un soir à la Philharmonie
J'étais très impatient de découvrir l'intérieur de la Philharmonie. L'extérieur de jour m'avait laissé dubitatif lors de ma visite de l'exposition consacrée à David Bowie. Sa vision de nuit ne m'a pas conquis davantage, cette fois en raison d'un éclairage très chiche, pour raison d'économie sans doute. J'ai donc profité de la venue à Paris du chef d'orchestre Gustavo Dudamel à la tête du Philharmonic Los Angeles proposant un programme de musique américaine, John Williams, Alberto Ginastera, Andrew Norman, Aaron Copland, Bernar Hermann, pour sauter le pas. Bon ne croyez pas que cela fut inopiné car pour m'assoir dans cette nouvelle salle j'ai du prendre mon billet en juin dernier! au prix très abordable de 20€ (on est loin des 80 à 150€ qu'il faut débourser pour avoir le vertige dans la salle de l'Opéra Bastille) mais faut-il encore parvenir à avoir une place. Je dois dire que j'ai été déçu par l'esthétique de la salle; son coté année 60 avec ces énormes déflecteurs en boomerangs géants, qui renvoie certes merveilleusement le son m'ont fait penser à l'esthétique "Modeste et Pompon", du vieux moderne en somme. En revanche quand la musique commence c'est un bonheur, l'acoustique est parfaite et la musique vous enveloppant devient manteau.
Blank Placard Dance autour du Centre Pompidou
Réédition sous la houlette de la chorégraphe Anne Collod, autour du Centre Pompidou, de la performance qui eut leu à San Francisco 1967 de la chorégraphe américaine Anna Halpin, aujourd'hui âgée de 95 ans.
Comme à San Francisco, il y a 49 ans la Blank Placard Dance sera un défilé de vrais/faux manifestants portant des pancartes blanche. Anne Collod pense que l'on peut rapprocher le contexte californien de 1967, manifestations contre la guerre du Vietnam, émeutes raciales avec celui du Paris de 2016.
Roland Barthes par Tiphaine Samoyault
Lire une biographie, c'est cheminer quelque jours avec quelqu'un; une personne forcément un peu Célèbre, ou même très célèbre puisqu'un auteur s'est distrait de sa propre vie pour s'immerger dans une autre qu'elle a jugée suffisament digne d'interêt pour nous la faire partager. Pour que le chemin de conserve soit agréable, il vaut mieux que le lecteur éprouve de la sympathie pour son compagnon de route qu'il s'est momentanément Choisi. C'est le cas pour ce Roland Barthes raconté par Tiphaine Samoyault, livre qui parfois apparait, comme un second "Roland Barthes par Roland Barthes" car de nombreuses pages sont constituées par de savants collages de textes de Barthes lui-même. Ceux-ci, souvent inédits, proviennent des fameux fichiers du sémiologue et de sa correspondance privée.
Cette correspondance privée inédite est la grande découverte de l'ouvrage et aussi son grand mystère éditorial; tant les extraits des lettres, particulièrement celles adressées à Philippe Rebeyrol et dans une moindre mesure à Robert David sont admirables. Si bien que l'on ne peut que s'étonner que cette correspondance ne soit pas éditée alors que l'oeuvre de Barthes est près de succomber sous les gloses. Si les deux dernières correspondances citées nous éclaireraient sur les commencements de Roland Barthes, une autre mêlant déclarations amoureuses et réflexion philosophique nous renseignerait sur les dernières années de l'intellectuel. Les extraits et les mentions qui se trouvent dans l'ouvrage appellent même à une édition de toutes la correspondance. Puisque certains des destinataires de ces lettres se nomment Michel Foucault, Genette, Antoine Compagnon, Renault Camus...
Encore une fois, dans le premier tiers du livre, dont la lecture est très agréable, on ne peut que constater le miroir stylistique qui se produit entre la biographe et son modèle. Il joue à plein jusqu'au début des années 60 qui est la période où Barthes structuralise et se met à jargonner; il reviendra ensuite à la clarté et la biographe fera de même...
Si au début le Roland Barthes de Samoyault est surtout une suite de patchwork barthesien talentueux, au chemin agréablement méandrique, un peu hésitant, souvent riche en découvertes, la suite est plus dans le commentaire de l'oeuvre que dans la description du quotidien de Barthes. Parfois à force de répétitions l'ouvrage prend un ton curieusement durasien. Duras qui haissait Barthes, peut être surtout par Jalousie, le sémiologue ayant eu, avant elle une liaison éphémère avec Yann Andréa. Elle a, émis au sujet de Roland Barthes une de ses plus sublimes conneries: << Je ne peux considérer Roland Barthes comme un grand écrivain: quelque chose l'a toujours limité, comme si lui avait manqué l'expérience la plus antique de la vie, la connaissance sexuelle d'une femme.>>.
Souvent à la lecture de ce livre on se demande, est-on dans un essais ou dans une biographie? C'est sans doute cette indétermination, cette impureté, qui en fait la richesse. Tant le livre est en rupture avec les canons du genre biographique. Ce que l'on constate dès l'entame du livre puisque Tiphaine Samoyault commence par l'accident de la circulation dont les conséquences causeront la mort de Roland Barthes. Binet fait débuter son roman par la même scène. Un peu comme si cette fin accidentelle était fondatrice de l'oeuvre!
Dans la lecture d'une biographie, ce sont sans doutes les réflexions incidentes que ce type d'ouvrage génère qui sont les plus intéressantes. Ainsi j'avais oublié, à moins que je l'ai jamais su l'engagement théâtrale de Barthes en tant que critique (je ne parle pas de la controverse autour de Racine) au coté de Bernard Dort. Cette méconnaissance n'ayant toutefois rien d'extraordinaire ayant eu accès au théâtre alors que Barthes avait déjà quitté la scène.
Un des chapitres du livre ressuscite un temps où le théâtre était le lieu privilégié pour l'intellectuel de son intervention politique et sociale. Le théâtre était vu alors comme l'art politique et civique par excellence. Dans ces années 50 le phare de ce mode d'expression est Brecht pour la notoriété duquel, Barthes a beaucoup oeuvrer. Pour Barthes, le théâtre doit être purifié de ses structures bourgeoises, désaliéné de l'argent et de ses masques. Le héros de ce théâtre est alors Jean Vilar avec son T.N.P. Chaillot enregistre 5193895 entrées soit 2336 spectateurs par représentation. Beaucoup de ces spectateurs étaient un peu des spectateurs forcés, envoyés par palanquées entières par les comités d'entreprises des grandes firmes; aujourd'hui c'est plutôt les lycéens que l'on emmène par charretées au théâtre. Il est à craindre, que comme hier, il n'en reste rien quelques années plus tard, car que sont devenus ces millions de spectateurs? A la fin du T.N.P. Ils se sont évaporés. Dans les deux décennies qui suivent le champ de la contestation intellectuelle, par les intellectuels, se déplacera du théâtre aux sciences sociales. Là encore on ne peut que constater que depuis que ce terrain de jeux a été déserté par les intellectuels médiatiques, nulle floraison est advenue.
Il m'arrive assez souvent, en lisant la biographie d'un illustre de me découvrir quelques points communs avec la dite célébrité et cela me réjouit. Non comme pourrait le penser les mauvaises langues pour me pousser du col et me rengorger d'avoir les mêmes pratiques que la star, mais lorsque le biographe est talentueux, pour comprendre les raisons que j'ai d'agir comme je le fais en explicitant l'habitude de l'homme célèbre. Ainsi Tiphaine Samoyault m'a fait comprendre mieux mon appétence aux voyages et m'a éclairé sur les rites de ceux-ci en me faisant m'apercevoir qu'ils sont proches de ceux de Roland Barthes.
J'ai un autre point commun avec l'auteur des "Fragments amoureux celui de la fréquentation assidue, durant une période de ma vie, disons de 1975 à 1980, des gigolos de Saint-Germain des près et plus rarement de ceux de la rue Sainte Anne, même pour le sexe j'ai toujours préféré la rive gauche. Comme l'écrit fort justement Tiphaine Samoyault qui, et c'est tout à son honneur n'esquive pas le sujet, cette fréquentation ne devrait pas manquer de choquer quelques belles âmes: << Aujourd'hui où la sexualité s'est à la fois privatisée et puritanisée, ces pratiques courantes peuvent apparaitre comme des comportements excessifs ou déviants. Le virus du sida n'a à l'époque pas encore été découvert; la multiplication des partenaires est presque la règle chez les homosexuels. Il suffit de lire quelques auteurs contemporains de Barthes pour découvrir les usages communs du temps: Tony Duvert, Hervé Guibert, Renaud Camus, tous auteurs que Barthes à rencontrés, connait; il a même pu être séduit par eux ou en être passagèrement amoureux.>>. J'ai donc partagé très probablement quelques partenaires sexuels de passage avec le grand homme. Comme vous pouvez le constater chaque jour cela ne m'a pas rendu plus intelligent, mais là encore cette similitude dans la pratique de la drague tarifée me fait mesurer l'abîme qui sépare les us et coutumes d'il y a quarante ans avec ceux de notre époque. Il existe aujourd'hui un véritable tabou dans le milieu gay sur cette prostitution qui s'étalait chaque soir devant le drugstore Saint Germain. A telle enseigne que lorsque dans plusieurs billets précédents j'ai fait un appel à témoignage d'anciens clients ou de prostitué sur ce sujet, je n'ai eu aucune réponse... Je peux témoigner que si je n'ai jamais vu Roland Barthes, contrairement à Aragon arpenter les trottoir où fleurissait ce commerce, ceux si était bien achalandés... Je réitère donc ma demande: si vous avez des souvenirs sur cette pratique, pour laquelle je n'ai aucune honte, ni regrets ni remords, faites les nous partager...
Le livre parvient à n'être ennuyeux que dans les chapitres voués aux arguties telquelistes, tant ces escarmouches entre sodomiseurs de drosophiles nous paraissent d'une autre époque. Je me suis surpris à me demander pourquoi les coulisses littéraires de la galaxie gidienne m'intéressent, toujours un siècle après, alors que je ne parviens pas à trouver un quelconque bénéfice à la lecture des minutes de la guérilla entre les chapelles littéraires des années 70?
Tiphaine Samoyault aime assez son grand homme pour ne pas lui donner le coup de pied de l'âne. Ainsi elle passe assez vite sur son navrant voyage en Chine; périple où l'avait entrainé Sollers, alors ultra-maoiste. Barthes déjà tiède envers l'auteur du petit livre rouge est revenu de ce escapade, au cours de laquelle il s'est copieusement emmerdé, totalement guéri de la fièvre maoiste. Il nous a donné un "Voyage en Chine" qui est un précieux document sur l'aberrante passion aveugle qui avait saisi l'intelligentsia parisienne. Je m'étonne, ou plutôt je fais semblant de m'étonner, connaissant le politiquement correcte universitaire, que personne n'ait encore fait le parallèle entre le voyage en Chine de la bande à Sollers avec celui d'octobre 1941 en Allemagne de certains écrivains français. Il suffit pourtant de lire l'édifiant essai de François Dufay "Le voyage d'automne" et "Le journal sous l'Occupation" de Marcel Jouhandeau conjointement avec "Le voyage en Chine" de Barthes pour que la similitude de ces deux escapades à 33 ans d'écart de nos intelligents saute au yeux.
Tiphaine Samoyault a su rendre la fin de son livre particulièrement émouvant par le fait, que contrairement à beaucoup de proches de Barthes, elle croit qu'il serait parvenu à accoucher de ce fameux roman total qu'il ambitionnait d'écrire. Les arguments avancés, suite à l'étude des fragments déjà écrits, sont assez convaincant. Tiphaine Samoyault réfute donc l'idée assez répandue, qu'après la mort de sa mère l'auteur des "Fragments amoureux" se soit suicidé à petit feu et que l'accident fatal soit comme le logique aboutissement de cette longue glissade, mais qu'au contraire au moment du funeste évènement Roland Barthes était à l'aube d'une nouvelle vie.