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Dans les diagonales du temps
6 juillet 2023

Biographie d’Yves Navarre

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 juillet 2023

 

 

Un ami m’a conseillé de lire « Biographie » d’Yves Navarre, livre que j’ai eu la surprise de découvrir dans ma bibliothèque où il s’empoussiérait depuis plus de quarante ans, Biographie est paru à la rentrée de 1981, je l’ai acheté à ce moment là et il était resté depuis dans ma bibliothèque sans avoir jamais été lu; ce qui extrêmement rare chez moi, ayant la curieuse idée d’acheter des livres pour les lire… C’est contrairement à ce que pourrait suggérer le titre, une autobiographie de l’auteur. Gros livre de près de 700 pages divisées en 94 chapitres, chacun portant un titre évocateur de son contenu. Ces chapitres appartiennent à deux flux distinct qu’on lit alternativement. L’un est écrit à la troisième personne du singulier dans laquelle l’auteur déroule chronologiquement sa vie, de la petite enfance jusqu’à l’anniversaire de ses quarante ans. Dans cette partie Yves Navarre se traite comme un personnage qu’il nomme Yves instaurant une distance entre le Yves passé et celui qui écrit son histoire dans le présent de l’écriture. Le livre a été commencé le 15 mars 1980 pour être achevé le 24 septembre de la même année. Le second flux  est le journal de l’écriture du premier. Dans cette seconde voie, qu’on lit en alternance avec la première, Yves Navarre dit je. Les deux flux se rejoignent à la dernière page lorsque la chronologie de la vie de Navarre rattrape son présent. Tout le livre est la convergence du il vers le je. Cette construction, à ma connaissance unique dans le corpus de l’écriture de soi, est la grande qualité de « Biographie » qui en fait donc un livre unique et majeur. Même si  j’ai certaines réserves qui sont dues plus à l’homme qu’à l’oeuvre par elle-même, celui du présent de l’écrit, avec lequel on a un peu de mal à entrer en empathie dans les premiers chapitres. Il est difficile dans le genre autobiographique d’apprécier un ouvrage, du moins pour un lecteur comme moi qui ne recherche dans la lecture que le plaisir, si l’on a pas un minimum de sympathie pour l’auteur mais au fil des pages Yves Navarre réussit progressivement à nous émouvoir. Avec « Biographie » il ne faut pas être un impatient du plaisir…

 

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Ce portrait d'Yves Navarre illustre une carte scolaire créée le 16 novembre 1955, classe 2M3 du lycée Pasteur à Neuilly-sur-Seine. Yves avait 15 ans.

 

Si l’on oublie le présent du récit qui est un journal de l’écriture du livre, pour ne s’intéresser qu’au récit chronologique d’une enfance puis de toute une vie, on y découvre un enfant hypersensible qui porte pendant longtemps un regard pur, ou plutôt neuf, sur le petit monde qui l’entoure, un monde étriqué mais comme l’est presque toujours le monde d’une enfance. L’enfant dans sa solitude, il apparait parfois comme, étranger à sa famille et il est rejeté par les autres enfants,  cherche a exprimer ce qu’il ressent par le dessin, la musique, ce sera au final l’écriture qui l’emportera sur les autres modes d’expression. Très jeune il éprouve le besoin de faire, pour tenter d’expulser l’angoisse qui le travaille dans son milieu hostile.

 

Biographie peut être lu d’une manière extra littéraire comme celle, au corps défendant de l’auteur, de l’exposition d’un cas clinique: soit l’anéantissement d’un être par un pervers narcissique, avec cette double particularité, d’abord que le pervers est le père de sa victime et qu’ensuite, particularité moins exceptionnelle, que la victime est atteint du syndrome de Stockholm, autrement dit qu’elle est quasiment amoureuse de son bourreau. Pendant toute ma lecture, je me suis demandé par quelle aberration, le narrateur, s’obstinait à vouloir aimer son père, un être détestable jusqu’à la caricature, d’un égoïsme maladif; un parfait salaud encouragé par sa mère qui tisonne sa méchanceté pour que jamais celle-ci s’éteigne. La seule raison que je vois à l’indéfectible besoin d’aimer son père pour Yves, c’est  cette terrible injonction de la société qui oblige à aimer ses parents quelle que soit la nature de ceux-ci et bien, on voit dans le cas d’Yves Navarre que ce genre de convenance peut être meurtrière et qu’il faut expressément se libérer de celle-ci. Ce père est la figure centrale de cette autobiographie, figure autour de laquelle tout s’organise. En dépit de ses efforts, Yves ne parviendra jamais à s’échapper du cocon étouffant et venimeux que son géniteur a tissé autour de lui. Quand on pense que cet homme, grand commis de l’état, il a présidé durant des années l’Institut  Français du Pétrole, avait été pressenti par le général de Gaulle, en 1958, pour être ministre de l’industrie ou pire ministre de l’Education Nationale, on se dit qu’on l’ a échappé belle!  

 

Et c’est ainsi, qu’au fil des pages, le lecteur devient témoin de l’altération d’Yves, de son assèchement. Au début comme il est attachant ce garçon, si soucieux du vivant comme en témoigne par exemple le touchant passage sur les escargots… On a le coeur serré de voir un enfant aussi sensible se muer en un adulte sec? Sans doute aussi pour contrebalancer son père délétère qu’il n’a pas trouvé une personne qui l’aime vraiment. Ce qui est terrible c’est de constater la différence entre l’Yves enfant qui offre son corps au soleil  à l’Yves adulte replié sur lui même rongé par l’amertume. A quarante ans il écrit comme un vieillard qui ne semble plus avoir de futur.

 

Il a manqué probablement à Navarre un éditeur ayant assez de compétence et l’autorité pour l’auteur écoute ses conseils par exemple celui de ne pas publier à quarante ans cette autobiographie dans laquelle le romancier brule ses vaisseaux, mais d’attendre pour faire connaitre au public ce livre foisonnant mais trop révélateur des soubassements d’une oeuvre ce dont, avec cette autobiographie précoce, Yves Navarre n’a pas conscience.

 

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Yves Navarre photo de Bernard Faucon 

L’auteur est écrivain, il nous fait donc un peu entrer dans l’atelier du romancier, insatiable polygraphe l’écriture étant sa vie et la dévorant peu à peu jusqu’à l’assécher. Les deux cent dernières pages sont également un voyage dans les moeurs de l’édition française des années 70-80 et nous montre les difficultés pour un écrivain, sans concession comme l’est Yves Navarre de vivre de sa plume: << On dit des auteurs qu'ils changent d'éditeurs. On ne dit jamais d'un éditeur qu'il change d'auteur. Prudent, l'éditeur refuse oralement. Il se réserve ainsi le droit de nier ensuite ce qu'il a dit. L'auteur piétiné ne peut être que perdant. On dira de lui qu'il ment >>. Navarre est très soucieux de la manière dont sont reçus et lus ses romans: << Je sens qui me lit : les lecteurs de romans, les derniers des Mohicans. Ceux encore capables de faire un effort, l'effort du corps à corps avec la page.Je n'ai pas de lecteur de marge.Je n'aspire pas à cet "avoir". Je "suis" lu. Etre.L'écrit s'adresse à une cible. Fric. Mensonge. Panurgies.Pas l'écriture. Histoire d'amour. Etre ce que l'on est.>>. Il déteste qu'on le considère comme un écrivain homosexuel pour lui, il est un homosexuel qui écrit: « On m'a étiqueté écrivain homosexuel alors que je suis écrivain "et" homosexuel. C'est différent. Il n'y a pas de littérature homosexuelle mais une littérature de l'homosexualité. »

 

Biographie est un livre très riche. On y découvre un autre aspect méconnu de l’auteur c’est son accointance, du moins lorsqu’il est un romancier débutant, avec certaines personnalités, tel Tournier qui lui donne des chats! Jean-Louis Bory qui conseille le romancier débutant qu’il est, David Hockney qui lui peint un décor pour un ballet dont il a écrit l’argument, Duras dont parfois le style affleure, avec ses répétitions, dans certains chapitre, Marcel Jouhandeau avec qui selon ce dernier, le jeune Navarre de vingt ans aurait eu des relations intimes… Même si on aurait aimé en connaitre plus sur le regard que l’auteur porte sur ces célébrité, c’est tout à l’honneur d’Yves Navarre de ne pas faire étalage de ses « relations mondaines » alors que tant d’autres écrivains transforme leurs livres de souvenirs en name-dropping. D’autres personnages de moindre envergure médiatique ou dont Navarre a voulu protéger l’anonymat s’avancent masqués. On peut s’amuser à essayer d’ôter leurs masques. Si je n’ai pas trouvé qui était, Emmanuel, le couturier, qui semble un ami proche de l’écrivain, Lacroix? En revanche en RacolBoche j’ai reconnu feu mon ami de Ricaumont; un pseudo bien méchant pour un homme aussi gentil et généreux. J’ai fréquenté moi aussi son salon mais je n’y ai jamais rencontré Navarre hélas mais Banier ce qui était beaucoup moins intéressant et je n’étais pas en attente que l’on m’offre des cravates de chez Charvet comme certains des garçons de ce salon, j’achetais mes cravates chez Hermes avec mon argent… Les pages les plus belles dans Biographie sont celles sur l’Espagne qui prises à part font une magnifique nouvelle clos sur elle-même. Faire du personnage de Dom Francisco, gouverneur de l’Andalousie sous Franco, un homme ouvert et généreux, montre l’indépendance d’esprit d’Yves Navarre dont le coeur penchera pourtant toujours à gauche.

 

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L’ouvrage est encore par son décor un portrait d’une époque encore proche mais qui nous parait déjà lointaine avec le cinéma comme étant LA distraction principal. Dans sa jeunesse Yves Navarre est un grand lecteur et aussi un grand consommateur de films. On assiste surtout à l’avènement de la publicité reine. Yves Navarre sera rédacteurs dans diverses agences de publicité durant une dizaine d’années avant de se consacrer uniquement à l’écriture.

 

Biographie est un livre essentiel pour ceux qui s’intéressent à l’écriture autobiographique; c’est surtout le livre majeur d’un auteur injustement mésestimé. Un livre  à lire et à relire mais il ne faut certainement pas commencer par Biographie pour ceux qui veulent découvrir Yves Navarre. Je leur conseillerais plutôt d’entrer dans son univers par « Evoléne ».

 

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Yves Navarre avec Tiffauge

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Commentaires
J
5em roman de Navarre, Killer, est écrit à l'époque de la faune du Paris interlope des années 70/75, l'époque des "folles" de la rue Sainte-Anne, des premiers saunas, du Bronx et sa back-room... Haut lieu de la libération sexuelle et artistique. Yves Saint-Laurent, Andy Warhol, Simone Signoret… les écrivains, couturiers et acteurs célèbres qui avaient l’habitude de fréquenter le quartier.<br /> <br /> Le Sept, le Colony, le Club 18… réputés pour avoir été les plus chauds et les plus trash de la capitale. À la fin des années 70, les beaux garçons qui tapinent entre le boulevard de l’Opéra et la rue Thérèse, et les clubs, le 7 a l'origine du disco, quartier Sainte-Anne... était l’épicentre du Paris "pédé" comme on disait alors.<br /> <br /> Il y a bien longtemps que les rires de crécelles des folles ne raisonnent plus dans la rue, laissant place aux effluves nippones...
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I
J’avais moi-aussi dans une bibliothèque, mais à l’autre bout de la France dans ma maison d’enfance et de vacances, un livre d’Yves Navarre qui s’empoussiérait depuis plus de quarante ans….quarante six ans exactement vu la dédicace datée de 1977 de l’amie qui me l’avait offert. Ce livre, non seulement je ne l’avais pas lu, mais je ne me souvenais même pas de son titre. Votre très intéressant billet a attisé ma curiosité, et m’a donné envie de le lire. <br /> <br /> En arrivant sur place en juillet, j’ai découvert qu’il s’agissait de "Killer". N’étant pas un des titres les plus connus d’Yves Navarre, peut-être n’est-il pas l’un de ses meilleurs. En tous cas dès le début j’ai compris pourquoi sans doute je n’avais pas réussi à le lire en entier précédemment, et pourquoi il m’avait aussi peu marquée si j’en avais lu davantage. Il commence dans l’intimité, pénible à mon goût, de tout un petit groupe de travestis, et se poursuit en compagnie de riches mondains gays, plus superficiels les uns que les autres. Beaucoup d’entre eux se désignent eux aussi – comme les travestis - au féminin, ce qui m’agace. Parmi eux une seule vraie femme, plus agaçante encore que les autres protagonistes. L’auteur ne semble pas vraiment aimer les êtres et le milieu qu’il décrit. Est-ce pour cela que ses personnages me sont étrangement indifférents ou antipathiques ? Même le personnage de Killer - le jeune écrivain gay désabusé assez infatué de lui-même, sans doute un double de Navarre - ne m’a pas vraiment touchée, les autres encore moins. Tous semblent traîner leurs désirs dans une effrayante vacuité. Pas étonnant qu’au moins trois d’entre eux – dont l’écrivain- songent au suicident. Deux finissent par passer à l’acte sans laisser beaucoup de regrets, ni au lecteur, ni aux autres personnages. <br /> <br /> Reste tout de même les belles qualités d’écriture d’Yves Navarre que vous avez notées. Comme dans "Biographie", son récit s’organise de façon agréablement complexe, le Journal du personnage de l’écrivain apparaissant avec habileté en contrepoint de la narration. Il y a aussi une capacité des mots à dire les émotions du corps et des sentiments, avec un style toujours vif et personnel, parfois un peu trop précieux pour moi, mais qui donne heureusement un peu de relief à L’ensemble. Ce que j’ai bien aimé surtout, c’est ce qu’on devine d'autobiographique justement, derrière le récit : ses personnages dans leurs singularités, à commencer par le personnage de l’écrivain, avec la figure tutélaire du père de l’écrivain ( là, il est juge ! ), jusqu’à la tentation du suicide… Je note que "Biographie" est écrit 6 ans après "Killer".
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A
bel article;je vous avoue avoir aussi oublié ses livres dans ma bibliothèque;autre époque sûrement
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