Oublier Rodin, la sculpture à Paris, 1905-1914
Voici une exposition où je ne serais probablement pas allé si je n’avais pas reçu l’invitation pour son vernissage (merci Christine) et j’aurais eu bien tord tant elle est riche d’enseignement. Oublions son titre à mon sens inutilement provocateur, bien qu’au risque de passer pour un philistin, je dois confesser que je goûte peu, en général les oeuvres de Rodin dont j’ai pourtant souvent fréquenté le jardin de son musée celui-ci n’étant naguère peu éloigné de mon domicile et offrant un des plus bel oasis de verdure de la capitale. Intéressons nous plus au sous-titre de l’exposition, à la fois modeste et éclairant: “La sculpture à Paris, 1905-1914. Il ne faudrait pas croire que l’exposition ne couvre que la production française, c’est même tout le contraire. Mais Paris était alors le carrefour où se rencontraient les artistes du monde entier.
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Contrairement à se qui est présenté habituellement l’exposition ne met pas en avant les conflits entre les différentes écoles ou artistes, cubisme contre académisme par exemple, mais veut être le miroir de l’ effervescence et du renouveau qui travaillaient au début du XX ème siècle la sculpture européenne. Elle se réfère en cela à la salle de l’Armory Show à New York en 1913 où l’on pouvait voir côte à côte des oeuvres de Maillol, Archipenko, Joseph Bernard et Wilhelm Lehmbruck.
Archipenko.
La manifestation se déroule en un emplacement inhabituel pour les expositions temporaires du Musée d’Orsay, sur la mezzanine qui surplombe la grande salle du rez de chaussée où sont mises en valeur plusieurs statues de la deuxième moitié du XIX éme siècle, qui juchées sur de haute colonne, dominent le visiteur, lorsque de l’entrée, il s’avance dans cette vaste nef dans laquelle, l’observateur sagace remarquera quelques traces persistantes de son ancienne attribution ferroviaire.
L’exposition, dans un parcours quelque peu méandrique, les salles sont parfois un peu petites pour les sculptures exposée, nous montre chronologiquement comment les artistes, à partir de 1900, se sont éloignés de l’influence de Rodin. Dans la première salle on ne voit guère de différence entre les oeuvres de Rodin qui y sont présentées et les artistes qui dans toute l’Europe le copie. Mais bientôt les recherches des sculpteurs, chacun par une voie qui lui est propre, vont s’éloigner des formes du maître, certains par un retour au néo classique, comme Joseph Bernard , ici avec notamment son admirable “Jeune fille à la cruche” (on peut voir de nombreuses oeuvres de cet artiste à une adresse méconnue, La Fondation de Coubertin à Saint-Rémy les chevreuse près de Paris);
Joseph Bernard
... d’autres par une simplification des formes. Cette direction en mèneront certains jusqu’à l’abstraction tel Brancusi qui est représenté au début de l’exposition par une œuvre d’inspiration rodinienne, “La prière” bien loin de la “Muse endormie” que l’on pourra admirer plus loin. Une des surprises, pour ma part, a été de constater l’emprise qu’avait Rodin sur la pratique de ses confrères, emprise dont beaucoup peineront à se libérer.
La prière de Brancusi
La Méditérranée de Maillol
Elie Nadelman
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D’autres encore chercheront dans la nature à la fois une inspiration et un modèle pour architecturer leur travail. C’est le cas de Bourdelle, de Despiau (malheureusement peu représenté ici) et dans une optique encore différente de Maillol.
De nombreux créateurs regardent au dessus des mers pour féconder leur inspiration. Picasso qui a été amené à la sculpture par Gonzales regarde du coté de l’art africain tandis que Pompon revendique l’héritage antique mais du coté de l’Egypte...
Les recherches de la forme pure conduisent la main d’Archipenko dont on aurait aimé voir plus de pièces.
Dans la seconde salle j’ai été particulièrement sensible au “Jeune homme debout” de De Fiori qui semble être figé dans une transe lascive.
Le jeune homme debout de De Fiori
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Je suis toujours heureux lorsqu’une exposition me donne l’occasion de plusieurs, ou même d’une découverte, de compléter mon maigre savoir en matière d’art, et si possible, ainsi d’éprouver des bonheurs inédits. Dans cette exposition elles furent nombreuses les opportunités d’apprendre et de jouir de nouvelles beautés jusqu’à présent ignorées de moi.
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On peut y voir aussi malheureusement chez les artistes comme dans toutes les catégories de la population, que la Grande Guerre a fauché certains des meilleurs comme Henri Gaudier-Brzeska et Raymond Duchamp-Villon...
Les sculptures du belge Minne possèdent à la fois une certaine sensualité comme “L’enfant prodigue” dont le corps arqué en arrière semble implorer un ciel vide mais aussi une gravité un peu intimidante comme ce porteur de reliques...
L'enfant prodigue et le porteur de relique de George Minne
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Mais en ce qui me concerne, la véritable révélation est Wilhelm Lehmbruck dont on peut voir de nombreuses statues qui méritent toutes que l’on s’y arrête.
Wilhelm Lehmbruck
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Une fois débarrassé de l’influence de Rodin, ce qui semble préoccuper cet artiste allemand singulier c’est d’abord la gestuelle de ses sujets. En accentuant le volume des articulations de ses modèles comme dans “le jeune homme s’élevant”, il engendre des gestes anguleux qui renforcent le tragique des poses, tragique qui ira crescendo jusqu’ à la détresse du "jeune homme assis" et surtout au "prostré", sa dernière création avant son suicide en 1919.
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Il n’est pas utile d’être un grand connaisseur en art pour s’apercevoir tout ce qu’Arno Breker doit à Lehmbruck comme le démontre bien la photo ci-dessus, prise lors d’une exposition américaine sur la statuaire allemande au XX ème siècle, dans laquelle on voit côte à côte "le guerrier blessé" de Breker et "le jeune homme assis" de Lehmbruck. Tout aussi flagrant est la parenté entre "le jeune homme s’élevant" et le porteur de glaive. On s’aperçoit que les deux artistes ont tendance à sur dimensionner les membres et les mains et à sous dimensionner la tête.
Bien évidemment on ne trouvera aucune mention d’Arno Breker dans l’exposition parisienne. Breker est toujours un artiste paria...
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Sur le mur de la salle dans laquelle sont exposées les sculptures déchirantes de Lehmbruck, pour lesquelles on ne doit pas rater cette exposition, on peut lire cet émouvant appel de l’artiste, rédigé durant la dernière année de sa vie: << Mes mains implorent dans la nuit noires. Elles s’élèvent et cherchent dans les ténèbres, dans le néant, il doit bien y avoir une lumière au delà de la nuit. Mes mains se tendent et supplient et vacillent et tâtonnent alentour, elles voudraient trouver quelque chose dans l’obscurité, le saisir, le tenir. Elles agrippent et cherchent et ne rencontrent rien, elles étreignent le néant et les ténèbres.>>.
Paris, mars 2009