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Dans les diagonales du temps
16 juin 2021

Jean Boullet au bonheur du jour

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Il y a quelques temps je vous ai parlé de “Wessel + O'Connor Fine Art”, une galerie new yorkaise dévolue essentiellement, mais pas seulement, à la photo masculine. Aujourd’hui, à l’occasion d’une superbe exposition Jean Boullet (1921-1970), je voudrais vous présenter son pendant parisien qui s’appelle “Au bonheur du jour”; peu d’endroit porte aussi bien son nom, tant cet un tel bonheur d’être dans ce lieux, à la fois lumineux et intime, pour admirer moult merveilles. Contrairement à sa consoeur new-yorkaise, si elle se voue surtout à la célébration des beautés masculines et garçonnières ce n’est pas seulement sur le support de la photographie mais aussi par l’intermédiaire du dessin et de la peinture. Ne soyez pas timoré, sonnez, car on ne peut être introduit dans cette caverne d’ali baba de la masculinité que par la maîtresse des lieux qui vous réservera un accueil chaleureux; ce qui est malheureusement bien rare dans les galeries parisiennes. Parfois il vous faudra patientez quelques minutes si Nicole Canet, c’est le nom de cette galeriste passionnée, montre des trésors cachés à un autre esthète. Profitez de l’attente pour faire le tour des belles et longues vitrines que trop souvent on néglige lors des visites aux galeries.



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Bien sûr dans le cas de Boullet, les dessins que vous verrez de la rue, comme ceux reproduits dans ce blog, sont les plus sages  et ne reflètent pas complètement ce que vous allez voir le seuil franchi. Les expositions de la galerie, notamment celle de Jean Boullet, ne sont pas pour les chastes regards. Un conseil demandez à visiter le boudoir, petite pièce pelucheuse et douillette attenante à la galerie qui contraste avec celle-ci claire et dépouillée. Vous y verrez d’autres merveilles,  parfois plus épicées, ne faisant pas partie de l’exposition en cours, mais sur le même thème. Mais il me semble qu’alors il serait indélicat de repartir de cet oasis garçonnier les mains vides. Mais comment quitter cet endroit la besace légère. Si votre pécule ne vous permet pas d’ acquérir des originaux, de prix très variables et toutefois moins chers que de l’autre coté de l’Atlantique, il vous restera les catalogues, les affiches ou les multiples.



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Mais venons en enfin à ce qui m’amena une veille de 1er mai dans cette belle antre, l’exposition Jean Boullet.
Jean Boullet est un personnage de légende, du moins dans un certain milieu. Son influence va bien au delà de sa trop modeste célébrité comme sur le libraire éditeur bruxellois Michel Deligne, sur Druillet par exemple qui l’a rencontré... Une des grandes surprises que l’on a, quand on se penche sur ce personnage, c’est l’extrême diversité de ses activités et des personnes qui l’ont approché. “Au Bonheur du jour” le suggère, car en plus des dessins, on peut voir quelques vitrines qui rendent compte de cette foisonnante vie.



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Lancé comme dessinateur dans le Saint Germain des prés de la Libération il y côtoie le tout Paris artistique de l’époque, Jean Cocteau, Edith Piaf, Marie-Laure de Noaille, Juliette Gréco, Jacques Chazot, Guitry, Kenneth Anger, Piéral, Marcel Carné, Roland Lesaffre, Félix Labisse, Lise Deharme, Michel Laclos, Elliott Stein.... On découvre sur les murs les portraits de Jean Marais, Jean-Louis Barrault, Rolland Petit... En 1944, Michel Déon, à l’occasion de la première exposition de Jean Boullet, le rencontre et en dresse un subtil et juste portrait: <<  Il habitait avenue d’Italie un appartement sur cour, de trois pièces d’enfilade bourrées d’objets baroque, de très belles gravures, de dessins de Jean Cocteau, de Max Jacob . Je découvris un être passionné d’une exquise éducation, qui fabulait certainement mais aussi ouvrait des portes et montrait une curiosité, un savoir incontestable dans des domaines - en premier, le bizarre - où je m’étais peu aventuré jusque là... sous l’étincelant vernis, il y avait un désespéré. >>.

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Jean Chollet, son biographe donne un éclairage différent sur l’artiste: << Il se voulait " imagier " mais son comportement outrancier l'entraîna bien au-delà, dans une rock n' roll attitude jouée en permanence sur son propre théâtre de la cruauté. Discours blasphématoire et anticlérical, dérive onirique où coexistent tritons magnifiques et montres répugnants, cris d'admiration excessifs, tatouages et chirurgie du visage sont quelques repères au milieu d'une quête désespérée des émotions enfantines. >>.



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Il fut aussi journaliste, critique de cinéma. Il collabora à de nombreuse revues, Bizarre, La gazette du cinéma, Saint cinéma des prés, Arcady... On lui doit rien de moins que l’introduction de la science fiction et du fantastique cinématographique en France.  Il est l’auteur d’un article, que malheureusement je n’ai pas lu, mais dont le titre me fait rêver,  “King kong contre Jeanne d’Arc... Il fait connaître aux français Dracula, Bela Lugosi par l’intermédiaire de Midi Minuit Fantastique (1962-1971), édité par Eric Losfield, qu’il co-fonde avec Michel Caen, Alain Le Bris et Jean-Claude Romer. Ce dernier se souvient de la création de Midi Minuit Fantastique, << Tout est parti de la Librairie du Minotaure. C’était la librairie où l’on pouvait trouver tout ce qui était Fantastique, science-fiction, pataphysique… Et c’est là où l’on faisait des rencontres. Au début des années 60, j’y venais régulièrement et j’y ai rencontré un personnage vêtu de noir qui vociférait et qui gesticulait en parlant du Cinéma Fantastique. C’était Jean Boullet. L’incontournable Jean Boullet ! A l’époque, je préparais un numéro spécial de la revue "Bizarre" à propos de Tod Browning. J’en parle avec Jean Boullet qui me dit "Ah, mais moi, ça m’intéresse. J’ai beaucoup de documents chez moi. Ce serait bien que l’on travaille ensemble et ce serait bien de pouvoir ajouter Boris Karloff, Bela Lugosi...>>.

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Pour montrer les films rares qu'il aime, il monte un ciné-club privé dans sa maison de la rue Bobillot : La Société des Amis de Bram Stoker. Grand imagier il illustra des textes de Boris Vian, Edgar Poe, Verlaine et même les évangiles!...

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Ses passions sont très diverses, il s’intéresse aux ombres chinoises, à la magie, la démonologie, les mythologies populaires... En 1968, il ouvre, rue du Château, une librairie spécialisée dans ces thèmes et dans la BD de collection. Mais il ne tiendra ce commerce que pendant une année... Il fut aussi taxidermiste ce qui l’amène à fréquenter le zoologiste Bernard Heuvelmans et un érotomane fasciné par les jeunes amputés... Homosexuel flamboyant il a écrit: << Il y a trois pédérastes comme il y a trois églises, la militante, la souffrante, la triomphante. Je suis heureux d’appartenir à la troisième.>>. Tout de cuir vêtu avant la mode, homosexuel extraverti, cyclothymique, victime de quelques amitiés crapuleuses, il finit sa vie dans un itinéraire foncièrement masochiste. On le retrouvera pendu à l’orée du désert en Algérie en 1970.

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La plus grande partie de la production de Jean Boullet se compose de dessins qui pour le coup peut être qualifié du trop galvaudé, qualificatif de ligne clair. Il suffit à l’artiste de quelques traits sûr pour évoquer un univers mystérieux ou un désir incandescent. Il a néanmoins peint quelques huiles. On peut en voir deux dans l’exposition (mais pas celle ci-dessous du portrait de Jean Marais dans lequel curieusement Boullet semble pasticher le style des peintures de son modèle) dont une d’un pope!

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Les superbes dessins que l’on peut admirer aujourd’hui sont plus lumineux et joyeux que sans doute l’ était leur auteur. Le thème principale en est l’érotisme homosexuel. Il ne sont pas sans rappeler ceux du livre blanc de Jean Cocteau. Le marin y est au centre des fantasmes. Les beaux garçons ne furent pas sa seule source d’inspiration,  dans le même temps Boullet est fasciné par la violence. Il a fait une série sur les esclaves et une autre sur la guillotine.

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Il ne dessine le plus souvent à la plume et à l’encre noire, avec parfois des rehauts de couleur et pas toujours sur des supports nobles. Ses formats, presque toujours rectangulaires excèdent rarement 40 cm dans leur plus grande dimensions. On peut situer son travail de dessinateur entre Aubrey Beardsley et Tom de Finlande. J’ai même trouvé du Philippe Julian dans son interprétation graphique d’oedipe, à moins qu’il y ai beaucoup de Jean Boullet dans les dessins de l’auteur du “Dictionnaire du snobisme”...



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Guitry dans une formule lapidaire dont il avait le secret définit parfaitement le style des dessins de Jean Boullet: <<... C’est dessiné comme avec l’ongle et cependant il n’en est rien mais ce que ç’a d’aérien vient de ce que Jean Boullet jongle.>>.

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La galerie publie un très beau catalogue où pour 35€ vous retrouverez remarquablement imprimé, la quasi totalité de l’exposition. La préface échevelée est signée par Denis Chollet qui est aussi l’auteur en 1999, d’une passionnante biographie de Jean Boullet, “Jean Boullet, le précurseur”, aux éditions France Europe Editions Livres, rarement le style d’un biographe, ici échevelé, aura été autant en parfaite adéquation avec celui de son sujet. On y croise un monde à la Modiano, transfiguré par une écriture profuse.

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P.S. L’excellente et indispensable émission de France-culture, “Mauvais genres” a consacré en mai 2001 à Jean Boullet un de ses numéros. C'est trouvable sur le site de la chaine.

 

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informations pratiques
Exposition Jean Boullet
jusqu’au 21 juin 2008
Au bonheur du jour
du mardi au samedi 14h30-19h30 
Galerie au bonheur du jour
11 rue Chabanais
75002 Paris

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Si cette exposition est terminée depuis longtemps la galerie existe toujours et depuis àa édité un très beau livre somme sur Jean Boullet.

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