Dufy au Musée d'Art Moderne de la ville de Paris
Il fait frisquet, votre portefeuille est aussi plat qu’une limande et vos amours sont à l’unisson de la température, bref votre moral part en capilotade, un bon remède à cela une visite à l’exposition Dufy ( 1877-1953), au musée d’Art Moderne de la ville de Paris. Elle est fort justement sous-titrée, le plaisir.
On passera rapidement sur les murs grisâtres et l’éclairage blafard qui ne parviennent toutefois pas à altérer la joie de vivre qui se dégage de chaque tableau, les explications chiches, mais voilà une peinture qui n’en a guère besoin, et l’absence d’audio guide que remplace l’excellent et économique petit journal de l’exposition à 2 euros!
Pour ne voir que le bonheur, l’appétit de vivre qu’on lit dans chaque toile, dans chaque dessin. Dufy est un peu à la peinture ce que Lartigue est à la photographie. On va de plages en jardins ombragés où des tables garnies de fruits attendent des convives, d’une soirée mondaine, à une partie de bridge en habit, des ors de l’opéra à un piano au repos dans une pièce lumineuse où par la fenêtre on aperçoit des palmes que le vent balance, d’un paddock à Deauville à la promenade des anglais à Nice, des courses à Ascott à une régate à Hanley...
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Il n'y a eu guère que Lapicque (dont il y avait une belle exposition cet été au musée de la Poste dont j'ai oublié de vous parler...) qui a repris le flambeau de cette peinture vive et optimiste.
Ce magicien de la couleur réussit à donner des teintes pimpantes à sa normandie natale. Sous son pinceau la grève d’Etretat ressemble à une plage californienne.
L’exposition a la modestie de ne pas revendiquer le titre pompeux, et souvent usurpé, de rétrospective. Pourtant en 120 peintures, 90 dessins auxquels il faut ajouter des tissus, des céramiques et des vêtements on parcourt la totalité de l' oeuvre de Dufy. Il faut toutefois préciser que l’accent est surtout mis sur ses débuts, plus de la moitié des toiles concerne la période avant 1914, alors que Dufy vivra encore prêt de quarante ans...
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L’accrochage a voulu mettre en évidence la manière de travailler du peintre par séries. Ce qui n’est peut être pas l’idéal pour mettre en valeur un artiste, surtout lorsque rien explique cette pratique. Heureusement la joie communicative qui sourd de chaque paysage balaye l’ennui qui pourrait naître de ces répétitions.
Cette exposition vient à point nommer rectifier l’image simplificatrice que l’on pouvait avoir de Dufy, en le restreignant au chantre de la modernité des années trente en raison de ses grandes fresques, comme la “Fée électricité” que l’on peut voir également dans ce même musée puisque faisant parti des collections permanentes. On découvre tout d’abord un artiste très à l’écoute des nouveautés artistiques de son temps. Il est séduit par ses avant-gardes. Dufy est tout d’abord fauve et on a, dans les deux premières salles, l’impression d’une extension du début de l’exposition Marquet au Musée de la Marine que le visiteur aura grand bénéfice à voir dans un délai assez court par rapport à sa visite à celle-ci. On retrouve chez Dufy, la même propension à peindre un paysage de sa fenêtre en légère plongée.
Puis, Dufy sous l’influence de Cézanne et de Braque limite sa palette aux bruns et aux verts sourds tandis que les formes se géométrisent, deviennent plus anguleuses, tranchants que rompt, là une palme, ailleurs une rambarde... Petit à petit on voit trouver son style propre fait de contours esquissés sur des aplats de couleur où dominent les bleus lumineux et les roses subtils. Il croque les scènes de la vie moderne avec une dextérité étonnante au service d'une verve où pointe souvent l'humour.
L'apparente légèreté dans son oeuvre masque une profonde réflexion sur son art, comme ces considérations sur les couleurs: << Le bleu est la seule couleur qui, à tous ses degrés conserve sa propre individualité. Prenez le bleu à ses diverses nuances, de la plus foncée à la plus claire; ce sera toujours du bleu, alors que le jaune noircit dans les ombres et s'éteint dans les clairs, que le rouge foncé devient brun et que, dilué dans le blanc, ce n'est plus du rouge mais une autre couleur, le rose.>>.
On a souvent envie de rentrer dans les paysages lumineux du peintre, dont on a le sentiment qu'il voit un éternel été, méditer dans les pièces claires, s’ asseoir à ces tables avenantes, pousser la grille du parc de ces belles demeures, rejoindre ces promeneurs aux gestes vifs dans leurs vêtements clairs...
Une large part est faite dans l’exposition aux “arts appliqués” qui ont fait, au sens propre comme au sens figuré, la fortune de Dufy. Ce que ses pairs lui reprochent encore stupidement aujourd’hui. Voyant cela comme une trahison de la grande peinture. D’autre part son hédonisme mondain ne plaît guère aux rapins et aux intellectuels. Il faudrait enfin une fois pour toute admettre que tous les artistes n’éprouvent pas un accomplissement incommensurable à peindre des cheminées d’usines ou une arrête de hareng saur s’ennuyant dans une assiette ébréchée!
Cette vue du théâtre antique de Taormina ne figure pas dans l'exposition, mais elle traduit si bien l'émerveillement du peintre devant un panorama et ce lieu est pour moi si riche de souvenirs que je n'ai pas résisté à l'inclure dans mon post...
Sans doute qu'aussi nombreux étaient à jalouser sa rapidité d'exécution qui ne s'exprime jamais aussi bien dans ses aquarelles réhaussées de gouache.
L’ injustice fait à Dufy tient peut être au fait que c’est un peintre que l’on peut dire sans biographie. Il n’a pas pris la pose bohème dans les années folles pas plus qu’il ne s’est engagé dans ces années trente quarante propices à toutes les errances idéologiques...
Laissons les envieux et les pisse-froid, pour admirer les toiles merveilleuses que le banquier Arthur Weisweiller lui commanda pour décorer le salon de sa villa d’Antibes. Ces grands panneaux, très aérée, rappelle les papiers peints du XVIII représentant des panoramas exotiques.
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Dés 1909 il rencontre le couturier Paul Poiret pour lequel il étudiera des motifs pour les tissus de ses créations.
Mais c’est surtout dans le tissus d’ameublement que s’accomplit, or du chevalet son talent. De 1910 à 1930 il fournit à l’entreprise de soierie lyonnaise Bianchini-Ferier environ 300 compositions, à la gouache et à l’aquarelle, qui servent à l’élaboration de tissus. Les motifs sont tantôt figuratifs, tantôt abstraits, tantôt en noir et blanc tantôt en couleur, dans ces derniers il donne libre cours à sa fantaisie par des recherches chromatiques audacieuses. C’est toujours un plaisir raffiné pour les yeux. J’aimerais bien savoir si certaines de ces étoffes sont toujours en vente, j’en ferais un bien beau couvre lit...
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Mais la découverte la plus enthousiasmante de cet hommage tardif a été pour moi, les bois gravés du “Bestiaire ou le cortège d’Orphée” commandés par Apollinaire pour illustrer ses poèmes. Je suis resté longtemps devant chaque planche en admiration et parfois pour y débusquer la bestiole du titre, cachée dans les arabesques...
La peinture de Dufy nous donne une leçon de bonheur, très salutaire en ce moment.
Paris, décembre 2008
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