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Dans les diagonales du temps
1 juin 2020

ECRITS FANTÔMES DE DAVID MITCHELL

 

Ecrits-fantomes

 

Je prend l'oeuvre de Mitchell à rebours. J'ai commencé par le merveilleux « Les mille printemps de Jacob Zoet » continué par la « Cartographie des nuages » et me voici avec « Ecrits fantômes » son premier livre paru en France. Comme dans la cartographie des nuages, en fait de roman, nous avons plus à faire à une suite de nouvelles dont le lien entre elles est si ténu, tout du moins entre certaines, que je ne l'ai pas découvert; sa recherche m'a rappelé le jeu qui consistait, lorsque j'étais enfant, à trouver une figure cachée dans une image plus grande où les détails et entrelacs foisonnaient. Il faut attendre la trois centième page environ, le livre en compte plus de cinq cents, pour que les relations entre les histoires apparaissent véritablement. A chaque chapitre, nous changeons de narrateur, de lieu, de milieu, parfois d'époque bien que nous soyons toujours relié avec les années d'écriture du livre mais pas vraiment de ton, c'est une des différences avec « Cartographie des nuages ». L'attaque du livre est déconcertant, cela semble être une marque de fabrique de l'auteur, il faut quelques pages au lecteur pour réaliser que nous sommes, en gros à notre époque, tant le monologue du narrateur est extravagant et répond à une folle logique, qui, heureusement, nous est étrangère. Après ce flottement nous comprenons que nous avons à faire au terroriste responsable de l'attaque au gaz sarin du métro de Tokyo le 20 mars 1995. Le roman commence le lendemain de son acte ce qui date précisément le livre. Le narrateur suivant est tout autre et pour moi le plus sympathique de ceux qui vont prendre la parole. « Ecrits fantômes » est entièrement écrit à la première personne du singulier. Il s'agit d'un jeune tokyoite, vendeur de disques de collection, « la bande son » du roman a son importance » qui s'interroge sur son avenir et tombe amoureux d'une jeune et belle hong-kongaise. On quitte ce garçon avec regret en imaginant, comme lui, son devenir pour investir l'esprit d'un traider britannique en poste à Hong-Kong qui finira mal, puis Mitchell par l'intermédiaire d'une chinoise tenancière d'un boui-boui au bord d'un chemin de pèlerinage, réussit par ses yeux à faire défiler quatre vingt ans d'Histoire de la Chine. Je crois que pour le héros suivant je peux m'avancer en écrivant que c'est un personnage inédit dans toute l'histoire du roman puisque nous sommes en présence d'un esprit amnésique qui en investissant différentes enveloppes corporelles, en Mongolie, cherche à percer le mystère de ses origines. L'épisode qui vient après est beaucoup plus prosaïque puisque le lecteur se trouve au centre d'un gang russe de trafic de tableaux dont la victime est le musée de l'Ermitage.

Comme tous les recueils de nouvelles, car je maintiens qu' « Ecrits fantôme » est plus cela qu'un roman, ce qui ne préjuge pas de la qualité de l'ouvrage, le niveau des nouvelles n'est pas homogène. On est époustouflé par l'aisance qu'a David Mitchell à investir des personnalités aussi différentes qu'un londonien musicien de rock, un paysan mongol, une vieille chinoise ou un étudiant japonais, exemples pris dans la cohorte des personnages de tout age, de tout pays et de condition variée que l'on croise dans l'ouvrage.

Il y a quelques temps je chroniquais « Les souvenirs sont au comptoir » d'Angelo Rinaldi, en écrivant qu'un dernier chapitre très réussi pouvait sauver un roman à demi raté. Dans le cas des « Ecrits fantômes » c'est l'inverse une des nouvelles est bien près de faire sombrer l'ensemble. Il s'agit de « Train de nuit », l'avant dernière du volume; dans laquelle on croirait lire une de ces nouvelles de science-fiction des année soixante dix qui dégoulinait de moraline progressiste et de considérations fumeuses sur l'avenir. David Mitchell met en scène un dialogue entre un animateur d'une émission de nuit sur une radio new-yorkaise et un cousin de son esprit amnésique que l'on a croisé précédemment dans ce qui est un des meilleurs segments du livre. Si ce « Train de nuit » me paraît hors sujet par rapport au reste du livre, il n'en reste pas moins lui aussi un tour de force stylistique puisqu'il n'est composé que de dialogue, comme une pièce de théâtre radiophonique! Un des problèmes de David Mitchell est qu'il est si doué qu'il ne sait pas résister au plaisir de faire un numéro littéraire. Heureusement ceux-ci sont presque tous réussis dans « Ecrits fantômes ».

Difficile aussi de situer ce recueil dans un genre littéraire puisqu'il passe d'un récit intimiste à un roman policier ou de science-fiction mais les interrogations métaphysique ne sont jamais loin La somme complexe des causes et conséquences permet-elle le libre-arbitre ? A travers le pessimisme de tout le livre on en arrive à se demander si la somme complexe des causes et des conséquences permet le libre-arbitre ?

Si la cartographie des nuages est une traversée du temps, Ecrits fantômes est une errance géographique, les nouvelles se passent toute sur une période limitée de quelques mois. Vers la fin du volume, on s'aperçoit que nous sommes pas dans notre univers, mais plutôt dans un temps parallèle.

« Ecrits fantômes » estle premier roman de David Mitchell il lui a permis d’être considéré comme un des meilleurs auteurs du renouveau littéraire anglo-saxon. On y voit déjà ce qui sera présent dans ses livres suivant, notamment l’intertextualité et l’interconnexion de faits dans le temps et l’espace…L’auteur joue avec l’effet papillon entre un terroriste abandonné sur une île au Japon, un fan de jazz à Tokyo, un trader anglais visité par le fantôme d'une petite fille à Hong-kong, une scientifique spécialiste de physique quantique poursuivie par tous les services secrets de la planète, un trafiquant d'art à Saint-Pétersbourg et un esprit omnipotent perdu dans un cyberespace alternatif…

Je conseille vivement de lire ce livre mais pas les deux derniers chapitres, j'ai déjà dit ce que je pensais de l'avant dernier quand au dernier, il pourrait être le début de la première nouvelle et n'est là, même s'il est fort bien fait, que pour la géographie littéraire de l'ensemble.

 

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