Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Dans les diagonales du temps
16 avril 2021

Le coeur de l'Angleterre de Jonathan Coe

 

 

81aJ-AIPihL




Alors que "Bienvenu au club" et "Le cercle fermé" formaient un diptyque presque parfait, je ne suis pas sur que Jonathan Coe ai eu une bonne idée en transformant la saga des Trotter et de leurs relations en triptyque en y ajoutant ce "Coeur de l'Angleterre"*, même si l'on comprend bien l'envie de l'auteur de poursuivre son Histoire de l'Angleterre de 2010 jusqu'en 2018 par le truchement de personnages devenus, déjà, pour la plupart, familiers aux lecteurs. Et puis nous sommes néanmoins content d'avoir des nouvelles de Benjamin. Cette fois nous suivons principalement trois personnages et ceux qui sont dans leur mouvance, tout d'abord Benjamin aujourd'hui la cinquantaine qui depuis l'adolescence se rêve écrivain, ensuite sa nièce préférée Sophie jeune universitaire spécialisée en Histoire de l'art et enfin Doug ami de lycée de Benjamin et chroniqueur politique célèbre.  Les réserves viennent du fait que l'on perçoit certains des nouveaux personnages plus comme des types sociologiques que comme de véritables êtres de chair et de sang comme c'était le cas pour tout les acteurs des deux opus précédents. 

Ainsi, Ian le mari de Sophie, la nièce de Benjamin, qui a cette fois une place centrale dans le roman, est trop le "beauf" caractéristique pour être crédible; mais c'est peut être là mon mépris pour ce genre d'individu qui influe sur ma perception de Ian. De même la mère du dit Ian ne semble être là que pour personnifier les personnes de la classe moyenne qui sont favorable au brexit en raison du déclassement qu'il ressente et de la dictature du politiquement correct, dictature en grande partie fantasmée...  
Coe se moque du politiquement correct tout en y succombant par exemple l'ami de coeur (mais pas de lit) de Sophie est gay et forcément d'origine pakistanaise. Est-ce pour faire la balance dans le chapitre hilarant dans lequel dans une croisière, Sophie intervient pour faire une conférence, elle est professeur d'Histoire de l'art, le bateau semble peuplé que de bas du front dans le style de son mari, parfait sans doute au lit, mais qui parait bien mal accouplé avec Sophie. Je trouve que Coe, pour susciter des ressorts comiques, fort réussis d'ailleurs, force un peu le trait et va vers la caricature dans certains passages ce qui parfois contraste trop avec le reste de la narration.
Autre gène éprouvé à la lecture le coté artificiel des croisements des personnages. La fille de Doug (ami de jeunesse de Benjamin) devient l'élève de Sophie qui a maille à partir avec elle. Cette partie du roman rappelle beaucoup "La tache" de Philip Roth...
"Le coeur de l'Angleterre" avec beaucoup de pédagogie et de sagacité explique ce qui a conduit au brexit et à l'impasse qui a suivi. Un petit rappel historique me parait nécessaire. Lorsque commence le roman, en 2010, David Cameron est premier ministre. Les conservateurs sont arrivés  au pouvoir après plusieurs mandatures travaillistes. N'ayant pas de majorité, les conservateurs gouvernent avec les Libéraux-démocrates (libdem). En mai 2015, nouvelles élections, Cameron pour faire taire les europhobe de son parti, met dans son programme la promesse d'un référendum sur l'Europe avant la fin 2017. Il fait alors une double erreur dans ses prévisions d'une part il pense que les conservateurs n'auront pas la majorité à eux seul et qu'ils auront à nouveau besoin du renfort des Libéraux-démocrates, ce qui le dispensera de tenir sa promesse de référendum puisque celui-ci n'aura pas de majorité aux Communes, le libdem étant europhile et que d'autre part une majorité des électeurs sont pour rester dans l'Europe. Mais en complète incohérence avec ce plan les conservateurs mènent une campagne féroce contre... leurs alliés. Ils récupérèrent ainsi plusieurs sièges qui étaient détenus par les libdems. Les travaillistes stagnèrent, si bien que les conservateurs se retrouvèrent avec une majorité absolue d'où l'obligation pour Cameron de mettre en route le référendum sur l'Europe. On connait la suite...
Jonathan Coe met bien en évidence les mécanismes qui ont conduit à l'hystérisation de l'opinion britannique au sujet du brexite. Je rappellerais qu'une députée travailliste favorable au maintient de la Grande-Bretagne dans l'Union Européenne a été assassinée pour cette opinion. On a vu et l'on voit encore dans le mouvement des gilets jaunes quelque chose d'analogue se produire en France, là encore il serait naïf de penser que l'on est devant un mouvement spontané. L'instrumentalisation de la plèbe est une très vieille histoire; il faudrait se souvenir que c'est une des causes de la mort de la République romaine...
A la fois très Anglais et très Européen, on sent que Jonathan Coe est très triste devant ce qui se passe dans son pays et son livre éclaire sur bien des points les ressort du brexite. "Le coeur de l'Angleterre" est un livre important à lire pour comprendre notre époque.
Il me semble néanmoins que l'auteur exagère le problème du racisme dans son pays qui, pas plus qu'en France n'est pas immédiatement perceptible et qui est en grande partie là comme ailleurs une construction de certains média.
D'autre part, sa nostalgie : la grande usine a fermé, les parents meurent, les amours se délitent, les anciennes amitiés se fanent, l'attachement à son pays n'est surtout que la fidélité à l'enfance me parait en contradiction avec ce qu'il dépeignait dans les deux tomes précédents dans lesquels les jours n'étaient pas plus roses que dans ces années 2010. 
Sur le plan des relations intimes entre les personnages, une antienne qualifie Jacques Chardonne de romancier du couple, je dirais que dans cette trilogie Jonathan Coe est le romancier de l'impossibilité du couple.
Le talent de Jonathan Coe nous fait entrer en empathie avec ses personnages en particulier avec Sophie et l'on se surprend comme lorsque l'on était enfant à Guignol de lui crier: << Attention n'y va pas! Ne te marie pas avec Ian; il n'est pas pour toi.>>. C'est un gros con gentil mais ce sont les pires ils vous engluent pour des années...
Son autre principal talent est de réussir à imbriquer l'Histoire aux destinés individuelles. 
Aujourd'hui on est anxieux du sort de l'Angleterre et toujours curieux de connaitre la suite des vies des membres de la tribu Trotter (Paul le jeune frère de Benjamin est complètement absent du roman. On voit à ce propos que l'auteur à peiné à reprendre la totalité de sa cohorte de personnages.), alors monsieur Coe donnez nous un quatrième tomes... A condition de ne pas trop idéaliser la France, la description de Marseille m'a fait sourire.
On peut souhaiter que la formidable série "Years and years" ne devienne pas la suite de ce "Coeur de l'Angleterre"...
Selon l'éminent essayiste littéraire Jean-Yves Tadié, il n'y a pas de grands écrivains sans drôlerie, alors assurément Jonathan Coe est un grand écrivain car sa description de la faune des croisières et celle d'une partie de jambes en l'air dans une penderie sont désopilantes...

Nota
* Il me semble que la lecture au préalable des deux premiers volets est indispensable pour bien goûter celui-ci.

 

Pour retrouver Jonathan Coe sur le blog:

 

 

 

Publicité
Publicité
Commentaires
Dans les diagonales du temps
Publicité
Archives
Derniers commentaires
Publicité