Je me sentais coupable envers vous, je n'ose pas vous tutoyez, vous êtes une vieille dame maintenant; avant j'habitais non loin de votre domicile, alors j'allais vous rendre visite souvent. Et puis j'ai déménagé, vous êtes restée dans vos appartements qui ont embelli depuis que je vous y vites pour la première fois, il y a peut être trente cinq ans... Je suis donc venu moins souvent, cela fait un peu plus d'un an que je ne vous avais pas vu et encore la dernière fois je ne me suis pas attardé, je crois que je suis resté plus longtemps auprès d'un autre ami que j'ai non loin de votre loft vitré, un vautour de Pondichery auquel j'offrirais bien mes restes s'il en voulait bien que je ne sois pas Zoroastre... Et puis depuis que ma chère tante, une grande visiteuse de votre enclos, m'a été enlevé par un méchant crabe, je n'ai plus personne à qui parler de vous... Alors apprenant que Nicolas Philibert vous avait consacré un film, je me suis précipité pour allez le voir. Ainsi j'ai eu de vos nouvelles, un peu en contrebande, sans avoir à me justifier de ma longue absence. Je ne vais pas être hypocrite durant ce face à face de plus d'une heure, je vous ai trouvé vieilli, presque aussi fourbu de la vie que moi, mais vous avez encore de beaux restes et vos longs cheveux roux, à votre âge, feraient bien des envieux chez les humains...
A se refléter doublement, dans vos yeux et dans la vitre qui nous sépare, on se pose bien des questions sur vous et sur nous même. On vous prête des pensées qui n'ont probablement jamais effleurées votre occiput, des mélancolies que peut être vous ignorez, des désirs de jungle, alors que vous ne voudriez pour rien au monde quitter votre chez vous que vous habitez depuis 1972. Vous aviez trois ans quand on vous arracha à Bornéo. Et puis tous ses drôles qui défilent devant vous depuis des années, vous manqueraient sans doute; d'autant que protégée par l'épaisse vitre vous n'entendez pas toutes les conneries qu'ils profèrent. Alors que je suis sûr que vous comprendriez tout. Je crois à cette légende de Bornéo qui dit que les orang-outang savent parler mais qu'ils ne parlent pas, ainsi on ne les fait pas travailler. Vous avez été star, quatre maris et quatre enfants. Et puis même si vous êtes encore photographiée et même, dessinée! Vous vous rendez bien compte que les plus jeunes au pelage luisant attirent plus les objectifs. Il en va ainsi de toute gloire. Le film de Nicolas Philibert est un peu votre « Sunset boulevard>>.
En vous regardant sur l'écran, dans une salle peu remplie, je me disais que j'étais sans doute le seul de vos admirateurs à avoir connu une cage et le plaisir, un peu inquiet, sur un chemin de Bornéo, un peu moins de dix ans après votre naissance, de voir un orang outang courir à ma rencontre. Tout cela m'aide à vous comprendre maintenant que je suis un peu comme vous, un rentier de la vie... Un de vos regardeur à cette remarque que je pourrais presque faire mienne "Cette rentière velue est victime de sa rareté".
Si théoriquement les daims de Nara doivent restés dans le parc de la ville, le plus grand du Japon, en fait les animaux sacrés investissent presque toute la ville et les collines qui d'un coté jouxtent le parc. Il arrive même qu'il rentre dans les boutiques! Certains se postent à proximité de l'étale des marchands qui vendent des galettes qui leurs sont destinés. Aussitôt qu'un touriste en achète, les entreprenantes bestioles se précipitent contre lui et n'hésitent pas à lui faire les poches. Si vous sortez une carte de la ville ou un billet de banque, ils risquent de terminer dans l'estomac de ces gloutons avec une étonnante rapidité.
Nara, Japon, avril 2010