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Dans les diagonales du temps
21 décembre 2020

RICCO WASSMER

 

autoportrait, 1942.

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Erich "Ricco" Wassmer est né dans une riche famille suisse. Il est le fils d'un propriétaire d'usines de ciment qui est en outre un mécène, Max Wassmer (1887-1970). Depuis l'âge de trois ans, il a grandi à Berne, entouré d'art et lde culture. Max et Tilli-Wassmer Zurlinden reçoivent des poètes, des peintres et des compositeurs tels que Hermann Hesse ,Louis Moilliet , Cuno Amiet , Paul Basilius Barth , et Othmar Schoeck . Hermann Hesse décrit l'atmosphère poétique de ces soirées dans son roman Journey to the East . Les festivals d'été sont des événements légendaires de la formation du jeune Erich. Sa famille encourage les talents artistiques et l'intérêt pour l'art, la littérature et la musique du garçon.

 

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Après que la succession de l'usine de ciment parentale soit attribuée à ses deux frères, Erich se sent libéré, il restera néanmoins jusqu'à son dernier jour actionaire de l'affaire . La fin de l'enfance est marquée par la prise d'un nouveau nom. A partir de 1937, il signe ses peintures "Ricco"; un nom qui est comme un mot magique, et remplace le nom du père, industriel prospère et philanthrope connu. Après ses études secondaire, en 1935 Ricco suit un semestre d'études d'histoire de l'art à l' Université de Munich et étudie le dessin auprès du professeur Julius Huether . De 1936 à 1939 il étudie à l'Académie libre "Ranson" à Paris. Au début de la Seconde Guerre mondiale, il retourne en Suisse. Il suit également l'enseignement de Max von Mühlenen. Et durant l'été 1942 il visite l'atelier de Cuno Amiet. Il semble que l'influence de ces différents enseignements soit resté faible. Durant 1946/47 il a vécu sur le lac Léman, où il possédait un voilier. Le lac a exercé une grande fascination pour Ricco, ainsi que le désir de paradis perdus et les pays inexplorés. Il s'est fait tatouer,une ancre et l'a ajouté à sa signature. En 1948/49 Ricco a passe neuf mois à Tahiti. En 1950, il s'installe et loue un château près de Vichy . En 1963, il est inquiété par la police française qui perquisitionne son atelier et y découvre des photos nues de garçons, qui ont servi comme base pour ses peintures. Un tribunal français le condamne, sans accusations formelles, pour violence sexuelle "exploitation" dejeunes garçons et violation de la moralité à d'une peine de prison de huit mois. De ce séjour en prison Ricco ne se remettra jamais complètement. Après sa libération, Ricco revient en Suisse. Il s'installe dans un manoir à Ropraz. Il décéde en 1972 à l'âge de 56 ans.

 

© Ricco Wassmer

 

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Dans les années trente Ricco a peint des paysages et des intérieurs dans le style de la Nouvelle Objectivité . Son imagerie de cette période montre encore principalement des thèmes magiques et romantiques et la vie de château. Dans les années quarante, il élargit ses thèmes à la nature morte, aux paysages de ses voyages dans des contrées lointaines ainsi que des motifs marins. En particulier, de stimuler les jeunes hommes maigres des années cinquante scènes surréalistes. Les sujets se référent à l'enfance et la jeunesse appartiennent à la maturité de l'artiste. Dans les années soixante, Ricco a créé une vaste oeuvrel photographique.

 

 

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Il semblerait que souvent Wassmer faisait poser ses modèles, les photographiait ou en faisait un rapide dessin puis faisait sa toile d'après ces documents.

 

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L'oeuvre de Ricco est très singulière, même s'il est difficile de ne pas penser à l'oeuvre de Balthus. Elle alterne entre photo-réalisme et la peinture naïve et exige beaucoup de histoire de l'art des connaissances sur les formes et les symboles qui Ricco empruntés à des positions plus ou moins connus de l'histoire pour comprendre.

article paru dans la presse suisse:

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Dandy discret et aristocrate sulfureux, Erich Wassmer, dit Ricco, né en 1915 au château de Bremgarten près de Berne, arrive en 1963 à Ropraz, village de 300 âmes à l’orée des bois du Jorat. Il vient de passer huit mois en prison, en France, pour possession de photos de jeunes hommes nus. Dix ans plus tard, le 27 mars 1972, son cortège funéraire monte doucement la pente qui sépare le château de Ropraz du cimetière. Derrière le vieux corbillard tiré par des chevaux, suit une Rolls-Royce blanche, conduite par son majordome Mario, et la famille, à pied.
Sur la pierre tombale, à l’entrée du cimetière de Ropraz, est scellé un éphèbe de bronze signé Karl Geiser qu’il avait choisi comme gardien de son dernier sommeil. Nu, pensif et vigoureux, il se dresse toujours entre le lierre et les fougères. Il y a un an et demi, le Kunstmuseum de Berne vient photographier deux tableaux de Ricco à Ropraz: l’un trône dans le bureau du syndic, l’autre dans la famille d’Alain Gilliéron, patron de l’espace culturel l’Estrée –il représente Stéphane Gilliéron, frère d’Alain.
En pleine élaboration du catalogue raisonné des œuvres du peintre, sur mandat de Ruedi Wassmer, neveu et filleul de Ricco, le musée estime que plusieurs œuvres ont été vendues en Suisse romande, et espère retrouver leur trace. C’est l’occasion ou jamais: Alain Gilliéron décide d’accueillir Ricco à l’Estrée, à deux cents mètres de sa tombe. Jusqu’au 30 octobre, l’espace culturel expose une dizaine des dessins et autant des tableaux, et fait tourner le beau documentaire réalisé en 2002 par l’Américano-Tessinois Mike Wildbolz.
 
 
Des dix années de Ricco à Ropraz, le village se souvient. A commencer par Alain Gilliéron lui-même. Si sur certains tableaux c’est son frère qui figure, sur d’autres, c’est lui. Fils du buraliste postal, Alain et Stéphane sont réquisitionnés par leur père pour tondre la pelouse du châtelain, qui les fait ensuite poser pour des photographies dont ses tableaux s’inspirent.
«Pour nous gamins, c’était extraordinaire. C’était un extraterrestre, excentrique et soigné, d’une douceur extrême, venant parfois au café ou à l’épicerie. En pénétrant dans le château, qui nous était a priori défendu, nous entrions dans une caverne d’Ali Baba: des collections de timbres, de papillons, de bateaux, d’armes, de tableaux. Il nous faisait poser avec une maquette de bateau, une roue de vélo, un cheval de bois ou une épée. C’était amusant. Nous devenions des marins, des chevaliers. Quelqu’un s’intéressait à nous…»
En 1966, les parents Gilliéron reçoivent pour Noël un grand tableau sobrement intitulé Stephan de la part du maître, toujours dans la famille. «Je ne sais pas ce que pensaient mes parents de Ricco. Pour nous, la nudité était naturelle. Il ne nous a jamais touchés. D’ailleurs, tous ses modèles ont le même type sur ses tableaux. Il nous faisait correspondre à son idéal. Sur certains tableaux, je ne sais pas si c’est mon frère ou moi qui ai posé. Il cherchait quelque chose à travers nous qui n’était pas nous.»
Fiancées pour beurre. C’est toute l’histoire de Ricco, né Erich Wassmer d’un père grand industriel et mécène, dont les amis de la famille étaient Herman Hesse ou le compositeur Othmar Schoeck. Après une enfance de rêve à Bremgarten, il étudie la peinture à Munich, à Paris, puis chez Cuno Amiet. Silencieux, aimable, beau, il a des amitiés amoureuses, emmène une fiancée à Venise, mais ne l’épouse jamais. Toute sa vie, il correspondra avec plusieurs femmes, mais finit toujours par rompre.
Au soir de sa vie, à Ropraz, malade, il demandera encore en mariage l’une d’elles. Pour rire, ou pas. Fasciné par la mer, il se fait tatouer une ancre. Dans les années 40, il achète un yacht, amarré à Morges, le revend, puis s’embarque pour Tahiti. Après quelques mois, il s’engage comme matelot sur les mers du Sud, Bombay, Hawaï, le Japon. De retour en Europe, dans les années 50, il s’installe au château de Bompré, près de Vichy. Homosexuel discret, il est arrêté et mis en prison pour conduite contraire aux bonnes mœurs.
Tinguely chez lui. Sa famille achète alors le château de Ropraz pour l’y loger. La rumeur veut que son père Max ait éloigné du fief de Berne ce fils vaguement indigne. Ropraz l’adopte. Il ne ferme pas son château à clé, aime les voitures. En 1964, lorsque Jean Tinguely construit sa machine pour l’Exposition nationale à Lausanne, il loge chez Ricco. Qui le peint.
L’écrivain Jacques Chessex, habitant de longue date de Ropraz, se souvient de ses «habits de toiles flottants, de sa démarche lente et chaloupante. On sentait quelqu’un qui avait largué les amarres. Je voyais les enfants Gilliéron qui allaient se faire photographier par le peintre. Je trouvais cela extraordinaire, que le peintre aristo prenne ses modèles parmi les enfants du pays, comme au XVIIIe siècle. C’était sa liberté.» Il a un majordome, Mario, ancien chauffeur de JeanXXIII, toujours en uniforme blanc. «C’était exotique, par ici.» Le village jase peu sur les mœurs de Ricco. «Ce n’était pas l’époque de l’obsession pédophile…»

Chessex devient familier du château après la mort de Ricco, lorsque son frère Hans, le colonel Wassmer, y installe sa résidence. Beaucoup des objets personnels de Ricco sont restés, objets polynésiens ou photos de jeunes marins. «Les Wassmer avaient le génie de l’hospitalité élégante. Il y avait des paons sur les pelouses et, l’hiver, nous buvions du champagne en regardant tomber la neige sur les tulipiers où les paons s’installaient.» Sa peinture? «Je la mets à côté de Balthus et Max Ernst. Je connais peu de peintures contemporaines qui soient en même temps aussi denses, nourries du point de vue de la peinture, et aussi douces au regard, comme moirées par l’œil tellement l’art en est consommé. Ce qui me fascine, c’est l’alliance, rare dans la peinture d’aujourd’hui, de la matière et du rêve. Et peu ont peint le désir des jeunes corps masculins, de l’ordre d’un désir très matériel et très sublimé à la fois.»
Collectionneurs avertis. Ricco laisse quelques cinq cent œuvres, tableaux, dessins et photos. La plupart sont dans des collections privées de la famille ou d’amis. La ville de Berne, le Kunstmuseum de Berne ainsi que le Musée des beaux-arts d’Aarau en possèdent. En 1988, une première exposition à Aarau, justement, sort Ricco du relatif oubli dans lequel il est tombé. En 2002, le Kunstmuseum de Berne organise une rétrospective. Et s’est fixé pour objectif, d’ici à 2010, de terminer le catalogue raisonné de ses œuvres. «Il y a beaucoup à découvrir encore, explique Marc-Joachim Wassmer, responsable du catalogue Wassmer au Kunstmuseum de Berne. Nous découvrons régulièrement de nouveaux documents, œuvres ou carnets de notes. C’est un travail de longue haleine et de confiance avec la famille.»

Individualiste, Ricco a choisi un chemin peu balisé. Après-guerre, l’art se tourne vers l’abstraction, Jasper Jones ou Pollock en tête. «Ricco a toujours été décalé. Il ne faisait pas partie de l’avant-garde, mais intégrait ses éléments. Son style est très personnel, et a évolué d’une peinture naïve vers un réalisme magique très intéressant, une sorte de vérisme à l’ancienne mâtiné de surréalisme, de symbolisme, et d’humour. On y voit l’influence de Dali ou d’Ernst, dans une combinaison de natures mortes et d’êtres humains fascinante.»
Dans sa mythologie personnelle, en plus des éphèbes –bruns et secs, le regard absent–, on retrouve dans ses tableaux des bateaux, des horloges, un écorché, des squelettes, une main, une poupée cassée, des cigarettes. «Ce sont ses leitmotiv, sa mythologie personnelle. Il s’inscrit avec force dans la culture européenne existentialiste. L’Estrée mérite une médaille pour son exposition!» Le prix de ses œuvres est étrangement monté lors des rares récentes ventes aux enchères. Estimées à 16000 francs, certaines sont parties à plus de 45000 francs. «C’est un marché bizarre, qui ne correspond pas à la valeur réelle de ses tableaux. Les collectionneurs de Ricco sont prêts à tout pour en avoir… La récurrence des jeunes garçons dans son œuvre a pu et peut toujours poser problème. Balthus peignait des jeunes femmes, c’est plus acceptable aux yeux de la société.»
Le Grand Meaulnes. Il disait de lui-même qu’il était un « bâtard, quelque part entre un écrivain et un peintre.» Il adorait les voitures, possédait une Thunderbird. Il ne couchait pas avec ses modèles, ses muses. Avec les autres, les marins, les gens des fermes, oui. Il appartenait aux privilégiés, mais n’a pas eu la vie facile. Il allait de château en château, prisonnier volontaire d’un monde enchanté. «Le héros de sa peinture est un homme dont l’enfance a été trop belle», explique Beat Wissmer, directeur du musée d’Aarau. Le Grand Meaulnes était son livre de chevet. Les hanches fines des garçons de ses tableaux sont tournées vers un ailleurs inaccessible, des temps enfuis ou un futur désenchanté, rempli de mers, de chevaliers et de squelettes hilares.

A la mort de Ricco, sa sœur et sa mère se précipitent au château de Ropraz. La sœur met de l’ordre dans les papiers, «efface l’aspect homosexuel», comme elle l’explique platement à Mike Wildbolz. La mère s’y installe, veut ouvrir un musée. Elle meurt trois mois après, se fait enterrer à côté de son fils. Hans, le frère colonel, meurt en 1984. En 1988, la famille vend le château.
Stéphane Gilliéron: «J’étais très gai, gamin. Mais je ne souris sur aucun des tableaux de Ricco. C’est bizarre.» En héritage, il a reçu un pistolet, Alain un cheval de bois de manège. De jolis jouets.
 
 

 

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Le Palais des Merveilles, 1954


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vive la marine, 1952




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Pour faire voir, 1956

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Les mains, 1962

 

le cheval de bois,1962

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le cerf volant, 1957

 

Le beau cheval, 1966

 

 

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Erich Wassmer - Herrscherpaar

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Nota: je cherche toutes information complémentaire sur la vie et l'oeuvre de Ricco Wassmer ainsi que des reproductions de ses autres dessins et tableaux, merci d'avance de me les envoyer.    

 

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Anthropotomie

 

Regardons d’abord le tableau. Devant nous, deux jeunes garçons, nus. L’un, que l’on voit de dos, a les mains posées sur un squelette, semblable à ceux que l’on voyait naguère dans les classes de sciences naturelles. L’autre, debout, les mains derrière le dos, dans l’attitude de l’élève interrogé par son professeur, regarde le premier. En réalité, il s’agit sans doute du même garçon. Il y a autour de lui trois bustes d’écorchés et deux grands dessins anatomiques, tableaux dans le tableau. Le ciel est lisse et vide ; la scène baigne dans un jour neutre, sans couleur.

Tout cela pourrait être sinistre. Pourtant rien ici qui renvoie vers la mort ou la finitude de toute chose ; tout, au contraire, qui renvoie vers la vie et la perfection. La lumière vient du peintre ; elle caresse la peau des deux enfants. Les bras et les jambes sont allongés : le corps a grandi trop vite, au commencement de la puberté. Non, tout cela n’est pas qu’un memento mori. Peut-être, simplement, par cette mise en scène, le peintre veut-il rendre sensible la brièveté de ce moment où les garçons sont à leur apogée, de ce moment qui serre le cœur de tous les amoureux des vrais garçons.

Voilà un des sommets de l’œuvre de Ricco, ce qui le représente le plus exactement, le plus fidèlement. Tout ce qui a précédé n’a fait que mener à cet accomplissement. L’œuvre est intitulée Anthropotomie. On ne connaît pas le nom du jeune personnage, mais il est presque sûr que le peintre a travaillé d’après modèle, comme il l’a toujours fait. Ses attributs garçonniers ne permettent pas de lui donner plus de douze ou treize ans. Nous sommes en 1961.

Quelques mois plus tard, en janvier 1963, le peintre sera arrêté par la police française, puis condamné à huit mois de prison dans une affaire de mœurs impliquant des mineurs.

L’année prochaine marquera le centenaire de la naissance d’Erich Wassmer, qui s’est fait appeler 

Ricco à partir de 1937. La Suisse facilite ce genre de métamorphose. On change de langue, et l’on est un autre homme. À l’occasion de cet anniversaire, un éminent professeur suisse prépare le catalogue raisonné de son œuvre. Une exposition lui sera consacrée au musée des Beaux-Arts de Berne, à partir de novembre 2015.

On sait l’essentiel de la vie du peintre. Sa naissance dans la famille d’un roi du ciment, où l’on reçoit les artistes. Parmi eux Hermann Hesse, Cuno Amiet, Othmar Schoeck. Son enfance dans une vaste propriété, qui domine la rivière Aar, près de Berne. Ses années d’apprentissage. Le séjour à Paris, à la fin des années trente. Le voyage à Tahiti, son Voyage en Orient. Puis l’installation, vers 1950, à Bompré, près de Saint-Pourçain-sur-Sioule (Allier). La prison, à Cusset. Le retour en Suisse, enfin, à Ropraz, et la mort prématurée, en 1972.

En même temps, on ne sait rien. Quelle a été la nature de ses relations avec les jeunes garçons qu’il a peints ? Qu’est-ce que la justice française a pu lui reprocher, exactement ? Le jeune Erich Wassmer a-t-il rendu visite, pendant son séjour parisien, à son compatriote le sculpteur Karl Geiser, qui louait jusqu’à fin 1938 un atelier à Montrouge ? Une telle rencontre aurait eu quelque chose de prémonitoire. Ce sculpteur a aussi connu la prison, et pour les mêmes raisons. Sur la tombe d’Erich Wassmer, à Ropraz, on peut voir son David.

On ne sait même pas quand il est devenu conscient de sa prédilection pour les garçons. Pour les jeunes garçons. Dans sa peinture, aucune trace de cela avant sa trentième année. C’est une erreur de croire que le Saint-Sébastien de 1942 est annonciateur du peintre de l’adolescence. Il fait encore partie de l’ancienne manière de Ricco, archaïsante et faussement naïve. Au mieux, on peut y voir Wassmer se débattant contre ses démons.

Le départ vers le sud, la Méditerranée, puis le voyage à Tahiti, en 1948, le long retour vers l’Europe, en bateau, par le Japon, Bombay, l’Arabie, la Sicile, semblent à l’origine de cette révélation. Alors, dans ses tableaux, des marins apparaissent. Ils peuvent avoir une vingtaine d’années. On les voit souvent en présence d’une jeune fille. Puis, au fil des ans, ils rajeunissent ; leur corps, insensible- ment, devient plus élancé et leurs yeux s’agrandissent. En même temps, les jeunes filles disparaissent.

 

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Au début des années soixante, à l’époque de sa condamnation, les garçons de Ricco ont plutôt quatorze ou quinze ans. D’ailleurs leur âge n’a pas tant d’importance que cela. En réalité, ils n’ont pas un âge précis.

Il est facile de distinguer les différents modèles du peintre. On connaît le nom de certains. Il leur faisait prendre les attitudes qu’on leur voit dans ses œuvres et les prenait en photographie. La comparaison de ces photographies avec les tableaux frappe par la transformation qu’il leur faisait subir. Les corps un peu lourds s’affinent. Le regard est plus rêveur. Par une étrange métamorphose, l’adolescent redevient un jeune garçon, à peine sorti de l’enfance. Lorsque Ricco le peint nu, il est presque toujours imberbe. C’est un signe qui ne trompe pas.

On n’a pas encore noté combien l’habillement des garçons de Ricco est improbable. Non, les adolescents de seize ou de dix-sept ans ne portaient plus, même dans lesannées cinquante et soixante, ces shorts courts, ces chaussures bleues de tennis, ces chemises à carreaux. Non, ils ne marchaient pas pieds nus dans les rues d’une petite ville du centre de la France. D’ailleurs, ses modèles ne sont pas des marins, mais des garçons qui portent des costumes marins, cet uniforme des enfants de la bourgeoisie, entre 1880 et 1940. Ce n’est pas la même chose. En vérité, les adolescents de Ricco sont des garçons qui se souviennent d’avoir été des enfants, naguère, et qui ont le regret de cet âge.

Un beau film, de Mike Wildbolz, a été consacré en 2002 au peintre. Il a le mérite de ne pas éluder le sujet qui nous intéresse aujourd’hui. Mais on y use, à propos de la prédilection de Wassmer, du terme « éphébophilie ». On ne voit pas bien ce que recouvre ce mot. Une attirance pour les garçons de plus de quinze ans ? Une manière platonique d’être amoureux en se contentant d’admirer le garçon objet de son désir ? On sent, dans l’utilisation de ce terme si vague, la volonté de ne pas parler d’autre chose,

15 qui est autrement plus important, et qui constitue le vrai centre de gravité de cette œuvre .

La famille, quant à elle, s’est toujours évertuée à nier toute pédérastie chez Wassmer. Les «gays» font de même. Une des œuvres de Ricco, Jean du Phare (1956), a figuré dans l’exposition « 100 ans de mouvement gay » à Berlin en 1997. Mais elle n’est pas représentative du peintre : on y voit un jeune homme musclé et non un adolescent gracile. Il n’a pas l’ambiguïté de tant de garçons du peintre. Ce n’est pas un hasard qu’on ait choisi ce tableau, de préférence, par exemple, à Anthropotomie, à Et au fond Pradoline (1962) ou à Conversation devant New-York (1967). La récente exposition du Musée d’Orsay, Masculin-Masculin, a ignoré Ricco, devenu trop compromettant.

 

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Comme tous ses semblables, Ricco a été amoureux. Son grand amour semble avoir été un certain François Mignon. Les circonstances de sa rencontre sont étonnantes : Meret Oppenheim dit un jour au peintre, lors d’un vernissage, qu’elle vient de croiser son modèle, et lui amène l’adolescent, alors qu’il ne l’a jamais vu. C’est donc son œuvre qui lui a permis cette rencontre. Ainsi Erich Wassmer a pu réaliser le rêve de tant d’amoureux des garçons : que celui qu’il aime soit aussi sa création.

Comme tous ses semblables, Ricco a désiré le corps des garçons. Il l’a payé très cher. Huit mois de prison. À l’époque, les proches, la famille ont voulu croire qu’il était victime de son homosexualité. Aujourd’hui les admirateurs du peintre pensent que l’évolution des mentalités et les lois plus libérales ne permettraient plus une telle injustice.

Ici, il faut dire la vérité, rappeler que l’on ne condamnait personne pour homosexualité dans la France du début des années soixante. Certes, on ne sait pas exactement ce qui s’est passé (le dossier judiciaire ne pourra être consulté que dans de nombreuses années). Mais on sait que les visiteurs du château de Bompré n’étaient pas tous majeurs, même au sens de notre code pénal actuel. Wassmer n’est-il resté que spectateur (avec son appareil photographique) ? A-t-il été au-delà de simples actes contre nature16 ? La vérité, c’est aussi qu’aucun garçon ne se serait jamais plaint.

À la réflexion, quand bien même les garçons qui sont à l’origine de sa condamnation auraient tous eu plus de quinze ans, je ne suis pas sûr que la justice d’aujourd’hui ne trouverait rien à redire à une telle situation. L’abrogation, en 1982, de la loi de 1941 qui interdisait toutes relations avec un mineur de vingt-et-un ans (de dix-huit ans depuis 1974), et le rétablissement de l’égalité avec les hétérosexuels (quinze ans) n’ont pas changé grand-chose. En 2014, une relation avec un mineur de dix-huit ans est au moins aussi suspecte qu’avant 1982. Une zone dangereuse, et prati- quement interdite, s’étend au-delà de la quinzième année. La présomption de pédophilie menace tout attachement pour un garçon de cet âge. Les juges savent trouver les artifices qui permettent de condamner. Sans parler de leur férocité, dès que quelques jours manquent pour sortir de la fatidique minorité sexuelle

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Il y a plusieurs explications à cela. Les homosexuels ont abandonné l’adolescence, par peur d’être confondus avec les « pédophiles ». Les contempteurs de l’homosexualité se sont reconvertis dans la « protection de l’enfance », qu’ils entendent au sens large. Si l’on ajoute à cela la méfiance instinctive des jeunes garçons pour les « gays », toutes les conditions sont réunies pour appliquer sans la moindre nuance le code pénal.

Mais laissons de côté de si mélancoliques considérations. Reste une œuvre, et cette œuvre est rare.

Ricco, c’est le peintre d’une terra ingognita, d’un continent oublié de la sensibilité, de ce moment si extraordinaire, si émouvant du passage de l’enfance à l’adolescence, de ce moment unique où les garçons sont encore des enfants et en même temps ne le sont plus, de ce moment où, invulnérables et fragiles, rien ne les étonne. C’est le peintre de l’âge « où l’on se soucie peu d’être un homme, mais beaucoup d’être un garçon ». Le peintre du regret, le regret du garçon qu’il a été ou, plus précisément, du garçon qu’il aurait voulu être.

C’est, en même temps, le peintre de l’attente, de la rencontre impossible. « Il nous faisait corres- pondre à son idéal. Il cherchait quelque chose à travers nous qui n’était pas nous » a dit fort juste- ment un de ses modèles. Il y a parfois, dans ses œuvres, cette attitude du garçon qui se tourne vers vous et semble vous inviter à le suivre – et vous vous demandez si cela est vrai. Et il y a aussi une grande solitude. On devine une enfance sans ami. Comme s’il avait passé sa vie à rechercher celui qu’il aurait voulu rencontrer à quatorze ans. Mais il est toujours trop tard.

De 1950 à 1960, l’art de Ricco devient de plus en plus ferme, de plus en plus net, à mesure qu’il voit clair en lui. Au début, le mystère, noyé dans une sorte de brume transparente, était appuyé ; puis il est devenu impalpable et précis, comme tous les vrais mystères. Le peintre a acquis la « propreté de l’œil ». Rien d’arbitraire, rien d’inquiétant, pas de lumière de cauchemar. Mais des rêves éveillés, sans angoisse, qu’il peint avec application, et qui traduisent une profonde nécessité intérieure. Un horizon tendu comme un fil. La conversation silencieuse des choses entre-elles. Et les garçons, posés comme sur une portée de musique.

Une « peinture dense et moirée » a écrit Jacques Chessex. Ricco utilise le plus souvent des couleurs sourdes, avec une grande économie de moyens. Rien de plus terrible, de plus navrant, qu’une œuvre qui montre trop. Ricco ne va jamais jusqu’au point où la chose représentée tue la peinture. Son 

esthétique est l’exacte antithèse de l’esthétique « gay », convulsive et boursouflée. Aucune trace chez lui de l’exhibitionnisme des Pierre et Gilles, de la vulgarité de Cadmus, pour ne pas parler de tous ces artistes « gays » qui nous abreuvent de scènes quasi pornographiques.

Peinture à première vue très littéraire, trop littéraire sans doute, s’il n’y avait les garçons pour nous ramener à la vérité. Les références, les citations sont nombreuses. Rimbaud, àplusieurs reprises, dont une des plusbelles œuvres du peintre (Après le déluge, 1958). Le Grand Meaulnes, dans un admirable dessin de 1952. Il avait, paraît- il, une prédilection pour ce roman. Pour- tant, seuls les premiers chapitres ont pu le retenir. Au-delà, ce n’est plus le récit de l’enfance perdue, mais une idylle de grandes personnes, un peu ridicule d’ailleurs. Cette lecture correspond peut- être à l’état d’esprit de Ricco d’avant 1950, où il peuple ses tableaux de garçons en tête-à-tête avec une jeune fille.

 

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Au moins aussi importante a dû être ladécouverte des œuvres de Roger Peyrefitte. En 1954, il dédiera à ce dernier uncurieux tableau(Roger Peyrefitte), quimontre qu’il l’a beaucoup lu. Divisé endouze panneaux, avec au centre, leportrait de l’écrivain, au-dessus d’une allégorie de la littérature : une plume, dupapier, un chandelier. On pense à untableau d’autel ou à une sorte d’offrande.
Cinq, peut-être six des scènes représentées sont tirées des Amitiés particulières. La plus émouvante est celle de la baignade, où Georges contemple furtivement Alexandre. Mais le lys que tient le garçon est rouge, et non blanc comme dans le roman. On voit aussi le baron Gloeden photographier deux adolescents (Les Amours singulières). Une scène fait référence à l’Oracle, une autre à Du Vésuve à l’Etna. Certaines semblent tirées de Mademoiselle de Murville.

 

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Le tableau a appartenu à Roger Peyrefitte. Ce dernier n’y a pas été indifférent. Sur une photographie des années cinquante, on le voit posé derrière lui, dans son bureau de l’avenue Hoche. Certes, il n’a pas la poésie, la magie des autres œuvres de Ricco. Mais il n’est pas courant de consacrer une telle œuvre à un écrivain. Cela suppose une admiration, une complicité qui ne sont pas banales. On sent une gratitude, presque religieuse. Wassmer a reconnu chez Peyrefitte une sorte de frère. L’auteur des Amitiés particulières a aussi possédé des photographies de garçons faites par le peintre. De cela on est sûr. On ne sait pas lesquelles. Les deux amoureux des garçons faisaient bien partie du même monde, où l’on s’échangeait en secret ces choses-là.

Nous voilà revenus au véritable Ricco. Celui qui réussit à faire tenir ensemble deux vies parallèles. Le désir et la pureté. Les modèles et ceux qui ne l’étaient pas. Les photographies que l’onexpose aujourd’hui et celles que l’on ne montrera jamais . L’enfance et l’adolescence. Rimbaud et Verlaine. Erich Wassmer et Ricco. « L’alliance de la matière et du rêve ».

Non, il ne faut pas faire de Ricco l’homme d’une seule vie. Ces deux vies parallèles ont bien existé. L’une ne s’explique pas sans l’autre. La tension qui court dans les œuvres du peintre y trouve sans doute son origine. Peut-être son art, si contemplatif, est-il aussi une réaction contre les inclinations d’Erich Wassmer. En 2015, on préférera oublier l’autre vie que nous évoquons aujourd’hui, parce que nous sommes dans une époque où il est presque impossible d’en parler. C’est pourquoi nous avons choisi d’en parler, même si nous savons, bien sûr, qu’elle ne résume pas à elle seule une des œuvres les plus originales, les plus poétiques et les plus sincères du milieu du vingtième siècle. « On ne saura jamais19 ».

Bulletin mensuel Quintes-feuilles n° 23 novembre 2014

 

 

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M
Merci pour ce très intéressant lien.
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Dans les diagonales du temps
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