De l'Allemagne 1800-1939, de Friedrich à Beckmann au Louvre
Il y a des expositions qui gagneraient grandement à avoir un titre plus modeste que celui qu'elles arborent. Cela leur éviterait, au choix de passer pour une arnaque ou de faire penser au visiteur que son commissaire, Sébastien Allard, en l'espèce, est un ignorant qui ne connait pas le sujet dont il parle. C'est le cas de l'exposition qui se déroule au musée du Louvre jusqu'au 24 juin et qui s'intitule sans aucune pudeur : De l'Allemagne 1800-1939, sous titrée de Friedrich à Beckman. Bien que j'ai assez peu le tropisme teuton, ce qui en autres temps m'aurait sans doute évité de coupables égarements, et que je sois particulièrement ignorant de la peinture venant d'Allemagne, tout béotien que je sois j'ai tout de même remarqué quelques aberrations dans cet accrochage. Que sont passé à la trappe tout « l'art nazi » et plus largement toute l'école néo classique allemande de la première moitié du XX ème siècle (certes école plus présent dans le domaine de la sculpture que dans celui de la peinture, à ce propos le titre peut faire croire qu'il n'y aura pas que de la peinture dans l'exposition, alors que c'est presque le cas. Il n'y a qu'un peu de dessins et un seul photographe, l'immense Sander). On peut admettre à la rigueur que c'est par frilosité. Pour éviter de passer pour très politiquement correct il aurait suffit de titrer la manifestation: De l'Allemagne 1800-1933. Cela aurait été plus juste car cette absence peut s'expliquer pour éviter de fâcher les préteurs allemands et le gouvernement allemand. L'art sous le troisième Reich est donc absent à l'exception de la projection d'un court extrait de l'Olympia de Leni Riefenstahl. Toujours par prudence sans doute n'est évoqué que très fugitivement l'exposition du bon docteur Goebbels sur l'art dégénéré et pas du tout les buchers de tableaux qui en résulta. Admettons que pour éviter toutes polémiques l'ombre de la croix gammée soit très ténue mais comment expliquer l'absence totale du Bauhaus! Peut être parce que la peinture n'était pas le mode d'expression principale de cette école? Soit. Mais cette fois je ne trouve aucune explication à l'absence d'un peintre de l'importance de Nolde! Sans compter celle de tous ses camarades de Die Brucke sans oublier d'autres oubliés comme le groupe des expressionnistes du Blaue Reiter. Quand à ce que j'appellerais les singuliers comme Kubin ils sont inconnus au bataillon. Encore plus étrange est la présence massive de deux suisses certes germanophones mais que je sache l'Allemagne n'a pas jamais annexé la Suisse, Bocklin, le peintre de « L'ile des morts » et Klee, unique abstrait de la présentation.
Il me semble également que la présence d'une toile de Felix Nussbaum, figure emblématique de l'artiste persécuté puis assassiné n'aurait pas été superflu...
Après ces importantes réserves sur cette exposition, je vous recommande néanmoins sa visite, car comme toujours dans ce genre de manifestations malgré l'incurie des commissaires elles permettent d'admirer à Paris des tableaux que pour certains on y avait jamais vu.
Il y a bien sûr les toiles de Friedrich dont c'est la plus importante concentration depuis la grande rétrospective qui lui a été consacré au Grand Palais, si ma mémoire ne me joue pas des tours, que j'ai du voir au début des années 70... Le visiteur peu informé sur l'art allemand, comme moi, découvrira que Friedrich n'était pas le seul peintre romantique allemand fasciné par la nature (il s'en doutait tout de même un peu) qu'il y avait notamment aussi Carl Gustav Carus dont je voudrais maintenant voir plus de toiles. Carus me rappelle ces peintres américains, ses contemporains, qui fantasmaient sur les grands espaces de leur continent. Pour Carus ce n'est pas la grande plaine, c'est le chaos de la montagne à haute altitude.
Carus
L'exposition est mise sous le patronage de Goethe, c'est le tableau peint par Johann Heinrich Wilhem Tischbein représentant le grand homme méditant dans la campagne romaine qui nous accueille (et qui est en ouverture de ce billet). Puis elle débute par quelques toiles néo classiques dans le goût d'un David, ce qui tombe bien c'est aussi le mien tel Apollon parmi les pasteurs de Schick.
Puis sous l'influence de Winckelmann 1717-1768 (je suis très surpris qu'à ma connaissance aucun romancier se soit penché sur ce personnage extraordinaire, Le grand théoricien du néo classicisme et à ses heures perdues antiquaire, collectionneur, archéologue, espion et qui fut retrouvé assassiné dans sa chambre d'hôtel de Trieste par peut être un amant de passage à moins que ce soit par un archéologue concurrent...) on nous présente quelques belles rêveries sur les beautés de l'architecture grecque dont une très minutieuse reconstitution de l'Acropole d'Athènes et une magnifique vue du temple de Junon à Agrigente par Friedrich.
Leo von Klenze, Le Walhalla
Très étonnante est une vierge à l'enfant peinte par Julius Schnorr von Carolsfeld en 1820 que l'on pourrait presque croire sortie du pinceau de Raphael trois siècles avant. On passe ensuite à quelques curiosités pas très convaincantes du groupe des nazaréens qui sont un peu le pendant allemand des préraphaélites anglais mais en beaucoup moins drôles et adroits. J'ai bien aimé tout de même ce saut des amants désespérés.
Aprés arrive le morceau de résistance de l'exposition et la principale raison de s'y rendre, une vingtaine de toiles de Friedrich dont quelques une superbes et inconnues dans nos parages. Elles sont bien accompagnées par celle de Carus.
cinq toiles de Friedrich de la vingtaine présentée
D'autres artistes du courant romantique allemand
Karl Blechen
Oehme
Malheureusement cela se gate sérieusement avec les tableaux de Boklin auteur de deux croutes grotesques l'une représente une famille de sirènes et l'autre un centaure (Boklin aime particulièrement les centaures!) qui a le mauvais goût de vouloir enlever une rombière tout à fait inconsommable au grand déplaisir de son mari à la tronche patibulaire tout cela a bien sur une référence mythologique que je me suis empressé d'oublier. Heureusement pour la notoriété du peintre sa villa au bord de la mer est plus regardable.
On passe presque sans transition de ces fariboles archaïques au XX ème siècle peu représenté en définitive sinon par deux superbes toiles de Lovis Corinth déjà vues lors de la rétrospective que le musée d'Orsay a consacré en 2009 à ce grand peintre.
Lovis Corinth
On arrive ensuite à la partie la plus difficilement supportable de l'exposition tant les gravures d'Otto Dix sur la Grande Guerre sont crues et fortes.
Otto Dix
L'art de la république de Weimar est symbolisé par deux tableaux de Christian Shad mais pas par le dessin ci-dessous que vous ne verrez pas au Louvre, dommage...
Christian Shad
Le parcours se termine sur une belle suite de portraits réalisés par le photographe August Sander, un des inventeurs de la photographie sociale où comment quelques images en disent plus long que bien des traités de sociologie.
C'est une grande toile de Beckmann, L'enfer des oiseaux, peinte en 1938, lors de l'exil de l'artiste à Amsterdam, allégorie transparente du nazisme qui clôt la visite.
Paris mai 2013
ismau28/05/2013