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Dans les diagonales du temps
9 juillet 2020

LE SOUFRE ET LE MOISI DE FRANÇOIS DUFAY

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Sous ce bien mauvais titre, en forme de clin d’oeil à Philippe Sollers que pourtant on ne croisera pas dans ces pages, ce cache un chef d’oeuvre d’émotion et d’ érudition. Emotion un qualificatif qui vient bien rarement à l’esprit lorsqu’il s’agit de rendre compte d’un essai et qui est une grande valeur ajoutée à celui-ci qui, par ailleurs développe discrètement une thèse très originale sur le milieu littéraire français de l’immédiat après guerre jusqu’à la fin des années soixante, même s’il me parait que la peinture du dit milieu est l’enjeu principal de l’ouvrage. L’idée maîtresse que développe François Dufay est que Paul Morand et Jacques Chardonne furent les deus machina de tout un pan de l’histoire littéraire de la deuxième moitié du XX ème siècle. Ces deux écrivains, jadis prestigieux et fêtés, surtout pour le premier, mis, pour faits de collaboration, sur l’informelle liste noire des écrivains français par leurs pairs ayant fait, ou fait croire à, un meilleur choix, celui des vainqueurs, se retrouvent en marge, exilés jusque dans leur propre pays. Pour reconquérir leur statut ces deux brillant has been que tout opposait noue un pacte de survie. Ils trouvent un soutien qu’il n’attendaient pas, mais qu’ils suscitent pour une bonne part, chez de jeunes écrivains de droite, surnommés hussards par Bernard Frank (lui de gauche mais que l’on peut apparenter sans trop de mal à ceux qu’il a baptisés), étiquette qu’il ne réussiront jamais à décoller. A l’aube des années 50, ces alors jeunes et alertes plumes ont pour nom Roger Nimier, Antoine Blondin, Jacques Laurent, Michel Déon auxquels on peut adjoindre des jeunes gens d’une sensibilité un peu différente comme  François Nourissier ou Jean-Louis Bory. Ces premières vestales seront ensuite relayées par une nouvelle génération, Mathieu Galey, Jacques Brenner...
Kléber Haedens dans son "Une histoire de la littérature française" (Cahiers Rouges) en dresse un portrait évocateur : << Les hussards sont la liberté même. Mais de nombreux dangers les menacent. Ils sont comme ces oiseaux aux longues plumes que l'on a vus sur les plages pris dans la marée noire. La littérature existentialiste qui les entoure semble sortir d'un pétrolier coulé. >>.
Dufay décrypte les subtiles retours d’ ascenseur que se renvoient les protagonistes de ce curieux pacte dont le cynisme inconscient et informulé sera mis à mal par les faiblesses du coeur que l’on pensait inimaginables chez ces deux vieux crocodiles du marigot des lettres qu’étaient Morand et Chardonne. Le désespoir de Morand à la mort de Nimier qu’il considérait comme son fils fait écrire à Dufay des pages poignantes.
Delay décrit à merveille les relations quasi incestueuses dans ce petit monde des littérateurs durant les  années d’après guerre. Au passage on apprend en outre des choses comme l’amitié de Nourissier pour Heller. Ce même Nourrissier qui deviendra une vingtaine d’années plus tard, lui aussi un grand manipulateur des lettres françaises et un grand faiseur de Goncourt
Mais peut être que le plus grand plaisir, rare dans un essai, que nous offre celui-ci est son style, quel art dans le portrait, presque toujours vachard, peu de modèles échappe aux coups de griffes de Dufay, qui dans cet exercice se rapproche de Léon Daudet et de Jules Renard. Au milieu de tant de piques on y trouve néanmoins un bel exercice d’admiration pour Mathieu Galey, autre grand portraitiste  au talent acide.
Ce qui n’ empêche pas l’essayiste d’en brosser un portrait aussi vrais que savoureux: << Le “sérieux Galey” est pourtant à bien des égards plus sulfureux que ses ainés le furent jamais. Quant il ne court pas les avant-premières et les salons des Madame Verdurin de la V ème république naissante, le jeune homme hante les bars interlopes de la rue Sainte Anne et les pissotières de Saint-Germain-des-prés - les tasses, comme il dit en jargon homosexuel. “Je me transforme dès la nuit tombée en salonnard, puis en chasseur, ou les deux ensemble” note-t-il dans son journal où il tient le compte de ses aventures d’un soir. Chardonne qui a bientôt flairé quelque chose, le met en garde  contre les “bas fonds gidien”! En décembre 1963, plus d’ambiguité: Galey arrive à La Frette flanqué d’un blond étudiant allemand, aussitôt surnommé “Siegfried” par le maître des lieux qui entreprend de lui expliquer la germanité...>>...
“Le soufre et le moisi” est également une incessante incitation à lire et à relire tout Morand et Chardonne, bien sûr mais aussi à se replonger dans “Les épées” de Nimier ou encore à revisiter l’oeuvre de Michel Déon, curieusement assez mal traitée par Dufay.
On y trouve l’écho de la pensée de ces vieux maîtres d’une lucidité effrayante comme dans cet extrait d’une lettre de Morand à Nourissier en 1956: <<... Il faut survivre, non pour l’amère joie de voir les criminels qui ont scié la poutre maîtresse de l’Europe essayer en vain d’en soutenir, d’une main tremblante, le toit qui leur tombe sur la tête, non pour le posthume intérêt de constater une marée slave qui, nos positions d’Afrique tournées, n’aura qu’à passer le lacet autour du cou de l’occident, mais pour affirmer quelque part, dans quelque arche de Noé, le triomphe de la vie et rester le dernier témoin du désir et de la passion d’exister.>>. Je fais mien ce viatique...
Le livre ouvre sur un certains nombre de questions dont on aimerait bien trouver au plus vite les réponses...
Comme celle qui me taraude, où sont les Morand et les Chardonne et leurs damoiseaux d’aujourd’hui qui nous délivreraient de ces tristes littérateurs qui ne semblent préoccupés que de savoir si les rejetons des nouveaux occupants ânonnent Beaumarchais...
L’auteur n’hésite pas à avancer des supputations dérangeantes comme l’ hypothèse que Roger Nimier aurait été comme émasculé littérairement par Jacques Chardonne, comme vampirisé par son mentor barbon...
En outre Dufay propose, sans avoir l’air d’y toucher, une idée assez ébouriffante, et qui pourtant semble d’une parfaite évidence, une fois que l’on a refermé le livre, celle de faire de Patrick Modiano l’ultime héritier de Morand, contrairement à Nimier, premier prototype d’un modèle à venir, Modiano en serait l’ accomplissement. Modiano, un hussard qui aurait réussi...
Il y a une malédiction qui semble planer sur les écrivains de droite et à ceux qui s’intéressent à leur histoire et à leur postérité. On sera éternellement éploré que ce magnifique livre soit le dernier de son auteur victime de la même mécanique qui enleva Roger Nimier à notre admiration. 
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