Correspondance André Gide – Robert Levesque 1926-1950, anotée et présentée par Pierre Masson
Le nom de Levesque n'avait jamais attiré mon attention malgré mes lectures gidiennes avant celle de la biographie de Pierre Herbart par Jean-Luc Moreau. Comme quoi, même les mauvais livres peuvent inciter à la lecture d'autres ouvrages... Il faut dire que par exemple, le nom de Robert Levesque est totalement occulté dans l'album Gide de la Pléiade. Ce qui ne doit rien au hasard. On peut d'ailleurs trouvé curieux que ce texte, de 1985, ait été confié à Maurice Nadeau...
Robert Levesque (1909-1975) est un collégien de 17 ans lorsqu'il écrit pour la première fois à André Gide. Il le rencontre bientôt. Le garçon connait déjà Jouhandeau dont il se dit fou amoureux (il le trouve très beau ce qui fait un peu douter de ses goûts esthétiques). Jouhandeau a été son professeur au collège Saint Jean de Passy. Il entretient également une relation avec Max Jacob. Notre Robert Levesque est ce que j'appelle, comme j'avais surnommé un de mes petits amis (qui est apparut en image dans le blog), un tapineur intellectuel. Le garçon fait la danse des sept voiles, sans semble-t-il en enlever aucun, devant ces messieurs pâmés. Très vite il cible en priorité Gide qui est un peu effaré devant l'assiduité du siège qu'il subit de la part ce garçon, tout en ne le décourageant pas. Le collégien a le feu à l'âme, au coeur et peut être ailleurs. Il est, lorsqu'il fait la connaissance de Gide, écartelé entre sa foi chrétienne et son désir des garçons. Il dit se consumer d'amour (pur) pour un de ses camarades, alibi pratique pour ne pas céder à certaines avances... Tout barbouillé de confiture saint sulpicienne, il veut se faire moine... Mais Gide veille au grain et lui montre des images pieuses: << Gide me montra des photos de garçons nus – toutes admirables. Au commencement je ne voulais pas les voir. Mais lui, il tient à m'en montrer, alors j'ai voulu toutes les voir...>> (journal de Robert Levesque, février 1928). Robert perd la foi. Mais rapidement notre aspirant moine devient un aspirateur de jeunes braguettes. Il est pris d'une véritable frénésie en la matière sans pour autant se départir d'une constante candeur qui me fait songer à celle de Sentein dans les débuts de ses « Minutes ».
Marcel Jouhandeau et sa femme Elise
Il est très intéressant de comparer les débuts de cette correspondance avec celle avec Marc Allègret. Ce qui frappe d'emblée, c'est le coté fabriquée alambiquée et pesant des premières lettres de Robert. Il veut faire « littérature » alors que chez Marc il n'y avait que spontanéité et avidité devant la vie. On peut constater en lisant les premières missives du jeune Robert dans quelle macération de bondieuserie pouvait vivre certains adolescents catholiques d'alors. On voit la différence d'imprégnation de la religion entre catholique et protestants si l'on se souvient de la manière dont vivait l'huguenot Marc au même âge (ils ont neuf ans d'écart. Les deux jeunes gens se rencontrent dès 1927). Le jeune fils de pasteur avait certes un emploi du temps sur-occupé par les tâches familiales et pieuses mais avait l'esprit beaucoup plus libre que ce jeune catholique toujours dans la crainte de la damnation...
Si Robert Levesque ne ressemble probablement pas au bel adolescent qu'était au même âge Marc Allégret, il a tout en étant brillant ce même manque de confiance en lui qu'avait le futur cinéaste mais il est indéniablement moins entreprenant que le jeune Marc. A ce sujet on peut penser que le fils unique qu'était Gide a été toute sa vie à la recherche de compagnons moins frileux que lui que ce soit pour des choix artistiques, politiques ou sensuels. On constate que tout au long de leur correspondance Gide s'enthousiame de la liberté sexuelle de Levesque, ceci d'ailleurs sans jalousie aucune.
Tout comme les échanges avec Marc Allégret ceux avec Robert Levesque dessinent un Gide intime, loin des portraits officiel du prix Nobel. Nous sommes d'autant plus tenté de comparer les relations Gide Levesque avec celles de Gide avec Marc Allégret que comme dans ce dernier cas le jeune Robert Levesque, fait partie d'une nombreuse fratrie. Gide s'intéresse fort également à Michel le jeune frère de Robert qui a cinq ans de moins que ce dernier.
Le 21 avril 1928, Gide invite Robert et Michel au cinéma. Dans son journal, Robert note: << Gide a un gros manteau sur les genoux et il tient par dessous la main de Michel. Dans l'autre main il tient le programme, un gros bloc-note et la vie de Jean Racine de Mauriac.>>. Portrait saisissant, l'essence de Gide?
Comme toutes correspondances de Gide, celle-ci confirme la bougeotte compulsive du grand homme et des membres de « la famille ». « Famille » qu'intègre bientôt Robert Levesque. Question voyage il sera rapidement pas en reste... Toutes ces personnes échafaudent des plans pour se rencontrer qui aboutissent rarement, d'où les lettres... C'est une partie non négligeable de ces échanges. Je me représente l'aréopage gidien comme ces boules de billard américain qui s'entrechoquent inopinément suite à un coup hasardeux. Encore plus que Gide, Robert Levesque tentera de se conformer à la phrase de Keat: << Mieux vaut être nomades imprudents que prudents sédentaires.>>. A propos de voyage le jeune ami nous apprend quels étaient les critères de choix d'un hôtel pour l'auteur de « L'immoraliste »: << Mais le plus étrange, c'était le choix des hôtels (…) vous flairiez les lieux. Vous entriez. Vous sortiez. Vous hésitiez entre un palace et une chétive auberge, et sans la moindre apparence de raison. Pour moi vos raisons ne sont que trop claires. C'était une question de groom.>>.
Comme dans les lettres de Marc Allégret on voit dans celles de Robert Levesque combien Gide est sollicité financièrement. Il répond presque toujours favorablement à ces multiples « tapage ». Si bien, qu'une fois encore, on ne comprend pas bien comment un homme aussi généreux peut trainer une réputation d'avarice.
Assez vite heureusement pour les finances de Gide, Robert Levesque, un peu par hasard, se lance dans une carrière de professeur qui aura l'immense avantage pour ce personnage peu stable, il semble que Gide soit son seul point d'ancrage, de le faire voyager. Il enseigne tour à tour à Moscou, Rome, Spesai (ile chère à Michel Déon) Athènes. Gide rejoindra Robert Levesque à Athènes pour une inoubliable virée en Grèce. La guerre surprendra Levesque dans ce pays où il sera miraculeusement protégé, échappant aux horreurs de la guerre, continuant son travail de professeur et surtout se découvrant un talent de passeur et de traducteur pour la poésie grecque moderne.
Après celui de sa prétendue ladrerie, autre rectificatif à une certaine légende gidienne comme quoi le cinéma n'aurait été qu'un prétexte pour la drague des jeunes personnes. Les missives de Levesque et les précieuses notes de Pierre Masson montrent combien le cinéma était une distraction majeure pour Gide. En cela il n'est qu'à l'unisson du goût d'alors de ses compatriotes. On le voit se rendre dans les salles obscures, souvent en famille, accompagné de sa fille, de la petite dame et parfois de Robert Levesque à moins que ce soit de son frère Michel.
Par l'intermédiaire de ces lettres nous entrons tant en empathie avec la nébuleuse gidienne que nous sommes navrés lorsque nous apprenons le suicide, en 1941 d'un des personnages les plus intrigant de cette correspondance, l'ami d'enfance de Levesque, Fernand Gabilanez (2). Ce dernier avait conquis l'aréopage gidien en particulier Roger Martin du Gard. A ce propos on voit une nouvelle fois quelle crème d'homme devait être l'auteur des « Thibault ».
Tout le livre vérifie la fidélité en amitié de Gide (et de Levesque). Passé l'attrait de la jeunesse du garçon, Gide ne se répartit jamais d'une attention affectueuse pour lui.
Si souvent je fais la comparaison entre cette correspondance et celle entretenue par Gide avec Marc Allégret c'est d'abord que l'amitié entre l'écrivain et ces deux hommes ne cessera qu' avec la mort de Gide, qui, dans les dernières semaines de sa vie envisageait un nouveau voyage avec Robert Levesque, cette fois à Marrakech. Comme avec Marc Allégret et avec Pierre Herbard (mais le cas de ce dernier est différent car il me semble que c'est essentiellement par opportunisme que l'auteur d' « Alcyon » a forcé la porte de la « famille gidienne »), Gide a réchauffé sa vieille défroque à l'enthousiasme et à la jeunesse de ces garçons. Il demeure qu'il y a plusieurs différences entre Marc Allégret et Robert Levesque dans la relation qu'ils ont entretenue avec Gide. Tout d'abord contrairement à ce qui s'est passé avec Marc, on ne sait pas si Gide a eu des relations sexuelles avec Robert; on est tenté de répondre par la négative n'en trouvant aucun écho dans les écrits intimes de l'un ou l'autre, mais il me semble que la différence capitale entre Marc et Robert est que ce dernier ne s'est jamais libéré complètement de la prégnance religieuse. Tout comme Gide, cet hédoniste pense que le bonheur ici bas doit se payer par sa rançon de souffrances et d'épreuves. Tout comme Gide qui avait fini par admettre que la destruction des lettres à Madeleine avait été le prix à payer pour le bonheur de son escapade avec Marc à Cambridge durant l'été 1918, Robert Levesque dans son journal explique que la félicité qu'il a connu en Grèce a un prix. Il y écrit, à Athènes en 1941: << Il me fallait pour trouver du nouveau, me retrouver et me punir peut être – tant de bonheur, de paresseux bonheur, méritait, je pense, un châtiment.>>. Cette idée de rédemption est totalement absente chez Marc Allégret.
Jusqu'aux dernières lettres, Robert Levesque, ce que lui reproche André Gide a une propension à « la belle page ». Une de celles-ci a pour sujet Taormina qu'il décrit fort lyriquement comme le paradis des amateurs de très jeunes personne. Que mes lecteurs ayant ces mêmes goûts ne se précipitent pas vers cette bourgade sicilienne, lors de mon dernier passage dans cette ville en octobre 1987, ce n'était déjà plus du tout le cas. Il y demeure son théâtre antique et les fumerolles de l'Etna, belles consolations... Le plaidoyer de Robert Levesque pour Taormina a convaincu Gide puisqu'il y fit son dernier voyage où l'aperçu Truman Capote: << Gide vit ici. Il descend chez le coiffeur et y passe l'après midi à se faire savonner le visage par des petits garçons de dix à douze ans. C'est un charmant vieux monsieur assez fantomatique.>> Truman Capote, lettre à William Goyen, le 5 avril 1950 (comme toujours chez Truman Capote, il faut être prudent quant à l'exactitude de cette évocation).
Robert Levesque fait part d'un regret largement partagé par tous les voyageurs: << Je suis sans cesse volé; dès que je lis quelque chose d'excitant, j 'y cours – mais j'arrive trop tard. Barrès à Séville, avait vu les voyous de Triana se baigner dans le Guadalquivir. Je ne vis rien. Edmont About (!) montre dans la fontaine de la Bocca de la verita se plonger les paysan dorés du latium. Hélas!... La malchance me poursuit. On se baignait nu dans la Moskowa jadis; de mon temps, c'était fini. La nudité me fuit; je porte le deuil parmi les paysages de formes disparues et tentantes.>> (lettre à André Gide du 28 février 1940).
Il y a quelque chose de Rigolo dans les lettres de Robert Levesque. De la première à la dernière, il les commence toujours par cher monsieur. Cette amorce impersonnelle et un peu guindée est de plus en plus, au fil des années, en décalage avec les propos qui suivent fort intimes et parfois assez lestes.
Dans un article de l'Express de 1995 Angelo Rinaldi parle de la relation entre Gide et Levesque; ci-dessous quelques extraits qui soulignent la modestie de Robert Lévesque: << Dès que l'un d'eux s'absente, pour vagabonder en Méditerranée, s'établit la correspondance que nous avons enfin aujourd'hui à notre disposition. Elle constitue avec un journal intime et un récit de voyage passé inaperçu en son temps - «Les Bains d'Estramadure» - l'oeuvre d'un auteur qui, par modestie, doutait d'en accomplir jamais une: souvent, en littérature, on atteint le meilleur sans y avoir prétendu. Levesque, nomade appointé par l'Education nationale, riche seulement de deux valises toujours moins lourdes le lendemain que la veille - car, la veille encore, il les avait allégées au profit d'une mendiante grecque - acheva à Colmar, parmi des élèves sans avenir, sa carrière de professeur de philosophie chahuté. Ne s'endormait-il pas au beau milieu d'un cours sur Hegel? Avant sa mort, survenue en 1975, on l'aurait bien surpris en lui prédisant qu'un universitaire, M. Pierre Masson, s'emploierait, des années durant, à rassembler, présenter et annoter ses lettres et les missives de l'illustre ami appelé jusqu'au bout «Cher Monsieur». D'emblée, il a annoncé la couleur: «Je ne veux pas devenir quelqu'un. Je veux être moi. Je ne peux rien faire de mieux que moi-même.» Et Levesque l'a fait tant et si bien que ses lettres égalent et parfois surpassent en intérêt celles de Gide, qui, pourtant, n'a jamais été si sincère, si éloigné des préciosités dont ses livres en marche vers le classicisme s'encombrent encore parfois. C'est que, pas une seconde, Levesque n'est bluffé par l'éclat des relations que l'auteur de «Corydon» lui procure. N'est-il pas présenté à Roger Martin du Gard et à la fine fleur de la NRF, introduit aux décades de Pontigny? Dans ce milieu où le moindre sire n'est qu'intelligent,(...) Levesque conserve son humour et sa lucidité. Il préservera toujours la part de l'enfance qui s'amuse quoi qu'il arrive. Elle correspond en Gide au «Prométhée mal enchaîné» qu'il a décrit et qui, las de cet aigle acharné à lui manger le foie, finira par le rôtir comme un quelconque poulet. Le grand bourgeois(...) ne se lasse pas d'envoyer des subsides à son protégé traité, depuis le début, de pair à compagnon, de l'aider dans ses démarches pour obtenir un poste d'enseignant, d'abord à Rome, puis à Athènes. Du même coup, il adopte sa famille. Il ne se passe rien dans la vie de l'un que l'autre n'en soit aussitôt informé: lectures, passades, découvertes - celle de Michaux, par exemple - maux divers, tristesses de saison (...) Sa capacité d'écoute et d'accueil n'a pas de limites ni sa faculté de rebondir par-dessus les malaises, les fatigues et les désillusions. Sous l'influence de Levesque, l'écrivain, en grand danger de se transformer en monument public, rajeunit et se défie même des certitudes d'une incertitude érigée en doctrine.>>.
Lorsque l'on referme cette extraordinaire correspondance, on a qu'un désir en savoir plus sur Robert Levesque et surtout lire son journal dont il semble bien que l'intégralité n'ait jamais été publiée. Ce qui me paraît un véritable scandale en particulier pour ce qu'il apporterait à l'histoire littéraire car non seulement il a connu toute la « famille gidienne », mais dès son adolescence Jouhandeau, Max Jacob et Cocteau puis lors de son long séjour en Grèce les grands poètes du XX ème siècle de ce pays, Elytis, Dionisos Solômos, Giorgos Séféris, Angelos Sijkelianos; autant de poètes dont il est le traducteur en français. Robert Levesque a aussi traduit quelques poème de Cavafy (4) au sujet duquel il a eu une brêve correspondance avec Marguerite Yourcenar. Il a également entretenu des relations avec Roger Peyrefitte (3), Paul Bowle, Pierre Emmanuel, Claude Mauriac et quelques autres...
Peyrefitte évoque Levesque d'une manière assez peu amène dans ses « Propos secret » mais peut-on attendre autre chose de l'auteur du Vésuve à l'Etna en la matière: << J'ai revu Levesque au lendemain des Amitiés particulières, et à Taormina, où il chassait le garçon. Chaque fois qu'il me parlait de ses conquêtes, ce n'étaient qu'images de jeunes dieux grecs ou personnages de tableaux célèbres. Je voyais là, «in vivo», l'école de Gide. Pour moi, bien que farci de littérature, ces références, transposées dans la vie, pour embellir de petits «truqueurs», me paraissaient un peu ridicules.>>.
Claude Mauriac dans son journal (voir immédiatement ci-dessous) livre une anecdote cocasse plus conforme à l'idée que je me fais des relations entre les deux épistoliers
Le lecteur de ce volume, tant il s'est attaché à lui ne pourra que se demander ce qu'est devenu Robert Levesque après la perte du guide qu'était pour lui André Gide. Et bien il a été à la fois fidèle à l'Afrique du nord et à son métier de professeur, métier choisi non par vocation mais selon l'opportunité qui se présentait et qui finira par le passionner: << J'avoue que la responsabilité d'ouvrir les yeux à la jeunesse, de lui apprendre à regarder les choses, ou à penser, emplit ma vie d'une allégresse grave; je m'en vais chaque jour au lycée dans un état de joie toujours nouveau.>> (1950). En 1949, il enseigne au lycée de Fès jusqu'en 1964, puis à celui de Marrakech jusqu'en 1968. Un de ses élèves de ce dernier établissement se souvient: << Vous étiez à l'opposé du Professeur Nimbus mais vous Demeurez Le Professeur austère Tiré à 4 épingles avec des chaussures cirées qui voulait nous faire comprendre que : Cherches Toi et Tu te Découvriras!>>. A son retour en France, Levesque est nommé au lycée de Colmar, où il prendra sa retraite en 1972. A sa mort, le 12 avril 1975, on retrouvera à son chevet ces dernières lignes écrites en hommage au Maroc: << Vive le Maroc! Bien qu'à deux pas de l'Europe, ce pays garde encore un charme oriental, et je m'en réjouis. Sans être riche en monuments, le Maroc est lui-même monumental: je veux dire qu'il a de la solidité...>>.
Il faut louer l'admirable travail d'édition accompli par Pierre Masson pour ce livre. Non seulement il annote cette correspondance dans laquelle comme dans celle avec Marc Allégret on voit le vieux Gide trouver une nouvelle énergie au contact de la jeunesse de son interlocuteur qui lutte, lui contre sa pente naturelle à l'apathie et qui parvient, grâce à son mentor, à faire que cette pente soit montante. Mais Pierre Masson fait bien plus que commenter les lettres, il comble les vides biographiques des deux hommes entre deux lettres. Dans ces interstices, le vaillant universitaire raconte la vie des deux épistoliers avec beaucoup d'efficacité et d'économie de moyen, sans jamais jargonner ni se lancer dans d'oiseuses considérations. En expert de la litote et de l'euphémisme, Pierre Masson, avec tact suggère les nombreuses aventures garçonnières des deux compères qui, en la matière comme dans d'autres domaines, se rendent des services mutuels (l'extraordinaire entraide dans la famille gidienne). Ainsi Gide présente X qui s'est littéralement jeté dans ses bras, d'après une lettre du bientôt prix Nobel, à Robert Levesque qui sans tarder en fait son petit ami et l'emmène en voyage en Corse. (Ah que j'aimerais connaître ce mystérieux X qui, d'après la prudence de l'éditeur, devait être encore vivant en 1995 à la parution du livre.
Le seul reproche que je ferais à ce volume, est de ne contenir aucun cahier de photos. Ainsi on ne sais pas à quoi ressemblait Robert Levesque, en particulier lorsqu'il rencontra André Gide. Il me semble pourtant qu'un tel ajout ne serait pas superfétatoire et ne relève pas chez moi que d'un voyeurisme exacerbé. Prenons l'exemple de Pierre Herbart, le fait d'avoir dans sa biographie des images de lui jeune font mieux comprendre qu'un long discours, l'attrait qu'a pu exercer ce beau parleur et petit faiseur sur André Gide et son aréopage. Herbart jeune paraissait beaucoup moins que son âge. Il me plait à penser qu'il en était de même de Robert Levesque qui devait cependant avoir moins d'attrait esthétique que le joli Herbart. Je sais seulement que Levesque était de petite taille ce qui me fait penser à un autre correspondant d'André Gide, Christian Beck lui aussi rencontré par Gide à 17 ans mais en 1896. Dans une certaine mesure, il me semble que ce qu'écrit Pierre Masson de Beck pourrait s'appliquer à Robert Levesque: << … la prédominance de l'échec. Une aspiration à l'authenticité (…), une ambition littéraire insatisfaite, une sorte de destinée placée sous le signe de la contradiction têtue, incapacité à se satisfaire d'une position définitive...>>. Gide recherchait-il toujours le même type de compagnon?
Toutes ces lettres vérifient la phrase que prononça Pierre Masson lors d'une conférence: << Gide a institué l'amitié en système de vie.>>.
Comme dans la correspondance Gide Allégret, il est émouvant dans ce volume de voir en la personne de Robert Levesque un homme s'accomplir sans se renier. On vois à travers le cas de Robert Levesque combien l'analyse de F. V. Arnold (1) est juste: << Le but de l'entreprise gidienne ne consiste pas à détourner le lecteur, c'est à dire à le séduire, mais au contraire à le conduire à lui même.>>.
Nota
1- F.V. Arnold est ce jeune officier allemand que Gide rencontra à Tunis en 1943, qui deviendra un commentateur éclairé de l'oeuvre de Gide.
2- J.C. F., un attentif lecteur, que je remercie, m'apprend que Jouhandeau, qui fut le professeur de Gabilanez, comme il le fut de Robert Levesque, s'accuse d'avoir été la cause de la mort de Gabilanez. Cela se trouve dans "Nouveau testament" du dit Jouhandeau qui comme à son habitude se livre à une séance de narcissisme assez peu ragoutante (c'est immédiatement ci-dessous).
3- Dans sa lettre du 20 octobre 1939, Robert Levesque écrit à Gide: << Le jeune diplomate qui collectionne des photos doit m'en montrer 30 nouvelles, toujours extraordinaire... (L'auteur de ces photos, un tchèque est toujours à Paris) >>
Le jeune diplomate n'est autre que Roger Peyrefitte et le photographe se nomme Karel Egermeier...
4- Les traductions de Cavafy par Levesque parurent dans "Permanence de la Grèce, Cahier du Sud en 1948 avec une présentation du traducteur.
ismau07/07/2015 19:41
lesdiagonalesdutemps07/07/2015 19:56
J.C. F.07/07/2015 14:16
lesdiagonalesdutemps07/07/2015 14:17
Jack20/12/2016 02:08
lesdiagonalesdutemps20/12/2016 07:18
ismau07/07/2015 19:41
lesdiagonalesdutemps07/07/2015 19:56
J.C. F.07/07/2015 14:16
lesdiagonalesdutemps07/07/2015 14:17