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Dans les diagonales du temps
8 février 2024

Gilles de Rais vu par Joris-Karl Huysman

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« Gilles refuse de s'aliéner son existence et de vendre son âme, mais il envisage le meurtre sans aucune horreur. Cet homme, si courageux sur le champ de bataille, si courageux lorsqu'il accompagnait Jeanne d'Arc, tremble devant le Diable et a peur lorsqu'il pense à l'éternité et au Christ. Il en va de même pour ses complices. Il leur a fait jurer sur le Testament de garder le secret des turpitudes confondantes que recèle le château, et il peut être sûr que personne ne violera ce serment, car, au Moyen Âge, le plus téméraire des flibustiers ne commettrait pas le péché inexpiable de tromper Dieu.

 

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Gilles de Rais dessiné par Pleyers

 

« Au moment même où ses alchimistes abandonnent leurs fourneaux infructueux, Gilles entame une cure de gourmandise systématique, et sa chair, enflammée par les essences de potions désordonnées et de plats épicés, bouillonne dans une éruption tumultueuse.

«Maintenant, il n'y a plus de femmes au château. Gilles semble mépriser le sexe depuis qu'il a quitté le tribunal. Après l'expérience des fripons des camps et la fréquentation, avec Xaintrailles et La Hire, des prostituées de Charles VII, il semble qu'une aversion pour la forme féminine l'ait envahi. Comme d'autres dont l'idéal de concupiscence est détérioré et dévié, il en vient certainement à être dégoûté par la délicatesse du grain de la peau des femmes et par cette odeur de féminité que tous les sodomistes abhorrent.

« Il déprave les enfants de chœur qui sont sous son autorité. Il les a choisis en premier lieu, ces petits ministres du psautier, pour leur beauté et « beaux comme des anges » qu'ils sont. Ce sont les seuls qu'il aime, les seuls qu'il épargne dans ses transports meurtriers.

« Mais bientôt la pollution infantile lui apparaît comme un mets insipide. La loi du satanisme qui exige que les élus du Mal, une fois lancés, doivent aller jusqu'au bout, est à nouveau accomplie. Il faut que l'âme de Gilles devienne tout à fait défectueuse, un tabernacle rouge, pour que le Très-Bas y habite à l'aise.

« Les litanies de la luxure surgissent dans une atmosphère qui ressemble au vent sur un abattoir. La première victime est un tout petit garçon dont nous ne connaissons pas le nom. Gilles l'éventre et, lui coupant les mains et lui arrachant les yeux et le cœur, transporte ces membres dans la chambre de Prelati. Les deux hommes les offrent, avec des objurgations passionnées, au Diable, qui se tait. Gilles, confus, s'enfuit. Prelati enroule les restes des pauvres dans du linge et, tremblant, sort la nuit pour les enterrer dans un terrain consacré à côté d'une chapelle dédiée à Saint Vincent.

 

Capture d’écran 2024-02-08 à 07

 

Gilles de Rais dessiné par Pleyers

« Gilles conserve le sang de cet enfant pour écrire des formules d'évocation et de conjurations. Il produit une récolte horrible. Peu de temps après, le Maréchal récolte la plus abondante moisson de crimes jamais semée.

 

Capture d’écran 2024-02-07 à 11

« De 1432 à 1440, c'est-à-dire pendant les huit années qui s'écoulent entre la retraite du maréchal et sa mort, les habitants de l'Anjou, du Poitou et de la Bretagne parcourent les grands chemins en se tordant les mains. Tous les enfants disparaissent. Des jeunes bergers sont enlevés dans les champs. Les petites filles qui sortent de l'école, les petits garçons partis jouer au ballon dans les ruelles ou à l'orée du bois, n'en reviennent plus.

« Au cours d'une enquête ordonnée par le duc de Bretagne, les scribes de Jean Touscheronde, commissaire du duc en ces matières, dressent d'interminables listes d'enfants perdus.

« Perdu, à la Rochebernart, l'enfant de la femme Péronne, 'un enfant qui allait à l'école et qui s'appliquait à son livre avec une extrême diligence.'

« Perdu, à Saint Etienne de Montluc, le fils de Guillaume Brice, 'et celui-ci était un homme pauvre et cherchait l'aumône.'

« Perdu, à Mâchecoul, le fils de Georget le Barbier, 'qu'on a vu, un certain jour, casser des pommes d'un arbre derrière l'hôtel Rondeau, et qui depuis n'a pas été revu.'

« Perdu, à Thonaye, l'enfant de Mathelin Thouars, 'et on l'avait entendu pleurer et se lamenter et ledit enfant avait environ douze ans.'

« A Mâchecoul, encore, le jour de la Pentecôte, la mère et le père Sergent laissent à la maison leur garçon de huit ans, et lorsqu'ils reviennent des champs 'ils n'ont pas retrouvé ledit enfant de huit ans, c'est pourquoi ils s'étonnent et nous étions extrêmement affligés.

« A Chantelou, c'est Pierre Badieu, mercier de la paroisse, qui raconte qu'il y a un an environ, il a vu, au domaine de Rais, « deux petits enfants de neuf ans qui étaient frères et les enfants de Robin Pavot ». du lieu susmentionné, et depuis lors, ils n'ont pas été revus et personne ne sait ce qu'ils sont devenus.

« A Nantes, c'est Jeanne Darel qui dépose que « le jour de la fête du Saint-Père, son véritable enfant nommé Olivier s'est éloigné d'elle, étant âgé de sept et huit ans, et depuis le jour de la fête du Saint-Père, elle ne l'a ni vu ni entendu de nouvelles.

« Et le récit de l'enquête se poursuit, révélant des centaines de noms, décrivant le chagrin des mères qui interrogent les passants sur la route, et racontant l'émotion des familles dont les maisons mêmes ont été enlevées lorsque les aînés sont allés à la maison. les champs pour biner ou semer le chanvre. Ces phrases, comme un refrain désolé, reviennent sans cesse à la fin de chaque déposition : « On les a vu se plaindre douloureusement », « Ils se lamentaient excessivement ». Partout où habite le sanguinaire Gilles, les femmes pleurent.

« Au début, les gens affolés se disent que des fées maléfiques et des génies malveillants dispersent la génération, mais peu à peu de terribles soupçons s'éveillent. Dès que le Maréchal quitte un lieu, lorsqu'il va du château de Tiffauges au château de Champtocé, et de là au château de La Suze ou à Nantes, il laisse derrière lui un sillage de larmes. Il traverse une campagne et au matin des enfants manquent. Tremblant, le paysan comprend aussi que partout où se sont montrés Prélati, Roger de Bricqueville, Gilles de Sillé, quelques intimes du Maréchal, des petits garçons ont disparu. Enfin, le paysan apprend à regarder avec horreur une vieille femme, Perrine Martin, qui erre, vêtue de gris, le visage couvert — comme celui de Gilles de Sillé — d'une étamine noire. Elle aborde les enfants, et son discours est si séduisant, son visage, quand elle lève son voile, si bénin, que tous la suivent jusqu'à l'orée d'un bois, où les hommes les emportent, bâillonnés, dans des sacs. Et le peuple effrayé appelle cette pourvoyeuse de chair, cette ogresse, La Mefrraye, du nom d'un oiseau de proie.

« Ces émissaires se sont dispersés, parcourant tous les villages et hameaux, traquant les enfants sur ordre du chef des chasseurs, le sire de Bricqueville. Non content de ces rabatteurs, Gilles s'installe à une fenêtre du château, et lorsque de jeunes mendiants, attirés par la renommée de sa générosité, lui demandent l'aumône, il les surveille d'un œil évaluateur, fait amener ceux qui excitent sa convoitise. et jeté dans une prison souterraine et gardé là jusqu'à ce que, étant en appétit, il lui plaise de commander un souper charnel.

« Combien d’enfants a-t-il éventré après les avoir déflorés ? Lui-même ne le savait pas, tant les viols qu'il avait consommés et les meurtres qu'il avait commis étaient nombreux. Les textes de l'époque en dénombrent entre sept et huit cents, mais l'estimation est inexacte et semble trop conservatrice. Des régions entières ont été dévastées. Le hameau de Tiffauges ne comptait plus de jeunes hommes. La Suze était sans postérité masculine. A Champtocé, toute la salle des fondations d'une tour était remplie de cadavres. Un témoin cité dans l'enquête, Guillaume Hylairet, a déclaré aussi, « qu'on a entendu dire, du haut du Jardin, qu'on avait trouvé dans ledit château une pipe à vin pleine de petits enfants morts.

« Aujourd’hui encore, les traces de ces assassinats subsistent. Il y a deux ans, à Tiffauges, un médecin découvrit une oubliette et en rapporta des tas de crânes et d'os.

« Gilles a avoué des holocaustes effroyables, et ses amis ont confirmé des détails atroces.

« Au crépuscule, alors que leurs sens sont phosphorescents, enflammés par les boissons épicées enflammées et par le « high » chevreuil, Gilles et ses amis se retirent dans une chambre lointaine du château. Les petits garçons sont amenés de leurs prisons dans cette pièce. Ils sont déshabillés et bâillonnés. Le Maréchal les caresse et les force. Puis il les taille en morceaux avec un poignard, prenant un grand plaisir à les démembrer lentement. À d'autres moments, il coupe la poitrine du garçon et boit l'haleine des poumons ; quelquefois il ouvre aussi le ventre, le sent, agrandit l'incision avec ses mains et s'y assied. Puis pendant qu'il macère les entrailles chaudes dans la boue, il se retourne à demi et regarde par-dessus son épaule pour contempler les suprêmes convulsions, les derniers spasmes. Il dit lui-même plus tard : « J'étais plus heureux dans la jouissance des tortures, des larmes, de la frayeur et du sang que dans tout autre plaisir.

 

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« Puis il se lasse de ces joies fécales. Un passage inédit de son procès nous apprend que « Le dit sire s'échauffait avec des petits garçons, quelquefois aussi avec des petites filles, avec lesquelles il avait des congrégations dans le ventre, disant qu'il avait plus de plaisir et moins de douleur qu'en agissant dans la nature ». Après quoi, lentement, il leur scie la gorge, les coupe en morceaux, et les cadavres, le linge et les vêtements, sont mis dans la cheminée, où brûle un feu de tache de bûches et de feuilles, et les cendres sont jetées dans les latrines. ou dispersés aux vents du haut d'une tour, ou enterrés dans les douves et les monticules.

«Bientôt, ses fureurs s'aggravent. Jusqu'à présent, il a apaisé la rage de ses sens auprès d'êtres vivants ou moribonds. Il se lasse des chairs palpitantes et stupéfiantes et devient amoureux des morts. Artiste passionné, il embrasse, avec des cris d'enthousiasme, les membres bien faits de ses victimes. Il organise des concours de beauté sépulcrales, et celle des têtes tronquées reçoit le prix, il lève par les cheveux et embrasse passionnément les lèvres froides.

« Le vampirisme le satisfait pendant des mois. Il pollue les enfants morts, apaise la fièvre de ses désirs dans le froid sanglant du tombeau. Il va même jusqu'à éventrer une femme enceinte et à jouer avec le fœtus, un jour où ses réserves d'enfants sont épuisées. Après ces excès, il tombe dans d'horribles états de coma, semblables à ces lourdes léthargies qui ont accablé le sergent Bertrand après ses violations de la tombe. Mais si ce sommeil de plomb est une des phases connues du vampirisme ordinaire, si Gilles de Rais n'était qu'un pervers sexuel, il faut avouer qu'il se distinguait des sadiques les plus délirants, des virtuoses les plus exquis de la douleur et du meurtre, par un détail. ce qui semble extrahumain, c'est tellement horrible.

« Comme ces atrocités terrifiantes, ces outrages monstrueux ne lui suffisent plus, il les ronge de l'essence d'un péché rare. Ce n’est plus la cruauté résolue et sagace de la bête sauvage jouant avec le corps de sa victime. Sa férocité ne reste pas seulement charnelle ; cela devient spirituel. Il souhaite faire souffrir l’enfant corps et âme. Par une tromperie tout à fait satanique, il trompe la gratitude, dupe l'affection et profane l'amour. D’un bond, il franchit les limites de l’infamie humaine et atterrit plongé dans les profondeurs les plus sombres du Mal.

 

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« Il invente ceci : un des malheureux enfants est amené dans sa chambre, et pendu, par Bricqueville, Prelati et de Sillé, à un crochet fixé dans le mur. Juste au moment où l'enfant suffoque, Gilles ordonne de le descendre et de détacher la corde. Avec quelque précaution, il met l'enfant à genoux, le ranime, le caresse, le berce, essuie ses larmes, et, désignant les complices, dit : « Ces hommes sont méchants, mais vous voyez qu'ils m'obéissent. N'ayez pas peur. Je te sauverai la vie et je te ramènerai auprès de ta mère », et tandis que le petit, fou de joie, l'embrasse et à ce moment-là l'aime, Gilles pratique doucement une incision dans la nuque, rendant l'enfant « languissant ». », pour suivre l'expression même de Gilles, et quand la tête, pas tout à fait détachée, s'incline, Gilles pétrit le corps, le retourne et le viole en beuglant.

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