de riches (il y avait là quelques "particules", qui frisaient les trente ans, tentant en somnolent de réussir dédaigneusement leur bac avant d'atteindre l'âge de la retraite) avait été secrétaire de Bergson, parlait aussi de Montherlant, et c'est là qu'en étude (un prodigieux dimanche où je fus consigné l'après-midi avec bonheur : presque aussi bien que le collège sainte croix de Montherlant) je commençai, ravi, Du côté de chez Swann...

 

lesdiagonalesdutemps14/05/2015 16:25

Le patron de cette boite à bac avait bon gout. Je ne parlais pas des Faux monnayeurs mais du livre de correspondance entre Marc Allégret et Gide dans lequel on voit le temps à l'oeuvre.

 
 

xristophe13/05/2015 23:37

Si ! j'ai entr'aperçu que vous teniez, en accord avec votre cher Martin du Gard, que le chef-d'oeuvre de Gide était Les faux-monnayeurs... Je n'ai jamais eu très envie de le relire... (J'avais 17 ans) Mais, vu d'ici et d'aujourd'hui, je préfère de beaucoup le juvénile Paludes... lu et relu !

 

lesdiagonalesdutemps14/05/2015 08:34

Sans dénigrer Paludes, je trouve plus de plaisir à lire Les faux monnayeurs avec ces jeux de séduction et ses nombreux personnages qui sont éclairés par le pan autobiographique de l'oeuvre de Gide et vice versa.

 
 

xristophe13/05/2015 23:31

Pas encore lu votre monumentale chronique sur ces deux livres, et qui me semble aussi volumineuse et substantielle que les livres eux-mêmes : par où faut-il commencer ? ! Comme tout cela m'aurait passionné à vingt ans ! "Un chat passant parmi les livres" écrit Apollinaire chantant. Le vôtre (c'est une personne du sexe, je me souviens, pardon, mais voilà que j'ai oublié son petit nom), que je salue et que j'admire d'être amie des amis de la sci/ience et de la volupté, (Clara, pê ?), est toujours aussi suavement et dédaigneusement photogénique - mais on ne la voit jamais lire, tout de même......

 

lesdiagonalesdutemps14/05/2015 08:41

Ces livres sont en effet volumineux surtout la correspondance mais c'est justement pourquoi on est plongé dans l'intimité de ces deux personnages. Il me semble qu'il faut avoir un peu plus de vingt ans pour gouter de tels ouvrages car dans le jeune âge on a pas la notion de temps et la durée est essentielle dans cette histoire.
Malgré son âge très avancé Clara est encore très photogénique et a le respect des livres. Elle ne se couche jamais dessus contrairement aux journaux dans lesquels elle voit des couches confortables.

 
 

Bruno13/05/2015 16:57

Le chat garde de bien beaux trésors littéraires.
Merci pour ces belles recensions. La biographie de Malle par Billard est aussi passionnante.
Un minuscule point de détail : il me semble me souvenir que La Sapinière était la propriété des Allégret dans l'Est de la France et pas un des innombrables points de chute de l'Oncle André.

 

lesdiagonalesdutemps13/05/2015 18:06

Vous avez raison mais Gide s'y est invité souvent. Ces curieux, nombre des membres de la galaxie Gide semblaient prendre un malin plaisir à ne pas dormir chez eux et faisaient des échanges constant de domiciles; ainsi on voit Gide dormir chez les parents de Marc alors que Marc dort chez Gide! d'où des lettres qui n'arrivent jamais aux bonnes adresses.

Bruno28/04/2016 19:48

Sur l'audace...de notre Education Nationale :
http://www.education.gouv.fr/pid285/bulletin_officiel.html?cid_bo=101007
si si, lire la fin de cette note , officielle...

 

lesdiagonalesdutemps28/04/2016 20:42

audace très relative car la correspondance de Gide / Allégret n'est pas cité pas plus que le livre de billard et scandale absolu mon blog n'est pas mentionné!

 
 

Bruno23/12/2015 17:27

Sur les moustaches de tonton André :
http://www.julesrenard.fr/2015/12/journal-du-23-decembre-1891.html

 

lesdiagonalesdutemps23/12/2015 17:47

bien vu aussi sur Oscar Wilde. En voyant cette page de ce blog fort intéressant j'ai été étonné de m'apercevoir que Maupassant était presque le contemporain de Claudel mais ce dernier a presque vécu deux fois plus que Maupassant... Ce qui change tout dans l'imaginaire aujourd'hui de celui qui s'intéresse aux lettres françaises.

 
 

Olivier29/09/2015 15:54

Au-delà du plaisir pris à la lecture de votre excellent billet (dont la longueur n'est pas le moindre des mérites, d'ailleurs, mais disant cela j'en dis trop, vous me taxerez à loisir de complaisance et d'hypocrisie si je poursuis dans cette veine), et du souvenir prégnant que je garde de ces deux ouvrages lus à leurs sorties, je suis charmé par une découverte : André Gide peint à 21 ans par Jacques-Emile Blanche ! Non pas que le style en soit impérissable (et je crois avoir compris que ce peintre n'était pas des plus sympathiques), mais il y a sur le visage de cet André tout juste adulte et dans sa pose un je-ne-sais-quoi de profondément troublant et attachant (en prime, il ressemble à John Cusak au même âge, si vous voulez bien me passer cet anachronisme insensé).

 

lesdiagonalesdutemps01/10/2015 07:59

Je trouve que l'on ne rend pas assez justice à Blanche dont les toiles ne mérite pas la condescendance qu'elles rencontrent même si cela change petit à petit (allez les voir au musée de Rouen). Il y a aussi deux beaux albums pas trop couteux qui sont parus récemment sur ce peintre et puis cet homme avait un extraordinaire flair pour dénicher les vedettes littéraires du futur d'où ces portraits de Cocteau, Gide... jeunes.

 
 

Bruno01/06/2015 23:19

Quelques entretiens avec Amrouche ( assez pénible comme intervenant...)
http://www.franceculture.fr/emission-les-nuits-de-france-culture-entretiens-avec-andre-gide-entretiens-8-et-29-2015-05-28

 

lesdiagonalesdutemps02/06/2015 07:01

Merci pour ce lien si je m'en souviens bien ce sont des entretiens très écrits date oblige. On a du mal à comprendre avec le recul du temps l'engouement que suscitait Amrouche.

 
 

Bruno20/05/2015 16:06

Remarquable billet, remarqué par e-Gide aussi
Merci pour le partage

 

lesdiagonalesdutemps20/05/2015 18:42

Je suis doublement flatté par votre accueil de mon billet et par celui du blog e-Gide blog indispensable pour une bonne connaissance de la littérature du XX ème siècle.

 
 

xristophe19/05/2015 20:17

Génial, les bonus-photos du petit copain de Gide par Ismau ! Enfin on comprend qqch à toute cette histoire...

 

 

16 février 2020

pour se souvenir de la Rétrospective Bernard Buffet au Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris


Rétrospective Bernard Buffet au Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris (1)
Rétrospective Bernard Buffet au Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris (1)
Il est à craindre qu'un visiteur de la rétrospective Bernard Buffet au Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris, qui aurait été préservé de la légende qui obscurcit la réception de l'oeuvre de Bernard Buffet, ne comprenne pas les polémiques autour de cet artiste au vu de ce qui y est exposé. Durant les deux premiers tiers de cette rétrospective qui couvre les dix premières années de la carrière de l'artiste, dans un ordre chronologique,  il verrait un grand peintre marqué par la dureté de son époque, la guerre et l'immédiate après-guerre, et par son homosexualité. Dans la suite de l'exposition qui résume à grands pas une quarantaine d'années, il découvrirait un illustrateur atteint de mégalomanie tartinant des toiles gigantesques (je laisse toutes ces grandes machines pour le crapaud, comme par hasard cette peinture appartient à Pierre Bergé, qui, homme de gout est propriétaire des meilleures peintures), avec bonheur parfois comme pour son interprétation de Vingt milles lieues sous les mers, mais aussi produisant des croutes sidérantes comme celles de la série des oiseaux ou celles des scènes de bordel. Mais il ne serait certainement pas devant des toiles manquant d'ambition et de talent. Malheureusement pour l'objectivité mais pas pour le plaisir du visiteur l'exposition fait l'impasse sur la foultitude de toiles alimentaires (d'un format modeste) que Buffet produisait pour assurer son fastueux train de vie et surtout ceux de sa femme et de son marchand... On aperçois ces tristes croutes représentant des voitures paraissant en carton ou des bretagnes étiques quand ce ne sont pas des vues bitumeuses de Paris... On les aperçoit en contrebande, au détour des photos qui sont montrées dans les vitrines. Ne barguignons pas, disons le crument, la décadence de la peinture de Buffet date clairement du jour où Annabelle lui a mis le grappin dessus. Chez Buffet sa stupéfiante facilité à peindre n'allait pas de paire avec la force de caractère.  
Réhabiliter la peinture de Bernard Buffet est une bonne action en regard de l'histoire de l'art mais il n'était pas souhaitable que ce soit au prix d'une dissimulation.  
Rétrospective Bernard Buffet au Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris (1)
Rétrospective Bernard Buffet au Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris (1)
Rétrospective Bernard Buffet au Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris (1)
Rétrospective Bernard Buffet au Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris (1)
Rétrospective Bernard Buffet au Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris (1)
Rétrospective Bernard Buffet au Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris (1)
Rétrospective Bernard Buffet au Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris (1)
Rétrospective Bernard Buffet au Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris (1)
Rétrospective Bernard Buffet au Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris (1)
Rétrospective Bernard Buffet au Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris (1)
Rétrospective Bernard Buffet au Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris (1)
Pierre Bergé
Pierre Bergé
Rétrospective Bernard Buffet au Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris (1)
Rétrospective Bernard Buffet au Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris (1)
Paris, décembre 2016

Rétrospective Bernard Buffet au Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris (2)
Rétrospective Bernard Buffet au Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris (2)
Rétrospective Bernard Buffet au Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris (2)
Rétrospective Bernard Buffet au Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris (2)
Rétrospective Bernard Buffet au Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris (2)
Rétrospective Bernard Buffet au Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris (2)
Rétrospective Bernard Buffet au Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris (2)
Rétrospective Bernard Buffet au Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris (2)
Rétrospective Bernard Buffet au Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris (2)
Rétrospective Bernard Buffet au Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris (2)
Rétrospective Bernard Buffet au Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris (2)
Rétrospective Bernard Buffet au Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris (2)
Rétrospective Bernard Buffet au Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris (2)
Rétrospective Bernard Buffet au Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris (2)
Rétrospective Bernard Buffet au Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris (2)
Rétrospective Bernard Buffet au Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris (2)
Rétrospective Bernard Buffet au Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris (2)
Paris, décembre 2016
Paris, décembre 2016
Commentaire à ce billet lors de sa première parution sur mon défunt blog

ismau
13/01/2017 11:59
J’ai revu récemment des peintures de Gruber ( nombreuses au musée de Nancy, puisqu’il était nancéien ) ... décidément je l’ai trouvé plus fort que Buffet : moins systématique dans son dessin, plus riche dans sa palette de peintre . D’autre part, je viens de découvrir un artiste expressionniste allemand, Erich Heckel, qui en 1917 a fait cet étonnant portrait ! 
https://www.mutualart.com/Artwork/Mann-in-Der-Ebene/1555F4055E85B3D0
lesdiagonalesdutemps13/01/2017 13:35
Je suis d'accord avec vous il y a beaucoup de forces dans les toiles de Gruber qui sont plus complexe dans leur forme et dans leur fond que celle de Buffet à la même époque. Très troublant ce bois gravé de Heckel que je ne connaissais pas. La parenté de cette oeuvre avec Buffet est étonnante.
xristophe02/01/2017 03:30
Vraiment bien composée, l'avant dernière... Trois crucifiés, trois spectateurs... Jusqu'au pantalon rouge, seule couleur parmi les gris
Antoine01/01/2017 05:21
Je trouve tous ces dessins magnifiques. Et particulièrement cet homme au visage fatigué mais non moins plaisant, en train d'enlever sa chaussette sur son lit. Ce même homme, pris dans les toilettes, qui parait complètement détaché de cette situation si terre à terre et tellement sensuelle. ces dessins me plaisent vraiment. C'est un art absolument magnifique. Merci
lesdiagonalesdutemps01/01/2017 08:30
Les tableaux que vous aimez sont d'assez grande taille et son des autoportraits, certes non revendiqués comme tels par Bernard Buffet.
couard31/12/2016 09:03
ça donne envie d'aller voir de plus prêt cet artiste adulé puis mis ensuite au placard , merci monsieur !
c'est comme la personne de Sartre ...
ismau30/12/2016 18:27
Je connais mal ce Buffet des débuts : nettement moins horrible évidemment que celui du milieu et de la fin . Mais je garde un doute ... même à ses débuts, est-il vraiment "un grand peintre" ? Les toiles que vous nous montrez ici ne disent pas le contraire, elles sont très bien . Sinon qu’elles manquent peut-être d’un peu plus d’inventivité ou de variété dans la facture ?
lesdiagonalesdutemps30/12/2016 19:20
Sa facture en 45 était très personnelle et les sujets tout autant, il n'y a que Gruber que l'on peut alors rapprocher de Buffet et encore je trouve Gruber, dans l'esprit, plus proche de Fougeron que de Buffet, mais le malheureux mourra à 36 ans en 1948 de le tuberculose! Que serait-il devenu? Et les sujets sont très audacieux Les deux hommes nus dans une chambre, nous sommes dix ans avant Bacon vingt ans avant Hockney, trente avant Haring! Je ne comprend pas que l'on insiste pas plus sur l'influence de l'homosexualité sur la peinture de Buffet. Quant à ses grandes toiles certaines sont très fortes et comme il le disait lui même >. Rétablir le sujet dans la peinture était une démarche louable même si certaines tentatives sont ratées dans le domaine depuis on a vu bien pire et moins ambitieux que Buffet. La rétrospective offre au spectateur la vision de toiles très fortes. Ce que je reproche à cette opération c'est de mettre l'aspect mercantile de la peinture de Buffet sous le tapis mais il ne fallait pas fâcher la fondation buffet pour accéder aux grandes toiles...
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