J'ai beaucoup hésité avant d' écrire un billet sur Michel Gourlier. D'abord parce que je pense qu'il n'aimerait pas cela. Ensuite parce qu'il me semblait que je n'avais guère à en dire et que l'important, comme pour tout artiste était ses dessins. Si depuis trente ans, il est impossible de voir des originaux, sauf pour ceux qui ont la chance d'en posséder, il est en revanche très facile d'admirer les nombreuses reproductions de ses dessins qui illustrèrent tant de livres, presque tous destinés à l'adolescence, bien sûr ceux de la collection Signe de piste mais aussi chez d'autres éditeur come rouge et or, super 1000 et bien d'autres. Actuellement presque tous ces volumes sont trouvables sur la toile pour quelques euros. Cet homme si discret, aux oeuvres invisibles, est pourtant célèbre pour tous les amateurs de dessins et de beautés garçonnières. Si aujourd'hui je passe outre à mes réticences pour écrire sur Michel Gourlier c'est surtout que j'ai vu sur la toile qui, telle la langue d'Esope peut être la meilleure, comme la pire des choses, de telles inepties sur lui, au surcroit écrites d'une plume si malhabile qu'il m'a semblé de mon devoir de sortir de ma réserve pour évoquer quelques souvenirs à son sujet.
J'ai par exemple, lu ici ou là, que Michel Gourlier avait été exclu du Signe de piste. Il n'en fut rien. Il jouissait en son sein de nombreux admirateurs et bénéficiait de la bienveillance des deux fondateurs de la collection, je veux parler de Serge Dalens, de son vrai nom Yves de Verdilhac, et de Jean-Louis Foncine, nom de plume qui recouvrait celui de Pierre Lamoureux. A telle enseigne qu'ils le choisirent plusieurs fois comme illustrateur de leurs propres ouvrages.
Il y eut bien des lettres pour se plaindre de l'érotisme de ses dessins, mais elles ne furent jamais prises véritablement en considération; même si l'artiste du quelques fois modifier certaines illustrations parce qu'elles déplaisaient pour la raison que j'ai citée ou pour une toute autre, au directeur de la collection qui n'était autre que Jean-Louis Foncine lui-même, du moins dans les derniers temps glorieux de la collection, au milieu des années 70, époque à laquelle j'ai connu cet équipage. En somme les relations entre l'illustrateur et la collection, les illustrations faisaient de plus en plus l'essentiel de la renommée de la collection, n'étaient pas différentes de ce qui existait chez les autres éditeurs. A cela prêt qu'au Signe de Piste, Michel Gourlier souffrait de l'ombre que lui faisait Joubert, l'illustrateur historique de la collection qui était plus connu que lui et bénéficiait des retombées d'une très longue carrière commencée à un âge tendre. Il jalousait également le statut de salarié dont bénéficiait ou avait bénéficié Joubert au sein des éditions Alsatia, ce qui donnait à Joubert les avantages inhérents à ce statut. Là encore, j'ai lu sous des plumes ignorantes que Michel Gourlier était pingre. S'il faisait attention à ses sous, c'est d'abord qu'il en avait peu et n'avait aucune sécurité dans ses rentrées d'argent. Comment dans ces conditions faire des largesses? Lorsque le signe de piste a été abandonné par Alsatia, ce que Gourlier avait vu venir, la collection fut reprise par de pseudo-éditeurs. Elle n'a plus fait que vivoter et les nouveaux responsables ne pouvaient plus payer les dessins de Michel Gourlier, qui pourtant n'était pas exigeant quant à leur prix...
Lorsque je l'ai connu en 1975, on en était aux derniers temps du véritable "Signe de piste" et déjà il réservait ses dessins qu'aux livres de la collection qu'il aimait et en particulier à ceux de Jean-François Pays un de ses meilleurs amis.
En ce qui concerne les expositions de Michel Gourlier, sujet sur lequel j'ai également entendu et lu des sottises, je suis à l'origine de celles-ci, du moins celles qui se déroulèrent de 1977 à 1980 à Paris, mais elles me semblent être les seules à avoir eu lieu... En voici en quelques mots leur genèse: Je connaissais Pierre Moirignot, frère du sculpteur Edmond Moirignot, qui était antiquaire et avait une petite boutique au 90 boulevard Raspail. Il cherchait des peintres à exposer. Comme peu de temps au paravant, ce grand amateur de femmes, avait exposé Jean-Denis Maillard et fait apposer, pour annoncer cette exposition, sur les murs de Paris une affiche représentant un nu masculin, j'ai eu l'idée de lui demander si un accrochage des dessins de Michel Gourlier, que j'admirais, l'intéresserait. Il fut immédiatement emballé par cette idée et proposa de faire une double exposition, d'abord très vite, durant l'été qui venait, en faisant cohabiter les dessins de Gourlier avec des peintures de Sébastien dont l'exposition était déjà programmée et qui peinait à remplir avec ses toiles toutes les cimaises de la galerie, puis de faire une grande exposition uniquement vouée à Gourlier aux alentours de noel. Il me restait à convaincre l'artiste, qui à la fois désirait montrer son travail mais était timide et craignait la confrontation avec le public.
Désirant acheter un dessin, j'avais rencontré le dessinateur par l'entremise de Jean-Louis Foncine. L'artiste m'avait donné rendez-vous chez lui, pour que je puisse choisir l'oeuvre qui ornerait mes murs. Il habitait, près de la mairie d'Asnière, dans la banlieue parisienne, une sorte de pavillon de gardien à un étage, d'une grande maison bourgeoise qui était habitée par sa mère, c'est du moins ce qu'il m'a dit alors. Je n'y suis retourné qu'une autre fois, mais je n'ai jamais pénétré dans la grande bâtisse qui semblait bien négligée. Je me souviens fort bien de la soirée d'hiver durant laquelle Gourlier me montra des dizaines de dessins, tous en noir et blanc, exécutés à la plume, certains rehaussés de lavis. A chaque fois l'éphèbe, parfois dans une attitude suggestive, et même pour deux ou trois dans une positions que l'on pourrait considérer comme lascive, mais jamais au delà, remplissait un petit format d'environ 35 cm sur 25 d'un carton très fort à la surface blanche et lisse. Il les sortait d'un long buffet bas qui occupait tout un mur du petit salon sobre et propre. Il les disposait tout autour de moi; j' étais assis sur un canapé bas. Je n'ai jamais été cerné d'autant de beaux garçons désireux de me séduire...
J'ai eu un peu de mal à persuader Gourlier de se lancer dans l'aventure. Pourtant cette exposition ne lui coutait rien. Je prenais à mon compte le prix de l'impression et de la pose des affiches et des cartons d'invitation ainsi que l'envoi de ces derniers ainsi que les relations avec la presse. En retour, je percevais les gains de la vente des affiches. Pierre Moirignot prêtait sa galerie et en garantissait l'ouverture six jours sur sept et en compensation percevait 50% du prix des oeuvres vendues
Ce premier vernissage à la galerie 90 eut lieu le 2 juin 1977 et l'exposition dura jusqu'au 8 juillet. La cohabitation, car malgré sa timidité, Gourlier était souvent présent dans la galerie, se passa sans encombre, tant avec Moirignot qu'avec le discret Sébastient qui venait souvent également. Il faut dire que Michel Gourlier lors des expositions était très facile à vivre. Il s'asseyait derrière une petite table, presque à l'entrée de la boutique et se plongeait dans un livre, surveillant tout de même du coin de l'oeil les visiteurs qui étaient assez nombreux. Il n'intervenait que si l'un d'eux semblait intéressé. Jamais il ne se faisait connaitre d'emblée. Si bien que nombreux ont été les chalands qui ont ignoré que le sage lecteur près de la porte, était aussi l'artiste. Il y eu 3 expositions à la galerie 90, la première donc du 2 juin au 8 juillet 1977, la deuxième du 16 novembre au 7 décembre 1977, celle durant laquelle fut vendu le porte folio, et la troisième du 9mai au 10 juin 1978. Une quatrième exposition eut lieu en 1980, non loin de la galerie 90 qui avait alors cessé ses activités, toujours dans le sixième arrondissement, au 23 rue de Fleurus, à la galerie Triskel.
Chaque exposition connut le succès. Il alla même crescendo. Mais l'acmé fut l'exposition de l'automne 1977, celle du porte folio. Il contenait les reproductions de 40 oeuvres de l'artiste. Il y en avait deux versions, l'édition courante dont le porte-feuilles de fort carton était recouvert d'une toile beige, le tirage devait en être de 300 exemplaires, et une édition de luxe de cinquante exemplaires numérotés, cette fois sous une toile marron qui avait en plus par rapport à l'édition courante, un autoportrait de l'artiste âgé de quinze ans, signé à la main. Mon exemplaire porte le numéro 32 et m'a été dédicacé le 18 novembre 1977, soit il y a plus de trente deux ans, ce que j'ai un peu de peine à croire...
Ce porte folio a été financé par monsieur Ticky (je ne suis pas certain de l'orthographe de son nom) et je ne connais pas l'arrangement financier qu'il y avait entre Michel Gourlier et cette personne.
Le porte-folio ne comporte pas, à ma connaissance, de reprises de dessins destinés, dans un premier temps, à illustrer des livres; ils ont tous été fait en marge de son travail d'illustrateur. Libéré des contraintes éditoriales, c'est dans ces dessins surtout qu'il faisait preuve d'érotisme. Cet ensemble est très représentatif du style de Michel Gourlier dans les années 70. Au fil du temps sa manière a évolué. Dans ces premières illustrations, au milieu des années 50, ses garçons ont des faciès à la fois gracile et inquiétant, avec quelque chose d'animal, de faunesque. Puis ses adolescents se sont mis à ressembler à ceux de Joubert à tel point que pour certains dessins, il est difficile de savoir qui, des deux hommes, les a réalisé. Puis les garçons de Gourlier se sont étirés, se sont alanguis. Ils se sont fait lianes ou roseaux. Ce dernier terme me vient instinctivement car il dessinait aussi des paysages de marais évanescent que striaient des roseaux.
Comme le prouve le tableau, immédiatement ci-dessus, qui lui fut commandé par Roger Peyrefitte, Gourlier devait travailler parfois pour des commandes de particuliers mais cela devait être rare.
Michel Gourlier ne travaillait pas d'après modèle mais ses garçons étaient ceux qui peuplaient ses rêves. Mais toutes règles a ses exceptions puisque l'affiche de la troisième exposition à la galerie 90 (voir immédiatement ci-dessous sa version "muette") était le portrait d'un jeune franco-américain du nom de Cameron-Defoe descendant du célèbre auteur de Robinson Crusoe...
Je ne donnerais que peu d'éléments biographiques. Parce que Michel Gourlier n'aimait pas parler de lui même et que à la fois timide et dans la période durant laquelle je l'ai fréquenté tout empli de moi même, je n'ai pas demandé de détails sur sa vie. Je pense qu'il est né à la toute fin des années 20, du coté de Grenoble. Je subodore qu'il venait d'un milieu bourgeois, sa bonne éducation en témoignait. Il avait une soeur qui était venu voir l'exposition...
Voilà bien longtemps que je ne ai pas revu Michel Gourlier... Les années 80 ont du mal lui aller avec leur exhibitionnisme, leur débraillé sympatoche, leur égalitarisme policier, leur frénésie sexuelle. Gourlier était un sensuel sentimental dont le modèle des relations entre un ainé et un adolescent était celui de la Grèce antique... Il a du être bien malheureux durant la mitterrandie flicarde et il ne doit sans doute pas plus apprécié l'ére du président à Rolex...
Selon mes dernières informations, indirectes, datant de trois mois, Michel Gourlier est toujours vivant et résiderait dans le sud ouest de la France. Je n'ai pas souvenir d'un homme vraiment secret, simplement de quelqu'un d'assez timide et tourmenté, surtout d'un bel artiste, qui n'avait pas envie de raconter sa vie au premier quidam venu. Il avait bien raison...
Nota:
1- Si des lecteurs possèdent des originaux de Michel Gourlier, je serais heureux qu'ils m'en envoient des photographies pour que je les affiche sur le blog. Ce qui ferait mieux connaitre l'oeuvre de cet artiste qui le mérite amplement. De même qu'ils n'hésitent pas à m'écrire pour compléter mon information, encore une fois bien lacunaire.
2- Merci à Bruno pour l'envoi de la photo de la vitrine de la galerie 90, lors de la première exposition Gourlier. Merci également à monsieur Henrik Schacht de m'avoir envoyé la photographie de l'original immédiatement ci-dessus.
3- Ce billet a été écrit en mai 2012
Je vous remercie de cette remarque que pourtant je ne suivrais pas, Sénécal me parait beaucoup moins doué que Gourlier, mais j'aimerais voir plus de dessin de Sénécal pour me faire une opinion.
david526969@yahoo.fr
Et la "pureté", n'en parlons pas ! puisque, me confessant encore à cette époque, j'étais bien obligé d'avouer ces péchés, dits, au contraire "d'impureté"... Qui tous n'étaient pas dûs - mais souvent aussi, à coup sûr ! - aux si jolis garçons en culottes courtes torrides (et pagnes, et tuniques grecques, et slips de bain !) du merveilleux, du terrible Gourlier.
Je ne trouve pas non plus que les dessins (plus "rigolos", plus "sains", plus réalistes et fantaisistes à la fois du très grand Joubert ressemblent aux dessins de Gourlier. Ils sont plus "scouts" (bien sûr...) et plus carrés ; mais toutefois aussi sensuels, aussi érotisants. Les treize ou quatorze ans des "chaleurs que l'on tait" (mais pas en confesssion...) ont duré plus longtemps que cet âge dans ma vie. J'étais timide etc, et il m'a fallu quelque temps pour rencontrer de "vrais" Gourlier...