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Dans les diagonales du temps
9 juillet 2023

Petites réflexions sur la critique de cinéma

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Ces quelques remarques sur ma pratique de la critique cinématographique ont été provoquées par le souvenir d'anciennes conversations avec diverses personnes sur le sujet. Leur reproche principale tourne autour du fait que j’écrirais des critiques plus nourries par  ma connaissance des techniques de tournage, plus que par l’émotion première qui m’aurait envahi lors de la vision du film. Ils ont parfaitement raison et je revendique cette posture devant l’objet cinématographique. Je me méfie en effet de l’émotion, parce que, sans doute, je sais par expérience qu’elle peut me submerger et faire vaciller ma raison. Je m’en méfie aussi en regard de l’histoire par exemple il faut rappeler que si Robert Brasillach a embrassé la cause nazi c’est en partie (en partie seulement j’insiste) parce qu’il a été subjugué émotionnellement lors des grandes fêtes brunes de Nuremberg. J’aurais pu choisir comme exemple bien d’autres égarements dans lesquels l’émotion supplanta la raison.
S’il m’arrive de peut être forcer le trait, c’est que depuis des années je suis agacé par plusieurs formes de critiques cinématographiques dont celle, qui est peut être la plus horripilante tout en étant la plus insidieuse, parce qu’elle s’inscrit dans l’anti-intellectualisme de plus en plus en vigueur dans notre citadelle assiégée par les barbares, est celle qui prône le magister de l’émotion sur le savoir. Critiquer c’est juger, il me semble que la moindre des choses est de demander au juge de connaître son dossier.
Il est également bon de rappeler en préambule que si le cinéma est un art, il est aussi une industrie. A cette aune il ma parait difficile dans une critique d’isoler le film de son contexte économique (mais aussi artistique et technique) qui le voit naître.
Le cinéma touchant à une multitude d’activités, artistiques, techniques, économiques, industrielles... Son étude demande donc des connaissances dans de nombreux domaines qui ne sont pas toujours voisins.
Si un film est toujours une entité singulière (un prototype), il s’inscrit aussi dans l’histoire, dans celle du cinéma, et dans celle de ses protagonistes, réalisateurs, acteurs, producteurs... Pour en faire une analyse il ne me parait pas inutile de le situer dans ces différents champs.
Art, industrie mais aussi technique, un film c’est d’abord des images. Celles ci dépendent d’une technique, d’un savoir (du réalisateur, mais surtout du chef opérateur et du cadreur, il arrive que ces trois postes se fondent en deux ou en un seul) et d’un matériel. Oublier ce dernier revient souvent à attribuer un résultat à la volonté du cinéaste alors qu’il est surtout le fruit des possibilités d’un matériel à un moment donné. Le style du cinéma de la Nouvelle Vague doit beaucoup (certes pas seulement) au fait que les caméras soient devenues plus maniables à la fin des années 50, permettant aux cinéastes de s’évader des studios, comme l’invention du tube de peinture au deux tiers du XIX ème siècle incita les peintres à aller sur le motif. Autre exemple si la plupart des films tournés actuellement à l’aide d’une caméra vidéo se distinguent par la grande profondeur de champ de leurs images, ce n’est pas seulement du fait de la volonté de leur réalisateur, mais surtout parcequ’il est difficile de modifier ce paramètre sur nombre de caméras vidéos. Méconnaître de tels réalités amène le critique à des raisonnements viciés par cette ignorance.
Autre particularité qui m’irrite et m’afflige chez de nombreux critiques de n’avoir comme références que celles se rapportant au cinéma  comme si ce dernier était une sorte de bulle étanche de tous les autres modes d’expression alors qu’au contraire il est une sorte de synthèse de tous. Comment avoir un avis sur la qualité ou l’éclairage d’un film en méconnaissant la photographie et la peinture? Comment estimer la qualité d’un dialogue si l’on ignore tout du théâtre? Est-il possible d’évaluer un scénario si l’on a jamais ouvert un roman. J’ajouterai que la France est le seul pays à faire une distinction absolue entre un film sortie en salle et un autre uniquement vu à la télévision. Ce phénomène met en évidence la segmentation des savoirs et des plaisirs, véritable atteinte à l’intelligence. Il me parait impossible qu’un amoureux du cinéma, les images qui bougent, ne s’intéresse pas aux images fixes, peinture, dessin, bande-dessinée... sans oublier les corps ni de regarder par sa fenêtre.... Cessons de nous moquer de Pic de la Mirandole, tentons de lui ressembler, même si l’on sait que c’est une utopie, et après seulement prenons la plume...
Un autre type de critiques a le don de m’exaspérer, celles qui ne semblent écrites que pour étaler l’égo de leur auteur. Le film devient alors qu’un prétexte à digressions oiseuses et lorsque l’on a terminé de lire ce poulet, on ignore tout de ce que contient l’oeuvre. La critique doit être informative et répondre à la prosaïque question: de quoi ça parle? Sans bien entendu en déflorer l’intrigue. On peut bien sûr citer quelques journalistes de grand talent dont les échappées de leur sujet étaient géniales que l’on se souvienne des articles de Bernard Franck ou de ceux d’Hervé Guibert  mais dans ces cas nous avons à faire à des professionnels inspirés, ce qui n’est ni le lot actuel des rédactions ni celui des blogs.
Pour ne rien dire sur les textes jargonnants et abscons qui refleurissent depuis quelques temps aux Cahiers du cinéma par exemple.
Si malheureusement aujourd’hui la place est comptée dans la presse pour la critique de cinéma, il est en effet difficile de tenir le cahier des charges que j’ai esquissé pour elle, s’il n’est dévolu que quelques signes pour rendre compte d’un film. Mais ce triste état des choses n’est pas vrai pour les revues spécialisées et encore moins pour les blogs.
Reste la présence du je, du moi, dans ces textes. Là on oscille entre deux extrêmes, l’absence totale de références à l’ expérience personnelle de l’auteur, ce qui est devenu quasiment la règle dans la presse écrite (exit le “nouveau journalisme”) ou l’envahissement de la critique par l’ego de l’auteur ce qui est souvent le cas sur les blogs. S’il me parait hypocrite de faire comme si l’écrivant était un pur esprit, il est tout aussi peu satisfaisant pour le lecteur qui cherche aussi dans une critique un guide pour voir un prochain spectacle ou/et pour l’achat d’un dvd, le critique est aussi un prescripteur, de lire que les états d’ame du journaliste. 
Vous devez dire avec raison que mes propres papiers sont bien loin de l’idéal que je fixe. Mais il n’est pas interdit de mettre le cap sur l’infini, ni d’avoir des ambitions un peu au dessus de ses capacités. 
 

Commentaires à la première édition de ce billet

J'adhère totalement à votre point de vue (un véritable manifeste, au fond, qui brasse, en un excellent raccourci,pas mal de questions essentielles...)Et cependant, qu'il est difficile de se maintenir, au quotidien, à la hauteur de cet idéal !... Vous le soulignez avec justesse dans le dernier paragraphe... 
Mettre "le cap sur l'infini" (bien belle formule...), était aussi, probablement, la volonté de Brasillach, que vous évoquez. Quel dommage qu'il l'ait moins exercée dans le domaine critique que dans le domaine politique. En tant que critique cinématographique, il fut tellement -- et si tristement -- conservateur et maurrassien... Eternel dilemme de la raison et de l'instinct, que votre post, mine de rien, expose en profondeur... Sans à y apporter de réponse -- et c'est ce qui fait sa beauté, et sa justesse...

Posté par BBJane
réponse a BBJane

Tout d'abord il faut dire que j'ai emprunté la formule "mettre le cap sur l'infini" à Fêlix Leclerc.
Conservateur Brasillach à propos de ses critiques de cinéma, oui, si l'on considère que dans les années trente c'était une position conservatrice que de regretter le cinéma muet, évincé par le parlant, mais dans l'esprit de Brasillach (et de Bardèche que j'ai bien connu) c'était défendre la primauté de l'image sur le texte; ce qui était paradoxale pour un écrivain.

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Commentaires
S
Il aurait été préférable que l'INA possède des captations de spectacles du TNP plutôt qu'avoir à proposer en archives "Au théâtre ce soir..." de Pierre Sabbagh !
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J
La véritable raison de jean Villar d'interdire les captations, c'est qu'il estimait le théâtre « art vivant » son credo avec le TNP est surtout le « P » de populaire pour permettre au « peuple d'aller voir » donc se déplacer et non pas « consommer » de l'art en boite... en restant chez soi…
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S
A propos des prestations scéniques de Gérard Philipe, l'absence de documents filmés est lié au fait aberrant que le directeur du TNP (théatre d'etat subventionné) , Jean Vilar INTERDISAIT toute captation des spectacles.<br /> <br /> Vilar a été vilipendé en mai 1968.Peut-être pas sans raison ?
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S
A propos des critiques de cinema, j'ai appris par le documentaire de P.Jeudy sur l'acteur emblématique Gérard Philipe décédé en 1959 que François Truffaut , comme critique aux "Cahiers du Cinéma" avait écrit des horreurs méprisantes contre lui.
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