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Dans les diagonales du temps
3 décembre 2022

Huit heures à Berlin, une aventure de Blake et Mortimer d'Aubin et José-Louis Bocquet et Jean-Luc Fromental

Capture d’écran 2022-12-02 à 07

 

 

Printemps 1963. Dans l'Oural, au coeur de l'Empire soviétique, une mission archéologique découvre sept cercueils. À l'intérieur, des cadavres dont la peau du visage a été arrachée. 
Au même moment, à Berlin, un homme se fait tirer dessus alors qu'il franchit le Mur coupant la ville en deux. Avant de succomber, il réussit à prononcer un mot étrange : Doppelgänger. 
A priori, aucun rapport entre ces deux événements. 
Mais en réalité, il existe bien un lien entre la macabre découverte et le transfuge abattu. Ce lien porte un nom : Julius Kranz, un chirurgien est-allemand spécialiste des manipulations électro-chirurgicales sur le cerveau humain. 
L'un après l'autre, Mortimer et Blake vont croiser la route de ce scientifique machiavélique. Ils auront la désagréable surprise de retrouver à ses côtés un aventurier sans scrupules, qui prépare la plus grande mystification de l'histoire de l'humanité... 

 

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Les scénaristes scénaristique José-Louis Bocquet et Jean-Luc Fromental dont c'est la première incursion dans l'univers jacobsien, nous servent ici  deux récits qui vont finir par en faire qu'un d'abord un pur récit d'espionnage pendant la guerre froide, dont le héros est Blake, dans un récit palpitant basé sur une solide documentation qui ancre bien le récit dans son époque. La deuxième qui cette fois intéresse Mortimer est une version modernisée d'une histoire de savant fou. Le récit est habilement construit, narré, découpé, dialogué, en faisant se succéder des séquences de 2 ou 4 planches soigneusement agencées, alternant les deux branches de l'intrigue avant le regroupement des héros dans le 'climax' qui n'est pas ce que je trouve le plus réussi, loin s'en faut car les scénaristes ont innové, raccrochant l’univers imaginaire de Blake et Mortimer à une réalité historique. Jacobs ne l’avait pas fait et on comprend pourquoi..Orchestrés par alternance entre les péripéties de Mortimer et celles de Blake, ces modules impriment un rythme agréable et addictif, riche en contrastes, s'équilibrant les uns avec les autres. Une assez belle maîtrise scénaristique, qui joue avec de multiples références - évidentes ou pas. De pages en pages, on trouve aussi pas mal d'idées fortes et originales, assez en tout cas pour que les clins d’œil s'intègrent souplement dans un thriller qui mixe plusieurs genres avec gourmandise. Si on n'a pas le plaisir de retrouver les engins volants fantastiques chers à Edgar P. Jacobs, en revanche on se délecte d'une pléthore de véhicules d'époque parfaitement identifiables transportent les personnages à travers l'Europe. Encore une fois la participation d'Olrik n'apporte pas grand chose. Il serait temps d'envisager des aventures de Blake et Mortimer sans Olrik.

belle reprise d'une scène du film "Funeral in Berlin"1966, de Guy Hamilton . L'acteur Günter Meisner opère un méthode similaire

 

Les lecteurs attentifs identifieront quelques subtiles références à Tintin, comme la scène de la voiture tombant dans le lac Léman (case 6 de la page 17) reprise à l'identique de L'Affaire Tournesol, mis à part le modèle de la voiture. On retrouve aussi quelques éléments un peu décalés, comme la présence de Barrett, le nouveau majordome en habit qui sert Blake et Mortimer dans leur appartement londonien (le 99bis Park Lane repris de La Marque Jaune), voire humoristiques comme la réplique de Mortimer "Qui osera prétendre que la discrétion des agents secrets est un mythe ?" qui répond subtilement à celle de Blake "Qui osera prétendre que la distraction des savants est un mythe ?" à la planche précédente, ou le pseudonyme Lawrence White utilisé par Francis Blake.

 

Aubin-Hommage-Affaire-tournesol

 

En haut dans 8 heures à Berlin, en bas dans Tintin

 

On peut aussi apercevoir quelques courbes féminines sensuelles (dans une seule case, point trop n'en faut) et une courte scène avec Mortimer en sous-vêtement...  Si c'est tout à fait courant de nos jours, voilà une liberté qu'Edgar P. Jacobs n'avait pas pour ses planches publiées à l'époque dans le Journal Tintin.

S'il est difficile à propos du docteur Kranz de ne pas penser au sinistre docteur Mengele. On peut aussi penser à une influence plus littérairecelle du "Mystérieux Docteur Cornélius" un roman fleuve de Gustave Le Rouge datant des années 1910. Dans ce roman le docteur Cornélius Kramm, inventeur de la "carnoplastie", use de cette version de la chirurgie esthétique pour modifier le visage de celles et de ceux qui sont destinés à servir les intérêts de l'organisation criminelle qu'il dirige avec son frère. Sculpteur de chair humaine ... c'est ainsi que l'auteur désignait son (anti)héros.

Sans oublier des références cinématographiques comme Les yeux sans visage de Franju sorti en 1960 et qui reprend l'idée de changer le visage des gens en leur arrachant. Plus recemment "La piel que habito" d'Almodovar. Plus surprenant une case fait clairement référence à "Orange mécanique". Dans une interview Jean-Luc Fromental justifiait sa pléthore de références: << La grande différence entre le travail de Jacobs et le nôtre, c’est que Jacobs s’adressait à des enfants de 10 ou 12 ans, dont nous étions, José-Louis et moi. Nous, nous écrivons pour des adultes. Cela nous fait échapper au pastiche et à la parodie. Nous pouvons y instiller du Hitchcock et piocher dans John Le Carré ou Ian Fleming.>>.

 

Le_Mystérieux_Docteur_Cornélius_n°03_-_Le_Sculpteur_de_chair_humaine

 

 

On remarquera qu'un agent des services secrets soviétique à la tête de Poutine et qu'Hitchcock fait une apparition dans une case! On trouvera des images de «Psychose» et une ambiance qui rappelle «Le rideau déchiré».

Le dessin d'Antoine Aubin qui signe là son troisième album de Blake et Mortimer est parfaitement fidèle au style graphique d'Edgar P. Jacobs.  Les décors et les véhicules sont finement travaillés sur base de photos d'époque (avec des bâtiments parfois déplacés à bon escient comme l'Université de Moscou qui sert de modèle au sanatorium d'Arkaïm), les personnages sont fidèlement répliqués, même Blake qui est particulièrement complexe à reproduire pour d'autres dessinateurs de la série.

 

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Et Antoine Aubin est vraiment le maître du découpage et de la mise en scène : découpant les planches en 3 ou 4 bandes avec certaines cases subdivisées en 2, comme le faisait Edgar P. Jacobs, il alterne des perspectives variées et toujours cohérentes qui soutiennent à merveille le rythme du récit. Toutefois à la différence de Jacobs ses découpages et ses influences sont cinématographiques, quand Jacobs a toujours été très théâtral : le gentil en arrière-plan et le méchant au premier caché derrière un mur prêt a (mal) agir. Une mention spéciale pour les jeux d'ombre et les reflets (notamment les reflets des voitures sur le bitume mouillé) qui sont impressionnants de réalisme. Les 62 pages sont particulièrement denses avec une multitude de récitatifs, encore plus que chez Jacobs et un gaufrier très fragmenté avec une douzaine de cases par page. Cette fragmentation a un inconvénient majeur ne pas tirer parti des lieux où se passe l'action, par exemple du Sanatorium avec son décor Stalinien à l'abandon. Il n'y a aucune vignettes d'ampleur pour décrire les lieux et ce lieu en particulier dans la bd... Mortimer qui y fait un passage éclair... pourtant un Blake et Mortimer devrait soigner son ambiance. Et c'était le lieu parfait pour y installer une ambiance... On peut comparer avec le Lefranc "le repaire du loup" qui présente une même caractéristique soit un bâtiment abandonné dans un lieu inaccessible sur un éperon rocheux sauf que dans cet album tout tourne autour de ce lieu il en fait son lieu d'action... son but... tout est centré autour de ce lieu et il est exploité de part et autre, il est le fil rouge de l'album.

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Laurence Croix soigne les couleurs et impose une atmosphère aux planches rarement vue au niveau des albums post-jacobs.

Si l'on s'amuse à faire une chronologie des aventures des deux compères, ce qui est à la fois audacieux et un peu vain, on situera cette histoire immédiatement après L'affaire du collier et cinq ans après La machination Voronof comme il est mentionné dans l'album.La machination Voronof plongeait dans le même univers mais avec beaucoup plus de réalisme et était à mon avis un album plus réussi. Il est toujours périlleux comme c'est le cas à la fin de l'aventure de mêler un célèbre personnage historique à des héros de fiction.

 

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