Le futurisme à Paris
Il est toujours un peu gênant de parler d'une exposition qui vient de fermer ses portes à Paris depuis quelques jours. Mais les heures sont si courtes et les passions si chronophages que je n'ai malheureusement pas eu le temps de revenir sur cette belle visites faite au centre Pompidou, il y a déjà quelques semaines. Ma culpabilité est toutefois diminuée par le fait que cette exposition à la bonne idées de renaître à la Scuderi del Quirinale à Rome du 20 février au 24 mai puis à la Tate Modern de Londres du 12 juin au 20 septembre 2009. Et puis nombreux sont mes visiteurs qui sont bien loin de Paris.
Severini, La danse du pan-pan au Monico
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Si la visite est un véritable plaisir pour les yeux, il n'en va pas tout à fait de même pour l'esprit.Le titre tout d'abord pose problème par son coté restrictif, "Le Futurisme à Paris". Que nombre de futurismes aient eu des rapports privilégiés avec la France, Sévérini vit à Paris depuis 1906, certes, que l'exposition de 1912 chez Bernheim jeune soit une date importante du mouvement cela fait aucun doute, on peut même considérer cette manifestation comme l'acmé du mouvement; et bien sûr il y a eu la publication le 20 février 1906 du Manifeste du Futurisme à la une du Figaro dont le centenaire est le prétexte de l'exposition.; mais il aurait fallu mettre l'accent sur le fait que ce mouvement est d'abord italien même s'il se veut internationaliste.
Russolo, La Rivolta
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Il est tout de même dommage de voir aussi peu de toiles, même si elles sont magnifiques, en particulier "Les funérailles de l'anarchiste Galli" de Carrà, habituellement au Moma, strictement issues du futurisme italien. Néanmoins l'étude des rapports entre le cubisme (français) et le futurisme (italien) d'abord antagonistes (éclairante confrontation entre d'une part les tableaux de Braque et de Picasso et d'autre part ceux de Carrà et de Russolo puis au fil des années, à l'aube de la Grande Guerre, est fort éclairante.Ensuite on voit les deux écoles se rapprocher.
Carlo Carra, Les funéraille de l'anarchiste Gali.
Les futuristes s'élèvent contre le cubisme lui reprochant son goût pour le nu (féminin bien sûr), le statisme et ses teintes bitumeuses; lui opposant une peinture du mouvement, reflet du monde moderne aux couleurs lumineuses.
C'est Apollinaire qui en 1912 annonçant la naissance d'un nouveau mouvement, l'orphisme, unira les deux écoles associant le cubisme et la "simultanéité" jusqu'alors l'apanage des seuls futuristes.
Nevinson, Bursting shell, l'explosion d'obus.
Heureusement l'exposition ne reste pas cantonnée dans ce dialogue mais montre l'influence du futurisme ailleurs qu'en France mais aussi en Grande Bretagne, ce qui nous donne le plaisir de voir des oeuvres de Nevinson et sur des artistes comme Kupka, l'américain Joseph Stella et ceux de l'avant garde russe.
A mes yeux toute exposition vaut aussi par la découverte que je vais y faire. Ici celle du peintre Félix Del Marle, unique représentant français du futuriste dont "Le port de 1913, habituellement au Musée des Beaux-Arts de Valencienne, est une des plus belles toiles de la manifestation.
Le port, Félix Del Marle.
tract futuriste distribué à Montmartre par Félix Del Marle
Mais le plus ennuyeux dans la construction de cet hommage c'est qu'en privilégiant le dialogue entre cubiste et futuriste il jette un voile pudique pour ne pas dire hypocrite sur l'histoire du mouvement italien. Il y a avant tout une approche biaisée du futurisme en le faisant apparaître comme une école d'art plastique alors que c'était un mouvement avant tout littéraire. Le commissaire de l'exposition Didier Ottinger s'il met bien l'accent sur le fondement philosophique du mouvement et ce qu'il doit à Bergson qui déclarait << Tout est devenir de fuite, rien n'est immobile>> qui pourrait être la devise de l'expression picturale du mouvement qui empreinte les notions de simultanéité, de durée, de dynamisme au philosophe français, on s'étonne que ne soit pas mis plus en lumière la curieuse mystique de l'esthétique guerrière que proclamait Marinetti en chantant les beautés de la mitraille (Boccioni sera tué sur le front en 1916!) .
Umberto Boccioni
Faire arrêter le futurisme en 1914 c'est d'une part ignorer la deuxième période du mouvement qui débute en 1922 et surtout son adhésion au fascisme, à ses débuts. A cette aune on pourrait par exemple s'interroger sur l'enthousiasme Ezra Pound pour le mouvement dés 1910... C'est le poéte qui associant le mot vortex à cette peinture sera à l'origine du nom de l'école futuriste anglaise, le vorticisme. C'est aussi oublier que cette deuxième phase, en quelque sorte moins élitiste, a largement diffusé l'esthétique du futurisme dans l'architecture, la décoration, la publicité...
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L'accrochage au centre Pompidou était aussi judicieux qu'aéré, espérons qu'il en sera de même sur les deux autres sites où elle migre. L'audioguide est trè utile en particulier pour l'interprétation du superbe triptyque de Boccioni, "Etats d'âme".
Une exposition qui est un grand plaisir des yeux mais qui demande un esprit critique pour l'apprécier complètement.
Le jour de ma visites quelques belles créatures arpentaient les salles...
Paris janvier 2009
PETITE PROMENADE EN 2012 DANS LE NOUVEL ACCROCHAGE DE LA COLLECTION PERMANENTE DU CENTRE POMPIDOU
Je n'ai parcouru, au sortir de l'exposition Matisse dont je vous reparlerai, qu'un étage de la collection permanente du centre Pompidou, celui qui contient les oeuvres de 1900 à 1960 pour voir les quelques nouveautés du récent accrochage. Il y avait ce garçon, amoureux des kandinsky et surtout une salle dédiée à un peintre que je ne connaissait pas, Judith Reigl, dont vous pouvez lire ci-dessous le petit cartouche qui lui est consacré. Devant l'excellence des toiles montrées, je m'étonne qu'elle ne soit pas plus célèbre, sans doute parce qu'elle a changé souvent de manière. J'aurais attribué une de ces toiles à Matta et une autre à Dubuffet...
Les terrasses du Centre Pompidou offre de magnifiques espaces pour les sculptures, comme pour ce Calder avec pour fond un superbe panorama parisien.
Cueco dont l'humour me manque, lorsque j'écoute aujourd'hui "Les papous dans la têtes" a généreusement offert cette toile de la série les chiens au musée...
Ce joli garçon dont le bleu du pull-over s'harmonisait parfaitement avec les bleus des papiers collés de Matisse, m'a gentiment laissé le photographier.
Paris, avril 2012
Georgia O'Keeffe au Centre Pompidou (1)
Il n'est pas bon d'avoir des idées pré-conçues lorsque l'on va voir une exposition. Je croyais connaitre O'Keeffe pour avoir vu plusieurs de ses tableaux essentiellement dans les musées américain et quelques rares en Europe à l'occasion d'expositions thématiques. Ceux-ci représentaient toujours des ossements ou des fleurs en macro, de beaux tableaux décoratifs ce qui n'est pas un jugement négatif de ma part. La rétrospective du Centre Pompidou a pris soin de présenter un vaste échantillon, une centaine de tableaux, des différentes voie picturale qu'a exploré l'artiste. Je me suis aperçu que contrairement à ce que je croyais l'oeuvre d'O'Keeffe est très diverse tout en restant toujours personnelle. Certains de ses toiles sont au bord du naturalisme américain, mais sont bien différentes de cette d'un Benton, d'autre flirtent avec le minimalisme abstrait d'autres encore sont à la lisière du surréalisme et pourtant l'oeuvre est d'une grande cohérence. Les cartouche claires et explicites mettent en regard les oeuvres avec la vie d'O'Keeffe qui vécu jusqu'à 98 ans.
Paris, septembre 2021
Louise Bourgeois au Centre Pompidou
Il me parait indispensable pour apprécier une oeuvre auto proclamée autobiographique, comme celle de Louise Bourgeois, d’avoir quelque empathie avec l’artiste. Et bien je n’en pas la moindre avec cette incontestable créatrice de forme. Rien n’est plus loin de moi que cette macération dans de vieilles haines recuites pour son père, que cette alternance de famille je vous aime, famille je vous hait, que ce repli sur soi nombriliste dans l’humidité féminine qui a pour conséquence semble-t-il à la longue le rejet de tous ses proches, que cette attirance morbide pour la décomposition et les reste avec pour curieux corollaire cet acharnement à vivre quelque en soit la douleur. De toutes ces obsessions Louise Bourgeois s’en repaît depuis près de soixante dix ans. Elles nourrissent son oeuvre et sont ses meilleures viatiques pour la postérité. J’aurais vu jusque là peu d’expositions aussi dérangeantes. Celle-ci l’est éminemment par la crudité des œuvres montrées et la totale impudeur de leur créateur. On a l’inconfortable sentiment d’être en présence d’objets rituels d’une religion dont Louise bourgeois serait à jamais l’unique grande prêtresse. Du fouillage névrotique de son inconscient a accouché une oeuvre aux expressions multiples dont la plus achevée est la sculpture mais donc l’unique sujet est Louise Bourgeois.
L’exposition rassemble dans trois espaces du Centre Pompidou près de deux cent pièces, peintures, sculptures, dessins, gravures, installations qui s’échelonnent sur une période allant de 1938 à 2007. On est accueilli dans le hall du musée par la grande araignée de bronze qui gambadait avec plus d’aisance dans celui de la Tate modern il y a quelques années... Au troisième niveau on trouvera ses dessins les plus récents, sortes d’exorcisme de la décrépitude alors que le gros de la rétrospective est au sommet du centre.
Comme elle le dit sans ambages toute son oeuvre est née des souffrances de l’enfance. Elle n’aura de cesse que de recréer par des moyens divers, ces années, pourtant selon elle malheureuses, en posant sur elles un regard morbide. Voilà la version officielle qu’est donné de son enfance. << A l’âge de 11 ans Louise Bourgeois dessine les parties manquantes des tapisseries que restaurent ses parents dans leur atelier de Choisy-le-roi. Elle grandit dans un univers féminin de couturières, parmi les pelotes de fils et les aiguilles. Sa mère pragmatique et “féministe” dirige le travail, tandis que son père collectionne les antiquités et court le jupon. Il introduit dans la maison sa maîtresse, une jeune anglaise engagée comme gouvernante auprès des enfants. Cette double trahison, qui met en péril l’équilibre familial, perturbe profondément la jeune Louise qui se sent manipulée par les adulte. Une faille s’ouvre...>>. Cette enfance et sa posture vis à vis d'elle à quelque chose à voir avec celle de Céline...
Voilà des fautes qui me paraissent bien bénignes pour avoir enfanté une telle haine du père qui se matérialisera en 1973, soit trente cinq ans après avoir quitté ce père honni, par la sculpture “The destruction of the father”; une figure aliénesque qui ferait passer les monstres de Giger pour des reproductions d’aimables animaux de compagnies. Devant cette pièce d’une force aussi incontestable que dérangeante on ne peut que soupçonner que la lisse biographie de la jeunesse ne soit que calembredaines. On pense immédiatement plutôt à une relation incestueuse entre le père et la fille faite d’attirances et de répulsions. Il faut tout de même rappeler qu’elle rencontre son futur mari, Robert Golwater un historien d’art spécialisé dans le primitivisme qui l’ emmènera à New York dans << la petite galerie qu’elle ouvre avec son père, boulevard Saint Germain>>.
On peut voir toute cette exposition comme un gigantesque exorcisme. On remarquera plusieurs petites figurines percées de clous...
La rétrospective fait silence sur les années françaises et la formation de l'artiste. Il me semble qu’il n’est pas pourtant inutile de savoir que Louise Bourgeois a fait des études de mathématiques à la Sorbonne de 1932 à 1935. A partir de 1936, elle suit des cours de dessin et fréquente l’Ecole du Louvre et les Beaux Arts de Paris.
Les début sont marqué par l’autoportrait (mais son oeuvre n’est elle pas qu’un autoportrait proliférant?) d’abord sous forme de dessins, cela sera la seule période où l’extérieur sera présent. Elle se représente volant au dessus d’un gratte ciel (son atelier est alors situé sur la terrasse d’un immeuble) et dans un autre dessin en femme gratte ciel. C’est une première représentation de la “Femmes-Maison” qui prendra bien d’autres formes.
Elle fait sa première exposition personnelle en 1945 à New-York. En 1951 elle prend la nationalité américaine. Elle représentera e 1993 les Etats Unis à la Biennale de Venise.
Les années cinquante est la seule période qui semble lumineuse. Ce qui est pourtant en opposition avec ses déclarations: << J’ai adopté cet endroit en plein air (la terrasse déjà mentionnée ) et j’ai recréé tous les gens que j’avais laissés en France. ils étaient massés les uns contre les autres; ils représentent tous les gens dont je n’aurais pas admis qu’ils me manquaient. Je ne l’aurais pas admis, mais le fait est qu’ils me manquaient terriblement.>>. Elle sculpte des totems dans du bois, du balsa, le bois des réservoirs d’eau de New-York, qu’elle peint ensuite, ou elle assemble des morceaux de bois de récupération (du bois flotté?) pour en faire des “personnages longilignes”. Elle dispose ensuite ces “figures” en groupe. Le résultat est à la fois presque joyeux et rassurant. Ces ensembles totémiques présentent une parenté avec les totems de Chaissac .
Suivent des séries de très belles petites sculptures en marbre ou en bois aux formes pures très inspirées de Brancusi qui sont des variations presque abstraites sur le corps.
Malgré ses thèmes récurrents Louise Bourgeois a su constamment leur donner des formes différentes en particulier par l’emploi de matériaux inattendus comme le latex ou la tapisserie, réminiscence évidente de l’enfance. Ainsi dans les travaux des années 60 pendant lesquelles elle élabore des nids, des tanières, des refuges dans les matériaux les plus divers ou beaucoup plus recemment ses têtes inquiétantes en tapisserie ou bandes velpeau.
A ce stade de l’exposition on a vu un ensemble de pièces qui forme un parcours dans la sculpture moderne, du minimalisme au surréalisme. On y a reconnu les influences de Brancusi mais aussi celles de Picasso, de Bellmer et d’Etienne Martin , les nids de Louise Bourgeois cousinent avec les demeures de ce dernier.
Mais la découverte de la salle 4 provoque un choc. Nous sommes projeté dans l’antre d’un serial killer, écorcheur, adepte du bondage. Ce n’est pas sans répulsion que je me suis campé devant la vitrine dans laquelle pendouillaient des formes phallique. J’ai été saisi d’un profond malaise devant ces substituts de sexe, pour moi menaçant. Cet ensemble a pour postérité aujourd’hui dans l’esprit et dans la forme les sculptures dégoulinantes d’Elsa Sahal ...
Dans la même salle, plus aimables mais aussi complexes et à connotations tout autant sexuelle sont les “soft landscapes” composés de champignons, de rotondités, de bosses qui évoquent seins et sexes, tétons et glands. Ils sont réalisés en divers matériaux latex, albâtre, marbre... du plus mou au plus dur. Cette nature anthropomorphe est on ne peu plus érotique...
L’araignée est une des figures récurrentes de l’expositions et donne les pièces les plus spectaculaires. Elle évoque la figure maternelle comme le déclare Louise Bourgeois: << Pourquoi l’araignée, parce que ma meilleure amie était ma mère, et qu’elle était aussi intelligente, patiente, propre et utile, indispensable, qu’une araignée.>>.
Le sentiment de grande gène sera renforcé par les grandes poupées humaines recouvertes de tissus rose, certaines unijambistes ou dotés d’un appareillage orthopédique en souvenir d’une soeur estropiée. Deux séries à mettre sans conteste sous le parrainage de Bellmer.
Dans les années soixante dix Louise Bourgeois est sous l’emprise du féminisme. Ce qui nous vaut une étonnante sculpture d’un homme en bronze doré se convulsant par là l’artiste voulait signifier que l’ hystérie n’était pas l’ apanage des seules femmes! Quant à moi cette figure lisse, pourvu d’un bon paquet, m’a immédiatement fait penser à un super héros de comics vaincu, même suspension dans les airs, la salle d’exposition devient case, même posture outrée que chérissent les dessinateurs de bandes dessinées.
En 1973, son mari meurt, elle le vit comme une trahison de sa part qu’elle exprime par une installation que je trouve peu convaincante. Mais cette réaction est typique de son rapport avec le monde (ou avec les hommes?). Ce serait elle senti trahi quand son père aimait une autre femme que sa mère (ou elle?)? Elle a aussi cette impression de trahison lorsque elle constate que son fils communique peu avec elle, comme elle le déplore dans un de ces dessins. Au vu de son expression artistique on peut subodorer que cela ne devait pas aider le jeune homme à s’épancher dans son giron! Il est difficile de ne pas voir dans ces curieuses réactions un égocentrisme exacerbé.
On n’est pas au bout du malaise car avant de retrouver le ciel salvateur de Paris, Le musée à cet étage offre peut être la plus belle vue de Paris que l’on puisse voir, il faut traverser les installations, en 1950 elle a été une des premières artistes à en réaliser, les cellules comme les appelle Louise Bourgeois, sans doute pour mieux emprisonner ses propres démons. Elle y évoque son passé à l’aide d’objets hétéroclites qu’elle enferme tantôt par des jeux de vieux paravents, tantôt par des panneaux grillagés. On pense alors beaucoup aux dernières réalisations de Rauschenberg .
Sans doute pour ne pas nous laisser partir sur une vision aussi sombre la dernière installation est plus ludique et plus claire, il s’agit d’une représentation d’un être à tous les âges de la vie, sous forme de poupées de chiffon placées devant un miroir déformant.
Une exposition inconfortable mais inoubliable.
Paris, 2008
Je suis retourné voir Villeglé
Une seule visite à la rétrospective Villeglé ne pouvait me satisfaire (vous retrouverez ici ce que j'en écrivais, il y a déjà un mois). Je l’attendais depuis si longtemps que j’ai voulu m’en repaître. Et puis à ma deuxième visite j’ai eu la chance de tomber sur des gardiens particulièrement somnolents d’où les nouvelles photos que vous voyez...
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Je suis reparti de ma visite du Centre Pompidou avec un énorme livre consacré à l’affichiste, aussi lourd que coûteux, dont je vous reparlerai.
Cette exposition est propice aux songes, aux questionnement sur les petits riens, sur les pas grands choses, qui furent pourtant tout pour certaines personnes à un certain moment. Grâce au relatif calme de cette exposition qui me parait peu fréquentée, qu’attendez-vous? Je songeais que bien des noms que l’on déchiffre comme par inadvertance sur ces lambeaux d’affiche n’existent déjà plus que pour avoir été rapté en contrebande par Villeglé. Nom de deuxième couteau dans des pièces de troisième ordre, suppléant d’un candidat malheureux à des élections oubliées ou encore “vedette américaine” de la première partie d’un chanteur qui ne fait plus recette depuis longtemps.
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Et puis il y a ces noms, estropiés par une lacération, que je peux compléter et qui m’évoque par exemple de féroces batailles politiques oubliées; comme ce HEL DORN que je complétais immédiatement, pour lire mentalement le nom de Michel d’ornado, candidat malheureux contre Jacques Chirac à la première élection du maire de Paris au suffrage universel. Je me demande pour combien de visiteurs ce nom, d’un homme jadis puissant, réveille-t-il un souvenir...
Le mien est bien particulier. C’était au début des années 70, avant Borg, les connaisseurs comprendront, durant la première semaine de Roland Garros, j’étais posté dès le début des matchs, à 11 heure, tout en bas de la tribune D, qui alors était accessible avec des billets ordinaires, jusqu’au premier rang au niveau du court, il y avait là quelques mordus, parmi lesquels le physicien Louis Leprince-Ringuet qui dominait ces passionnés de sa haute taille. Ces habitués se reconnaissaient d’une année sur l’autre, et se saluaient d’un discret hochement de tête, c’était les aficionados de la tribune D comme nous avait surnommé Olivier Merlin, le merveilleux chroniqueur de la chose tennistique dont la verve ne fut remplacée qu’un trop court laps de temps par celle de Serge Daney, différente mais également succulente, dans Libération. Or donc ce matin là, il me semble que nous suivions un Barthes-Parun, néo-zélandais qui ferait paraître Davidenko musculeux, lors de la pose entre deux jeux, descendit dans notre groupe, serré tout près de la terre battue au niveau du filet, le reste de la tribune étant quasiment vide, un homme en costume d’été beige, accompagné de son fils d’une dizaine d’années. Nous nous serrâmes un peu plus pour lui faire une place et il s’assit juste à coté de moi. Le jeu reprit et je ne jeta un coup d’ oeil vers le nouvel arrivant que lors de la pause suivante. Immédiatement je reconnus Michel d’ornano, à l’époque un des barons des giscardiens et homme d’affaire fort riche. Il resta la presque toute la journée avec son gamin. Commentant avec ses voisins, à voix très basse, les meilleurs coups. Pourrait-on imaginer une telle scène aujourd’hui où le moindre encocardé ne se déplace qu’avec un aréopage de garde du corps... C’était un autre temps celui d’avant le bouzin médiatique. Quelques années plus tard Michel d’Ornano traversant une rue se fit écraser par un chauffard. Il y a peu d’expositions d’artistes qui invite autant aux souvenir que celle de Villeglé...
Cette rétrospective permet aussi de découvrir des aspects moins connus du travail de villeglé comme sa première captation qui ne fut pas un pan d’affiche mais un morceau de fil de fer du mur de l’Atlantique, sculpture innocente offerte au promeneur amoureux des embruns marins qu’était Villeglé.
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Encore plus surprenant est le film de cinéma abstrait réalisé vers 1950 avec son complice Raymond Hains en faisant diffracter des couleurs à travers du verre cannelé. J'ai tenté de fixer quelques moments de ces images constamment changeantes
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Les murs de nos villes sont parfois aussi les témoins des aberrations idéologiques comme le révèle ces affiches pour déplorer la mort du tyran Mao.
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Lors d’une des premières grandes expositions des oeuvres de Villeglé, dans les années 70, Otto Hahn, le critique d’art de l’Express notait que l’affichiste était le dernier peintre d’histoire vivant. C’était remarquablement bien vu. Car en se rendant au centre Pompidou le visiteur de la rétrospective Villeglé a rendez vous avec les soixante dernières années de l’histoire de France par le biais des affiches lacérées..
L'exposition se termine par la grande photo de l'artiste que j'ai placée en tête de cette évocation.
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Paris, novembre 2008
HANTAI AU CENTRE POMPIDOU
Malheureusement encore une fois mon billet arrive après la bataille puisque cette exposition a fermée ses portes.
Comme je l'ai écrit dans un autre article l'agenda de cette rétrospective était déplorable car elle a privé la très belle exposition Lichtenstein de la place qui lui aurait été nécessaire. Cela en valait-il la peine. Ma réponse catégorique est non. Pour deux raisons la première est qu'Hantai a eu une seule idée artistique dans sa vie, celle de faire des noeuds avec ses toiles puis les tremper dans de la peinture (pour faire très simple). La seconde et la plus génante est qu'avant cette trouvaille qui donne de très décoratives toiles, (décoratif n'est pas en ce qui me concerne un qualificatif négatif, bien au contraire) les tableaux d'Hantai ne seraient certainement pas passés à la postérité sans la deuxième partie de sa carrière. Certaines toiles font penser pour les premières à Max Ernst, les suivante à Matta et même pour certaines à l'abstraction gestuelle de Mathieu. Ce n'était donc pas une bonne idée de consacrer une rétrospective à Hantai. Elle le dessert au lieu de le servir. Il aurait été beaucoup plus judicieux de présenter ses nouages et froissages dans des salles plus petites en densifiant l'accrochage. Je n'ai donc que peu photografié les premières salles pour privilégiant les "nouages".
Paris, septembre 2013
LICHTENSTEIN AU CENTRE POMPIDOU
Même si le nombre de photos que je consacre à une exposition ne correspond pas toujours à l'enthousiasme que j'éprouve envers l'oeuvre de l'artiste exposé, il est un bon indicateur de mon appréciation, surtout que cette fois les photographies sont autorisées, avec l'habituelle restriction qu'apportent certains préteurs, privés ou institutionnels, comme la Tate, qui ne veulent pas que les pièces qu'ils prêtent soient photographiées.
C'est une grande chance qu'il ne faut pas manquer de voir autant de tableaux et de sculptures de Roy Lichtenstein à Paris. Ce peintre souffre que son oeuvre soit occultée par ses célèbres toile représentant des agrandissements de cases de bandes-dessinées, alors que son inspiration est multiple et que toute son oeuvre est marquée par une grande réflexion sur l'histoire de l'art qu'il connait parfaitement bien en particulier celle de la peinture moderne européenne.
Les tableaux les plus intéressants sont ceux où il revisite les peintres qu'il admire, en premier lieu Matisse mais aussi Picasso, Fernand Léger, Braque et quelques artistes plus anciens comme Monet ou Van Gogh... C'est d'ailleurs amusant de dénicher le nom de l'artiste qui a inspiré telle ou telle toile. Mais il peut s'agir aussi d'un catalogue de vente par correspondance, d'un comics, d'un dessin d'architecte ou d'une bande dessinée européenne...
Les nombreux extraits de déclarations de Lichtenstein sur les murs témoignent de l'intelligence de l'artiste.
L'accrochage est très réussi dans l'espace qui lui est dévolu. Il arrive à combiner un parcours à la fois thématique et chronologique (ce que les photos de se billet respectent approximativement). Seulement il est patent que le Centre Pompidou n'a pas donné assez de place à cette manifestation d'ailleurs elle a été malheureusement "allégée" par rapport à ses étapes précédentes. Il ne parait pas judicieux d'avoir exposé en même temps deux artistes Lichtenstein et Raymond Hains dont les oeuvres de grandes tailles demandent un minimum de recul. On peut aussi se demander si l'oeuvre de Raymond Hains méritait autant de surfaces. Je reviendrais sur cette dernière exposition.
Est-ce le manque de place qui a empécher les commissaires de l'exposition d'une utile pédagogie qui aurait montré le complexe processus nécessaire à l'élaboration des oeuvres, dont beaucoup de visiteurs ne se doute pas. Cette mise en lumière avait été remarquablement faite lors de la première exposition Lichtenstein à la pinacothèque de Paris ( voir LICHTENSTEIN à la pinacothèque de Paris), il y a quelques années. Le catalogue de cette exposition était surtout consacré au mode opératoire qu'utilisait l'artiste pour accoucher d'un tableau. Ce précieux catalogue doit toujours pouvoir se trouver.
Paris, aout 2013