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Dans les diagonales du temps
litterature anglaise
15 janvier 2021

Des choses sérieuses de Gregory Norminton

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Bruno Jackson est a trente deux ans un homosexuel obèse mal dans sa peau. Un soir lors d’une soirée chez une ami, il tombe nez à nez avec Antony, son meilleur ami au collège, une public school à l’ancienne. Dans celle-ci Bruno, le fils timide et solitaire d’ expatriés britanniques, s’ est épris de Anthony Blunden beau spécime de rejeton de l’upper classe . Tout semble avoir souri pour Antony tant dans sa vie privée que professionnelle, alors que Bruno est abonné aux étreintes furtives sans lendemain et poursuit une terne carrière de fonctionnaire dans un ministère. Cette rencontre rouvre chez Bruno des plaies qu’il croyait cicatrisées. Les deux hommes qui ne se sont pas revus depuis leur seize ans, sont liés par un secret honteux, MacGuffin que le romancier fera vivre jusqu’aux presque dernières pages, transfcormant ce roman de collège en thriller. On ne parvient pas à lâcher le livre jusqu’à la dernière page non tant à cause du suspense que l’auteur a su créer (même si Norminton a retenu les leçons d’Agatha Christie, mais je ne peut en dire plus sans défleurer le roman) mais surtout en raison de l’empathie qu’il a réussi à installer entre le lecteur et Bruno qui nous raconte toute cette histoire. Le roman fait de constants aller et retour entre aujourd’hui et hier, soit les années de collège des deux garçons , une quinzaine d’années plus tôt. “Des choses sérieuses” nous entraîne dans l’univers, o combien exotique pour un lecteur français, des publics schools britanniques (celle que fréquentent Bruno et Antony n’est pas mixte.), institution que l’on a tendance, de ce coté ci de la Manche, à cantonner à la période édouardienne alorÏs que c’est une réalité encore bien vivace de nos jours en Angleterre. Le quotidien de ce monde aux rites aussi étranges pour nous que ceux des indigènes de papouasie nous est décrit avec finesse et exactitude. Il fait naître pour le lecteur non rompu à cet univers bien des questions et bien des réflexions. Cette description du quotidien d’un collège anglais et surtout la vision qu’en ont les élèves met en lumière les points communs et les différences avec d’autres systèmes. Si l’éducation anglaise qui est peinte dans le roman, qui est celui d’une élite sociale, est très éloignée du modèle français. En revanche on peut y déceler bien des points communs avec le vécu et le ressenti des jeunes japonais que l’on peut voir étalés avec complaisance dans de nombreux mangas dont les années de collège sont les décors récurrents et préférés. Pour les anglais comme pour les japonais ces années ne paraissent pas être, comme pour les jeunes français, un passage qu’il faut franchir le plus vite possible et sur lequel on ne se retournera pas. Mais au contraire pour les adolescents anglais et aussi japonais, c’est à la fois un parcours initiatique et une fin en soi. Le roman de Norminton  est le quatrième paru en France de l’auteur, né en 1976 (comme Bruno), tous chez Grasset. C’est le premier que je lis et il m’a donné l’envie d’en lire d’autres. Même si “Des choses sérieuses” est un ouvrage éminemment dépressif par le fait qu’il met bien en évidence , le phénomène que nous avons tous constaté, parfois à nos dépends, que bien peu des fleurs de l’adolescence donnent des fruits à l’âge adulte. Le mal dont souffre Bruno et Antony, chacun à leur façon c’est d’ailleurs, d’être conscient du gouffre qui sépare des espoirs qu’ils mettaient en eux mêmes dans leur adolescence aux réalisations de l’âge adulte. Le roman parlera beaucoup à ceux qui ont beaucoup promis et peu tenu... Les rapports entre les élèves entre eux et entre les élève et les professeur et en particulier les liens qui se tissent entre l’un des professeurs, monsieur Bridge et les deux garçons sont décrits avec beaucoup de finesse. C’est plus par l’acuité psychologique des personnages que par le style un peu plat que le roman séduit. Il reste cependant très agréable chaque phrase semble polie par l’auteur comme un gros galet par la mer. Le livre est d’une lecture très fluide. Il semble qu’il n’y ai jamais dans les phrases de Norminton un mot de trop... La grande culture du romancier et de son traductrice, Marie-France Girod, grande connaisseuse des moeurs anglaise, transparait, mais toujours avec légèreté et élégance à chaque ligne. Je ne connais que peu Gregory Norminton mais cette déclaration a conquis d’ emblée ma sympathie: << Je suis amoureux des escargots. Ce sont des triomphes de l'évolution, ils ont inspiré les poètes de Shakespeare: Love's feeling is more soft and sensible Than are the tender horns of cockled snails... à Marianne Moore Le personnage de Bruno est peint avec beaucoup de perspicacité et vivra longtemps dans la mémoire du lecteur. Ce garçon dont on s’apercevra à la fin du livre, un peu trop dans l’air du temps, que sont âme est moins limpide qu’il veut le faire croire, m’a amené à la réflexion suivante que certains, je n’en doute pas, trouveront inconvenantes, pourquoi tant d’homosexuels sont obèses et pourquoi tant d’obèses sont immatures ce qui conduit inévitablement à la troisième interrogation qui en découle pourquoi tant d’homosexuels sont immatures... Il y a tant de sujets tutoyés, toujours avec délicatesse, dans le roman de Norminton, le désir homosexuel adolescent, le remords, la maladie, les relations parents enfants, la posture écologiste (celle-ci très britannique et fort éloignée de celle de nos verts), Norminton est lui même militant écologiste... qu’il fait naître beaucoup d’ interrogations dont je ne peux donner qu’un pâle exemple... Une des grande et rare qualité du livre est de réussir amalgame convaincant entre l’intime et le politique. “Des choses sérieuses” devrait ravir tous les amoureux de l’Angleterre. Si j’aime tant les romans anglo-saxons contemporains, et celui-ci en est un bon exemple, c’est qu’ils ont l’ apanage de la profondeur sous des aspects modestes, tout le contraire de la majorité de la production française qui affiche son intellectualisme de forme qui ne recouvre le plus souvent qu’une vacuité de fond. Dans ce continent des lettres en langue anglaise, j’ai une prédilection pour ce qui nous vient d’Albion. Les romans anglais ont presque toujours la supériorité sur leurs homologues américains l’excellence de leur construction “de leur découpage” (“Des choses sérieuses” entre de bonnes mains ferait un beau film. ), ils possèdent une fluidité que n’a que rarement les ouvrages venus d’outre Atlantique qui semblent souvent être qu’une suite de nouvelles aux personnages récurrents mises bout à bout. Néanmoins ici j’y ai retrouvé des échos de romanciers américains pour le ton de Stephen McCauley et pour les thèmes de David Leavitt, Donna Tartt... Ceux qui aiment une littérature ancrée dans le monde moderne, encore une spécificité du roman anglais actuel, Coe, Will Self... car les grands faits historiques de ces quinze dernières années passent en filigrane de l’intrigue mais avec plus de légèreté et moins d’acrimonie que chez les deux auteurs pré cités et les personnages émouvants et inoubliable devrait faire “Des choses sérieuses” une de leur toute première lecture d’hiver.

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24 décembre 2020

L'affaire Sparsholt d'Alan Hollinghurst

 

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Comme je l'avais fait pour « L'enfant de l'étranger », ce qui suit est plus un journal de lecture qu'à proprement dit une critique. Le texte divulgue beaucoup de péripéties qu'il est souhaitable de découvrir seulement lors de la lecture du roman. Si je vous conseille vivement de lire « L'affaire Sparsholt », il vaut mieux prendre connaissance de mon billet seulement après cette lecture.

 

Oxford, 1941 (?), les collèges sont à moitié vides. Beaucoup d'étudiants ont été mobilisés. La ville vit dans la crainte du Blitz. Trois amis, Freddie, Peter et Evert fantasment sur un nouvel élève, le beau et musculeux David Sparsholt. Ce garçon semble fasciner par son aura, inexplicablement, car pour beaucoup il n'est pas leur genre, tous ceux qui l'approchent, garçons ou filles.

La première partie soit 129 pages dissèquent avec une minutie et une acuité toute proustienne les atermoiements du coeur que David provoque sur son entourage. Ce trouble est narré par Freddie. On comprend qu'il écrit les souvenirs de cette période. Mais le lecteur ignore le nombre d'années qui sépare les événements qu'il nous raconte et le moment où il se les remémore. Ces intermittences amoureuses se déroulent sur fond de collège dont les moeurs et coutumes d'alors nous sont finement distillées au fil des pages.

 

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Ce récit, au rythme extrêmement lent, est heureusement constamment égayé, en particulier dans les dialogues, par un humour très britannique (auquel je suis très sensible, alors que je le suis peu à l'humour français, japonais ou juif, qui sont les seuls humours que je puisse répertorier n'ayant aucune idée en quoi peut bien consister par exemple l'humour lapon ou congolais...).  

A la fin de la première partie, on apprend que ce que l'on vient de lire a été trouvé dans les papiers de Freddie Green après sa mort, sans que l'on sache lorsqu'elle est advenue. Il est indiqué également que ce récit était destiné aux membres du club des mémorialistes de Cranley Gardens, Club, dont à cet instant de la lecture du roman, on ignore l'existence et donc de quoi il en retourne...

Beaucoup de questions restent pendantes à la fin de cette première partie: Pour quelle raison Freddie a t-il été exempté de service militaire actif en pleine guerre? Et que fait-il à Woodstock plusieurs jours par mois pour une activité pour laquelle il est tenu au secret?

A la fin de ce premier chapitre nous comprenons pourquoi le style de  l'écriture de celui-ci peut nous paraître à la fois élégant et légèrement compassé. Comme il l'avait fait avec le journal du vieux colonial dans « Piscine bibliothèque » ou dans le premier chapitre de « L'enfant de l'étranger », Hollinghurst s'amuse à écrire « à la manière de », ici à celle de ces écrivains maitres de leur style, mais pas complètement de leurs désirs, qui sont inconsciemment homosexuels mais dont les pulsions sont anesthésiées par leur éducation et leur souci d'intégration dans la société en cela Freddie Green est bien près d'Henry James...

 

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Dans la seconde partie nous retrouvons David et faisons connaissance, sans préambule, avec d'autres personnages dont nous ne comprenons pas immédiatement quels rapports ils entretiennent entre eux. Nous apprenons vite que David s'est marié avec Connie, sa fiancée alors qu'il était à Oxford et qu'ils ont un fils de 14 ans Johnny qui, précocement éprouve de l'attirance pour son ami Bastien, un français d'un an plus âgé que Johnny, qui passe les vacances avec lui dans la maison de vacance en Cornouaille de David et Connie. Nous ne savons pas à quelle date nous sommes. On peut seulement en déduire que nous sommes au minimum 14 ans après les événement qui nous étaient narrés dans la première partie. En fait à la page 165, il nous est suggéré que nous devons être au alentour de 1965, soit environ 25 après les fait qui nous sont racontés dans la première partie du livre. On apprend en outre que Connie à 44 ans, ce qui serait raccord. Cependant la description des vêtements que portent les personnages, des pantalons à patte d'éléphant et la voiture dans laquelle roule David, une Jensen Mark III dont le premier exemplaire est sortie des usines à l'été 1971 sème le doute quant à l'année des quatorze ans de Johnny (nous verrons ultérieurement qu'Hollinghurst à fait une erreur concernant le modèle de la voiture)...

Le fait que David Sparsholt roule en Jensen permet à l'auteur de nous suggérer plusieurs choses sur David. Ce nom de Jansen ne devrait pas dire grand chose à nombre de continentaux peu au fait des belles anglaises, à quatre roues, faut-il le préciser. Les Jansen étaient équipés d'un puissant moteur V8 Chrisler qui en faisait à son époque, une des quatre places les plus véloce sur le marché. Son prix était en rapport avec ses performances. En dotant son personnage d'un tel engin on peut penser qu'Hollinghurst nous indique que David est financièrement à l'aise et même que cette voiture est peut être un peu au dessus de ses moyens. La possession d'un véhicule autant ostentatoire dénote que David est un peu m'as tu vu et aussi peut être que cette puissante voiture le rassure quant à sa virilité...

A la page 360 on sait qu'il s'agit de l'été 1966 ce qui induit que Johnny est né en 1952. Ce qui veut dire par ricochet que David roule dans une Jansen MK II et non une MK III... 

Alors que l'écriture, à la première personne, de la première partie était élégante et fluide, celle de la deuxième partie, à la troisième personne est beaucoup plus heurtée.

Ce deuxième chapitre est une sorte de miroir du premier. L'arrivée de Bastien, tout comme celle de David précédemment trouble les sens. Johnny dans cette deuxième partie reprend le « rôle » d'Evert Dax.  

Avec le troisième volet nous nous retrouvons propulsé dans une soirée, ce qui est récurrent dans les romans d'Hollinghurst. Nous y retrouvons à la fois Evert Dax, chez qui elle a lieu, Freddie Green qui est un des invités et Johnny Sparsholt qui y arrive par hasard, rapportant un tableau peint par un certain Coyle; tableau qui décorait l'appartement d'Evret Dax lorsqu'il était à Oxford. Le lieu de la réception nous apprend ce qu'est Cranley Gardens qui était une partie du titre des écrits de Freddie Green, écrits qui constituaient la première partie du roman.

Avec ce troisième chapitre, écrit comme le deuxième à la troisième personne du singulier, on se pose à nouveau la question: quand sommes nous? Lorsque Johnny rencontre Freddie, il est étonné de sa tenue qu'il trouve bizarre pour un sexagénaire. Si Freddie avait la vingtaine en 194O, nous pourrions être au début des année 80 mais l'on sait depuis son apparition à la télévision dans le deuxième chapitre que Freddie ferait plus vieux que son âge. Au début de la réunion qui semble s'apparenter à celle d'un salon littéraire, a lieu une coupure de courant événement qui semble courant à Londres à cette époque. Cet événement situe clairement cet épisode avant l'arrivée de Margaret Thatcher au pouvoir qui date de 1979. Quant aux pattes d'éléphant elles indiqueraient plutôt le milieu des années 70. Nous serions donc aux alentours de 1975. Puis page 232 on apprend que Freddie Green a 55 ans, ce qui peut confirmer que nous sommes bien dans les parages de 1975, peut être même un peu avant. On ne tarde pas à avoir la date presque exacte  de la réunion chez Evret Dax car un des participant évoque la semaine des trois jours. Le 7 janvier 1974, le gouvernement conservateur d'Edward Heath impose la semaine de trois jours dans l'industrie britannique. Loin d'annoncer la fin du travail et la prospérité généralisée, la mesure reflète au contraire la situation désespérée de l'économie nationale, confrontée à une très dure grève des mineurs. Cette semaine des trois jours de travail est instaurée dans le but d'économiser l'énergie car l'Angleterre est à cette époque en pleine crise pétrolière. Nous sommes donc après cette date. Un autre participant au petit raout prévoit que les communistes seront au pouvoir fin février. Avec exagération ce monsieur anticipe la victoire des travaillistes aux élections générales du 28 février 1974. La réunion littéraire autour d'Evret Dax a bien lieu au tout début 1974, ce qui implique que Freddie Green soit né en 1919, alors que par exemple David Sparsholt lui serait de 1923.

Si le troisième chapitre est écrit, comme le deuxième, à la troisième personne du singulier, il en est pourtant très différent quant à sa construction. Alors que le deuxième chapitre se déroulait sur quelques jours, le troisième s'étale sur environ 8 mois. Il est composé de scènes juxtaposées que séparent le temps et l'espace.

L'ouverture de la quatrième partie est troublante. Le personnage principal en est féminin mais l'on met un certain temps à savoir que c'est une fillette de 7 ans tant ses réflexions ne sont pas celle d'une enfant mais d'une adulte. Ensuite nous retrouvons Johnny, Glover, Evert, Ivan... Nous apprenons cette fois directement que nous sommes en 1994 soit 20 ans après notre dernière rencontre avec les protagonistes du roman.

Il est dommage qu'Hollinghurst ait abimé ce chapitre  en prenant, la plupart du temps, comme observateur une fillette de 7 ans. Il faudrait une fois pour toute que les romanciers comprennent que ce que disent ou ressentent les enfants est dénué d'intérêt pour un adulte normalement constitué s'il n'a pas voué sa vie à la pédiatrie et que de toutes manières ces sentiments sont devenus inaccessibles pour un adulte pour qui, il est impossible de se glisser dans la tête d'un enfant de moins de dix ans et de le faire parler d'une façon crédible. Malgré son grand talent, Hollinghurst n'y parvient pas plus que ces prédécesseurs (par exemple que deux auteurs que j'ai lu récemment: Paul Auster et John Irving.). Je suis néanmoins persuadé que de sagaces lecteur sauront trouver des contre exemples. C'est d'autant plus dommage que dans cette quatrième partie nous apprenons bien des choses sur de nombreux personnages que nous avons croisés auparavant.  

La cinquième  et dernière partie du roman est centrée sur Johnny qui, in fine se révèle comme le personnage principal. Cette fois, il nous est dit assez vite que David va avoir 90 ans. Nous sommes donc en 2013. Johnny a maintenant 61 ans. Il est assez bluffant de constater que l'auteur est aussi à l'aise pour décrire la dictature des téléphones portables, la drague sur internet ou une soirée chaude dans une boite gay que pour rendre l'atmosphère à la fois compassée et tendue de l'Oxford universitaire durant la guerre.

Chose assez rare dans la littérature, on peut dire que « L'affaire Sparsholt » se termine bien.    

 

Dés le début de la seconde partie on comprend qu'Hollinghurst a décidé de récidiver dans le mode elliptique; dans le but sans doute d'en devenir le maitre. Je rappelle qu'il introduit cette forme dans son oeuvre depuis les modestes ellipses de The Line of Beauty , lauréat du Booker Prize. Dans lequel il se connecte avec ses personnages à trois moments différents des années 1980. Puis, il a élargi son échelle temporelle en 2011 avec The Stranger's Child, qui débute en 1913 pour se terminer en 2008, avec de multiples arrêts en cours de route. Cette fois avec L'affaire Sparsholt le point de départ est 1941 et nous quittons les survivants de la saga en 2012; ce qui fait une amplitude temporelle de 71 ans plus modeste que celle de « L'enfant de l'étranger » qui couvrait 95 ans.

Le procédé de l'ellipse est pour le lecteur, un peu pugnace et exigent un ferment à la réflexion, je dirais même à l'enquête puisqu'il l'oblige à combler les blancs du récit dans le cas d'Hollinghurst le flou qu'il met dans la datation de chacune des haltes temporelles de son roman, en n'indiquant presque jamais une date précise mais en donnant que des indices, plus ou moins fiables, sur la période à laquelle se déroule les péripéties qu'il narre, renforce encore la nécessité de la vigilance du lecteur s'il veut saisir tous les fils complexes et croisés qui lient entre eux les nombreux personnages du récit. Beaucoup de phrases sont disposées dans le texte, telles des petits cailloux blanc pour nous mettre sur des pistes, à moins que certaines soient aussi là pour nous égarer...

Ainsi pendant tout le roman son lecteur est poussé à faire de nombreuses suppositions qui sont les fruits de ses déductions en espérant que la suite du roman confirmera ses hypothèses.

Il est intéressant de constater combien notre perception d'un personnage, par exemple celui de David Sparsholt, évolue au fil du roman.

Ce n'est que page 240 que l'on commence à comprendre la pertinence du titre ...

Si le livre avec ses cinq parties finement interconnectées, commençant en temps de guerre à Oxford et se terminant à Londres, suivant un groupe d’amis, pour la plupart des hommes gays, paraît être la peinture des conséquences de leur rencontre sur leur vie avec Sparsholt, un athlète au charme fatal, le véritable sujet du roman semble devenir plus mystérieux au fur et à mesure que le livre progresse. Mais c'est l'immense assurance de la construction de « L'affaire Sparsholt », la connaissance profonde des contextes et des périodes dans lesquelles l'histoire se déroule, même si l'Histoire et la politique sont beaucoup moins présente que dans « L'enfant de l'étranger » et que dans « La ligne de beauté », le mélange d'humour cruel et de tendresse lyrique, l'intérêt insatiable pour le désir humain du plus raffiné au plus charnel, vous captivent. aussi étroitement que dans un thriller.

Le livre est aussi une charge contre un snobisme sophistiqué et vain, en grande partie aux dépens du père de Dax, un romancier célèbre mais évidemment terrible (Hollinghurst a du penser à certains de nos littérateurs hexagonaux) qui incarne le défaut que les romans de Hollinghurst semblent mépriser par-dessus tout: le mauvais art (On entre dans ses livres inquiet d'être trouvé coupable d'une erreur de goût effroyable; malheur à tout admirateur de Strauss de lisant « La ligne de beauté » , ou de Chagall lisant celui-ci).

C'est la peinture qui sert de fil rouge entre les chapitres. Il n'est pas surprenant que les lettres anglaises contemporaines mettent au coeur de leur fiction des artistes peintres quand on sait qu'avec Bacon et David Hockney le Royaume-Uni a fourni à la deuxième moitié du XX ème siècle ses plus grands peintres. « L'affaire Sparsholt » n'est pas un exemple unique, on peut aussi citer « L'écliptique » de Benjamin Wood ou « Tableau d'une exposition » de Patrick Gale.

Comme dans « L'enfant de l'étranger » Hollinghurst a mis en creux, un mystère au centre de son roman, cette fois non plus la figure héroïque d'un jeune poète mort à la guerre mais un scandale honteux qui marquera pour toujours certains des personnages.        

 

Hollinghurst c'est aussi un ton aux sensuels sous-entendus: Dans la première partie: << J'étais très content de la voir, mais l'atmosphère, qui s'était teintée d'une touche de déviance, s'altéra sensiblement quand elle entra dans la pièce. Elle n'avait pas eu le bénéfice de dix ans passés dans un internat de garçon, avec toutes ses dépravations invétérées et je doute qu'elle eût jamais vu un homme nu.>>, dans la deuxième partie: << A certains moment, les lieux étaient envahis par la boueuse et sanglante équipe de rugby ou par les rameurs épuisés qui récupéraient et étiraient leurs membres, s'examinaient tendrement dans de denses nages de vapeur, grands rassemblement et mélange de nudités.>>, dans la troisième partie: << Un moment, il se demanda si sa pulsion sexuelle n'était pas déréglée, et combien d'hommes de trente trois ans abandonnait une si grande partie de leur vie à la distraction captivante de s'imaginer le sexe quand il ne le pratiquait pas.>>.

Malheureusement pour Hollinghurst je ne crois pas que ce beau roman rencontre le succès en France. Tout d'abord parce que le lecteur hexagonal tétant l'eau tiède de la production locale n'est pas habitué à un livre d'une telle densité. Mais aussi que les sujets qui drainent le livre sont typiquement britanniques. En particulier la profession de Johnny qui s'impose petit à petit comme le personnage le plus important du récit, celle de peintre portraitiste. Cette fonction n'existe plus en France où les notables ont perdu l'habitude de se faire portraiturer, ce qui n'est pas le cas en Angleterre et en général dans les pays anglo-saxons, preuve en est la Portrait Gallery de Londres. Autres spécificités britanniques qui travaillent souterrainement le livre, l'existence en Grande bretagne d'une puissante presse à scandales et l'aura jusqu'à aujourd'hui qui nimbe la figure de l'ancien combattant en particulier ceux qui ont appartenu à la R.A.F.  

Pour pleinement apprécier « L'affaire Sparsholt », même si ce n'est pas indispensable, il vaut mieux bien connaître la culture de Royaume-Uni et même d'être atteint d'anglophilie et même d'anglomanie. 

Les lecteurs qui connaissent Londres auront aussi un surcroit de plaisir à lire ce grand roman.

L'affaire Sparsholt est à nouveau un roman magistral d'Alan Hollinghurst évoque les relations intimes d’un groupe d’amis unis par la peinture, la littérature et l’amour à travers trois générations. Il explore les révolutions sociales et sexuelles de la dernière guerre jusqu'à aujourd'hui, dont les conséquences influent encore nos vies aujourd'hui.  Une grande partie de l'action se déroule dans les interstices entre les chapitres. Les chapitres eux-mêmes passent leur temps à regarder ces événements se répercuter sur la vie des personnages toujours complexe chez Hollinghurst. Ceci est un livre sur la vie gay, sur l'art, sur la famille, mais surtout sur le passage inexorable du temps. 

 

 

 

Les principaux personnages par ordre approximatif d'entrée en scène

 

  • Freddie Green, le narrateur de la première partie, étudiant
  • Evert Dax, étudiant, fils du célèbre écrivain Victor Dax
  • Peter Coyle, étudiant et peintre
  • Charlie Farmonger, étudiant
  • Jill Darrow, étudiante
  • David Sparsholt, étudiant, 17 ans en 1941
  • Pinnock, étudiant l'ami d'enfance de David Sparsholt
  • Connie, la fiancée de David Sparsholt
  • Victor Dax, célèbre écrivain
  • Miss Holt la secrétaire de Victor Dax
  • Norma Haxby
  • Johnny, fils de David Sparsholt et de Connie, né en 1952
  • Bastien, ami de Johnny, 15 ans
  • Clifford Haxby, ami de David 
  • Glover, femme de Freddie Green
  • Denis Drury, ami d'Evert Dax, 33 ans en 1974 donc né en 1941
  • Ivan Doyle, né en 1951, ami de Johnny et d'Evert
  • Brian Savory
  • Cyril Hendi, restaurateur de tableaux, patron de Johnny
  • sir George Skipton, collectionneur
  • Francesca, fille de George Skipton
  • Una, l'amie de Francesca
  • Lucy, fille de Johnny et de Francesca, 7 ans,
  • Pat, l'ami de Johnny, restaurateur d'orgue
  • Thymotee, le camarade de jeu de Lucy 
  • George Chalmers
  • Bella Miserden, amie d'Una
  • Michael, amant de passage de Johnny
  • Graham, ami de Pat
  • Zé, ami de Johnny
  • June seconde femme de David

 

 

Pour retrouver Hollinghurst sur le blog

 

10 décembre 2020

Contrepoint d'Aldous Huxley

 

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 l'édition de poche dans laquelle j'ai découvert ce roman vers 1968

 

J’avais un grand souvenir de la lecture de Contrepoint d’Aldous Huxley, mais c’était un souvenir très flou, ma lecture datant de la fin des années 60. J’ai eu envie de retourner à ce livre, suite, à la fois a un documentaire vu sur la chaine de télévision Arte, qui présentait en parallèle les carrières d’Orwell et d’Huxley et à la publication des oeuvres d’Orwell en Pléiade, un auteur que l’on ne cessait de comparer avec Huxley dans les années de mon adolescence, associant presque automatiquement « 1984 » au « Meilleur des monde ». Ce dernier livre et son auteur étaient alors beaucoup plus connu qu’Orwell. Cinquante ans plus tard c’est Orwell qui est porté au pinacle et Huxley est presque oublié. Ce désamour de la postérité m’a donné d’autant plus le désir de me replonger dans « Contrepoint ».

 

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 L'édition française de 1950

 

Contrepoint a été rédigé en 1926 et est paru en Angleterre en 1928 et en 1930 en France. La différence entre le «contrepoint» d'Aldous Huxley et la majorité des romans classiques est l'absence d'intrigue en tant que telle; du moins dans les 5/6 du roman pour lesquels on pourrait voir les prémices du Nouveau Roman, façon Claude Simon alors que l’ombre de Dostoievski plane sur le dernier sixième du livre. Au lieu d'une seule intrigue centrale, il y a un certain nombre de lignes d'histoire tissées entre elles et de thèmes récurrents (comme dans le " contrepoint " en musique).  Mais dans ce gros roman d’environ 600 pages passent de nombreux personnages. On peut dire que Contrepoint est un roman polyphonique et même chorale puisque les protagonistes « chantent » en même temps… Comme à mon habitude lisant ce type d’ouvrage, j’en ai dressé la liste au fil de la lecture dans l’ordre chronologique de leur apparition.

Avoir présent à l’esprit, à sa lecture, la date de l’écriture du roman est important, car en bien des points Aldous Huxley s’y montre prémonitoire, en particulier en ce qui concerne l’écologie. Comme en témoigne la réponse que fait lord Edward à webley*: << Le seul résultat de votre progrès, c’est que dans quelques générations, il y aura une vraie révolution cosmique. Vous êtes en train de détruire l’équilibre. Et, en fin de compte, la nature le rétablira. Et le progrès vous fera sentir fort mal. Votre chute sera aussi rapide que votre ascension. Il faut un certain temps à un homme pour réaliser toutes ses ressources. Mais une fois qu’elles ont toutes été réalisées, il ne lui faut guère de longtemps par crever de faim.>>.

 

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 L'édition de 1950 que j'ai faite relier en un seul volume pour relire Contrepoint

 

Mais surtout, il est visionnaire dans le démontage du processus qui conduit un auditeur à être fasciné par un discours politique même s’il perçoit le ridicule des propos comme c’est le cas d’Elinor Quarle écoutant pérorer Edward webley. Huxley avait prévu Hitler.

Le roman est construit comme une suite de scènes de longueurs variables, elles se déroulent sinon simultanément du moins dans un laps de temps réduit, quelques mois. Dans chacun de ces fragments apparaissent tour à tour les personnages. Certains ne reparaissent que plus de cent pages plus loin ou pas du tout. On lit donc ce qui parait d’abord comme une suite de portraits. Ensuite La personnalité des protagonistes se dessine petit à petit au fil des conversations. Plus on avance dans le roman plus les portraits font place aux réminiscences de chacun sur leur vie. Ainsi découvre-t-on leur passé. Mais parfois on apprend un fait important sur un personnage bien des pages après l’avoir rencontré pour la première fois. Par exemple ce n’est seulement qu’aux alentours de la page 300 que l’on sait que John Bidlake, l’un des acteurs importants du roman, est marié, alors qu’on l’a déjà croisé plusieurs fois. Ces informations différées font que la perception des personnages par le lecteur se modifie au fur et à mesure que lui parviennent des nouvelles supplémentaires sur les dits personnages. C’est à la fois déroutant, agaçant et stimulant.

 

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 Huxley vers l'époque où il écrit Contrepoint

 

On a parfois fait le rapprochement entre « Contrepoint » et « Les faux monnayeurs » de Gide, ce que fait Maurois dans sa préface, certes dans les deux, il y a une esquisse de roman dans le roman et même un semblant de journal du dit roman qu’Huxley a réussi à intégrer au sien, ce que n’est pas parvenu à faire Gide. Cette comparaison entre les deux ouvrages vient  affirmation, à mon avis discutable, que ces deux romans étaient des coupes transversales du temps (c’est la justification dans une certaine mesure du titre « Contrepoint ») et non, comme dans la quasi totalité des fictions une coupe longitudinale. Pourtant c’est à un autre ouvrage que j’évoquerais pour comparer Gide et Huxley c’est « Les caves du vatican » puisque dans les deux livres rode l’idée du crime gratuit. Ici Maurice Spandell qui me parait par ailleurs être un personnage dostoïevskien, ressemble à Lafcadio alors que son compère Illidge semble tout droit sorti « Des possédés ».

Stylistiquement plus qu’à Gide c’est à Vargas Llosa (j’ignore s’il a lu « Contrepoint ») avec son chef d’oeuvre qu’est « Conversation à Catédral » que m’a fait songer « Contrepoint » car sur la même page on trouve enchâssé  deux conversations, ici, ne venant pas d’époques différentes, mais de lieux différents; ce qui me parait être une construction singulière.

 

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 Oswald peint par Philpot

 

Dans ce type de roman dont les personnages appartiennent à la haute société ou à l’élite intellectuelle on a tendance à en chercher les clés (voir pour cela la liste des personnages); ce qui est rarement profitable à la lecture mais il est difficile de faire autrement. Par exemple pour Webley, il est évident que le modèle, ou plutôt sa préfiguration, en est Oswald Mosley qui fut le chef d’un éphémère parti fasciste anglais (le New Party). On ne peut qu’être admiratif de la prescience d’Aldous Huxley qui fait créer le mouvement initié par Webley aux alentours de 1925, alors que le New Party est né qu’en 1931! Mais il est vrai qu’un certain nombre d'autres groupes fascistes ont précédé le parti de Mosley, le plus important étant les fascistes britanniques. , et peut-être l'un de ceux-ci a pu être l'inspiration de Huxley. Lors de la réimpression de 1996 de Point Counter Point , le fils de Mosley, Nicholas, a réfuté que son père ait été le modèle de Webley. Dans une nouvelle préface au roman, David Bradshaw a fait valoir que la source la plus probable de Webley est John Hargrave , le fondateur de The Kindred of the Kibbo Kift . Il me semble que Bradshaw fait là une confusion. S’il est sûr qu’Hargrave et ses idées sont présents dans le roman c’est beaucoup plus dans la figure de Mark Rampion que dans celle de Webley. Pour Mark Rampion, Blake a été le dernier civilisé. C’est son modèle comme il le fut pour Hargrave ou Chubb. Rampion et… Huxley défendent une morale de l’instinct, de vivre aussi bien par le corps que par l’esprit d’où les vive diatribe contre ceux qui religieux comme saint François ou athée comme Shelley ont voulu sacrifier le corps.

 

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 Hargrave en tenue de Kibbo Kift, vers 1927

 

  

On peut aussi assez facilement imaginer qu’Huxley a fait du personnages de Philip Quarles, un écrivains, son double et plus ou moins son porte-paroles. Huxley s'inspire de sa propre existence. Par exemple, cet enfant malade dont les sens s'éteignent renvoie aux problèmes de vue lors de son adolescence, problèmes qui l'ont dispensé d’être mobilisé pendant la première guerre mondiale, tout comme son personnage Philip Quarles, blessé à la jambe dans sa jeunesse. Comme Philip Quarles, Huxley a fait un grand voyage en Inde. Huxley s’est aussi projeté dans le personnage de  Mark Rampion, écrivain et peintre qui est profondément critique vis à vis de la société. Il sert de prétexte à de passionnants monologues qui expriment peut-être une partie de la pensée de l'auteur. Quand au savant fortuné qu’est Edward Tantamount, l’auteur n’a pas eu à chercher bien loin. C’est un mixte de Son grand-père, Thomas Henry Huxley, qui est un des plus importants naturalistes du xixe siècle, surnommé le « Bouledogue de Darwin » et de son frère Julian Huxley qui est un biologiste connu pour ses théories sur l'évolution. Il est l’inventeur en 1957 du terme  transhumanisme. 

« Contrepoint » est en partie ce que l’on appelle un roman à idées et n’échappe pas toujours aux défauts inhérents à ce type d’ouvrage. Certains personnages ont tendance à être stéréotypés et parfois semblent n’être là que pour la parole qu’il délivre sans avoir une réelle épaisseur. Très habilement par l’intermédiaire de Philip Quarles dans le roman même expose l’inconvénient d’écrire un roman à idées:<< Le défaut d’un roman à idées c’est qu’il faut peindre des personnages qui ont des idées à exprimer, ce qui exclut neuf cent quatre vingt dix neuf millième de la race humaine.>> d’où le panel élitiste formé par les personnages de « Contrepoint ».

Comme l'indique le titre, Huxley place les théories que prône ses personnages dans une sorte de composition musicale: on obtient d'abord la présentation d'une vue, puis la vue opposée se développe, en va-et-vient tout au long de l'œuvre. 

Le fait d’avoir fait d’un des personnages principaux du roman un écrivain permet à Huxley d’exposer ses théories sur l’écriture: << Il faut autant de travail pour écrire un mauvais livre qu'un bon ; il sort avec la même sincérité de l'âme de l'auteur.>> et d’émettre quelques sentences définitives telles que << Le bonheur, c'est comme le coke - c'est une chose qu'on obtient comme un sous-produit de la fabrication d'autre chose.>> ou encore: << Le silence est aussi plein de sagesse et d'esprit en puissance que le marbre non taillé est riche de sculpture.>>

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 La première édition de Contrepoint

 

« Contrepoint » n’est pas qu’un roman à idées, ni seulement un travelling sur l’intelligentsia anglaise des années folle c’est aussi une autopsie du couple, un peu à la manière de Chardonne, ou plutôt des couples en l’occurence principalement trois, ceux des Quarles, celui que forme Walter Bidlake et Majorie Carling et celui des Rampion, deux échecs pour une réussite… 

Les idées, les principes, les choix des personnages sont souvent émis lors de conversations. Ce qu’a très bien évoqué Gide dans son journal à propos d’Huxley, alors que dans ce même journal auparavant il avait écrit ne avoir pu arriver au bout de la lecture de « Contrepoint » (piètre lecteur pour une fois oncle André): << Les idées que l’on recueille dans les conversations ou dans les livres (nombre de gens n’en ont pas d’autres) se développe en nous parfois à la manière de greffes Il advient même qu’elles foisonnent beaucoup plus que celles nées de notre propre sang.>> André Gide, journal, 12 octobre 1937.

Le plus gros défaut de ce qui aussi une satire de la vie mondaine et intellectuelle d'un petit milieu londonien est  que justement ce milieu est petit et est rendu encore plus petit par quelques ficelles romanesques qui font que les protagonistes de cette histoire ne font que se croiser, parfois de façons bien artificielles, si bien qu’on a l’impression que Londres n’est pas une ville tentaculaire mais un villages dont les habitants ne peuvent s’éviter… Cette satire a pour contrepoint le discours qui perle tout au long du roman sur la perversité de la civilisation moderne. Perversité liée à la surproduction et surtout lié à la rupture le corps et l'esprit crée par la société technicienne. Huxley est un précurseur de la décroissance. Si parfois ces péroraisons se transforment en tunnels narratifs. Elles sont néanmoins très intéressante et l’on s’aperçoit qu’Huxley a prophétisé la plupart des maux qui ont accablés le XX ème siècle et accablent le XXI ème.

La relecture de « Contrepoint » m’a fait réaliser combien les grands romanciers anglais sont reliés ensemble, beaucoup plus que leurs homologues français. Bien des fils, le style, la construction du roman, la société observée…, pas tous et pas toujours les mêmes, unissent Jane Austen, Galsworthy, Virginia Woolf, Aldous Huxley (pour Contrepoint mais aussi pour Jaune de Chrome), Rosamond Lehmann, Elisabeth Jane Howard, Jonathan Coe, Alan Hollinghurst… On peut même associer à cette nébuleuse des auteurs de littérature dite plus « légère » comme Agatha Christie, Dorothy Sayers ou Nancy Mitford. Les successeurs d’Huxley ont tiré quelques leçons de certains défauts de « Contrepoint » comme le nombre trop grand de personnages par rapport à la pagination du livre. On voit bien que le nombre de 600 pages n’était pas suffisant pour traiter équitablement tous les personnage et que l’auteur a du en abandonner quelques un qui avaient un fort potentiel romanesque lord Tantamount par exemple. Elisabeth Jane Howard développe sa « La saga des Cazalet » sur près de 1500 page en 5 tomes et il en faut à peu près autant à Jonathan Coe pour tisser sa toile autour de Benjamin Trotter.  

Autre différence entre le roman français et le roman anglais la place des femmes beaucoup plus importante dans la littérature anglaise que dans la littérature française. Tout d’abord parce que plusieurs grands romanciers sont des romancières, ceci expliquant peut être en partie cela. Et d’autre part à lire plusieurs de ces auteur(e)s s’intéressent particulièrement à la condition féminine qui est bien décrit; c’est un sujet très présent dans nombre d’oeuvres; on ne peut en tirer que le constat de leur asservissement dans une société qui les condamne, pour les classes inférieures, à un travail sans fin et, pour les classes supérieur, au lourd ennui du désoeuvrement. Si « Contrepoint » est un roman typiquement anglais pourtant le francophile et francophone Aldous Huxley cite à plusieurs reprises des écrivains français, Cocteau, Gide, Proust, Beaudelaire, Balzac, Rabelais et plus surprenant de nos jour Fabre et Paul Bourget. Comme je l’ai signalé plus haut on peut trouver une certaine parenté de contrepoint avec la construction gidienne et puis ce sont deux écrivain qui ont mis la musique au coeur de leurs textes: « Ce que je voudrais faire, comprenez-moi, c’est quelque chose qui serait comme L’Art de la fugue », affirme Édouard chez André Gide, tandis que le Philip Quarles d’Aldous Huxley plaide pour une « musicalisation du roman »;  mais des écrivains français, par le type d’humour c’est de Proust qu’Huxley est le plus proche. Les deux écrivain étant virtuose pour pénétrer dans l'esprit mesquin de nombreux personnages apparemment si content d’eux même, comme ici Burlap. 

D’une manière très étonnante il n’existe pas d’édition récente pour un livre de cette importance. Si la traduction me semble correcte, elle accuse néanmoins son âge, elle date de 1930, donnant par exemple le prix des choses à Londres…. En francs! 

« Contrepoint » offre pendant plus de 600 pages la fréquentation de gens, presque tous intelligents. C’est très agréable…

 

 

* Vous pouvez vous référer à la liste ci-dessous des personnages pour en savoir un peu plus sur ceux qui figurent dans mon texte. 

 

 

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Les personnages de Contrepoint par ordre approximatif d'entrée en scène:

 

  • Walter Bidlake , un jeune journaliste. Homme faible et inefficace, Walter vit avec Marjorie Carling
  • Marjorie Curling, une femme mariée dont le mari refuse de lui accorder le divorce. Marjorie est enceinte de l'enfant de Walter, mais leur relation se désintègre, en grande partie parce que Walter est tombé désespérément amoureux de Lucy Tantamount 
  • Lucy Tantamount, sexuellement agressive et indépendante (basée sur Nancy Cunard , avec qui Huxley a eu une liaison tout aussi insatisfaisante que celle de Walter avec Lucy)
  • John Bidlake , le père de Walter, un peintre (basé sur Augustus John ). Il est célèbre pour son travail et pour sa vie amoureuse scandaleuse. Cependant, ses peintures récentes montrent un déclin créatif, qu'il reconnaît lui-même mais refuse d'admettre.

 

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Ci-dessus deux tableaux d'Augustus John. Dans Contrepoint il est plusieurs fois question d'un tableau célèbre de John Bidlake: Les baigneuses.

 

  • Hilda Tantamount, mère de Lucy Tantamount, ancienne maitresse et modèle de John Bidlake, épouse d'Edward Tantamount et grande prétresse de soirées mondaines elle est inspiré de  Lady Ottoline Morrell .
  • Edward Tantamount, richissime aristocrate qui est aussi un grand biologiste, inspiré par par Julian Huxley, le frère d'Aldous.
  • Madame Logan, mère de Polly
  • Polly Logan, fille de madame Logan
  • Mary Betterton, sorte de madame Verdurin anglaise (La recherche du temps perdu est cité page 123) ancienne modèle de John Bidlake.
  • Illidge, assistant d'Edward Tantamount dans ses travaux scienntifiques et par ailleurs communiste convaincu.
  • Everard Webley, polititien démagogue chef du parti fasciste "Les anglais libres". Il est par ailleurs amoreux d'Elinor Quarles.
  • Brokle, lieutenant de Webley et amoureux de Polly Logan 
  • Denis Burlap , rédacteur en chef de Walter Bidlake. Basé sur John Middleton Murry , Burlap est dans ses écrits et son image publique un chrétien et un moraliste angoissé et auto-accusateur mais son comportement privé, cependant, il est calculateur, avare et libidineux. Il vit avec Beatrice Gilray (basée sur Dorothy Brett , peintre), qui à trente-cinq ans reste vierge, après avoir été molestée dans sa jeunesse; depuis quelque temps leur relation est platonique, mais Burlap réussit à la séduire. Le roman se termine par le fait qu'il a obtenu plusieurs milliers de dollars pour un livre, St François et la psyché moderne , et profite d'une soirée de plaisir sensuel avec Béatrice.
  • Philip Quarles , un écrivain (un autoportrait de Huxley) et sa femme Elinor, . Ils reviennent de l'Inde en Angleterre. Quarles est un homme renfermé, cérébral, mal à l'aise avec le monde quotidien et ses émotions; 
  • Elinor Quarles, épouse de Philip Quarles et la fille de John Bidlake. Elinor aime son mari, mais est tentée de s'engager dans une liaison avec l'audacieux et séduisant Everard Webley...
  • Le général Knoyle, beau-père de Maurice Spandell
  • Maurice Spandrell , un intellectuel à la recherche désespérée et sans succès de preuves du divin dans sa vie (basé sur Charles Baudelaire , qui bien sûr n'a pas vécu à l'époque de Huxley). Pendant des années, Spandrell s'est consacré au vice et la méchanceté délibérée pour provoquer une réaction de Dieu. Il a trouvé un certain plaisir dans la corruption d'une jeune fille innocente... Sans activité professionnelle, Il vit au crochet de sa mère Il est l'ami de Mark Rampion de Philip Quarles, de Walter Bidlake, d'Illidge. A la fin on peut le voir comme le deus machina du roman. 
  • Mark Rampion , écrivain et peintre. Inspiré àla fois par Hargrave et DH Lawrence , qu'Huxley admirait beaucoup, Rampion est un féroce critique de la société moderne. 
  • Mary Rampion, femme de Mark Rampion (d'après la femme de Lawrence, Frieda). Un chapitre complet du flashback montre la rencontre puis le mariage de Rampion avec Mary.
  • Ethel Corbett, la secrétaire de Burlap
  • Phil, le fils de Philip Quarles et d'Elinor
  • Miss Fulkes, la préceptrice de Phil
  • Janet Paston, l'épouse de John Bidlake
  • Sidney Quarles, extérieurement impressionnant, il est en réalité prétentieux, faible et vélléitaire. successivement député sans éclat puis homme d'affaires en faillite, il s'est retiré de la vie publique, soi-disant pour se concentrer sur la rédaction d'une vaste et définitive étude de la démocratie. En fait, il n'a rien écrit, mais il emploie une secrétaire, Gladys dont il fait sa maitresse.
  • Rachel Quarles épouse de Sidney et mère de Philip
  • Gladys la maitresse de Sidney
8 septembre 2020

LA LIGNE DE BEAUTÉ D'ALAN HOLLINGHURST

 

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Alan Hollinghurst a voulu écrire, avec sa “Ligne de beauté” (Le livre de poche n° 30881, ou Fayard) son “A la recherche du temps perdu". Une recherche britannique dont le narrateur serait Swann. Ici il se nomme Nick et il a une vingtaine d’années. Grâce à l’ acuité psychologique des observations de l’auteur et à sa posture devant la famille Fedden, le personnage de Nick fait beaucoup penser au Swann face aux Guermantes; mais lors des dîners, ce n’est pas à une Odette que pense Nick mais à un Léo qu’il enculerais dans le parc...

Lorsque commence le roman, Nick est un jeune étudiant en lettre, frais émoulu d’Oxford, où il s’est lié d’amitié (platonique, ce qui le ronge) avec Toby, le fils d’une riche famille aristocratique, les Fedden. Nick prépare un travail sur Henry James, le Maître, figure tutélaire de “La ligne de beauté”. Tout comme Swann, Nick n’appartient pas à la classe qu’il fréquente. Il n’est que le fils d’un petit antiquaire de province.

Les Fedden ont loué, pour une somme symbolique, une chambre à Nick dans leur vaste et somptueuse demeure londonienne. Très vite le jeune homme fait comme partie de la famille. Il sert un peu de chaperon à Catherine la jeune sœur de Toby qui est maniaco-dépressive. Les Fedden reçoivent beaucoup. Toute la maisonnée gravite autour du père, Gérald, au tournant de la quarantaine, ambitieux et récent député tory. Il a été élu lors du scrutin qui a juste suivi la guerre des Malouine. Scrutin qui a conforté le pouvoir de Margareth Thatcher. Cette dernière fascine toute une société hédoniste et égoïste de fils de famille, de politiciens ambitieux, d’affairistes cupides et de lady désœuvrées...

Pour continuer à filer la comparaison avec le monument proustien, la révolution conservatrice reagano-thatchérienne est un peu l’affaire Dreyfus de “La ligne de beauté”. Elle en est la rumeur, comme l'est « l'Affaire » dans « La recherche ».

Si Nick a réussi si bien à s’incruster chez les Fedden, c’est peut être encore plus grâce à l’amitié de Rachel, la mère, qu’à celle du fils. Rachel voit en Nick un succédané de son fils qui s’ apprête à quitter le foyer familial pour convoler avec une jeune actrice prometteuse, elle aussi issue d’un milieu fortuné.

 

Dans la première partie du roman, “Accord d’amour, 1983”, Nick est un de ces héros miroirs qui ne vivent que par le reflet des autres mais qui absorbent la lumière plus qu’ils ne la réfléchissent; ce qui est un type assez courant d’homosexuels.

Nick, par petites annonces (on voit par ce détail combien le livre, publié en 2004 en Angleterre, s’inscrit dans une époque bien précise, pas si lointaine, mais déjà totalement révolue) s’est trouvé un petit ami en la personne de Léo, un noir d’un milieu modeste, d’une dizaine d’années de plus que lui.

Avec cette relation Nick est écartelé entre son snobisme de fréquenter une famille beaucoup plus huppée que celle dont il vient et ce que je nommerais l’appel de la bitte en l’ occurrence du sphincter, Nick étant l’actif du couple; il est aussi typique de ces gays qui ne sont attirés que, ce qu’il y a entre le caramel et le chocolat... Je parle de la couleur de peau, bien entendu...

Dans la deuxième partie de l’ouvrage, nous retrouvons notre héros narrateur après un saut de trois années. Nous passons en 1987, en tournant une page. 

Le lecteur abordant cette seconde époque, à peu près d’une égale longueur à la première, est légèrement désorienté, tant il a du mal à reconnaître Nick, qui d’étudiant timoré a tourné quelque peu gigolpince. Il est à la fois l’amant et l’employé, dans une maison de production de films, plus virtuels que réel, d’un de ses anciens camarades d’Oxford, Wani que l’on avait fugitivement croisé au début de l’ouvrage. Ce dernier est le rejeton d’un richissime homme d’affaire libanais qui chassé par la guerre dans son pays a fait fortune en Grande-Bretagne dans les... supérettes! On le voit Nick est toujours attiré par la sombritude... Cette famille libanaise donne l’occasion à Alan Hollinghurst de nous prouver son brio dans l’art du portrait psychologique. Wani est le type même du fils à papa dont l’intelligence est étouffée par la fainéantise et la veulerie. Tandis que son père est la figure archétypale du boutiquier enrichi qui tente sous le parfum de l’or de dissimuler vainement les remugles du bazar d’où il vient.

Cette deuxième époque est elle même divisée en deux parties. La première se déroule dans le manoir que les Fedden possèdent dans le sud de la France. Alors que la deuxième est la description de la fête que Gérald donne dans sa demeure londonienne en l’honneur du premier ministre qui est croqué avec une verve plus admirative que sarcastique. Nick parviendra même à danser avec elle! Ce qui ne l’empêchera pas, quelques minutes plus tard, de sodomiser un serveur mulâtre... Dans ce dernier passage, Hollinghurst retrouve  une crudité descriptive dans les scènes de sexe qui étaient fréquentes dans “La piscine bibliothèque” mais qui jusqu’à ce passage était absente de “La ligne de beauté”.

La troisième et dernière partie est la plus courte, une centaine de pages, elle nous propulse en 1987 soit un an après les fastes et flonflons de la fête pour la Dame comme la désigne les personnages du roman. Le nom de Margareth Thatcher n’est jamais cité.

C’est curieusement dans ce relativement mince chapitre que l’auteur fait entrer le romanesque, malheureusement un peu prévisible, dans son ouvrage qui était jusqu’alors surtout descriptif. En quelques scènes et une nette rupture de ton, il réussit à insuffler de l’émotion dans son roman qui n’était jusqu’ici que brillant et qui se transforme ainsi en un grand livre.

Lors de la sortie du livre de Tristan Garcia, “La meilleure part des hommes” (éditions Gallimard) on a présenté ce livre comme le roman des années 80 vu “de gay”, « lieu » que l’auteur, tout n’étant pas de “la famille” jugeait être la meilleure hune pour observer la société de ces années là. La comparaison du livre de Garcia avec celui d’ Hollinghurst est écrasante pour le français. L’anglais a écrit un chef d’oeuvre qui fait revivre toute une époque, alors que Garcia, à cette aune, apparaît comme un opportuniste laborieux.

Hollinghurst, avec “la ligne de beauté”, apporte talentueusement son tribu à un genre très britannique, la peinture corrosive des classes dirigeantes. Mais contrairement à un Coe par exemple, on ne sent jamais chez lui une acrimonie fielleuse envers les puissants. En un mot le romancier n’écrit pas, comme la quasi totalité de ses confrères, un roman de travailliste de gauche (qui n’est pas le blairisme). On  trouve chez l’auteur ni mépris, ni jugement condescendent envers ses personnages, pas même un reproche, seulement une distance, juste un peu navrée. Son rapport avec ses créatures fait plus penser à celui qu’entretient Galsworthy avec ses Forsyte qu’à la posture que prenne les romanciers contemporains avec leurs héros. A propos d’Hollinghurst on peut également convoquer ses compatriotes Evelyn Waugh et Oscar Wilde ou encore Will Self , pour “Dorian” (éditions Point seuil) sa version moderne du “Portrait de Dorian Gray”. 

“La ligne de beauté a remporté le Booker Prize 2004, et on comprend pourquoi malgré quelques défauts de construction, des longueurs dans les deux premières parties et une fin un peu attendue et légèrement escamotée : c’est un ouvrage magnifique et émouvant ! C’est la première fois que ce prix récompense un roman ouvertement homosexuel, et comme l’ont expliqué les jurés, il ne faut pas réduire l’intrigue à cette seule dimension, mais y voir également une vision intéressante de l’époque où la Grande-Bretagne était gouvernée par la Dame de fer. La ligne de beauté a été adapté pour la télévision britannique ...

 

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Certains livres vivent en moi bien longtemps après leur lecture, sans doute les bons. J'y repense, je les remâche, y réfléchis. Tel est le cas de "La ligne de beauté".

Il me semble que ce livre est d'autant plus proustien qu'il n'y a pas chez Nick une absolue continuité psychologique, à tel point qu'à l'entame du deuxième chapitre on a  de la difficulté à reconnaitre  en lui le héros de la première partie. Mais comme pour le narrateur de "La recherche" on a le sentiment d'une réinvention du moi profond de Nick à chaque chapitre du roman qui correspond à trois phases de la vie du personnage.

 

Nota:Alan Hollinghurst est le fils unique d'un banquier. Il est né le 26 mai 1954 à Stroud dans le Gloucestershire. Étudiant à Oxford, il eut comme colocataire le poète Andrew Motion et fut récompensé par le Newdigate Prize, prix attribué à la poésie. Il a collaboré au Times Literary Supplément. On peut donc supposer que la “La ligne de beauté” a été écrit de “l’ intérieur”... Son premier roman, “la Piscine-bibliothèque” (éditions Christian Bourgois) dont l’écriture est plus précieuse que celle de “La ligne de beauté”, fait très rapidement de Hollinghurst l'un des plus célèbres écrivains gays contemporains (même s'il n'aime guère l'étiquette, à ses yeux trop limitative, d'écrivain gay).

 

Pour retrouver Hollinghurst sur le blog 

COMMENTAIRES LORS DE LA PREMIERE PARUTION DU BILLET

La première partie de votre compte-rendu me fait penser au film de Woody Allen, Point Break : l'arrivisme par la beauté, la séduction homoérotique, l'alliance forcée avec la soeur, l'amante fantasque et actrice... Évidemment revu par Woody.
COMMENTAIRE N°1 POSTÉ PAR ARGOUL IL Y A 4 JOURS À 12H05

La ligne de beauté est un livre moins léger que le film de Woody Allen, qui est un de mes cinéastes de prédilection, j'ai beaucoup aimé son dernier film qui tombait bien à Paris, l'automne dernier avec la superbe exposition sur les Stein au Grand Palais. Le roman se veut et réussit à être une peinture d'époque, sa force est de n'avoir pas fait de son personnage principal un arriviste mais plutôt un indécis qui se laisse porter (et peut être détruit ) par les hasard de la vie 

RÉPONSE DE LESDIAGONALESDUTEMPS IL Y A 4 JOURS À 17H33
effectivement, "la piscine bibliothèque" et "la ligne de beauté" sont également des livres très importants pour moi. j'espère voir rapidement traduit en français, "the stranger child", le dernier opus de hollinghurst... sinon, je finirai par le lire en anglais (ce qui ne me pose aucun problème si ce n'est que ça me provoque une flemme immense). :o)
sinon, je ne sais plus si vous connaissez le (télé)film, plutôt réussi me semble-t-il, de "la ligne..."
COMMENTAIRE N°2 POSTÉ PAR PÉPITO IL Y A 3 JOURS À 00H34

Le succès de "stranger child" en Angleterre ne devrait pas trop nous faire attendre quant à sa traduction en français que j'attend comme vous. En ce qui concerne La ligne de beauté, lors d'un salon du livre j'avais demandé à Christian Bourgois s'il comptait le publier après nous avoir fait découvrir l'auteur avec La piscine bibliothèque, ce pourtant excellent éditeur m'avait répondu que c'était trop mauvais pour cela. Il arrive aux meilleurs de se tromper. Ceci dit Hollinghurst n'a pas eu avec Laligne de beauté beaucoup d"échos en France. 

Je connais l'adaptation en téléfilm di livre qui est bonne et à voir. Elle est sous la forme de deux fois 1h30 et disponible en dvd en Angleterre (sans sous titres français ou autres). J'ai même fait un billet sur ce film mais il est passé à la trappe lors du naufrage de mon précédent blog. Et je ne parviens plus à mettre la main sur ce texte mais il va peut être néanmoins réapparaitre... 

RÉPONSE DE LESDIAGONALESDUTEMPS IL Y A 3 JOURS À 06H43
même si mon exemplaire est britannique et sans sous-titres, le dvd a bien été édité en France :

http://www.amazon.fr/La-ligne-beaut%C3%A9-Edition-DVD/dp/B000OCXNWQ/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1331448361&sr=8-1
COMMENTAIRE N°3 POSTÉ PAR PÉPITO IL Y A 3 JOURS À 07H47

Je ne pense pas qu'il soit édité en France au sens strict mais importé car il aurait été interdit d'éditer une oeuvre en France sans sous titres ou V.F. Enfin peu importe l'important est qu'on puisse voir ce film 

RÉPONSE DE LESDIAGONALESDUTEMPS IL Y A 3 JOURS À 09H39
4 juillet 2020

Etés anglais de Jane Elisabeth Howard

 

 

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Etés anglais est le premier tome d’une pintalogie (si l’éditeur français édite la totalité de la saga et respecte le découpage initial) intitulée « La saga des Cazalet » qui couvrira les années de 1937 à 1958. Ce titre fait immédiatement songer à une autre saga anglaise célèbre, celle des Forsyte de John Galsworthy. Elizabeth Jane Howard (1923-2014) explore le même monde que son prédécesseur, soit la grande bourgeoisie anglaise, mais un demi siècle plus tard puisque les étés dont il est question sont les étés 1937 et 1938 durant lesquels  3 générations de la famille Cazalet, grand-parents, parents et enfants vivent à Home place, la vaste propriété du patriarche, sise dans la  verte campagne du Sussex à une quinzaine de kilomètres d’Hasting. Je rappellerais que la saga des Forsyte commence en 1887. La concordance des dates à 50 ans d’écart  ne peut pas être un hasard. Pour l'ampleur de cette série de romans, On peut aussi évoquer les ouvrages de Jonathan Coe comme « Bienvenue au club » et ses suites. 

Il ne faudrait pas s’imaginer, en dépit du titre, que la saga des Cazalet serait une sorte de remake de celle des Forsyte. C’est beaucoup plus fort, et ce n’est pas rien puisque John Galsworthy a obtenu le prix Nobel de littérature pour son grand oeuvre; ce qui n’était pas immérité. La supériorité de Jane Elisabeth Howard sur son prédécesseur se situe principalement sur deux points; d’abord celui de faire exister en un peu plus de 500 pages une cinquantaine de personnages beaucoup plus que dans les romans de Galsworthy et deuxièmement de les faire parler et réfléchir chacun d’une voix singulière. Ce qui est surtout remarquable est que la romancière se mettent à chaque fois à hauteur de chaque personnage et qu'ils paraissent tour à tour le personnage principalde cette histoire, alors qu’ils sont d’âge et de conditions sociale différente alors que les personnages des Forsyte sont plus homogène, et qu'il n'ont ou n'auront pas une place identique dans la saga. 

Le roman d’Elizabeth Jane Howard constitue un document précieux sur les rituels et les mentalités du monde de la grande bourgeoisie anglaise d’avant-guerre, monde qu’elle a connu dans son enfance. Cette fresque familiale est profondément humaine et chaleureuse. Les enfants y occupent une place très importante. « Etés anglais » se révèle dès les premières pages très addictif. On sent d’emblée que Jane Elizabeth Howard aime profondément tous ses personnages même s’ils ne sont pas toujours aimables. Elizabeth Jane Howard entraîne le lecteur avec une grâce indicible, une poésie sage, rayonnante d'humanité au coeur de la vie intérieure de chacun de ses  personnages. On partage leurs émotions , leurs faiblesses , leurs préoccupations… On découvre les loyautés cachées ou non de cette famille anglaise nombreuse et de ses satellites, du patriarche vieillissant, à la femme de chambre, de la cuisinière dévouée, au nouveau-né William si attendrissant en passant par la ribambelle des cousins et cousines. 

Par le biais de ses personnages, Elizabeth Jane Howard n'hésite pas à aborder des sujets graves, tels l'antisémitisme, l’angoisse de la maternité, la différence d'éducation offerte aux filles et aux garçons, le désir ou la frustration sexuelle, l’inceste et surtout la condition des femmes, alors soumises au désir des hommes … On voit combien avant la contraception et le droit à l’avortement, la venu d’un enfant, arrivée souvent inopinée, pesait sur la femme et parfois mettait sa vie en danger. L'auteur distille ces réflexions au coeur de sa construction narrative avec beaucoup de finesse. Alors que l’on l’impression qu’il ne se passe pas grand chose dans ces vies pourtant il y a tout cela et encore bien d'autres choses. Comme trop souvent, on a jamais le sentiment que Jane Elizabeth Howard charge par un surplus d’évènements sa barque narrative, tout simplement parce que l’on suit une cinquantaine de personnages et que ces graves questions sont vécues individuellement que par quelques uns dans cette cohorte. Paradoxalement cette polyphonie sauve le roman du trop plein. 

Nous entrons véritablement dans la tête de chacun des acteurs de ces « Etés anglais ». Les monologues intérieurs sont fréquents et cette fois c’est bien sûr à Virginia Woolf que nous pensons. Ce qui est remarquable dans « Etés anglais » c’est que l’auteur réussi a faire parler et penser chaque personnage selon son âge et sa condition. Même si l’auteur n’a bien sûr pas chercher à vouer un nombre de lignes égales à chacun, on peut dire que chaque acteur de cette histoire est traité d’une manière identique que ce soit un enfant de 9 ans, un grand bourgeois de 40 ans ou une domestique rien de plus égalitaire que ce roman d’ailleurs il s’ouvre et se ferme sur des paragraphes dans lesquelles figurent, pour le début une jeune femme de chambre et pour la fin, la vieille préceptrice désargentée des enfants de la famille.

Il reste néanmoins que la narration est principalement centrée sur les familles des trois fils du patriarche Cazalet, Hugh, Edward et Rupert respectivement âgés en 1937 de 41, 40 et 34 ans. Chacun ont plusieurs enfants et une domesticité. On les découvre, comme nous tous, ambivalents; tel goujat avec les femmes peut-être le plus attentionné des frères ou une mondaine superficielle peut aussi connaitre le désespoir.

Quant au style narratif, le plus notable, et le plus évident à remarquer est que nous sommes toujours dans le présent des personnages; ce qui est assez exceptionnel dans l’univers romanesque. Je m’explique presque dans tous les romans les personnages reviennent artificiellement sur leur passé, ce que l’on ne fait que rarement ou du moins que par courtes bribes dans la réalité. Cet artifice sert à informer le lecteur du passé de tel ou tel acteur de l’histoire. Dans « Eté anglais » ce n’est jamais le cas. Chacun est trop occupés à vivre son présent, même si celui-ci ne parait pas toujours trépident, pour avoir le temps à de longues remémoration de leur vie passé. A l’exception de la vieille préceptrice, qui a un regard rétrospectif sur sa vie et semble au bout de son chemin. Cette exception est très habile car elle renforce le présentisme des autres.  

Ce choix narratif force le lecteur a imaginer ce qui c’est passé avant cet été 1937 durant lequel nous faisons connaissance abruptement d’une foule de personnages. Par exemple nous ne savons rien, du moins dans ce premier tome, de l’origine de la fortune de la famille Cazalet. On peut imaginer qu’elle n’est pas ancienne et que c’est William Cazalet dit le Brig qui en est le principal responsable et qui est peut être à l’origine de la belle aisance familiale. Il a 77 ans lorsque nous le rencontrons, et est toujours très actif en affaire malgré son déclin physique.

"Eté anglais" illustre subtilement la théorie qu'a élaborée David Lodge dans "L'art de la fiction" pour les romans d'Ishiguro, celui du narrateur peu fiable. En effet les évènements nous sont révélés à travers les yeux d'une personne et parfois ensuite par le prisme d'une autre. On s'aperçoit alors qu'elles n'ont pas vêcu la même chose. Si le narrateur peu fiable n'est pas au coeur du livre dans "Etés anglais" comme il l'est dans par exemple dans "Un artiste du lmonde flottant", la lecture du roman de Jane Elisabeth Howard demande au lecteur de ne pas toujours prendre pour argent comptant les dires des uns et des autres.

Le roman s’attache surtout à décrire le quotidien estival de cette grande famille, jeux de plages et pique-niques, lectures, dîners, soirées passées auprès du gramophone... Il décrypte les rouages de l’organisation de la maisonnée. Les enjeux dramatiques sont néanmoins très bien dessinés. Les mésententes familiales ou conjugales, les émois amoureux, les petites et grandes mesquineries, les élans de générosité, les blessures de guerre qu’on panse tant bien que mal, et la crainte qu’une seconde guerre éclate sont autant de thèmes prédominants.

 

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Si la grande Histoire est présente dans le roman, elle est à sa juste place et n’intervient que lorsqu’elle peut bouleverser le quotidien de la famille et de son entourage, par exemple les accords de Munich. La plupart des Cazalet sont bouleversé par la possibilité d’une guerre, beaucoup la juge inévitable. Ils craignent même que les allemands débarquent. Ils seraient alors en première ligne…

Le livre est divisé en deux parties, chacune correspondant à un été, première partie 1937, deuxième 1938. Ces parties ne sont pas chapitrées. Le texte est divisé en paragraphe qui sont chacun dévolu à un personnage. Les paragraphes sont de différentes longueurs d’une page à une dizaine. Ils sont séparés par trois astérisques disposés en triangle.

Comme je l’ai souvent mentionné j’ai la bonne habitude, lorsque je lis un roman chorale de dresser la liste des principaux protagonistes. Je fais suivre chacun des noms de quelques mots mentionnant leur états et les rapports qu’ils entretiennent avec d’autres personnages. Jane Elizabeth Howard a eu la riche idée de faire précéder son texte par, d’une part l’arbre généalogique des Cazalet, et d’autres part de la liste de la progéniture des quatre enfants du patriarche ainsi que la liste des domestiques attachés à chaque maison. Cette judicieuse initiative pourtant ne dispense pas de mon utile habitude car si cette famille est particulièrement endogène, des éléments qui lui sont étrangers ont autant de place dans le récit que les Cazalet et puis ces préambules font l’impasse également sur les cousins dont certains sont importants dans le récit.

La traduction d’ Anouk Neuhoff me parait parfois un peu rapide même si je n’ai pas sous les yeux le texte original il me parait douteux que l’auteure dans ses descriptions de personnes ait autant employé le terme osseux. Il est bien connu que la langue anglaise pour ce genre de chose offre de nombreuses possibilités, il aurait été judicieux que la traductrice se plonge plus dans son dictionnaire des synonymes… Il reste que le français proposé est d’une très agréable lecture.

Cette saga a été adoptée en série pour la BBC en 2001, The Cazalets, et quarante-cinq épisodes diffusés sur Radio 4 l’année suivante.Elle est devenue un classique contemporain au Royaume-Uni.

 

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Elizabeth Jane Howard était chic talentueuse et belle selon David Lodge (sa beauté est confirmée par la photographie) dans son essais sur Kingsley Amis, le troisième époux de Jane qui se serait grandement inspirée de sa propre famille pour écrire la saga des Cazalet. La mère de l’auteur était également une danseuse qui a renoncé à sa carrière pour se marier comme l’épouse d’Edward Cazalet. Elizabeth Jane Howard a été éduquée par une gouvernante pendant que ses frères avaient le droit d’aller au collège (en pension), comme les enfants d’Edward… L’auteur, après sa séparation d’avec le romancier Kingsley Amis, cherchait à la fois des ressources financières et un sujet de roman capable d’absorber ses pensées. Pari réussi avec la saga des Cazalet. Les quatre premiers volumes ont paru entre 1990 et 1995, le dernier, réclamé par les fans de Howard, en 2013, quelques mois avant son décès.

On doit cette édition à Alice Déon, fille de Michel Déon, bon sang ne saurait mentir… On peut tout de même s’étonner qu’un ouvrage d’une telle qualité ait mis trente ans pour traverser la Manche!

J’avais bien déjà lu le nom d’Elisabeth Jane Howard dans des articles consacrés à la littérature anglaise mais je serais certainement passé à coté de cette merveille sans la beauté de sa couverture due à Mathieu Persan. 

 

 

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29 juin 2020

LES ÎLES DU SOLEIL DE IAN R. MACLEOD

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Contrairement à “La séparation” dont je vous parlais dernièrement “Les îles du soleil” est une pure uchronie. Dans ce livre le fameux point divergent se situe en 1918. La Grande Bretagne a perdu la Première Guerre mondiale. Une partie de ses colonies sont devenues des mandats de la Société des Nations créée à l'issue du conflit. La défaite a eu pour conséquences la dépression, la honte puis la révolte, une crise d'hyper-inflation, des poussées de gauchisme politique ou culturel, une indépendance de toute l'Irlande en 1923... Churchill a été premier ministre mais ne s'en est pas très bien sorti. Oswald Mosley a tenté de redresser le parti travailliste avec une même absence de succès (dans notre histoire Oswald Mosley a quitté le parti travailliste pour créer un parti fasciste anglais avec un succès limité, dès les début de la guerre il sera emprisonné dans son pays. Il mourra quelques années plus tard oublié). Et puis un jeune ancien combattant John Arthur sorti de nul part avec son parti, ultra-nationaliste, se fait l'écho des peurs, des répulsions, des fantasmes des citoyen moyen... Il est appelé à Downing street son accession au pouvoir rappelle celle d’Hitler mais aussi celle de de Gaulle... Ian MacLeod excelle à rendre par ses seules descriptions aussi efficace que poétiques l’ atmosphère qui règne dans ce pays déchu. En voici quelques exemples: «Le palais (de Buckingham) fleure un mélange discordant de cire à bois, de lys, de naphtaline, de cuir neuf, de fond de teint et d'eau de Cologne.» «Une femme qui ressemble à la Reine de Cœur s'époumone à une fenêtre des étages par dessus l'avalanche cuivrée des cloches résonnantes.» «Il semble donc exact qu'une fois nu, l'être humain s'avère d'une décence inouïe. Voilà comment nous devrions tous vivre.» «En fait, j'attends toujours que ma vie commence, alors qu'elle ne va pas tarder à s'achever...», «En ce long mois d'août, la Très-Grande-Bretagne toute entière dérive doucement sur des bouffées de parfum vanille ou pissenlit, portée par le vacarme étourdissant des fanfares.» Dés les premières pages le lecteur s’aperçoit de la qualité d’écriture de l’auteur. La seule faiblesse du livre est de trop calquer la situation d’une Angleterre défaite avec celle de l’Allemagne dans l’Histoire que nous connaissons; mais c’était inévitable puisque le message sous-jasent dans le livre de MacLeod est qu’aucun peuple n’est à l’abri d’une folie comparable à celles qui saisit l’Allemagne dans notre réalité en 1933 pour peu que les conditions le permettent. MacLeod par là n’envisage pas Hitler comme un accident de l’histoire mais le fruit vénéneux de conditions économique. Ce brillant roman cache, entre autres, une vision marxiste de l’Histoire. Mais paradoxalement le coté uchronique du roman n’est peu être pas le plus important, tant le personnage principal est fouillé et devient attachant au fil des pages. La surprise qui nous cueille d’entrée n’est pas due aux supputations historiques mais à la nature même du héros que l’on en juge par les premières phrases des “îles du soleil”: << Ce soir comme presque tous les dimanches soirs, un message de ma relation m’attend sur le mur du troisième box des toilettes publiques pour hommes de Christ Church Meadow”. Il fut un temps où nous testions la craie, mais tout est nettoyé si régulièrement, de nos jours, qu’on nous l’effaçait souvent. Depuis nous nous débrouillons en plantant l’ongle du pouce dans la peinture moelleuse.>>. Le ton est donné et vous avez compris que l’on suit cette histoire à travers les yeux d’un personnage gay, Geoffrey Brook, qui doit dissimuler son homosexualité dans un monde furieusement homophobe qui n’est pas sans rappeler le film V et pas seulement sur ce point. John Arthur, chef charismatique du Parti Moderniste, héros de la guerre, issu d’un milieu très modeste a accédé au pouvoir dans la période trouble qui a suivi la défaite de l’Angleterre. Il a redressé son pays qui est devenu la Très-Grande-Bretagne. Il est intéressant que Ian MacLeod est choisi de faire de ce leader fasciste un personnage qui n’est pas qu’antipathique et dont la description fait un peu penser au leader belge fasciste de l’entre deux guerre Léon Degrelle... MacLeod prête au dictateur une personnalité ambiguë qui renvoie à ce que l'on appelle "la banalité du mal". Le romancier fustige surtout l’apathie, d’un peuple démissionnaire devant la force et qui a sa part de responsabilité dans la situation politique du pays. Le roman de MacLeod décrit très bien l’ambiance d’un pays viciée par une veule complicité dans une Angleterre grisâtre et sinistre où chaque citoyen est sommé de la croire obligatoirement en des lendemains radieux qui en fait ne cache qu’ un désespoir profond. Nous faisons connaissance avec Geoffrey Brook dans les années trente alors qu’il est professeur d’anglais dans un médiocre lycée de la petite ville de province où il est né. Il y traîne une existence grise sans avenir. Sa vie nous est narré en flash back. Nous apprenons que cet apparent homme sans qualité à connu un grand amour juste avant la guerre de 14 avec un jeune et beau commis d’une librairie. Leur idylle a été interrompu par la guerre. Le jeune homme y trouve la mort. Geoffrey Brook est brisé. Cette histoire racontée avec beaucoup de talent et de sensibilité par Ian R. MacLeod aurait fait seul déjà une très belle nouvelle. Il est tout à fait exceptionnel dans un roman de genre de voir des personnages aussi denses et émouvant. Inopinément Le petit professeur est nommé dans une prestigieuse université et devient un des intellectuels phare du régime! Le titre du roman doit son nom aux îles où l’on déporte les juifs, au nord de l’Ecosse disons que ce n’est pas là la meilleure partie du livre car pas complètement crédible. Les explications de Ian R. ne sont pas complètement convaincantes quand aux raisons de ces déportations à trop vouloir coller l’histoire de la Très Grande Bretagne à celle, de l’Allemagne nazi sans prendre assez en compte la différence entre les mentalités anglaises et allemandes. Il est dommage que Ian McLeod ne s'attarde pas plus sur la nouvelle conjoncture internationale qu’il a créé où un axe franco-allemand démocratique affronte un axe logique dans ce contexte entre la Russie stalinienne et le Royaume-Uni fascisant, les Etats-Unis de Roosevelt restant repliés sur leur scène intérieure.Si cette situation est plausible dans le contexte du roman on s’étonne tout de même de certaines évolutions comme celle de l’Italie qui vaincue aurait évolué de la même manière que l'Italie victorieuse mais frustrée, et se serait retrouvée avec Mussolini à sa tête. De même pourquoi une France vaincue n'aurait pas subi la même évolution que la Grande Bretagne. Si à mon tour je m’amuse au jeu de l’uchronie dans une après guerre où la France aurait été vaincu j’aurais bien vu par exemple le colonel de La Rocque, qui n’était pas sans ressemblance avec John Arthur, prendre le pouvoir. Pourquoi la France aurait elle été mieux immunisée que la Grande-Bretagne contre la tentation de la dictature. Il est à mon avis peu probable que la France en cas de défaite se soit doter d’ un gouvernement socialiste dirigé par Léon Blum puis d’un gouvernement ultra-nationaliste dirigé par un De Gaulle qui rappelons le serait resté un parfait inconnu sans la seconde guerre mondiale. Comme vous pouvez le constatez voilà un livre qui fait aussi réviser la vraie Histoire du vingtième siècle. UNe bonne connaissance de celle-ci augmentera encore le plaisir de la lecture des “Îles du soleil”. En 1940 Geoffrey Brook est détenteur d’un terrible secret qui pourrait changer le cours de l’histoire. Je ne peux guère vous en dire plus sans tuer le suspense du roman qui comporte plusieurs retournements de situation dont le plus important est tout de même un peu téléphoné. L'éditeur évoque “Le maître du Haut-Château” de Dick, grand classique de l’uchronie, mais le roman de MacLeod possède une qualité d'écriture et une subtilité dans l'analyse socio-historique bien supérieur à celles de l'écrivain américain. C’est dire la qualité de l’ouvrage. Ecrit d’une belle plume, avec une belle histoire d’amour “Les îles du soleil offre une alternative historique crédible avec un vrai point de vue sur la morale de l’Histoire. Ian MacLeod avec sa remarquable acuité psychologique démontre une fois de plus que de grands auteurs peuvent se trouver dans le rayon Science fiction. Ian R. Mac Leod (http://www.ianrmacleod.com), d'origine écossaise, est né en 1956 à Solihull, une petite ville du centre de l'Angleterre proche de Birmingham. Dés l’enfance Ian Macleod est avide de lecture. Dans une belle interview (www.actusf.com/spip/?article3775), il parle ente autres de ses jeunes années:<<Je suis un pur produit des banlieues ouvrières de Birmingham des années 50/60. J’ai grandi dans des HLM, et y ai passé énormément de temps à me balader et à rêvasser. Les livres ne m’intéressaient pas vraiment, jusqu’à ce que je découvre John Wyndham.>>. Très jeune donc il dévore presque exclusivement, que de la science-fiction et se régale des auteurs de la New Wave anglaise tels Michael Moorcock, Roger Zelazny, Samuel Delany, Harlan Ellison. Ses livres préférés sont "Dune " de Frank Herbert, et "2001" de Arthur Clarke. A 15 ans il entreprend sa première tentative romanesque. Il imagine une uchronie dans laquelle le Troisième Reich a réussi a atteindre les mythiques 1000 ans de règne. Mais ce roman ne sera jamais terminé... Il ne découvre la littérature générale qu’ avec les études. Il admire alors T.S. Eliot et D.H. Lawrence. Il n’abandonne pas pour autant la science-fiction et découvre Ballard et Silverberg. Il rêve de mixer toutes ses admirations. Aujourd’hui ses écrivains préférés Scott Fitzgerald, Marcel Proust, et John Updike. Autant de noms qui font comprendre l’importance que revêt le style pour MacLeod. Après des études de droit et un mariage. Il devient fonctionnaire. C’est une période où il s’éloigne un peu de la lecture et de l’écriture. Mais bientôt ses anciennes passions le reprennent. Il écrit plusieurs romans qui sont refusés par les éditeurs. Ian MacLEOD tente un format plus court et se recentre sur les genres qui ont animés son enfance : la SF, le fantastique, parfois l’horreur. Et voici que, au bout de quelques temps, la volonté paie : MacLeod vend sa première nouvelle au magazine Weird Tales. Puis une seconde à Interzone. Une troisième à Asimov’s. Si bien que dans les années, 90, Ian MacLeod est une signature récurrente des périodiques de genre. Il figure parmi les auteurs repris régulièrement dans l’anthologie Year’s Best SF... on le traduit dans plusieurs langues... Il publie un premier roman en 1997 “The Great Wheel” mais c’est avec le second, ces Îles du soleil qu’il conquiert la reconnaissance mais pas dans son pays où n’est paru que la nouvelle qui serait la première mouture du livre. Il faut donc féliciter Thibaud Eliroff (le directeur de la collection) pour avoir eu l'audace de faire traduire un livre non encore publié et, en passant, Michelle Charrier pour l'élégance et la finesse de sa traduction, qui compte tenu de l’écriture de Ian MacLeod est véritable tour de force. Suivent "The Light Ages" paru en 2003 et sa suite “House of Storms" qui se situe dans une Angleterre victorienne uchronique où la découverte d’une substance magique appelée aether donne naissance à une révolution industrielle d’un type nouveau. Ian R. MacLeod vit aujourd'hui à Bewdley dans le Worcestershire. 

6 mai 2020

Le coeur en exil de Rodney Garland

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mai, 2020 

 

La période est propice aux rangements de bibliothèques. En y manipulant les volumes, on s’aperçoit que certains ont mystérieusement disparu, sans doute dévorés par les bibliothèques livrophages alors que d’autres s’y trouvent dont on ignorait tout et sans que l’on sache comment ils sont arrivés là. C’est le cas de ce « Coeur en exil » dont je vais vous entretenir.  

Londres, 1950, Julian un avoué d’une trentaine d’années est retrouvé suicidé chez lui. Il était fiancé à une riche héritière. Cette dernière trouve dans le sous main du bureau du jeune homme une enveloppe vide sur laquelle est écrit un nom et une adresse, celle du docteur Tony Page. Elle se rend à celle-ci et rencontre le praticien, un psychiatre de l’âge de Julian. Les deux hommes ont été amants lorsqu’ils avaient 20 ans. Ce fut même le seul amour de Tony. Ann ne sait rien de la bisexualité de son ancien fiancé et Tony Page se garde bien de l’informer de cette particularité. Elle a aussi trouvé une lettre tendre adressé à Julian qu’elle croit signée d’une femme. Considérablement troublée, elle propose au docteur Page d’entrer en thérapie avec lui ce qu’il accepte. Par ce biais et des recherches tout azimut Tony va enquêter sur les raisons du suicide de son ancien ami.

Le docteur Page est le narrateur de ce roman, écrit à la première personne du singulier; on a ainsi le sentiment de lire une confession.

Le roman comporte trois voie que l’auteur va développer en parallèle: premièrement l’enquête de Tony sur le suicide de son ami qui est l’ossature principale du livre ce qui l’apparente à un roman policier par sa construction et induit un suspense narratif, deuxièmement un documentaire sur la vie gay londonienne au début des années cinquante et troisièmement un plaidoyer pour la dépénalisation de l’homosexualité en Angleterre. Rodney Garland parviens assez bien à mêler les trois. 

L’enquête de Tony est le prétexte pour nous faire découvrir le Londres gay (pardon homophile puisque fidèle à la terminologie de feu Arcady, c’est ainsi que sont désigné les homosexuels dans le livre.). Un milieu bien particulier contraint à une quasi clandestinité car alors, contrairement à la France par exemple, les relations homosexuelles même entre adultes consentants sont passibles des tribunaux. Mais malgré tout une vie gay existe néanmoins avec ses lieux, ses codes, ses personnalités, ses gigolos, ses truqueurs, ses entremetteurs… Dans un chapitre, Garland décrit longuement le subtil manège de la drague dans un pub. C’est un morceau d’anthologie! 

Pour les besoins de son enquêtes Tony rencontre plusieurs spécimens de cette faune. Ainsi un député regrettant que la condition de l’ouvrier se soit améliorée, rendant sa chasse plus difficile et le gibier plus exigeant, un beau numéro de cynisme dont j’ai déjà entendu l’équivalent sous nos cieux… Autre type celui du militaire nostalgique de la promiscuité fraternelle, et parfois plus que cela, à la guerre. Au passage on voit combien le retour à la vie civile pour certains est difficile et combien toute la société britannique a été traumatisé par la guerre. Cependant  durant cette période a régné une permissivité sexuelle inédite sur les bord de la tamise. Autre cas un patient que le docteur Page soigne, Dighton, un jeune ouvrier gay qui voudrait guérir de son homosexualité. Là encore ce voyage dans le temps nous rappelle que l’homosexualité était considérée et vécue par certains comme une maladie.

Si la promenade dans le monde homophile londonien de 1950 est sociologique, il est aussi géographique, avec ses bars particuliers, ses clubs et ses salles de sport dans lesquelles on vient se muscler mais aussi faire des rencontres.

Outre l’aspect documentaire sur un milieu en un lieu et une époque ce qui fait également la valeur de ce roman c’est la qualité du rendu de la psychologie des personnages à commencer par Tony Page à la personnalité complexe qui oscille entre l’acceptation de sa sexualité et la honte qu’il éprouve à être homosexuel. En outre sa qualité de médecin psychiatre a tendance à le faire regarder les autres en surplomb avec le regard froid du scientifique qui se méfie de ses affectes. Ce qui l’amène parfois à proférer des généralités sur l’homosexualité qui peuvent paraitre aujourd’hui absurde ou peut être paraitre absurde parce que la franchise du docteur Page envers les autres et surtout lui même est dérangeante, comme ce qui suit: << L’homophile, ou du moins certains types d’hémophile, possède parfois une plasticité féminine qui le rend capable de gravir l’échelle sociale, d’assimiler la culture d’un milieu supérieur, sous toutes ses formes, morale comprise. Dighton était de ceux là.>>. Ce qui est très déconcertant et même déstabilisant pour le lecteur dans « Le coeur en exil s’est le mélange indissociable sur l’homosexualité dans les propos de Tony, évidemment le porte-parole de l’auteur de finesses psychologiques et de clichés.

Ce qui pourra choquer aujourd’hui se sont les nombreuses généralités sur la classe ouvrière qui parsèment le roman dans presque tout les chapitre. Encore une fois en lisant un roman anglais on s’aperçoit de la prégnance de la hiérarchie sociale dans la société anglaise, une société de classes presque étanche. Ces généralités pour être dérangeantes ne sont cependant pas toutes erronées.

Le livre donne une explication convaincante sur les raison de l’attrait qu’exercent les jeunes hommes des classes populaires (qui sont dénommés les durs par le traducteur!) sur les bourgeois homosexuels anglais. Cette appétence sexuel des homosexuels intellectuels, artistes et personnes de la gentry anglaise pour des personnes de condition et de culture inférieure à eux m’a toujours étonné. Forster, Bacon, Auden, Isherwood en sont de bons exemples, certes Benjamin Britten est un contre exemple. Rodney Garland par l’entremise du froid docteur Page avance que c’est le surcroit de virilité que suppose le bourgeois aux garçons issus du peuple qui explique le gout des membres des classes supérieures pour eux. L’aristocratie cultivant cette vision romantique et sexuée du prolétaire qui serait la cause non seulement du désir charnel pour eux mais aussi, c’est évoqué en passant l’attrait pour le communisme des étudiants d’Oxford et de Cambridge… Un des personnages du roman quitte son jeune amant car celui-ci voulant ingénument ressembler à celui qu’il aime perd son accent (très important les accent chez les britanniques) s’habille comme son ami et prend des cours du soir pour s’élever socialement dès lors il ne correspond plus à l’objet érotique de son ami qui l’abandonne.

Il n’est pas utile d’avoir le texte original sous les yeux pour s’apercevoir que la traduction est en de nombreux points fautive. Donc si vous avez la maitrise de l’anglais procurez vous la version originale qui est d’ailleurs beaucoup plus facile à trouver que la traduction française car si le livre est passé inaperçu en France il a eu un gros succès dans son pays d’origine et est régulièrement réédité. Ceci dit vous vous priveriez de la préface de ce cher de Ricaumont qui est assez hallucinante, on y trouve des énormités, en général totalement en contradiction avec le roman comme celles-ci: << Nul n’ignore que la plupart des jeunes anglais se livrent à l’homosexualité dans les collèges et les universités avec la même ardeur qu’au base-ball et qu’à l’âge du golf nombre de colonel en retraite y cèdent de nouveau. Dans l’intervalle ils ont mis au service de leur pays les solides qualités de leur race, qui vont  de la loyauté à l’humour, et patriote jusque dans leur vie sexuelle, ils se sont mariés pour donner des fils à l’Angleterre. Bref ils pratiquent une homophilie saisonnière inséparable, comme la rougeole et les rhumatismes, de certaines périodes de l’existence…>> ou plus loin << Le véritable drame de l’homophonie lui échappe, qui n’est pas d’être bafoué, traqué, persécuté, mais de faillir à sa vocation surnaturelle. Car si la raison bronche devant le mystère du plan divin: la condamnation dès leur naissance d’un certain nombre de ses enfant à une sainteté à laquelle ses serviteurs eux mêmes ne sont qu’appelés, si la plupart trahissent cette mission dont les exigences, diraient les jansénistes, excèdent les grâces qui l’accompagnent, il n’est pas téméraire de penser que Dieu, puisqu’il les éprouve plus que les autres et leur demande plus qu’aux autres, avait pour eux une dilection particulière, qu’il les avait proprement élus.>>. Nous voilà rassuré ce cher compte de Ricaumont est aujourd’hui en bonne place à la droite du seigneur!

« Le coeur en exil » est, certes par certains cotés daté mais il n’est pas obsolète pour autant.

 

 

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Nota

Cet ouvrage, publié pour la première fois en 1953 à Londres a une petite histoire dans la vie des lettres anglaises son auteur est Adam de Hegedus, un hongrois né en 1906, qui, à la suite d’un séjour en Angleterre avec ses parents quand il était encore collégien, tombant amoureux du lieu avait décidé plus tard de s’y établir, ce qu’il fit devenant un journaliste assez connu. Peut être l’exemple d’Oscar Wilde qui l’incita pour la parution du « Coeur en exil » un des premiers romans anglais à traiter frontalement de l’homosexualité de prendre un pseudonyme. Il pris beaucoup de précautions afin que l’identité de Rodney Garland ne fut jamais trahis. Ce qui fut le cas jusqu’à sa mort en 1956. Auparavant la recherche du véritable nom de l’auteur avait beaucoup occupé le microcosme des lettres londoniennes. On avait ainsi attribué le livre tour à tour à Graham Green, Somerset Maugham ou Angus Wilson… 

 

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5 avril 2020

Le fond des forêts de David Mitchell

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David Mitchell a eu bien raison d'écrire son livre de souvenirs sur son enfance, surtout et d'abord parce que c'est un beau livre mais aussi du fait qu'il a rendu son double, Jason Taylor, très sympathique, il met tout lecteur qui a lu « Le fond des forêts » en bonne disposition pour aborder les autres volumes de son oeuvre.

Le fond des forêts (Black Swan Green en version originale) est l'histoire du jeune Jason Taylor, treize ans, qui vit à Black Swan Grenn, dans le quartier le plus bourgeois de ce bourg qui se situe dans le Worcestershire (au centre de l'Angleterre entre Birmingham et Oxford pour vous situer). Il a un bégaiement qu’il a surnommé « le pendu » (c’est dire s’il l’étouffe); il parvient au prix d'immenses efforts, à le dissimuler à presque tous, il est embarassé par son âme de poète qu’il faut à tout prix dissimuler sous peine d’être traité de « tarlouze », il n'est pas le garçon le plus populaire de son l'école, il brise la vénérable montre ancienne de son grand-père, relique familiale que lui a donnée son père, et il y a quelque chose de bizarre et de désagréable entre ses parents qu'il ne veut pas comprendre.

Il n'est pas difficile, malgré le contexte extrêmement anglais (les nombreuses références à la civilisation britannique peuvent déconcerter au début mais ensuite, grâce aux utiles notes en bas de page de l'excellent traducteur qu'est Manuel Berri, elles procurent un exotisme confortable) , de se reconnaître dans Jason, mis à par que vous comme moi, vous n'étiez pas aussi sensible et intelligent que ce garçon, car nos parents avaient aussi des problèmes de couple et s'en prenaient parfois à nous sans raison. Nous nous sommes également chamaillés avec nos frères et nos sœurs. Nous avons été irritable avec nos amis. Nous avons tentés de faire des choses pas très belles pour se rendre populaire auprès des copains... C'est la sincérité des réactions de Jason face à ces situations qui rend l'histoire tellement convaincante. Ce qui fait de Jason un garçon aussi attachant c'est qu'il réagit toujours à la hauteur de ses treize ans tout en étant toujours surprenant pour le lecteur et parfois pour lui même.

David Mitchell a précisément daté son livre. Nous sommes en 1982. Les anglais ont gagné la guerre des Malouines, très présente dans un des chapitres. Margaret Thatcher est au sommet de sa popularité. Cette peinture de l'Angleterre blanche et provinciale de 1982 m'a fait rêver. On y trouvait encore de beaux garçons de quinze ans qui lisaient et admiraient Owen, Brooke et Orwell... Je doute que cela existe encore trente ans plus tard...

« Le fond des forêt » est une belle illustration des bienfaits de la contrainte. En effet si Jason n'avait pas eu ce bégaiement qui l'oblige à être plus spectateur qu'acteur, alors qu'il n'est en rien introverti, à réfléchir au mot qu'il va employer pour ne pas buter dessus et ainsi faire une constante recherche de vocabulaire, il aurait certainement rejoint les barbares poilues comme les appelle sa vieille amie madame de Crommelynck. Jason n'aurait pas écrit de poèmes et David Mitchell, victime du même embarra de langue que Jason ne serait pas l'écrivain qu'il est.

Le chapitre dans lequel madame de Crommelynck dialogue avec Jason et lui tient des propos, qui pour certains lui passent très au dessus de sa tête, même s'il se rend compte de l'importance de cet instant où pour la première fois un adulte s'adresse à lui comme s'il était son égal est un grand moment d'émotion et de littérature.

Madame de Crommelynck, personnage hautement romanesque, en regard de l'esquisse d'intrigue que Mitchell introduit à son propos dans le fond des forêts pourrait bien réapparaitre dans un prochain opus du romancier. Elle le mérite.

Il y a des castes à l'école, de la même façon qu'il y a des castes dans la société indienne. Il y a le brahmane, la plus haute caste, que tout le monde honore. Il y a les intouchables, la caste la plus basse, que tout le monde évite. Et puis, il y a certaines castes dans le milieu dont personne ne se préoccupe vraiment de sauf si vous êtes dans l'une d'elles. La plupart des gens appartiennent à ces obscures castes intermédiaires, habituellement personne ne s'en soucie beaucoup. Il faut remercier David Mitchell d'avoir choisi son héros parmi elle.

Cette peinture extrêmement fine du quotidien d'un collégien dans l'Angleterre profonde, mais déjà investi par les rurbains, avec les brimades sadiques qu'endure Jason de la part de certains de ses camarades m'a choqué. Me souvenant de mes lointains treize ans et de ma scolarité, je n'ai jamais été témoin d'une telle méchanceté gratuite. Est-ce à dire que les petits français sont plus civilisés que les petits anglais? Ou que les garçons du début des années 60 avaient plus d'humanité que ceux du début des années 80? Où encore est-ce le contexte économique et politique, très dure en Angleterre en 1982 qui favorise la cruauté chez les jeunes? Autant de questions dont je ne connais pas les réponses mais que le livre force son lecteur à se poser.

Une autre réflexion qu'amène la description du quotidien de Jason est que celui-ci est plus près de celui des garçons du « Grand Meaulnes », sous l'égide duquel son auteur a placé « Le fond des forêts », que celui d'un pré-adolescent d'aujourd'hui. Il n'y a pas encore d'ordinateur individuel, pas de consoles de jeux, elles n'en sont encore car leur balbutiement et il faut aller dans les salles d'arcade pour jouer et bien sûr pas de téléphones portable et autres intrusions messagières dans le fil des jours, une autre époque vous dis-je...

Si j'ai cité « Le grand Meaulnes » c'est que Mitchell revendique ce parrainage pour son ouvrage. Madame de Crommelynck donne le roman d'Alain Fournier à lire, en français, à Jason. Pourtant on pense plus à cet autre livre contemporain du « Grand Meaulnes » qu'est la guerre des boutons de Pergaud mais une guerre entre enfants beaucoup plus noire et violente que celle décrite par Pergaud, d'une cruauté digne de sa « Majesté des mouches » que Mitchell cite également. Mais il est vrai que tout comme Alain Fournier, Mitchell à l'art d'instiller du fantastique dans les replis des paysages. Il sait retranscrire les histoires que les jeunes garçons se racontent pour « épouvanter » la réalité (parmi les romanciers contemporains, je ne connais que Robert McCammon avec son « Mystère du lac » pour avoir fait aussi bien).

On remarquera que tout comme dans ses deux premiers romans (en fait le premier et le troisième car le deuxième number9dream n'est pas traduit en français, encore un petit effort messieurs dames des éditions de l'Olivier), Mitchell procède pour la construction de son ouvrage par une succession vignettes plus ou moins longues. Les treize chapitres de ce livre de 474 pages sont chacun des petits bijoux de nouvelle qui pourraient se lire indépendamment les unes des autres; visiblement l'auteur a du mal avec les transitions, ce qui nuit à la continuité de son récit; celle-ci, contrairement à ses autres livres, est néanmoins grandement aidée par le choix d'un narrateur unique s'exprimant à la première personne, souvent en des monologues introspectifs d'une grande intelligence, mais cependant, et c'est la grande réussite du livre, toujours crédible pour les treize ans de Jason. L'écrivain a réussit à corriger ce défaut de discontinuité dans son dernier roman, Les mille automnes de Jacob de Zoet . Ce véniel défaut du « fond des forêts » fait que l'on a l'impression que tout ce qui arrive à Jason, sauf les deux derniers chapitres, est simultané, alors que le récit se déroule sur un an.

Au propos de la nature de ses livres, recueils de nouvelles ou romans, David Michell répondait dans une excellente interview (en intégralité: http://seren.dipity.over-blog.fr/article-33254048.html): << Je crois que tous les romans sont faits de nouvelles dont les débuts et les fins se mélangent et se fondent. J'espère que Le Fond des Forêts peut également être lu comme un recueil de nouvelles, et d'ailleurs certains des chapitres ont été publiés en tant que nouvelles pendant que je l'écrivais. Les nouvelles relèvent d'un art plus élevé et plus exigeant que j'espère découvrir en vieillissant et en m'adoucissant.>>.

Avec beaucoup de malice, pour circonvenir l'exercice mémoriel et pour l'inscrire dans la continuité de son oeuvre, alors que "Le fond des forêts" est en rupture avec ses premiers romans, Mitchell introduit un des personnages de « La cartographie des nuages » que l'on retrouve soixante ans plus tard et qui m'a irrésistiblement fait penser à Marguerite Yourcenar, si celle-ci n'avait pas choisi comme thébaïde une ile du Maine mais un ancestral presbytère du Worcestershire... Je ne vous en dirais pas plus sur l'identité de ce revenant pour ne pas déflorer cette jubilatoire surprise.

Dans l'interview, déjà citée préalablement, Mitchell s'explique pour quelle raison, il a entrepris l'écriture de « Fond des forêts »: << J'ai effectué beaucoup de recherches pour Cartographie des Nuages (bien qu'on soit loin des recherches pour le nouveau), alors Le Fond des Forêts fut une sorte de vacance pour moi en termes de recherches. Je voulais également écrire un livre qui m'aide à me comprendre davantage, ce que je n'avais jamais fait avant. Avant Le Fond des Forêts, j'avais évité les personnages pris dans des tourmentes familiales - ils étaient libres, flottants et sans famille, comme les personnages chez Murakami - mais en devenant papa, je me suis intéressé davantage aux situations familiales complexes comme sources d'inspiration pour ma fiction.>>.

Il était de bon ton, avant la mode de l'envahissante auto fiction, de se moquer des auteurs qui écrivaient leurs souvenirs lorsqu'ils étaient encore jeunes, et bien je pense que c'est un tort car si David Mitchell avait attendu son « Fond des forêts aurait perdu en fraicheur.

En outre d'avoir écrit ce merveilleux livre qui m'a procuré tant de plaisir, je suis reconnaissant à David Mitchell d'avoir mis en scène un garçon qui n'aime pas ses parents d'une façon immodérée (il faut dire que ce fut mon cas); cela nous repose de tous ces livres, généralement assez mauvais dans lesquels l'auteur hisse laborieusement son géniteur (curieusement plus souvent que sa génitrice) sur un piédestal qu'il voudrait inexpugnable.

Jason fait parti de ces êtres de papiers dont j'aimerais beaucoup avoir des nouvelles, connaître la suite de son histoire. C'est malheureusement rare de retrouver un personnage dont pourtant vous vous êtes senti si proche le temps d'une lecture, mais avec David Mitchell je ne désespère pas tant il est enclin à faire revivre ses créatures de livre en livre. Je rêve que Jason Taylor devienne l'Antoine Doisnel de David Mitchell.

  

Black Swan Green

 

 

2 avril 2020

Michael Llewelyn Davies

  

unbearabilityofbeauty: Michael Llewelyn Davies a été l'inspiration pour JM Barrie Peter Pan. Il s'est noyé dans des circonstances suspectes avec un ami proche - et possible amant juste avant son 21e anniversaire.

  

Michael Llewelyn Davies a été le garçon dont s'inspira JM Barrie pour Peter Pan. Il s'est noyé dans des circonstances suspectes avec un ami proche , et possible amant, juste avant son 21 ème anniversaire.

  

 

Coupure de presse rapportant les décès de Michael Llewelyn Davies et son amant Rupert Buxton, 1921

Coupure de presse rapportant les décès de Michael Llewelyn Davies et de son ami Rupert Buxton,1921

 

mattsvintage: deviatesinc: Michael Llewelyn Davies et Lytton Strachey, 1920 photo par Lady Ottoline Morrell Michael Llewelyn Davies a été l'inspiration pour le personnage de Peter Pan. Il s'est noyé à l'âge de 20 dans un pacte de suicide avec son amant possible Rupert Buxton. Llewelyn Davies n'a pas été la source d'inspiration pour Peter Pan - qui était le frère aîné de Barrie décédé dans un accident de patinage sur glace la veille, il se tourna quatorze et est restée jeune dans les yeux de leur mère pour toujours. Qu'est-ce Llewelyn Davies a été le modèle pour la statue de Peter Pan érigé dans les jardins de Kensington, mais c'était un ensemble de photographies de Llewelyn Davies âgés de six ans qui ont été utilisés. Ah! Merci.
photo de Lady Ottoline Morrell, Michael Llewelyn Davies et Lytton Strachey, 1920 .

  

D'autres sources indiquent que Llewelyn Davies n'aurait pas été le modèle pour Peter Pan, mais ce serait son frère aîné Barrie décédé dans un accident de patinage sur glace la veille de ses quatorze ans et ainsi serait  resté jeune dans les yeux de sa mère pour toujours. Cette dernière version me parait plus compatible avec la date de parution de Peter Pan. En revanche c'est bien Llewelyn Davies qui a été le modèle pour la statue de Peter Pan érigé dans les jardins de Kensington,en fait la sculpture a été faite d'après un ensemble de photographies de Llewelyn Davies âgés de six ans .

 

barrie_0

 

25 mars 2020

L'âge des lumières de Ian MacLeod

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J'ai une lubie commune à bien des lecteurs. Lorsque j'ai aimé le livre d'un auteur, je désir impatiemment lire tous les ouvrages de celui-ci. J'ai ainsi dévoré, au cour de ma déjà longue existence, la quasi totalité de l'oeuvre de nombre d'écrivains qui n'ont qu'assez peu de rapports entre eux, à moins que vous trouviez à la liste qui suit, une ligne directrice qui m'aurait échappé. Je peux donc citer la liste des auteurs dont j'ai lu ainsi la quasi totalité des livres qu'ils ont écrits, ceci en remontant des plus anciens à ceux dont j'ai récemment exploré l'oeuvre: Cronin, Graham Green, Roger Martin du Gard, Baldwin, John Wyndham, Chester Himes, Simone de Beauvoir, Henry de Montherlant, Tony Duvert, Didier Martin, Marguerite Yourcenar, François Rivière, Angelo Rinaldi, Zoé Oldenbourg, Modiano, Edmund White Nicolas Bouvier... et toujours en cours d'escalade le sommet Murakami. Il y en a d'autres mais leurs noms ne me sont pas venus spontanément sous les doigts... J'ai rarement été déçu par ce systématisme, sinon par Golding dont je me suis aperçu après avoir ingurgité tous ses romans qu'il n'était guère que l'homme d'un seul livre, le génial « Sa majesté des mouches », ce qui suffit amplement à sa gloire.

Il a été rejoint au rayon des déceptions très récemment par Mac Leod dont je place très haut Les îles du soleil. Je me réjouissais donc de découvrir un deuxième roman de cet auteur, « L'âge des lumières » (Ces deux livres semblent constituer la totalité des livres de cet auteur, parus en France.) d'autant que ma bien aimé émission « Mauvais genre » avait fait grand cas de ce roman. Hélas que d'ennui à lire ce gros pavé de plus de 600 pages qui semble constamment hésiter entre l'uchronie et la fantasy sans jamais convaincre, même si à la toute fin de son récit Mac Leod parvient à faire retrouver chez son lecteur, l'émotion qui l'étreignait durant toute sa lecture des « Iles du soleil ».

L'âge de la lumière » nous projette dans une Angleterre où il n'y a plus ni roi ni reine, mais une société hyper hiérarchisée divisée en guildes qui sont plus ou moins l'équivalent des corporations de notre ancien régime. Ce sont les maitres de ces guildes qui dirigent le pays (l'auteur ne dit rien des institutions politiques de ce monde) ou plutôt qui gèrent l'éther, ce cinquième élément de la terre décrit par Platon existe , source d'énergie nouvelle qui a supplanté toutes les autres. Elle aurait été soudainement découverte aux alentours du XVII ème siècle. Elle a bouleversé l'ordre mondiale provoquant une révolution industrielle qui s'est ensuite figée; l'arrivée de l'éther, énergie d'un cout relativement bas, aurait annihilé toutes les velléités d'en chercher une autre. Par exemple, alors que nous devrions être au début du XX ème siècle, l'électricité n'a pas été encore inventée. Le lecteur découvre cet univers par les yeux de Robert Borow qui a une douzaine d'années lorsque débute le roman. Le garçon est le fils d'un ouvrier travaillant à l'extraction de la mystérieuse (surtout pour le lecteur) éther et d'une femme qui va mourir, suite à une longue agonie. Elle est victime des horribles mutations que provoque l'éther si on y est trop exposé (on pense bien évidemment à l'énergie nucléaire). Ce qui est arrivée à la mère de Robert au cours d'un accident sur lequel Robert va enquêter. Refusant son destin d'ouvrier, le jeune garçon s'enfuit pour Londres. « L'âge des Lumières » raconte son histoire et le rôle majeur qu'il jouera dans la dénonciation des effets pernicieux de l'éther et de la machination qui tua sa mère, avant de participer au déclenchement d'une nouvelle révolution industrielle...

Il faut beaucoup de persévérance au lecteur pour parvenir au bout de cette histoire. Il semble que Mac Leod ait d'abord écrit un roman autobiographique nous racontant son enfance dans le milieu ouvrier du nord de l'Angleterre lors de sa grande désindustrialisation (mais tout de même moins qu'en France!) dans les années 1980. Doutant de son talent et de la pertinence d'écrire une telle histoire au XXI ème siècle (pourtant sur un thème proche avec « Le fond des forêt » David Mitchell a écrit récemment un chef d'oeuvre.), il a maquillé sont histoire en la transportant au milieu du XIX ème siècle. Ce qui en faisait alors une sorte de pastiche de Dickens. Il y a dans « L'âge des lumières une réécriture de l'histoire de la première révolution industrielle de la vapeur (il y a du steampunck dans ce roman mais là encore on a l'impression que l'auteur a répugné à jouer cette carte à fond), de la domestication du gaz et de l'électricité. Mais l'exercice, même réussi, Mac Leod à les moyens littéraires pour cela, pouvant laisser le lecteur d'aujourd'hui dubitatif, il y a ajouté une grosse dose de fantasy. Une once d'uchronie (on pense parfois au Pavane de Keith Robert mais en beaucoup moins bien) mais sans vraiment préciser le moment où ce monde diverge avec le notre. Certes la qualité du style extrêmement soigné de McLeod dépasse la production courante de la fantasy mais on en enrage de voir se gâcher un tel talent à nous narrer des fariboles avec licornes et autres dragons. S'il est raté, le roman est néanmoins riche. On peut voir dans l'éther un parallèle avec l'énergie atomique. McLeod met aussi en scène une époque où superstition et magies prennent le pas ou dirigent la science et la technique. Est-ce très éloigné de notre monde qui voit le retour de l'obscurantisme religieux?

Si le livre est bien traduit par Jean-Pierre Pugi qui retranscrit bien la riche prose de Ian Mac Leod, il « bénéficie » d'une couverture particulièrement moche mais de surcroit n'a aucun rapport avec le contenu du roman.

Evitez cet âge des lumière et relisez « Les îles du soleil » chef d'oeuvre de la littérature contemporaine encore scandaleusement méconnu dans notre contrée. 

 

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