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Dans les diagonales du temps
6 décembre 2020

UN GARÇON DISPARAÎT DE FRANÇOIS RIVIÈRE

 

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Je ne comprendrais jamais pourquoi François Rivière est si peu connu, sauf pour son partenariat avec Floc'h pour leurs merveilleuses bandes-dessinées. Je vais peut être essayer d'en proposer quelques raisons avant la recension de son nouveau roman, « Un garçon disparaît » dont le titre est un clin d'oeil à sir Alfred. D'abord il écrit d'une manière si fluide, si juste, si classique, un peu comme le faisait Henry Troyat dans ses courts romans, injustement décriés en leurs temps par une kyrielle de beaux esprits et qui semblent déjà presque oubliés après avoir connu un immense succès. Les critiques raffolent des écritures alambiquées et des styles heurtés. Ils rechignent à reconnaître la fluidité d'un style. Sans doute que pour eux, la pénibilité du déchiffrement est un gage de qualité. Autre reproche que peuvent lui faire les docteurs qui aiment par dessus tout étiqueter, l'hétérogénéité de sa manière François Rivière plie souvent, en particulier dans ses premiers opus, dans « Fabrique » notamment, cette écriture limpide et classique à une construction tout en miroir et faux-semblant proche de celle du Nouveau Roman. Peut être que ce mélange de classicisme et de modernité dérangea les spécialistes es littérature.. Il a aggravé son cas par son éclectisme et son refus à ne se conformer qu'au « bon genre », car lorsque dans les années 70 on publiait dans la classieuse et intellectuelle collection Fiction & Cie du Seuil, il devait être mal vu de s'adonner parallèlement aux « petits Mickey », au genre policier et aux romans fantastiques. Ce qu'a fait François Rivière avec beaucoup de talent. Autre reproche qu'il a peut être du endurer, celui d'être taxé de post-moderniste, terme qui depuis quelques années semble être devenu une quasi injure lorsqu'il est accolé au travail d'un artiste... En effet François Rivière s'appuie volontiers pour ses romans sur des éléments biographiques de certaines célébrités ou de leurs avatars, Alma Tadema pour « Julius exhumé », Murnau pour « Tabou », Lovecraft pour « Profanation », Lana Turner pour « Le dernier crime de Celia Gordon », Boris Karloff dans « L'ombre de Frankenstein » ou encore Rudyard Kipling dans « Le mariage de Rudyard Kipling »...

Mais rien de tel ici, ou tout du moins d'une façon moins flagrante, nous sommes dans sa veine que j'appellerais charentaise, pas les chaussons dans lesquels j'ai glissé mes ripatons pour une lecture au jardin accompagnée d'un thé sous le regard de mon chat, mais de la région qui n'a donc pas donné aux lettres françaises que Jacques Chardonne. J'inclus dans sa veine charentaise peut-être devrais je dire plus exactement saintongeaise, l'autobiographie de son enfance, « Un personnage de roman », la trilogie « Blasphème » et ce qui me paraît être à ce jour son meilleur livre, « L'usine à rêve ». Dans « Un garçon disparaît », nous sommes en Charente Maritime à la fois en 1962 à Yonge une une sous préfecture de ce beau département et cinquante ans plus tard dans une station balnéaire jouxtant Royan, Saint Romain. Nous feront également une incursion dans le Paris des années 70.

A Yonge en ce mois de mai 1962, Adrien, bientôt treize ans, est un élève studieux du cours privé de Mlle Le Prince. Un matin surgit un nouvel élève, un beau blond de parisien nommé Oscar. Adrien en tombe immédiatement amoureux. Lors des préparatif de la fête de fin d'année un incident extraordinaire a lieu. A sa suite Oscar disparaît. Adrien ne s'est jamais remis de cette disparition. Cinquante ans plus tard, Julian Dransfield, un journaliste britannique en retraite qui habite la même station balnéaire, Saint-Romain où Adrien est bouquiniste, enquête sur l'évènement peu banal qui a eu lieu jadis dans le cours de Mlle Louise. Les deux hommes font connaissance. Julian raviva en Adrien des souvenirs douleureux, cependant il aide l'anglais dans ses recherches. Ils rencontre Thérèse Gourmel qui fut la grande amie de Mlle Louise...

Il suffit de quelques phrases à l'auteur pour installer un climat d'amitiés particulières: << Durant toute la visite de l'antique demeure, Oscar ne cessa de frôler son ami et de lui murmurer des petits mots gentils à l'oreille. Lorsque le guide, un vieux bonhomme à longues moustaches, les mena dans les caves et leur montra des instruments de torture moyenâgeux, Oscar s'empara encore de la main d'Adrien et l'enfouit dans sa poche de pantalon avec la sienne.>>.

Dans ses romans François Rivière rend souvent hommage à un ou plusieurs genres littéraires, conte fantastique, roman victorien, roman à énigme dans celui-ci, pour la partie qui se déroule en 1962, c'est clairement au roman de jeunesse qu'il paye sa dette au « Club des cinq » et surtout à la collection Signe de piste. Oscar est un garçon sorti du carton à dessin de Joubert...

François Rivière n'est pas Alexandre Dumas les péripéties de ses livres n'en font pas l'attrait premier. Pourtant, comme dans les romans feuilletons il termine la plupart de ses courts chapitres, qui passent d'un personnage à un autre, par un suspense. François Rivière est un écrivain d'atmosphère un peu à la façon d'un Modiano qui, comme notre auteur, affectionne, lui aussi, les stations balnéaires hors saison. Si j'ai songé à Modiano durant ma lecture c'est aussi qu'un auteur hautement modianesque, a choisi cette même Côte d'Argent pour cadre et, véritable personnage, de son livre. Je veux parler de « Jardin d'hiver » de Thierry Dancourt; voilà un nom qui nous ramène au Signe de Piste, il n'y a pas de hasard, seulement parfois des miracles...

François Rivière instaure entre certains de ses personnages des rapports que l'on trouve habituellement peu dans le roman français mais qui viennent des romans pour la jeunesse, un mélange de rapports confortables et asexués avec une estime qui ne s'avoue pas. On retrouve également ces relations dans certaines bandes dessinées classiques, par exemple entre Black et Mortimer et dans d'autres « couples » imaginés par François Rivière: Monette Odot et Charles Purley ou Olivia Sturgess et Francis Albany...

Curieusement comme Jouhandeau avec Guéret, François Rivière a modifié les noms des villes qui sont chères au coeur de son héros, par rapport à la réalité. Ainsi Saintes devient Yonge et Mescher, à moins que ce soit Saint Georges de Didonne, se transforme en Saint Romain mais Royan, reste Royan...

Ce léger décalage avec la géographie réelle aide à faire mieux accepter certains aspects, improbables, mais jamais complètement impossibles du roman. Comme cette curieuse institution qu'est ce cours tenu par Mlle Isabelle et son amie Thérèse, deux femmes vivant ensemble dans une sous préfecture et s'affichant, voilà qui n'était pas si courant en 1962. Pas plus qu'une institution accueillant filles et garçons, alors qu'à l'époque, la mixité était une exception, qui plus est lorsque ce sont des garçons et filles de douze à quatorze ans, soit l'équivalent de la 6 ème, 5 ème et 4 ème dans un collège. Il est tout de même pas banal que la bourgeoisie locale envoie ses rejetons dans un établissement de ce type.

Au dernier tiers du roman, lorsque Adrien se met à raconter à Julian sa vie, notamment l'épisode de sa « montée » à Paris, j'ai eu la certitude que, masqué, François Rivière poursuivait son autobiographie, commencée à visage découvert dans le très beau et court « Un personnage de romans » et poursuivie avec le moins réussi « Blasphème », livre trop encombré de Gothique, dans lequel il mettait en scènes ses années de pensionnat façon mi Pierre Very, mi Chesbro. Plus que dans les détails des années de galère du futur bouquiniste, c'est dans l'attitude d'Adrien envers le biotope parisien qu'on peut penser qu'elle est peu éloignée de celle qu'a eu François Rivière à son arrivée à Paris. Il me semble que dans ces pages, on peut deviner la vérité de l'auteur. François Rivière ne se serait-il pas dédoublé dans les derniers chapitres du livre? faisant endosser à la fois à Adrien et à Paul, un de ces anciens camarades de pension retrouvé par hasard à Paris, ce que furent ses premiers pas dans la capitale: mi-farouche et prude comme Adrien, découvrant son homosexualité, alors qu'elle ne faisait pas de doute pour son entourage depuis probablement bien longtemps, seulement lorsqu'il est subjugué par un élégant jeune libraire, le bien nommé Beau, qu'il imagine comme sorte de réincarnation d'Oscar, et/ou mi séduit consentant, comme Paul, son ancien camarade de pension...

Le commentateur qui m'avait reprocher de m'intéresser plus à la vie privée des auteurs qu'à leurs oeuvres devrait revenir à la charge, mais comment le critique pourrait-il avoir une autre posture lorsque l'écrivain prête à son personnage des événements de sa vie et surtout ses traits. La description que François Rivière fait d'Adrien jeune est son propre portrait, à un détail prêt, qui ne me paraît anodin, sa vêture, alors que la mise d'Adrien est décrite comme négligée, le jeune homme est habillé « au décrochez moi ça ». Alors que j'ai le souvenir d'un François Rivière élégant lors de la seule fois où je l'ai croisé lors d'une convention de la bande dessinée à Paris dans les années 70.

Mais cette fausse autobiographie est peut-être un écran supplémentaire servant à masquer le véritable sujet du livre: nous raconter l'histoire d'un homme, Adrien qui serait resté fidèle toute sa vie à l'éblouissement que lui causa le chaste et fugitif amour qu'il éprouva à 13 ans pour un de ses camarades. Adrien est un homme semblable à ce qu'aurait pu être Montherlant s'il était resté vierge par fidélité à son grand amour de collège ou si Cocteau avait fait de même en souvenir de l'élève Dargeloos... 

Aparté: « Un garçon disparait » m' a fait réfléchir sur la réceptivité du lecteur d'un tel roman, et ceci en dehors de sa qualité littéraire propre. Il me semble que si les romans, et en particulier celui-ci, de François Rivière me touchent autant c'est que je suis un presque exact contemporain avec leur auteur. Ses romans, et celui ci plus qu'un autre, sont extrêmement référencés. Curieusement s'il est question de livres dans « Un garçon disparaît, ce qui est la moindre des choses puisque son héros principal est bouquiniste, il y est encore plus question de musiques. Il a une véritable bande-son du roman, comme dans ceux de Murakami. Elle est essentiellement composée de morceaux issus de la pop anglaise des années 60 et 70.

La concordance des temps entre celui de l'auteur et le mien, fait que j'y retrouve beaucoup de sensations éprouvées dans mon enfance et ma jeunesse. Par exemple, moi aussi j'ai admiré les flans blancs qui « chaussaient » les Chambords et vibré aux péripéties de héros de papiers qui m'emmenaient loin de la grisaille du quotidien. Peut être vaut-il mieux, pour gouter la discrète subtilité de l'oeuvre de Rivière, souvent saturée de nostalgie, avoir connu une enfance sans écran...

 

Commentaires lors de la première parution de ce billet

 

Vous donnez bien envie de la connaître, ce Rivière. Une question indiscrète : lorsque vous écrivez un bel éloge, un beau "papier", comme celui-là, sur un auteur, cherchez-vous à ce qu'il l'apprenne, le lise ? Ou vous en fichez-vous ?
COMMENTAIRE N°1 POSTÉ PAR XRISTOPHE IL Y A 4 JOURS À 14H44

Je ne pense pas à un éventuel lecteur quand j'écris tout d'abord je ne sais pas si j'en aurais un à part moi. J'essaye avant tout de mettre mes idées au clair et peut être de prolonger le plaisir de la lecture par la réflexion. Je me suis aperçu qu'involontairement j'essayais presque toujours de jeter des passerelles vers d'autres oeuvres, vers d'autres démarches, vers des moments de ma vie... Une sorte de quête des échos mais je fais cela d'une façon gratuite dans tous les sens du mot. Et puis je ne suis pas certains que beaucoup d'auteurs aimeraient ce que j'écris, comme je vous l'ai déjà dis je ne suis jamais dans l'admiration totale (ce qui doit être très confortable), je trouve toujours une faiblesse à une démarche. De plus connaissant les égos énormes de tous les créateurs je suis à peu près certain qu'ils n'apprécient pas en réalité (quoiqu'ils disent) de voir leur nom accolé à un autre. 

Le meilleur livre de Rivière est "L'usine à rêves". Je lui ai consacré un billet.  

RÉPONSE DE LESDIAGONALESDUTEMPS IL Y A 4 JOURS À 16H10
Moi si j'étais &écrivain, et pas mort, j'aimerais bcp recevoir des messages amicaux. Les réserves sont inévitables : c'est le premier corrélat de l'altérité... même moi avec Rinaldi, alors... ils sont assez intelligents pour le comprendre, si même moi je le comprends ! Les égo "énormes" (?), comme vous dites, sont fragiles comme les autres; "et ma vie pour leurs yeux lentement s'empoisonne" ; quand je pense à tous ces auteurs que je n'ai jamais remerciés du tout (certains en sont morts), à qui je n'ai rien dit de mon admiration, de mon amour, à qui je dois tant... (égoïsme, ingratitude, et quelle grossièreté) et qui, pourtant, les pauvres continuent d'écrire ! gardent l'espoir, malgré ce silence, qui ressemble à un lâche crime... (Combien de temps Angelo Rinaldi pourra-t-il encore tenir, sans moi, par exemple...) (et comment réussir, lui écrivant, à lui cacher ce sentiment que j'ai qu'il a tellement besoin de moi - qui l'amuserait tellement, pourtant - que cela passerait peut-être dans un livre...)
COMMENTAIRE N°2 POSTÉ PAR XRISTOPHE IL Y A 4 JOURS À 20H18

Peut-être... Lorsque l'on est face à un écrivain étant timide j'ai du mal à lui avoier combien il m' rendu heureux. Si je fais le bilan je m'aperçois que c'est la lecture qui m'aura apporté le plus de bonheur pourtant je ne crois avoir été trop privé des différents plaisirs, O combien variés, qu'offe l'existence. Le grand avantage de la lecture est qu'elle se fait en solitaire (pas toujours car on peut se faire lire aussi, c'est agréable mais différemment) n'importe où même si l'endroit où j'ai découvert une oeuvre lui reste curieusement lié dans mon souvenir. 

RÉPONSE DE LESDIAGONALESDUTEMPS IL Y A 4 JOURS À 20H53
Merci pour ce beau billet et les quelques clefs, que j'avais cherchées en vain dans "L'Usine à rêves"; beau style et belle bande son en effet !
COMMENTAIRE N°3 POSTÉ PAR BRUNO IL Y A 4 JOURS À 21H11

Je crois que "l'Usine à rêves" est plus réussi que ce "garçon disparait" en raison du dépaysement de la côte d'argent vers Bruxelles plus subtilement amené que celui vers Paris dans ce nouveau roman. 

RÉPONSE DE LESDIAGONALESDUTEMPS IL Y A 4 JOURS À 22H02
Pour retrouver François Rivière sur le blog
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Commentaires
A
Bonsoir. Fort de votre joli commentaire, je me suis procuré (heureusement à la bibliothèque publique) ce livre de François Rivière. Quelle déception ! Je trouve l'intrigue laborieuse, le style empoulé, les découpages maladroits, comme dans un téléfilm - sauf qu'on ne peut avoir recours au noir et blanc pour les scènes originelles. Les décor et les personnages sont également dans le pur style d'un policier de France 3 : province endormie, enseignante rigide, célibataires endurcis sur leurs chers secrets et détective/narrateur noble et désintéressé, esquisses éthérées d'adolescents. Le dénouement est tellement téléphoné que je ne sais pas si je vais aller jusqu'au bout ! Merci quand même.
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I
Oui merci ! Je me souviens c’est amusant, avoir longuement cherché pour Xristophe l’adresse personnelle de Rinaldi … sans succès. Je me souviens aussi que ce billet m’avait donné envie de lire « Un garçon disparaît », mais décidément je lis trop lentement pour être capable de réaliser la moitié de mes projets de lecture. J’en suis restée à « Julius exhumé » que j’ai beaucoup aimé, découvert grâce à vous . Avant je ne connaissais que le Rivière scénariste de BD.
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B
Merci de nous redonner ce billet ainsi que le plaisir de relire les commentaires de Xristophe...
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