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Dans les diagonales du temps
litterature anglaise
18 février 2020

LA PISCINE BIBLIOTHÈQUE D'HOLLINGHURST

La piscine biblioth�que d'Hollinghurst

Will Beckwith, le je de « La piscine bibliothèque », est un narrateur selon mon coeur. Il a vingt-cinq ans beau et blond. C'est un riche homosexuel londonien, flottant dans une vie de désoeuvré; ce qui ne va pas toutefois chez lui sans quelques remords passagers, tiraillé qu'il est <<... entre deux visions de soi, l'une hédoniste et l'autre - légèrement à l'arrière plan ces derniers temps- presque férue d'érudition...>>.  Son grand-père, Lord Beckwith, a donné la richesse à la famille, le pouvoir et le titre de vicomte. Le narrateur correspond bien aux critères définissant son héros type tel qu'Hollinghurst en traçait le portrait lors d'une interview à « Libération »: << Les gens qui ont accès à beaucoup de choses m’intéressent, ceux qui peuvent se permettre de mal se conduire. Il y a une part de fantasme, et je suis réticent à l’idée d’écrire sur des figures vertueuses, je préfère lorsqu’on ne parvient pas à se décider, à savoir si l’on aime ou non un personnage.>>. In fine c'est la naïveté de Will qui devrait le faire aimer du lecteur qui sera peut être plus perspicace que lui...

Will a fait, comme il se doit, ses études à Oxford. C'est là qu'il a rencontré son meilleur ami, James (avec le patronyme de ce personnage, on peut voir de la part d'Hollinghurst, un clin d'oeil, le romancier étant grand admirateur d'Henry James), devenu médecin de son état et néanmoins gay. Les deux hommes partagent les mêmes gouts en matière de garçons et de musique; mais James est beaucoup moins heureux sexuellement parlant que Will: << James était un obsédé des grosses queues, dont un grand nombre semblait passer entre ses mains dans l'exercice de - son art – mais trop peu, soupçonnais-je, dans sa vie. >>. Tout au long du livre James nous donnera le contrepoint prudent, presque raisonnable à la vie de Will

Notre sémillant jeune homme a comme point d'ancrage la piscine de son club, le Corinthian club (Corry) qui semble fréquenté, presque exclusivement par des garçons qui aiment les garçons. Ce qui tombe bien, la drague étant l'activité principale de Will (willy est le pénis en anglais argotique.).

Deux événements vont troubler la vie du héros qui est à la fois dissolue et routinière. D'une part Will va tomber amoureux. Tout d'abord notre jeune esthète va s'enticher d'un négroïde natté et prolétaire de dix sept ans, Arthur que Will va être contraint d'accueillir chez lui pour une grave raison indépendant de sa volonté. Mais la cohabitation avec un garçon aussi différent n'est pas de tout repos. Arthur va avoir la bonne idée de disparaître... On pourrait accuser l'auteur pour cet effacement dont on ne connaitra pas vraiment la raison (le lecteur a toujours un peu de travail à faire pour combler les blancs dans les romans d'Hollinghurst...) de facilité littéraire...

Si le héros est un dragueur invétéré, c'est aussi un coeur d'artichaut. Il remplace promptement Arthur dans son coeur et dans son lit par Phil, un adolescent blanc qui travaille comme serveur dans un hôtel de luxe le Queensberry. Will l'a connu à la piscine de son club. L'autre fait qui va bouleverser l'existence de notre jeune aristocrate est la rencontre inopinée d'un vieux lord... dans une tasse, mais pas pour les raisons que l'on pourrait supposer. Après quelques papotages entre eux, le vieil homme, lord Charles Nantwich, propose à Will d'écrire sa biographie. Pour cela Nantwich lui confie son journal intime qu'il tient depuis son adolescence, dans les années 1910...

Mais l'intrigue sur laquelle je me suis largement étendue, tout en prenant soin néanmoins de ne pas tout révéler, n'est pas ce qui est le plus important dans le roman; ce qui en fait toute sa valeur, est le talent qu'a Hollinghurst, de tracer une fresque quasi exhaustive de la vie gay au début des années 80 à Londres mais qui n'était pas très différente de celles dans d'autres grandes ville; ceci en une suite de scènes de genre d'une véracité confondante, qui vont d'un combat de boxe entre adolescents à un passage à tabac au milieu de poubelles en passant par une soirée de gala à l'opéra pour continuer par une soirée en boite que l'on croirait sorti de « Queer as folk »... Le romancier ressuscite une époque bénie, aujourd’hui révolue, où en boîte de nuit, lever un giton pour le sodomiser dans les toilettes ne représentait aucun danger sinon celui de prendre un râteau par l'objet de sa concupiscence… Concupiscence du héros largement traité comme par exemple dans cette scènes de douche: << Je sortis du bassin et me dirigeai, ruisselant, vers les vestiaires. Poussant la porte battante, avec sa petite fenêtre embuée destinée, comme dans les restaurants, à éviter que les gens pressés ne se heurtent violemment, je perçus le chuintement des douches, sentis la chaleur saturée d’humidité emplir ma gorge et se déposer sur ma peau. Je m’avançai d’un pas nonchalant entre les deux rangées de jets brûlants qui rebondissaient sur les carreaux noirs, m’écartant ou m’arrêtant brusquement lorsque les hommes, nus ou en slip, changeaient de position, savonnant un pied appuyé au mur, se frappant le ventre avec des claquements mouillés, ou se retournant à chaque battement étouffé de la porte pour voir quelle nouvelle beauté arrivait.>>.

A partir de la page 100, de « La piscine bibliothèque », Hollinghurst va faire alterner les pages du journal de Charles Nantwich, principalement celle narrant les frasques du jeunes lord dans les années 20, et le récit du présent du futur biographe du lord. Ce dernier, devenu cacochyme a la mémoire en passoire. L'adjonction des écrits intimes de Charles arrive au bon moment, car l'effet de surprise du style coruscant et désinhibé d'Hollinghurst commençant à faiblir cette intrusion du passé relance l'intérêt de la lecture en rompant ce qui aurait pu être une monotonie. Ceci par le fait du grand contraste entre la narration de will (on voit combien pour son « Dorian » Will Self a emprunté assez maladroitement d'ailleurs à Hollinghurst.) et les passages du journal de Nantwich dont le ton parfois rappelle tantôt le Waught de « Retour à B. » et tantôt le Forster de « La route des Indes » quand ce n'est pas Thesiger ou même Burton.

Mais quel est ce présent? Le livre dont l'écriture a commencé en 1984, est paru en Grande Bretagne en 1988. Bien sûr en raison des moult copulations insouciantes, nous ne pouvons être qu'avant la grande pandémie*. Le seul indice pour être plus précis est la présence, lors d'une représentation à Covent garden de l'opéra Billy Budd de Benjamin Britten en la présence du créateur du rôle du capitaine en 1951, Peter Pears. Ce dernier est décrit par Will comme très finissant; sachant qu'il est mort en 1986, nous sommes donc avant cette date, visiblement au début des années 80, disons 1983 qui est, selon mon expérience, l'année de l'apogée de la liberté sexuelle au XX ème siècle.

 

La piscine biblioth�que d'Hollinghurst

Il ne faudrait cependant pas ramener « La piscine bibliothèque » à une sorte de « Trick » londonien (j'entend par « Trick » le livre de Renaud Camus, du temps où le diariste n'était pas obsédé par le grand remplacement mais par les culs moustachus...). La piscine bibliothèque est beaucoup plus que cela.

Ce qui ne veut pas dire que cet ouvrage est un roman pour les « enfants de Marie ». Qu'on en juge avec l'extrait qui suit: <<... Je l'embrassais, puis le poussai dans le couloir et lui fis franchir la porte battante. Deux types qui roulaient des joints sur le bord du lavabo levèrent les yeux avec inquiétude. Un cabinet était vide et je l'y poussai alors qu'il me faisait face, et m'adossais à la porte que je venais de verrouiller. Je savais à peine ce que faisais. Je défis violemment le bouton du haut de son pantalon en velours côtelé marron, toujours le même, abaissais sa fermeture éclair, le fis descendre sur ses genoux. En revoyant sa queue cachée dans son petit caleçon bleu, je fus presque malade d'amour, le caressant et l'embrassant à travers le léger coton qui l'enveloppait. Puis son caleçon tomba et je la frottais avec ma paume. Je le connaissais si bien, ce manche épais, bref et parcouru de veines. Je le soupesais avec ma langue, le pris dans ma bouche, son gland carré venant s'appuyer à mon palais et se poussant dans ma gorge. Puis je le libérai, passai derrière lui, écartai ses fesses, y collai mon visage et léchai sa fente noire, lisse et imberbe, enduisis de salive son trou du cul et y glissai un doigt, puis deux, puis trois. De longues convulsions le parcoururent...>> (j'ai reproduit la traduction de 1991, je n'ai pas trouvé la nouvelle traduction révolutionnaire, sinon qu'elle apporte une plus grande fluidité dans la lecture).

J'ai découvert ce livre lors de sa première édition chez Christian Bourgois. J'avais à l'époque été attiré par le titre, les piscines et les bibliothèques faisant parti de mes lieux de prédilection; ceci ce titre demande quelques explications: Comme c'est relaté au début du chapitre 7, dans la public school que fréquente William, les préfets qui sont les élèves à qui l'on donne certaines responsabilités dans l'organisation de l'établissement, étaient connus sous le nom de «bibliothécaire», à cette désignation était ajouter un terme qui indiquait la zone de responsabilité du préfet. Comme le jeune Will était un passionné de natation à l'école, l'institution lui donne ainsi la charge de la piscine. Il devient ainsi le «Piscine bibliothécaire». Son père lui écrit à cette occasion, un commentaire amusé: «vous devez me dire quel genre de livres qu'ils ont dans la Bibliothèque Piscine. Pour Will, la Bibliothèque Piscine est le terme d'argot scolaire pour désigner le vestiaire dans lequel lui et ses camarades se glissaient dans le milieu de la nuit pour se livrer à des activités sexuelles illicites.

La lecture induit à faire un parallèle entre les existences de Charles et de Will. William est né en 1958, soit un an après le rapport Wolfenden, qui a contribué à libéraliser les lois anglaises sur l'homosexualité. Il peut satisfaire ses appétits sexuels plus librement, moins secrètement qu'a pu le faire Charles tout au long de sa vie. Il a également hérité d'une certaine tradition de la culture gay. Ce sont des différences importantes. Mais Charles et William partagent de nombreuses choses, d'abord l'éducation dans les « public school ». Ils ont tous deux un appétit de luxure avec d'autres hommes, souvent leurs inférieurs sociaux. Leurs fantasmes sont à la fois pornographiques et chevaleresques. L'intention de Hollinghurst était d'explorer l'idées du vieillissement. La tension provoquée par l'opposition entre les deux styles de narration suggère ce qui a changé et a persisté à travers le XXe siècle pour les gays.

La métaphore principale du roman est le fait que les hommes nagent ensemble, donnant une image d'une communauté masculine érotisée. Le titre '' La piscine bibliothèque '' se réfère à la salle à Winchester où William et ses amis se livraient entre eux à des nuits tumultueuses de sexe.

Ce parallèle en induit un autre, cette fois purement littéraire, celui entre Hollinghurst et Proust. Il s'impose évidemment par la prégnance de l'homosexualité dans « La piscine bibliothèque » comme dans « La recherche » mais aussi en raison d'un écho qui existe entre la construction de chaque oeuvre. Par une inversion savoureuse avec « La recherche », le présent de Will dans « La piscine bibliothèque » devient pour Charles un peu son temps retrouvé. Le temps est au centre des deux oeuvres. Dans celle d'Hollinghurst est mis en exergue la façon dont le présent dévore le passé.D'autre part, tout comme chez Proust, on voit dans le roman d'Hollinghurst l'interpénétration des classes sociales.

Dés ce premier roman, Hollinghurst, à l'instar du divin Marcel, se sert de clés, mais mon imparfaite connaissance de l'Angleterre m'interdit d'ouvrir bien des serrures, certaines sont néanmoins facile à forcer comme celle du photographe Staines qui évoque beaucoup Cecil Beaton... Quant à l'écrivain Ronald Firbank qui est un personnage qui traverse le journal de Charles, il a bien existé. Cet homosexuel notoire et néanmoins maladivement timide, a publié une douzaine de courts romans entre deux séjours en Italie ou en Egypte (« La fleur foulée au pied » et « Les excentricités du cardinal Pirelli » sont trouvable en français) . Il a été tué par l'alcool en 1926, à quarante ans. Ces livres ont été loués par Forster, Waugh, Auden...

« La piscine bibliothèque Piscine » suggère le parallèle entre le désir sexuel qui est par nature la nécessité de saisir le corps d'une autre personne pour sa propre gratification avec l'acte impérialiste de la colonisation. De même, il soulève la question plus vaste de savoir si un bonheur ou bien fortune peut se produire sans la être pollué par concomitamment la déception ou la tragédie d'autrui.

Astucieusement, Hollinghurst ne juge pas ses personnages, mais révèle que tous sont pris dans une toile du désir et de l'auto-illusion. Ils sont motivés par des sentiments si mélangés qu'il leur est impossible de connaître clairement la raison de leurs actes.

Il est parfois intéressant de voir dans un livre, ce qu'il n'y a pas. Si Pérec dans « La disparition a réussi un lipogramme du E, Hollinghurst dans « La piscine bibliothèque a fait celui de la femme, pas la moindre donzelle en plus de 500 pages. La gente féminine n'y ai même pas évoqué; à croire que tout ces garçons n'ont pas eu de mère... Autre absence, l'actualité politique, on peut s'en étonner, alors que d'une part nous sommes en plein thatcherisme et que d'autre part un des livres suivant du romancier sera saturé du politique.  

Dans ce livre l'auteur aborde une problématique qu'il approfondira dans « L'enfant de l'étranger », celle de l'évolution du vécu de l'homosexualité au cours du vingtième siècle. Sur ce sujet l'auteur a semé des petits cailloux blancs pour le lecteur très observateur, par exemple en nommant Labouchere l'un des amis gays de Charles alors que ce nom est celui de l'amendement qui depuis 1885 pénalise en Angleterre l'homosexualité...

On aurait aimé passer quelques centaines de pages en compagnie du monde de Will d'autant que bien des fils de la narration restent en suspend.

 

*  Le livre est dédié à Nicholas Clark, un ami de l'auteur, qui a été parmi les premiers à mourir du SIDA en Angleterre.

Ronald Firbank dans sa jeunesse

Ronald Firbank dans sa jeunesse

Ronald Firbank est un écrivain qui n'a pas de semblable. Ses romans ont l'air d'une fleur jaillit d'entre deux vers moqueurs de Max Jacob. On dirait qu'il les a écrits pour faire rire cinq amis dans un diner. Aucune facilité visant le public. D'ailleurs il ne l'a pas atteint.

Charles Dantzig, Dictionnaire égoiste de la littérature étrangère (page 924)

 

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