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Dans les diagonales du temps
7 juillet 2021

Lovis Corinth au Musée d'Orsay

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Alors que la programmation des expositions à Paris ne brille pas par son audace, on ne remerciera jamais assez le musée d’Orsay pour nous avoir fait découvrir tant de peintres de grands talents. Au moment où son directeur Serge Lemoine quitte son poste. Je ne suis pas trop inquiet puisqu'il est remplacé par Guy Cogeval qui fut commissaire des belles expositions consacrées à Hitchcock et à Walt Disney.
J’ose le pluriel car je ne crois pas être le seul à qui le musée d’Orsay a étendu grandement son horizon artistique. Lovis Corinth que nous découvrons aujourd’hui est certainement l’un des plus remarquables. Pour ma part j’ignorait jusqu’au nom de cet artiste qui pourtant joui, à juste raison, d’une grande notoriété chez ses compatriotes allemands. Par cet exemple, on voit combien on est très loin d’une culture européenne. Mes lecteurs habituels on sans doute remarqué mon très modeste effort pour que la peinture anglaise ne soit plus complètement ignorée de ce coté ci de la Manche. Avec cette exposition je m’aperçoit que l’on est également complètement ignorant de la peinture allemande. Le titre de la rétrospective, Lovis Corinth (1858-1925) entre impressionnisme et expressionniste est réducteur et un peu trompeur comme si l’artiste était entre les deux manières sans avoir réussi à en choisir une. C’est tout le contraire Lovis Corinth a été impressionniste évoluant vers un expressionniste pour le dépasser. Il a été bien d’autres choses encore à commencer par pompier il fut l’élève de Bouguereau mais aussi caricaturiste, réaliste et presque abstrait dans certains paysages à la fin de sa vie... Mais ce qui est remarquable chez cet artiste dont l’énorme personnalité et la gourmandise envers la vie transparaît dans chaque toile, c’est qu’il n’a jamais été prisonnier d’une école, n’hésitant pas pour donner plus de force à son propos à mélanger plusieurs manières en un seul tableau.

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L'artiste n'est pas seulement un grand peintre c'est aussi un remarquable dessinateur et graveur comme en témoigne ces études d'expression entre Ingre et Daumier...

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Quand à la liberté de regard sur les sujets, à la crudité du propos, Il faut attendre la deuxième moitié du XXème siècle pour trouver des artistes aussi peu inhibé, je pense à Gilbert et George, que Lovis Corinth. Sa relecture de la passion du Christ n’est pas faite pour les gentils catéchumènes bêlants. Dans “Le grand martyre” on voit  jésus nu comme au premier jour, le sexe rabougri tordu dans un dernier spasme de douleur arc bouté à ses bois de souffrance pendant que quatre zigs s’affèrent pour le clouer au mieux. Dans une descente de croix, un malabar à la mine patibulaire tente, à l’aide d’une pince monstrueuse, qui m’a évoqué celle que manient les métallurgistes pour saisir le feuillard à la sortie des laminoirs, d’arracher les clous comac qui rivent le crucifié à son arbre de souffrance comme l’épingle fixe le papillon sur son velours de présentation.

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Lovis Corinth a beaucoup produit (malheureusement quelques une de ses toiles ont été détruites durant la dernière guerre)  mais c'est sans doute dans ses nus de tous les âges et des deux sexes que son ode à la vie est le plus présent comme dans  son Diogène  de 1892.

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L’érotisme n’est jamais loin chez ce passionné de la chair, sans oublier parfois une pointe d’humour comme dans ce qui est mon tableau préféré, “Les armes de Mars” où il parvient à subvertir en un détail ce thème classique. On y voit trois charmants enfançons  nus qui portent les armes du terrible dieu pendant que Vénus qui, tout en se coiffant, se mire dans le bouclier de Mars. Mais si l’on suit son regard, ce n’est pas son image qui la captive en fait , et je la comprend, elle reluque le beau jeune homme nu qui maintient le bouclier miroir devant elle.



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Son véritable maître, et l’une de ses grandes sources d’inspiration c’est Rembrandt. Comme lui toute sa vie Corinth s’est pris pour modèle se regardant en face, sans jamais se flatter, se ridiculisant même parfois, jusqu’à cet ultime toile deux ans avant de disparaître où la mort déjà s’invite dans les yeux du peintre.



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Il a su tirer toute la substantifique moelle de l’enseignement du génie hollandais en regardant ses toiles. On voit bien dans le portrait d’une vieille femme dans lequel le visage est rendu par une succession de petites touches finissant par faire une pâte épaisse où se lisent les rides de l’ aïeule qui contraste avec la matière lisse du fond et de la vêture, combien il a parfaitement assimiler la technique de Rembrandt.
Ce n’est plus Rembrandt qu’évoque ce nu féminin couché de 1907, c’est du Lucian Freud soixante ans avant!
Quand aux paysages  de son cher lac de Walchen  dans lesquels la nature se convulse c’est du meilleur Soutine.

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On voit bien que Corinth a beaucoup scruté non seulement Rembrandt mais aussi Hals, Manet, Cezanne, Murillo... Mais face à la toile il a toujours su rester lui même. Il n’a jamais oublié non plus de regarder par la fenêtre, ou dans la chambre, sa femme se lever de son lit ou prendre son bain. Parfois il nous offre aussi de savoureuses extravagances comme Persée et Andromède (ci-dessous).

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Lorsqu’il est atteint, à la fin de 1911, d’une attaque cérébrale qui le laisse momentanément paralysé du coté gauche, ce boulimique de peinture travaille encore plus comme s’ il avait compris qu’il n’avait plus guère d’années pour mettre sur la toile ce qu’il avait en lui. Sa palette s’éclaircit, sa touche se fait plus large. Elle devient un élément d’équilibre du tableau, entrant dans la composition du cadre.
Peu après son accident de santé il peint une de ses toiles les plus magistrales Ecce Homo où pour ma part j'y voit un médecin conduisant un malade au tombeau autant qu'un soldat le Christ à son calvaire.

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On ne s’etonnera pas que tant de liberté dans les sujets le ton et la manière lui ait valu de figurer dans le panthéon de l’art dégénéré des nazis. Ces derniers c'est certain ne pouvaient pas voir en cette Salomé, (voir ci-dessous) sadique et aguicheuse une Lorelei génitrice.

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Le catalogue de l'expositon est fort bien fait, outre qu'il nous donne à voir les quelques toiles exposées seulement à Leipzig et Ratisbonne il nous renseigne sur la vie artistique en Allemagne à la fin du XIX ème siècle et au début du siècle dernier.
Il y a peu dans mon compte rendu de la visite de la rétrospective Louise Bourgeois j’exprimais combien il était difficile de communier avec une oeuvre, surtout quand elle est autobiographique, mais elles le sont toutes un peu, lorsque l’on éprouve pas de sympathie ou au minimum d’empathie pour le créateur, comme c’était mon cas pour l’artiste américaine. Il en va tout autrement avec Lovis Corinth dont il me semble qu’il est difficile de ne pas aimer non seulement l’art mais aussi l’homme tant toute son oeuvre crie l’amour de la vie et l’ouverture d’esprit d’un peintre qui a su si bien magnifier à la fois l’érotisme et la vie de famille et dont toute l’oeuvre est aussi bien une ode à la culture qu’à la nature.

 

Pour retrouver Lovis Corinth sur le blog:

 

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