Damian Loeb
Avec l'exposition 60 ans de peinture américaine et allemande (1947-2007) au musée Frieder-Burda de Baden Baden (jusqu'au 6 janvier 2008) réunissant quelques grands noms, De Kooning (dont on attend toujours en France la grande rétrospective qu'il mériterait), Rothko, Baselitz... mais aussi des noms complètement inconnus à Paris (mais pas en Allemagne) comme celui de Damian Loeb, un des jeunes artistes , il est né en 1970, les plus productifs et peoples d'outre Atlantique. Qu'un tel peintre ne se soucie pas d'exposer à Paris démontre à quel point la France est aujourd'hui en marge du marché international de l'art. Son ignorance dénonce également notre franco-centrisme myope en matière d'art. Il est vrai aussi que sa sur-exposition médiatique, il est un ami intime de moby, n'incite peut être pas, de ce coté ci de l'Atlantique, à s'intéresser à son cas.
Même à New-York, les critiques commencent à se détourner de lui. Son cas rappelle un peu celui de Bernard Buffet dans les année 80 90 à Paris, un artiste connu et aimé d'un large public mais snobé par la critique qui lui reprochait de "fabriquer" trop. Il faut dire que si les meilleures toiles de Damian Loeb se hissent au niveau du meilleur Hopper , même étrangeté du quotidien, il y a aussi du Linch (le cinéaste, pas le peintre) dans certains de ses tableaux, même science des atmosphères nocturnes où l'inquiétant naît des éclairages et des hors champs que l'on suppute. D'autres oeuvres ne semblent pas pouvoir se détacher de leurs modèles photographiques et dans d'autres encore Damian Loeb force trop la dramatisation de ses sujets. Ces dernières peintures font alors penser aux toiles de Ceccotti mais sans la distance qui existe dans les oeuvres de l'italien. C'est encore aux photos de Gregory Crewdon que s'apparente le plus le meilleur de Damian Loeb qu'il ne faut pas négliger.
Le vert paradis d'AES+F Passage de Retz
Si il y a bien une exposition à ne manquer sous aucun prétexte c'est celle du groupe russe AES+F Passage de Retz. Si j'avais déjà croisé l'oeuvre de ce collectif iconoclaste, en particulier à la dernière FIAC, je ne connaissais pas encore ce superbe lieu qui fait un écrin parfait au travail de ces audacieux créateurs. Il ne s'agit pas d'une galerie mais d'un lieu privé d'exposition, un peu comme la Pinacothèque où a lieu en ce moment une remarquable exposition Soutine. Il vous coûtera donc 8€ pour visiter cette exposition qui récapitule dix ans de travail du groupe sur l'enfance et l'adolescence. Ce n'est pas cher payé pour un spectacle de cette qualité.
AES sont les initiales de Tatiana Arzamasova (né en 1955), de Lev Evzovitch (né en 1958) et de Evgeny Svyatsky (né en 1957). Ces artistes ont formé ensemble le groupe AES en 1987. Depuis 1995 ils travaillent avec le photographe Vladimir Frickes d'où AES+F. Ces athlètes de l'art ils sont peintres, "installateurs", cinéastes, metteur en scène, dessinateurs, sculpteurs, architectes... travaillent et vivent à Moscou. Cette "famille artistique", comme ils se définissent, affirme ne pas subir la censure du pouvoir mais plutôt celle de la société russe, qui aime à penser que tout va bien depuis la chute du communisme et qui n'apprécie guère ce miroir tendu.D'autant que leur style néobaroque peut évoquer la tradition de l'art monumental soviétique.
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Nous commençons notre parcours par une salle où sont accrochés quatorze portraits photographiques de jeunes filles de moins de 18 ans. C'est la série Suspectes. Sept de ces images ont été réalisées dans une colonie à régime sévère pour mineures ayant commis des meurtres injustifiés avec une cruauté particulière. Les sept autres des portraits d'élèves d'écoles secondaires de Moscou. Les portraits des meurtrières sont mélangés à ceux des jeunes filles de bonne s familles. Chaque fille est habillée et maquillée de façon semblable. Les photos ne laissent voir que leur buste sur un fond neutre. A vous de découvrir les virtuoses du couteau de cuisine... La réponse au "jeu" n'étant pas donné on ne peut vérifier tout le bien que je pense du psychomorphisme...
Puis en soulevant un lourd rideau noir on accède à une belle salle de projection où sur trois écrans est projeté simultanément une vidéo de 19mn 25s qui est le clou de cette installation et le film le plus surprenant que l'on puisse voir à Paris en ce moment.
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Ce programme s'intitule "La dernière révolte". Il est présenté par ces mots, dans le luxueux catalogue (30€) édité à l'occasion de l'exposition, <<Le monde virtuel engendré par le monde réel du vingtième siècle s'accroît exponentiellement comme un organisme vivant dans une boite de Petri. Il dépasse ses propres frontières et envahissant toujours de nouvelles zones, il finit par engloutir ses créateurs et par se transformer en quelque chose de tout à fait nouveau. Dans ce nouveau monde, les guerres réelles apparaissent comme un jeu vidéo. Les tortures dans les prisons ressemble plutôt aux exercices sadiques de Walkiries modernes. Les technologie et les matériaux transforment le milieu environnant artificiel en paysages fantastiques d'un nouveau paradis. Ce paradis est un mutant où le temps s'est pétrifié, où le passé côtoie le futur et dont les habitants n'ont plus ni sexe, ni âge et se rapprochent des anges. C'est un monde où tout fantasme, même le plus cruel, le plus trouble ou le plus érotique, parait naturel dans cette réalité en 3 D, mouvante et privée de perspectives aérienne. Les héros de ce poème épique d'un genre nouveau n'ont qu'une seule identité: celle des participants de la dernière révolte. La révolte de tous contre tous et contre soi-même, lorsqu'il y n'y a plus de différence entre la victime et l'agresseur, le masculin et le féminin. Ce monde célèbre la fin des idéologies, de l'histoire et de la morale.>>.
Plus prosaïquement que voyons nous? Sur trois écrans une sorte de ballet se développe avec des valeurs de plan différentes de la même action selon l'écran. Les protagoniste sont des adolescents filles et garçons, avec une forte prédominance de garçons qui exécutent un rituel de sacrifice chaque agresseur devenant le sacrifié dans la scène suivante. Certains de ces simulacres de massacre dégagent une forte sensation d'homo érotisme. Les corps à corps lascifs et morbides, mais toujours esthétiques, laissent place à intervalles réguliers à des images en 3D de paysages idylliques et futuristes, façon jouet Lego aux couleurs pimpantes qui sont régulièrement bouleversés par des catastrophes diverses et variées. Le choc entre ces deux esthétiques antinomiques est particulièrement troublant.
On sort de la confortable salle de projection pour être confronté avec les grandes photographies réalisées en même temps que la vidéo. Elles fixent les moments forts du film.
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Les belles salles, sorte de grandes serres donnent toutes leur chance aux oeuvres pour marquer durablement le spectateur; de grandes ouvertures entre les pièces permettent de comparer les diverses installations. Il est indéniable que "La dernière révolte" qui date de cette année est à la fois plus sombre et plus forte que les précédantes. Les jeunes acteurs ne se contente plus d'exiber leurs armes comme dans "Action half life" mais en font usage.
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C'est une véritable rétrospective qui nous est présentée, si pour ceux qui n'ont pas eu la chance de visiter la dernière biénale de Venise où "La dernière révolte" était projeté dans le pavillon de la Russie, cette dernière série sera un véritable choc, on peut également mesurer l'évolution et la diversité du travail d'AES+F (le groupe traite aussi d'autres sujets que l'adolescence mais ils ne sont pas ici) et également déceler les influences que ces artistes subissent. En premier lieu, surtout pour les sculptures du projet "Action half life" on pense beaucoup à celles des frères Chapman . Mais la fascination pour la beauté adolescente évoque également les photographies de Bernard Faucon .
Gérard Lefort pointait justement dans Libération tout ce que ces images devaient à l'art classique occidental: << Mais ce qui frappe aussi c’est une fine connaissance (ou inconscience) des poses de l’art occidental le plus classique. Pour l’exemple, ce médaillon (photo), où une jeune Salomé noire tranche la tête d’un Jean le Baptiste roux. Comme si, par une rencontre « fortuite » digne de Lautréamont, AES+F avait photo-chopé quelque Titien.>>.
Le catalogue propose des clés utiles pour la lecture d'une oeuvre beaucoup plus dérangeante que pourrait le faire croire un survol trop rapide de celle ci, comme en témoigne cette déclaration des artistes sur l'héroisme et la jeunesse: <<Nos héros - des adolescents - appartiennent à un âge héroique, l'âge du jeune berger qui a vaincu le géant, du bâtard qui a extrait de la pierre l'épée magique et est devenu roi. Tous nos jeunes héros sont des vainqueurs dans l'univers virtuel. L'ennemi est absent, la douleur et la souffrance sont interdites par les règles du jeu. Ils sont à tel point aliénés que rien ne peut les détourner de leur exploit personnel, même la bataille virtuelle générale. Ils sont vainqueurs d'un ennemi inexistant. L'origine de "l'héroisme pur" dans un monde d'une réalité vacillante, tel est le sujet de notre oeuvre...>>
Au delà de cette profession de fois pour la geste aristocratique, on peut y lire aussi le désir, dans ces images d'une adolescence magnifiée et héroissisée, d'une refondation d'une société, ici la société russe, comme on le décelait naguère dans les sculptures de Rude ou de Breker..
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Ci-dessous des images prisent lors de la diffusion de la vidéo.
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CF Tunnicliffe
La douche d'Olivier
La Varenne, été 1983
Pour voir d'autres images d'Olivier sur le blog: