A propos de Bernard Buffet, le samouraï
Il m'a semblé intéressant de rééditer ce billet que je n'ai pas modifié, seulement un peu "peigné", même si en 2020 je l'écrirais sans doute différemment, aujourd'hui que Bernard Buffet est heureusement mis en lumière.
En ce qui concerne les commentaires, si l'on veut respecter l'ordre chronologique, il faut les lire en commençant par les derniers.
Si le titre de la biographie de Bernard Buffet par Jean-Claude Lamy est beau, il est assez peu conforme à la réalité du personnage du peintre. J’aurais préféré une biographie un peu moins hagiographique et d’un style plus tenu. Le lyrisme du début frise le ridicule et les premiers chapitres sont riches en digressions certes intéressantes mais qui bousculent par trop la chronologie. Mais ce ne sont là que des vétilles devant le plaisir de lecture que procure cette biographie qui espérons remettra au premier plan un artiste qui aura beaucoup fait pour ruiner sa réputation.
L’une des qualités du livre, à la riche documentation, est de faire revivre une époque, l’immédiate après guerre où Paris était encore la capitale de l’art mondial, pour bien peu de temps encore, mais aucun des acteurs qui s’agitaient sur la scène de l’art parisien le pressentaient.
Dans cette après guerre où la bataille entre abstraction et figuration faisait rage, l’art était un enjeu politique majeur. Il faut imaginer le rustre Maurice Thorez, secrétaire générale du Parti Communiste, alors premier parti de France, arpentant les allées du salon d’Automne, suivi de l’opportuniste Aragon qui n’avait pas encore troqué son costume d’ apparatchik contre celui de la vieille folle noctambule, pour soutenir Fougeron champion français du réalisme socialiste.
La notoriété dans la Quatrième République des artistes peintres est inconcevable aujourd’hui, comme l’est la fulgurante ascension de Bernard Buffet qui connaît ses premiers succès à 18 ans! Il faut dire que ses tableaux d’ascète sont en phases et aux couleurs de l’époque. Il est bon de se les remettre dans l’oeil pour se souvenir de leur force...
Lamy me confirme le rôle de découvreur du peintre par Henri Héraut (1894-1982), (Comme le livre dont je traite est riche en digressions, je m’autoriserais également ce plaisir coupable, dont d'ailleurs je suis un fervent pratiquant dans mes textes...). Ce que m’avait confié, dans les années 70 ce curieux personnage qu’était ce peintre et critique Henri Héraut. Je n’oublierais jamais ma visite à son “atelier” qui était en fait un petit appartement dans un immeuble récent qui dominait la gare Montparnasse. Héraut m’y expliqua qu’il ne voyait pas l'utilité d'avoir l’électricité puisque les lumières de la gare éclairaient son logis ! Ainsi, muni d’une lampe électrique et juché sur un escabeau je pus admirer entre autres, des dessins de Delacroix et des tableaux de Bernard Buffet des années quarante... Voici comment Lamy raconte la découverte du jeune peintre par Héraut: << Maison rue des Batignolles; à chaque étage, au palier, une vaste glace reflète son image. “Le feutre vert sur l’oreille, je m’imagine beau. Au deuxième, je pousse la porte, j’entre chez Bernard Buffet. D’immenses toiles d’hommes nus, tristes, pourris de solitude... je me vois vrai”.>>.
Les anges d'Héraut...
Henri Héraut avait fondé en 1935 un Groupe de peintres figuratifs français qui s’intitulaient "Les peintres des Forces Nouvelles" parmi eux: Henri Héraut, Robert Humblot,vHenry Jannot, Jean Lasne, Alfred Pellan, Georges Rohner, Tal Coat... Dans leur manifeste on peut lire: << ... qui ont compris que le temps des escamotages de dessin ou surcharge de pâte était révolu" et qui prônent le "retour au métier consciencieux de la tradition dans un contact fervent avec la Nature >>. Ils sont Convaincus que cette attitude, dans le contexte de l'avant-guerre, représentait la plus osée des audaces, que la modernité n'est pas formelle. Les peintres de Forces Nouvelles se prononcent contre l'impressionnisme, "ennemi public numéro 1", le surréalisme ou le cubisme. A l'école de Georges de la Tour, des frères Le Nain ou des artistes classicisant des années vingt, cette peinture se veut un retour au dessin et au modelé, au métier. Le groupe se disperse en 1939, mais certaines manifestations en prolongent l'esprit pendant les années d'occupation.
tableau de Jannot
Connaissant Héraut, on comprend son adhésion immédiate à l’oeuvre de Buffet. Lorsque j’ai rencontré Henri Héraut, il était d’une saleté repoussante, qui contrastait avec le soin qu’il prenait de sa petite moustache blanche, parfaitement taillée. Il portait un immuable costume trois pièces bleu; le devant du gilet était ciré de crasse et l’arrière de sa veste était en lambeaux comme si elle avait été déchirée par un fauve. Il se vantait d’avoir autant d’ attirance pour les garçons que pour les filles tout en étant toujours resté vierge. Il ne peignait plus que des anges. Il avait toujours le même petit feutre vert sur l’oreille que trente ans auparavant lors de sa première visite chez Buffet.
La rencontre en 1948 de Buffet avec Pierre Descargues, l’un des critiques les plus respectés et les plus influents de l’époque, est déterminante pour l’avenir du jeune peintre. Voici ce que Descargue écrivit sur Bernard Buffet dans le livre qu’il lui a consacré: << Il témoigne puissamment du désarroi de notre époque. L'inaction de ses personnages, leur vie absurde, Bernard BUFFET les exprime comme un mal dont on est soi-même victime, avec violence en se donnant soi-même tout entier à cette œuvre de vengeance, c'est à dire en y mêlant intimement l'amour et la haine. >>.
Pour un vieux et fidèle auditeur, comme moi de France-Culture, on ne peut lire un texte de Descargue sans entendre sa voix qui à su passionner tant de gens pour l’art moderne, et cela sans exclusives durant tant d’années. C’est une curieuse expérience pour un vieil habitué de ses confidences radiophoniques de le découvrir dans ces pages tout jeune et déjà passionné. Pierre Decargue, dans ses récents livres de souvenirs, me semble (je ne les ai pas près de moi), bien oublieux de son ancienne admiration pour Buffet...
Un des grand mérite de la biographie de Lamy, est de rappeler l’incroyable précocité de Bernard Buffet qui entre à I'École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris en décembre 1943, dans l'atelier du peintre Eugène Narbonne, où il est déjà considéré comme très doué. Il s'y lie notamment d'amitié avec les peintres Maurice Boitel et Louis Vuillermoz.
un tableau de Maurice Boitel.
“Bernard Buffet le samouraï” me procurera tout au long de ses pages de constants bonheurs de découvrir des gens jeunes et inconnus, que j’ai croisés, et parfois admirés, chenus, cela principalement sous la voûte du Grand Palais lors des Salons d’Automne des années 80. La vénérable institution brillait alors de ses derniers feux sous la férule de Mac Avoy... Il en est ainsi de Jean-Pierre Capron, Boitel et de bien d’autres...
Est-ce un soupçon de vanité mais il est toujours curieux et parfois émouvant, de découvrir dans les pages d’un livre des personnes que l’on a côtoyées, connues ou même seulement croisées. Ainsi il m’est étrange de découvrir que Jean-Pierre Capron a été l’un des amis les plus proches et les plus fidèles de Bernard Buffet. Je le croisais dans les allées du Grand Palais lors de chaque Salon d’Automne, toujours d’une urbanité parfaite, toujours accompagné de son compagnon d’un si petit format qu’ avec Jean-Claude Farjas nous l’avions surnommé le jockey... Ce garçon paraissait être le petit fils de son ami... C’est lui qui apportait rituellement la contribution de Capron au Salon, bien peu était impatient de découvrir la toile de l’artiste qui pourtant vivait très bien de sa production ce qui resta mystère pour moi... Les peintres contemporains qui semblaient avoir l’aval de Bernard Buffet me semblaient bien médiocres. Mais peut-être comme pour Boitel il voulait surtout rester fidèle à ceux qui ne l’avaient pas méprisé à ses tout débuts?
tableau de Jean-Pierre Capron
Portrait de Capron par Buffet.
Le hasard du calendrier a voulu que durant ma lecture de cette biographie, je reçoive un e-mail m’invitant à assister à la pose d’une plaque commémorative, peinte par Jean-Pierre Alaux pour le souvenir de Maurice Boitel...
La première exposition de Bernard Buffet, se déroule dans la librairie-galerie de Guy Weelen et Michel Brient. Le soir du vernissage : personne. C’est un jour de grève, et en plus, il neige. Mais, insensiblement, comme l’a dit Bernard Buffet lui-même : « c’est parti tout seul », et toutes les œuvres ont été vendues. Raymond Cogniat achète pour le Musée National d'Art Moderne de Paris une peinture : " Nature morte au poulet ". Comme toutes les toiles du peintre achetées par les pouvoirs publics, elle est remisée aujourd’hui dans les réserves du musée! Pierre Descargue est le premier à noter ce qui distingue d’emblée le nouveau venu : « Il témoigne puissamment du désarroi de notre époque>>. Presque en même temps meurt à 38 ans Francis Gruber dont on a vu un moment, à mon sens à tort, le grand inspirateur de Buffet. Aujourd’hui le rapprochement de Gruber avec Julian Freud me parait pus pertinent...
tableau de Gruber
Jean Claude Lamy n’élude les penchants homosexuels du peintre. Bien au contraire il met au centre de son livre l’amour entre Bernard Buffet et Pierre Berger: << Un soir d’avril 1950, Buffet se trouve à la galerie Visconti Richard Anacréon passe une tête, accompagné de son jeune assistant (Pierre Bergé). Maurice Garnier remarquent immédiatement leur attirance réciproque.>>. Pierre Bergé dans “Les jours s’en vont je demeure” (Gallimard Folio n° 4087) narre ainsi leur rencontre: << Il avait vingt ans, j’en avais dix huit et, comme tous les coups de foudre, le nôtre frappa à la vitesse de l’éclair... Nous nous retrouvâmes le dimanche suivant... Le soir nous avons cherché un hôtel et finîmes dans un endroit douteux, rue des canettes, où une femme digne et silencieuse nous conduisit à une chambre non sans nous avoir donné une serviette ravaudée. C’était Céleste Albaret, l’ancienne gouvernante de Proust...>>.
L’auteur sait à propos de cette extraordinaire histoire d’amour, souvent trouver les mots justes qui font sourdre l’émotion: << A Manosque comme à Reillanne, les séjours de Bernard et de son compagnon n’ont laissé aucune trace visible. Pas de rue portant le nom du peintre ni de plaque commémorative. Après la disparition des derniers survivants qui fréquentèrent les deux jeunes gens que l’on croyait liés à la vie et à la mort, il ne reste qu’un sentiment de vide comme celui qui suit un amour brisé. Le triptyque “Horreur de la guerre”, ce chef d’oeuvre que Bernard à peint à Nanse en 1954, méritait un lieu d’exposition dans la région. Car c’est en Haute Provence que son art essentiellement concret, domina toute la peinture de sa génération.>>. Dans tout le livre c’est la seule fois où transparaît l’avis de Lamy sur la peinture de Bernard Buffet et ceci à la lumière de l’amour qui unissait Buffet et Bergé. En ce qui me concerne je ne partage pas cet avis de considérer La série des horreurs de la guerre (thème largement partagé à l’époque) comme le sommet de l’oeuvre qui reste pour moi les toiles dites “misérabiliste” de la période 1945-1950.
On un pu parler d’un véritable phénomène Buffet. Les prises de positions sur son art dépassait de loin le cercle restreint (néanmoins beaucoup moins qu’aujourd’hui) des critiques d’art. Ainsi Viallatte s’enflamme dans sa chronique de “Spectacle du monde”: << La signature de Bernard Buffet ressemble à un fagot d’épines. Quand il peint un bouquet c’est un bouquet de chardons: un animal c’est le homard ou le grondin, une bête tout en pinces, en arrêtes et en griffes; en piquants et en barbelé. Ses personnages n’ont que des os; ses poires aussi, il a inventé la poire en bois, longue, noire et mince comme un fil, pour les jours de deuil et de famine. Tout ce qu’il peint naît en carême... Ces toiles pourtant ne sont pas sans âme. Elles ont même une âme véhémente; pauvre, agressive, hargneuse et douloureuse; une âme maigre, longue acide, d’orphelin qui revient du cimetière dans une chambre où il n’y a pas de feu; une âme menaçante et menacée qui se venge de l’homme, qui gâche la joie, qui fait avorter les récoltes, qui jette un sort sur les navets... Avec ça des dons éclatants: la composition est solide, le dessin sûr, la couleur rare; une manière qui étonne par sa délicatesse. Il est ferme, brutal, subtil. Il a créé un monde à lui. Il impose sa règle du jeu; c’est la marque des grands.>>. (Alexandre Vialatte.
La meilleure part du livre est celle où Lamy avec beaucoup d’intensité et de chaleur ressuscite tout le petit monde intellectuel et mondain de la IV République. Un temps où Paris Match consacrait dix pages couleurs à un peintre de vingt huit ans... Un article qui déclencha un tollé causé aussi bien à cause des déclarations de l’artiste que par l’étalage du luxe dans lequel il vivait... Epoque où pouvait exister une prestigieuse revue culturelle de droite, La Parisienne, dans laquelle François Nourissier étrillait le peintre; des année où “Le Berry républicain” comparait les mérites de Carzou et de Buffet... Qui se souvient aujourd’hui de Carzou, de ses toiles au fond monocolore sur lequel une femme rencontrait un canon, tout pareillement hérissés de piquants tels d’incongrus porcs-épics. Peut-être qu’un jour, la postérité ne sera plus oublieuse, tant mieux, tant pis!? Qui peut le savoir? Mais soyons reconnaissant à Jean-Claude Lamy de faire revivre, l’espace d’une lecture, tout un monde, qui, l’instant d’une république s’est cru immortel.
tableau de Carzou.
“Bernard Buffet, le samouraï” en filigrane pose de nombreuses questions comme celle de la place du marchand dans la carrière d’un peintre: << Emmanuel David a misé sur Buffet comme un joueur bien inspiré à la roulette. Cela lui rapportera gros. Mais le peintre lui, sort il gagnant de cette “affaire”? Pierre Descargues se pose la question en s’étonnant que l’artiste accepte de peindre des oeuvres en série au rythme d’un tableau par jour... Il regrette ensuite implicitement le choix qu’a fait Buffet de confier ses intérêts à Emmanuel David: << Que serait il advenu si au lieu de se confier à David, Buffet avait répondu à la proposition d’un autre marchand qui fut celui de Miro, des surréalistes et par la suite de Riopelle, de Paul Kallos, de Mathieu et de Veira da Silva. Le marchand se nommait Pierre Loeb. >>.
L’ouvrage par ailleurs s’interroge à la fois sur le pouvoir de la critique d’art sur celui de l’état sur le goût de l’ intelligentsia. Celui qui fut longtemps le bras droit d’Emmanuel David puis son successeur, Maurice Garnier explique ainsi le retournement de la critique envers son poulain: << Oui, absolument ! Il y a eu plusieurs raisons, en 1958, qui ont fait basculer Bernard Buffet dans l'incompréhension vis-à-vis des pouvoirs officiels, mais pas du grand public. Justement, c'est son succès auprès du plus grand nombre qui a déplu. André Malraux, en créant le Ministère des Affaires Culturelles, à voulu soutenir l'art abstrait, ce qui était tout à fait légitime. Mais pour cela, il fallait évincer, éliminer Bernard Buffet car l'artiste était "encombrant". Il marquait trop fortement la continuité de la peinture classique, figurative. Bernard Buffet a été trop tôt considéré comme un "phénomène". Il n'avait que trente ans !>>. Déclaration qui soulève le problème de l’art officiel et de l’influence de Malraux durant le pouvoir gaulliste. Cette main mise du ministre de la culture sur l’art, pour lui le grand peintre contemporain était Chagall, ne pourrait il pas expliquer en partie le déclin de Paris et son remplacement comme capitale de l’art par New-York?
L’inavoué personnage central du livre n’est pas Bernard Buffet mais Pierre Bergé. Je suggère que Jean-Claude Lamy lui consacre son prochain livre qui ne pourrait être que passionnant sur ce prodigieux entremetteur dont l’émergence de la fortune reste pour moi un grand mystère. Mais l’écriture d’un tel livre ne doit pas être sans risque... La couverture est toute trouvé, écoutons Mag Bodard qui découvrait le nid du couple Bergé-Buffet: << La maison de Buffet est ravissante... Ses plus belles toiles y sont au mur dont un immense portrait de “la commode” tout nu, avantages au vent... >>, il faut savoir que “la commode” était le surnom de Bergé; on disait alors des deux inséparables amis, voilà Buffet et sa commode! Ce tableau ferait un parfait “visuel” pour cette biographie... Il sera intéressant de guetter si “Bernard Buffet, le samouraï” est chroniqué dans “Têtu” dont Pierre Bergé est le propriétaire...
La thèse sous-jacente de Lamy est que privé de son amant mentor, l’art de Buffet n’a fait que s’étioler ne répondant plus à une nécessité intérieure mais ne devenant plus qu’une mécanique de survit, une occupation addictive vide de sens. On peut remarquer une importante différence entre le témoignage de Pierre Bergé dans son livre qui écrit qu’il était resté en contact avec son ancien amant et la biographie de Lamy qui laisse entendre que les deux hommes ne se serait plus revu après leur séparation.
Sans doute par manque d’audace ou par égard pour Annabel l’auteur ne fait que murmurer son opinion mais elle reste clairement audible. La pagination est très révélatrice de la thèse de l’auteur. Il consacre 140 pages au début du peintre, puis 120 pages de ce que l’on peut appeler l’ère Bergé (1950-1958) et seulement 45 pour les quarante dernières années de la vie de Bernard Buffet!
Je ne suis pas certain que Lamy ait voulu que l’on perçoive la biographie de Bernard Buffet qu’il a écrite comme je l’ai ressenti: la faillite douloureuse d’un homme...
Laissons le dernier mot à Pierre Bergé qui a fait dans “Les jours s’en vont je demeure” un portrait touchant de Bernard Buffet dans lequel il ne nie pas ses responsabilités et qui me parait lucide même s’il n’est sans doute pas dénué d’amertume: << Avec la célébrité, des gens de toute sorte entrèrent dans sa vie. Beaucoup de parasites. Il n’était pas dupe, me le disait, s’en amusait. En fait, un peu avant l’âge de trente ans il avait abdiqué. J’ai toujours su qu’il avait mesurer l’impasse dans laquelle il s’était fourvoyé, dont il ne pouvait plus sortir. Il a essayé de peindre différemment, d’aborder la couleur, de changer sa technique. C’était en juillet 1957. Il fit ainsi une dizaine de toiles, me les montra, les détruisit. Nous n’en reparlâmes jamais. Il reprit ses pinceaux et continua à cerner de noir des bouquets de chardons, des poissons plats, des têtes de clown. Il était devenu amer, se consolait avec l’alcool, le sexe. Il peignait toujours, avec une espèce de rage, comme pour se venger de cette célébrité qui l’encombrait et qu’il savait, d’une certaine manière, usurpée. Il aurait voulu tout recommencer, revenir à la peinture telle qu’il l’avait aimée dans son enfance lorsqu’il traversait Paris pour suivre, place des Vosges, les cours de M Darbefeuille. C’était trop tard. J’avais été complice, probablement coupable. J’avais tant cru en son génie. Tout cela tourna mal. Une guerre de marchands s’engagea. Le plus malin l’emporta. La vérité est qu’il n’eut jamais de marchand à l’égal d’un Kahnweiler, Rosenberg, Pierre Loeb, Vollard. Capable de le comprendre - surtout de comprendre la peinture - de lui parler, de le mettre en garde, de le guider. Il partait à la dérive devant des témoins béats d’admiration, incapable de voir qu’il allait se fracasser, se perdre. Ils se contentait de le rassurer, de subvenir à ses besoins, de jouer le rôle de banquier, de secrétaire, d’intendant. Il ne savait rien, on lui cachait tout. Il n’avait plus aucun rapport avec la vie ni avec l’art de son temps. Il ne lui restait que des japonais qui l’admiraient on ne sait trop pourquoi. Il était trop intelligent pour s’en satisfaire, il n’était pas dupe...>>
hugues-alexandre tartaut25/06/2013 03:08
lesdiagonalesdutemps25/06/2013 07:26
hugues-alexandre tartaut24/06/2013 05:19
lesdiagonalesdutemps24/06/2013 08:17
hugues-alexandre tartaut20/06/2013 09:10
lesdiagonalesdutemps23/06/2013 10:02
hugues-alexandre tartaut13/08/2012 16:25
lesdiagonalesdutemps13/08/2012 18:33
hugues-alexandre tartaut12/08/2012 04:43
lesdiagonalesdutemps12/08/2012 07:32
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