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Dans les diagonales du temps
2 juin 2022

Rule, Britannia ! un billet inédit (en papier) de Gabriel Matzneff

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Les trois lanciers du Bengale

 

Lorsque j’étais un petit garçon en culottes courtes, je découvris le génie de l’Angleterre et ses singulières vertus par le truchement de trois films : Noblesse oblige de Robert Hamer, Passeport pour Pimlico de Henry Cornelius, Les Trois Lanciers du Bengale du grand Henry Hathaway ; et de quelques livres : Kim de Rudyard Kipling, Trois hommes dans un bateaude Jerome K. Jerome, le Picwick de Charles Dickens, Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll et les romans d’Agatha Christie.

Cette liste n’est pas exhaustive, mais si je songe à mon enfance, ce sont, touchant les Anglais, les noms et les titres qui me viennent spontanément à l’esprit. Ce furent, me semble-t-il, ces œuvres et leurs personnages qui dès l’âge le plus tendre me donnèrent une juste idée de ce que sont l’humour anglais, le courage anglais, le « splendide isolement » de l’Angleterre et, last but not least, ce magnifique spécimen d’homme qu’est le gentleman britannique.

Ah Oui ! J’allais oublier un film essentiel : Une femme disparaît où, dans des Balkans à la veille de la Deuxième guerre mondiale, Alfred Hitchcock décrit deux Anglais de bonne famille, Cadicott et Charters, interprétés par les merveilleux Naunton Wayne et Basil Radford, étrangers au drame auquel ils sont malgré eux mêlés, soucieux seulement de rentrer à temps en Angleterre pour y assister à un match de cricket, two cricket-obsessed Englishmen… 

A l’âge de quinze ans, ce sera le grand choc de ma décisive rencontre avec Byron. Mais Byron est un génie universel qui n’est pas plus un représentant du génie anglais que, par exemple, un autre génie universel (né, comme lui, en 1788), Schopenhauer, n’est un représentant du génie allemand.

Le Picwick de Dickens et Les Trois Lanciers du Bengale de Hathaway m’ont donné une très haute idée de l’Angleterre, de ses vertus et de ses mœurs. Byron, lui, m’a aidé à devenir moi-même, c’est tout différent.

Rudyard Kipling nous enseigne à aimer notre patrie. Byron, lui, est un professeur de liberté, de dissidence ; un maître pour les aventures amoureuses, le militantisme sporadique, le désespoir allègre et la solitude.

En 1822, à Pise, deux ans donc avant sa mort à Missolonghi, Byron, évoquant son engagement auprès des carbonari de Ravenne, déclare à son ami Thomas Medwin :

« La situation humiliante du Portugal et de l’Espagne, la tyrannie des Turcs en Grèce, l’oppression du gouvernement autrichien à Venise, l’abaissement moral des Etats du Pape, pour ne rien dire de l’Irlande, contribuèrent à m’inspirer l’amour de la liberté. Aucun Italien n’aurait pu se réjouir plus que moi d’avoir vu une constitution s’établir de ce côté des Alpes. J’ai éprouvé pour la Romagne les mêmes sentiments que si elle avait été mon pays natal, et j’aurais risqué pour elle ma vie et ma fortune, comme je le ferai aujourd’hui pour les Grecs. Je suis devenu citoyen de l’univers. » 

l’Europe de Byron n’est pas celle des technocrates ; elle est celle des aventuriers et des poètes ; ce n’est pas l’Europe de la coercition, mais celle de la liberté. C’est l’Europe des nations. C’est la nôtre.

Je me suis marié religieusement à Londres , et à peine descendu du train à la gare de Victoria j’ai su que l’anglais que j’avais appris en classe de la sixième à la première ne me servirait à rien : je ne comprenais pas un traître mot de ce qui se disait autour de moi et les gens affectaient de ne rien comprendre à mon jargon. Lorsque nous montâmes dans un taxi, ma fiancée, nos deux témoins et moi, et priâmes avec notre meilleur accent le chauffeur de nous conduire à l’église orthodoxe russe, en lui précisant l’adresse, celui-ci feignit de ne pas piger, nous fit répéter quatre ou cinq fois « Russian Orthodox Church » et finit par nous demander de l’écrire sur un bout de papier, humiliation suprême, vrai Waterloo linguistique.

Ce jour-là je me jurai de ne plus jamais prononcer un mot d’anglais en Angleterre. Lorsque je suis à Amsterdam, au Caire ou à Bangkok, j’accepte (ne parlant ni le batave, ni l’arabe ni le thaï) de baragouiner deux ou trois mots de broken english, mais à Londres, c’est hors de question. Je suis fortifié dans cette décision par la lecture des romans d’Agatha Christie et l’exemple de mon cher Hercule Poirot qui, vivant en Angleterre depuis des décennies, a une très bonne maîtrise de la langue, mais dont les autres personnages, Anglais de pure souche, eux, ne perdent pas une occasion de railler l’accent étranger et la dégaine de métèque. Il ne s’agit pas là de l’antique rivalité entre Anglais et Français, puisque Hercule Poirot est belge. Non, il s’agit de ce mixte d’hostilité, de méfiance et de dédain que nourrissent les insulaires britanniques à l’endroit des peuples du continent européen. Une attitude qui désole certains et qui, moi, me réjouit, car elle est un des éléments constitutifs de notre résistance à l’uniformité. Que les Anglais restent pleinement Anglais, tel est mon vœu le plus cher.

 

 

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Si j’aime tant Harry Potter, ce n’est pas seulement parce que le succès de J.K. Rowling insuffle le goût de la lecture à des millions d’enfants, comme le firent en d’autres temps Walter Scott et Alexandre Dumas ; c’est aussi parce que Harry Potter exprime un univers typiquement anglais, celui des collèges affectionnés à leurs traditions et à leurs rites que fréquentent des adolescentes et des adolescents bien élevés, celui d’une Angleterre à l’ancienne que l’on aurait pu croire disparue. Lorsque je monte avec Harry, Ron et Hermione dans le petit train à la locomotive rouge qui sur le quai 9 ¾ s’embarque pour Hogwarts, l’école des sorciers, je pars pour une Angleterre fabuleuse et radicalement allergique à l’Europe des marchands de bretelles que certains rêvent de nous imposer. Espérons que Harry Potter accepte de prêter, au moins jusqu’aux élections de 2009, sa baguette magique à M. Gordon Brown. Rule, Britannia ! 


Gabriel Matzneff, 
10 juillet 2007

 

Pour retrouver Matzneff sur le blog:

 

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Commentaires
J
Je souscris sans réserve au souhait de G.Matzneff : "Que les Anglais restent pleinement Anglais, tel est mon vœu le plus cher." <br /> <br /> Par contre, dire " Angleterre fabuleuse et radicalement allergique à l’Europe des marchands de bretelles" c'est oublier que les Anglais ont été les premiers marchands du monde moderne en constituant un empire qui a régné sur les 4 continents. <br /> <br /> Première puissance mondiale à son apogée en 1921, avec un quart de la population mondiale, soit environ quatre cents millions d'habitants, qui s'étendait sur 33,7 millions de km² (environ 22 % des terres émergées)<br /> <br /> 100 ans plus tard et en ce jour du Jubilé de la Reine, l'empire n'est plus qu'ombre de lui-même et le brexit ne fait que le rendre encore plus sombre.<br /> <br /> https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/b/b8/British_Empire_1921.png
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