Paris, rue des Francs bourgeois, juillet 2008.
SALVADOR ESCALONA, MAITRE DU STREET ART À LA HAVANE
La Havane est une ville envoutante et extraordinaire. Paradoxalement elle doit d'avoir préservé sa spécificité et donc sa beauté grâce, si je puis dire à l'embargo américain qui a épargné l'architecture coloniale et surtout celle du début du XX ème siècle qui est unique car elle a été partout détruite ailleurs, en Amérique centrale et dans les Caraibes. Autre paradoxe, j'ai retrouvé une douceur de vivre (apparente ne soyons pas dupes) dans cette ile sous un régime "communiste" comparable à celle que j'avais rencontrée dans le Portugal du "salazarisme" finissant, dans ce Portugal d'hier qui était préservé par un repli sur lui-même.
Comme ce préambule ne l'indique pas, ce billet va être consacré à un des artistes de "street art" les plus intéressants que j'ai pu rencontrer de par le monde, car, comme vous l'avez sans doute remarqué, je ne manque pas, lors de mes différentes escapades, de photographier les oeuvres de ces peintres des rues qui souvent embellissent les murs et parfois les dégradent; c'est encore un autre paradoxe; ce billet en comportera beaucoup, ce qui me parait inévitable lorsque l'on parle de Cuba...
Or donc rencontrons Salvador Escalona. La découverte se mérite car pour y arriver lorsque l'on vient du cartier historique d'Habana vieja et de sa place d'arme, point de départ le plus pratique pour toutes excursion dans la ville, il faut traverser tout le quartier Centro Habana car la ruelle décorée par notre peintre (qui a fait des émules dans les parages) ce trouve à l'extrémité du quartier près de celui de Verado.
Je vous conseille de traverser tout Centro Habana par l'intérieur pour admirer les bâtiments début de siècle dont je vous parlais plus haut et non de prendre par le Malecon, le boulevard du bord de mer, et ensuite le quitter par l'avenue qui lui est perpandiculaire, de Mencal; mais c'est aussi une solution. Il ne faut pas avoir peur de se perdre car El callejon de Hamel la ruelle peinte est connue des habitants qui se feront tous un plaisir de vous renseigner. Elle se trouve entre deux grandes avenue, Aramburu et Hospital.
Salvador Escalona est un peintre à la fois naif et fantastique. Peintre autodidacte, il se déclare inspiré par Dali, Miro, Picasso et les muralistes de la révolution mexicaine. Je dois dire que cela ne m'a paru évident à voir ses fresques sur les murs de son quartier pas plus qu'en visitant son atelier ou en le voyant peindre. La peinture de Salvador Escalona ressemble surtout à du Escalona et c'est très bien comme cela. Plus décelable dans son inspiration est celle d'une culture afro-cubaine avec ses divinités nées de tous les syncrétismes qui travaillent l'ile.
Le peintre a mis près de dix ans a décorer tout le pâté de maisons dans lequel il réside. Il ne peut s'agir d'un geste spontané dans un régime aussi autoritaire que celui de Castro. Toutes ces fresques n'auraient pas pu être peintes sans l'aval du pouvoir.
Salvador Escalona de son quartier de La Havane a essaimé ses peintures murales dans toute l'Amérique latine. Il voyage beaucoup mais lors de mon passage j'ai eu la chance de le rencontrer et de le voir peindre... dans sa rue, totalement dans sa bulle, étranger au vacarme qu'il l'entourait, tout à son oeuvre. A ce propos j'ai remarqué la grande faculté de concentration qu'on les cubains pour s'extraire du bruit de la ville et des incessants bavardages de leurs compatriotes (ci-dessous, le maitre au travail).
La rue, réservée aux seuls piétons, n'est pas seulement peinte (jusqu'au ciel), elle est encombrée d'installations avec comme objet récurrent la baignoire, sur l'une d'elle on peut lire: La nave del olvido (le navire de l'oubli). D'autres installations peuvent même être habitées (comme celle ci dessous). On y trouve aussi des sculptures diverses dont certaines semblent des sortes d'hôtels puisqu'elles reçoivent des offrandes.
Très organisé tout cela, je me baguenaudais le nez en l'air, les appareils photos fumants, lorsque j'ai été conduit fort aimablement dans la petite galerie où l'on peut acheter les oeuvres du maître (pas les celles sur les murs mais celles peintes à l'acrylique sur un fort papier à dessin ). Il y a un grand choix et on peut passer le temps que l'on veut à les admirer, certaines sont sur les murs mais la plupart sont en piles. Il faut fouiller! Elles sont d'un prix occidental modéré mais d'un prix cubain élevé. Pour emporter une oeuvre il est conseillé d'avoir un tube en carton assez long disons 80 cm et d'un bon diamètre, 15 cm pour ne pas casser le papier.
On m'a dit que les installations changeaient assez souvent donc on peut y revenir régulièrement. Très important il y a aussi une petite buvette qui sert un cocktail maison, le Negron bien requinquant après la traversée pédestre de La Havane.
La Havane, Cuba, décembre 2009