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Dans les diagonales du temps
25 avril 2020

Tony Duvert, L'enfant silencieux de Gilles Sebhan

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Gilles Sebhan avec cet hommage à Tony Duvert ressuscite un genre tombé en désuétude depuis de nombreuses années, le tombeau littéraire. Il a pourtant connu une grande vogue dans les lettres françaises durant l'entre deux guerres. La NRF ne manquait jamais d'en faire paraître un lorsqu'un de ses grands contributeurs disparaissait. La forme était presque tombée dans l'oubli et voilà que Gilles Sebhan la fait renaitre avec talent pour un écrivain, véritable paria de notre intelligentsia ce paradoxe n'est pas le moindre charme de ce livre insoumis. La différence avec les tombeaux littéraires qui ont précédé celui-ci, est qu'ils étaient édifiés par plusieurs écrivains proche du disparu honoré, alors que Sebhan est l'unique architecte de cet élégant monument derrière lequel il ne se cache aucunement, nombreux sont les passages écrits à la première personne du singulier dans lesquels l'auteur se met en scène notamment lors de ses recherches biographiques sur Tony Duvert. A ce propos les carences du biographe peuvent agacer devant notre désir d'en savoir plus sur cet écrivain mystérieux. Sebhan évoque avec beaucoup de tact et de talent l'étrangeté du personnage, et le constat qu'il fait de son impossibilité, même si néanmoins on apprend beaucoup de choses sur Tony Duvert, à dissiper le brouillard qui entoure l'auteur de « L'ile atlantique ». On se dit qu'avec un peu plus d'énergie et de culot de sa part la figure de Tony Duvert pourrait, peut être moins floue. Mais le projet de Sebhan n'était pas de faire une biographie de son auteur préféré dont la découverte a été un véritable révélateur pour lui mais bien plutôt de rêver sur sa vie d'irrégulier.

Sebhan, qui est né en 1967, n'a jamais rencontré Tony Duvert. Il a découvert ses écrits alors qu'il avait vingt ans par l'intermédiaire d'un de ses amis plus âgé que lui, auquel est dédié le livre, ami que l'on comprend être mort du sida, il y a quelques années...

Tony Duvert, l'enfant silencieux n'est pas une biographie, il faudrait qu'un courageux, car l'entreprise est difficile et hautement périlleuse en ces temps de fesse-mathieu, s'empare de ce projet et cela sans tarder avant que les rares témoins et trace de la vie de Duvert aient disparu. Mais désormais, il devra aussi savoir que la réussite son ouvrage sera mesurée à l'aune du beau livre de Sebhan. Avec l'extrait qui suit Sebhan dit tout de sa posture devant la vie de son modèle: << Nous pourrions en apprendre d'avantage.Et peut-être même découvrir des choses qu'au fond nous préférons ne pas savoir, parce qu'elle ne concorde en rien avec notre idée de la légende.>>. Ce n'est pas d'avantage un essais sur l'oeuvre, on aimerait connaître la genèse de celle-ci et, avec plus de précision les échos autobiographiques que l'on peut y trouver, Sebhan ouvre toutefois à ce sujet quelques pistes mais « sans doute » sont les mots sur lesquels le lecteur butte le plus souvent. Mais paradoxalement, malgré ma frustration qui sera, sans doute celle de beaucoup de lecteur, Sebhan a complètement raison lorsqu'il déclare: << j’ai d’abord cru que le livre ne pourrait se faire sans ces témoignages mais à présent je pense que c’est de ces lacunes, de ce vide que le livre tire sa force.>>. Peu de chose également sur l'évolution du style de son modèle durant sa courte carrière, sinon des considérations économiques et le désir de toucher un plus grand nombre de lecteur, ce qui me semble cadrer assez mal avec l'insoumission radicale de Duvert, ni quelles furent ses influences littéraires. Je m'étonne que ne soit pas évoqué les écrits de Jean Genet et d'Augérias que Tony Duvert devait bien connaître. Peu de choses sur ses « héritiers littéraires » auxquels il faut tout d'abord citer Sebhan lui même qui déclare dans une passionnante interview au site de « La revue littéraire » (http://www.leoscheer.com/la-revue-litteraire/2010/05/10/106-rl-46-a-la-recherche-de-tony-duvert-entretien-avec-gilles-sebhan ): «  J’avais une vingtaine d’années quand j’ai découvert l’œuvre de Tony Duvert. J’ai tout de suite été frappé par le beau scandale de son écriture.>>. Est tout de même cité Matthieu Lindon qui sous le pseudonyme de Pierre-Sébastien Heudaux publia aux éditions de Minuit en 1982, « Nos plaisirs », pastiche réussi d'un roman de Duvert. A propos de ces derniers j'évoquerais également aussi deux autres « disparus » de l'édition française: Didier Martin avec entre autres « Les petits maitres » (éditions Gallimard 1983) et l'auteur de bande dessinée Alex Barbier avec son Lycaons dont les premières planches parurent dans « Charlie mensuel » en 1975. Il faudra attendre 1979 pour le découvrir en album aux éditions du square. Ce livre longtemps introuvable est réédité dans une édition complétée par Frémok en 2003. Ces incises à propos des héritiers putatifs de Duvert m'amène à rectifier une assertion de Sebhan qui affirme que les livres de Duvert ne seraient trouvables que chez son éditeur, si je suis de son avis qu'ils seraient impubliables aujourd'hui, j'ai vu plusieurs titres de l'auteur dans différentes librairies parisiennes, alors que par exemple tous les ouvrages signés Jean-Louis Curtis, dont Houellebecq dit grand bien avec raison, ont disparu des rayons depuis bien longtemps.

En quelques phrases, Sebhan restitue le contexte de l'oeuvre qu'il ausculte: << On a du mal aujourd'hui à se rendre compte de ce qui s'est passé durant quelques années, entre mai 68 et mai 74 disons, quelque chose comme l'impression que l'on pouvait réinventer le monde, que tout était permis puisque tout était possible, c'est en ce sens que des gens comme René Schérer ou Guy Hocquenghem ont milité, par exemple. Et c'est à ce combat également que d'une certaine manière devait être sensible Lindon lui-même. Il y avait comme un fol espoir que les enfants soient enfin libérés du carcan de leurs pères, de la jalousie de leur mère, il y avait aussi l'idée que l'on pouvait sortir de cette répression policière qui planait sur les nuits parisiennes.>>. Le silence des vingt dernières années de Duvert s'explique en partie parce qu' Il estimait être devenu "inaudible" dans la France d'aujourd'hui.

Sebhan compare Duvert à Harpokratès, divinité grecque, qui sous les traits d’un jeune garçon porte le doigt à sa bouche comme un être en méditation (P. 134). Pour Duvert la césure avec l’enfance constitue le véritable péché originel. Sebhan le présente comme un vieillard nostalgique à 17 ans, pour qui « être homme c’est déchoir (P. 19) » et dont l’œuvre se veut tantôt martyrologue, tantôt sublimation d’un paradis perdu,un état d’avant la chute.

Tout le livre nous raconte le désenchantement du monde et la dissolution d'u homme vaincu par son exigence et son hiatus par rapport aux jours qu'ils voyaient arrivé. Il exprime cette angoisse dans « L’Enfant au masculin »:« J’ai vu combien en composant des dialogues imaginaires entre gosses, il était difficile, avec pour seul moyen de création la langue écrite, d’infuser aux plus simples phrases, de suggérer par elles, ces tours, des mimiques, ces gestes sans lesquelles elles ne sont rien ; c’est un travail cauchemardesque sur chaque lettre choisie et les sollicitations physiques qu’elles feront, ensemble, à la lecture […]. L’alphabet doit devenir ici à la fois système scriptutaire et notations musicale, sensuelle et gestuelle. Travail décevant : […]. Travail inutile ? Je me demande ce qui, en littérature, ne l’est pas ».

Je rectifie ce que j'écris plus haut plutôt d'affirmer que Sebhan n'a écrit, ni une biographie, ni un essais j'aurais du écrire qu'il n'a pas écrit une biographie ou un essais classique mais qu'il y a dans ce songe sur Duvert par un écrivain qui l'admire, aussi une biographie et un essais.

D'ailleurs Sebhan pour illustrer la vie de Duvert s'en tient à l'ordre chronologique des faits. Mais cette ordonnance est brouillée, ce qui dynamise la narration, par un récit à plusieurs voix. Il y a d'abord le je de Sebhan qui se fait enquêteur et solliciteur pour résoudre le mystère Duvert. Cette voix se transforme en celle d'un narrateur qui s'exprime à la troisième personne lorsque l'enquêteur relate la continuité de ce qu'il a pu rassembler de la vie de l'auteur de « Paysage de fantaisie ». Il y a aussi cette étonnante voix que Sebhan prête au cadavre, dans le laps de temps qui sépare la mort de l'écrivain de la découverte de son corps pourrissant, probablement plus d'un mois après son décès. Ces artifices littéraires sont bien amenés et rendent plus fluide la lecture; en revanche Sebhan aurait pu se dispenser de ponctuer le livre par l'évocation d'une soirée littéraire bien parisienne par trop caricaturale. Mais il est vrai qu'à la mort de l'écrivain, ce sont plus les pages des faits divers qui en ont traitée que les suppléments littéraires. Les blogs lors de cet événement ont sauvé l'honneur des lettres françaises. Dans celui de Léo Sheer (http://www.leoscheer.com/blog/2008/08/26/719-tony-duvert-est-mort), on pouvait lire cette juste recommandation: << Ce pauvre corps abandonné dans le Loir-et-Cher n’est pas le résidu des errances du passé, il ne témoigne pas de ce qu’il aura fallu d’illusions pour parvenir au bonheur contemporain. Il est le corps d’un écrivain magique, qu’il s’agit maintenant de redécouvrir – si cette misérable tragédie peut servir à quelque chose –, écrivain magique dont la boîte aux lettres a mis un mois à déborder, parce que la magie, les écrivains, ces fariboles, et la liberté dont ils auront été une figure, vous savez bien comme on s’en fout, désormais.>>.

Le livre de Sebhan d'abord par son écriture poétique tire l'oeuvre de Duvert vers une sorte de merveilleux des ténèbre. Il est intéressant d'écouter Gérard Mordillat qui a adapté pour la télévision « L'ile atlantique » déclarer à Télérama (on peut écouter l'intégrale de l'interview à l'adresse suivante:http://www.telerama.fr/livre/tony-duvert-par-gerard-mordillat,32694.php) qu'il voyait en lui au contraire un grand réaliste: << On a toujours mis en avant le coté scandaleux, sulfureux, pédérastique, homosexuel de ses écrits, mais ça, c'est la surface. La profondeur, c'est la qualité du style qui détonne dans la médiocrité générale de la production romanesque française. Il y avait quelque chose d'incroyablement fort, d'incroyablement fort d'incroyablement puissant, d'extrêmement novateur dans ce qu'il écrit. La force de Tony Duvert c'est d'être aussi un écrivain réaliste; sa description dans « L'ile atlantique de la population d'une petite ville française dans toutes ses strates à travers la vie des enfants est d'un réalisme stupéfiant, si réaliste que l'on a essayé de l'évacuer en disant que c'était de la caricature, ce qui est la défense ordinaire de la critique française face au réalisme (…) Il y a une sorte de voile, d'écran, posé sur son oeuvre à cause de la description des amours enfantines. Ce qui ne m'a jamais gêné car je comprenais que pour lui sa préoccupation était avant tout l'écriture (…) Ma rencontre avec un réalisme si puissant que j'avais l'impression de saisir la réalité du monde autour de moi comme si je pouvais la prendre à pleine main.  »

Pour ma part je trouve que « L'ile atlantique » aurait été le livre idéal pour être illustré par les dessins de Pierre Joubert car on y trouve comme dans les planches de l'illustrateur des adultes grotesques et des enfants turbulents et attirants. L'extrait ci-dessous, tiré de la page 47 de « Paysage de fantaisie », pourrait être une description méticuleuse d'un dessin de Joubert.

  

<<...trois garçons traversent sur une barque verte et noire un bras de la rivière qui s’élargit avant le grand bois et enserre une île que couvrent des châtaigniers et des fourrés épais le garçon blond et le plus jeune enfant ne sont pas du village leurs traits fins et leurs façons gracieuses prouvent qu’ils appartiennent sans doute à l’institution les deux plus grands ont environ douze ans et sont en maillot de bain aux couleurs gaies le troisième a une dizaine d’années son torse est nu il porte un short en velours noir qui semble plutôt l’élégante culotte courte d’un petit costume elle lui tombe aux hanches faute de ceinture et la bande élastique blanche du slip en déborde irrégulièrement sur les reins...>>

  

Dans cet autre passage ci-dessous, venant du « Journal d'un innocent », page 22, on a un bel exemple de l'acuité du regard de Duvert.

  

<< Égaré dans ces images de maisons basses et d’étoiles, j’aperçus tout à coup un avion – un garçon, les bras tendus en ailes, vrombissant comme un supersonique, qui tournait, virevoltait, atteignit une petite place, devint automobile, gronda, actionna ses leviers, saisit son volant, fit, d’une grosse voix muée, rugir son moteur et, les poings en pare-choc, freina brusquement devant une autre voiture pour pisser contre.>>

  

A propos de Duvert François Nourissier déclarait: <<Il vivait dans une cabane au bord d’un étang. C’est tout ce que j’ai pu apprendre, mais après tout, je n’avais pas besoin d’en savoir davantage, je n’ai pas la curiosité des étangs, j’ai celle du style et avec Tony Duvert, je suis servi… La période d’innocence qui s’offrait aux artistes dans les années 70 est révolue : on ne peut plus parler librement de ces choses en ce moment >>. Sebhan a clairement choisit les étangs plus que le style. Il amorce quelques pistes psychanalystiques pour comprendre l'écrivain mais voyant que celles-ci pourraient le mener loin de la légende, il les abandonne assez vite...

Duvert est totalement étranger aux conceptions actuelles qui ne voit que par le morcellement du monde et la séparation des âge. Il était tout le contraire comme le montre cette déclaration lors d'une des rares interviews qu'il a donnée: << J’ai le goût, le besoin de me relier à tous les âges de ma vie, passée ou à venir. De mon enfance à aujourd’hui je ne vois pas ces fameuses étapes que tout homme traverse, reniant et oubliant chaque fois l’âge d’avant… Ce qui favorise ma circulation vers l’enfance, c’est que tout ce que j’aime, que je fais, continuerai à faire, je l’ai choisi dès le commencement.>>.

L'ouvrage de Sebhan nous interroge sur quelle place occupe aujourd'hui l'oeuvre de Duvert dans les lettres françaises (je ne sais absolument pas s'il est traduit.) et plus généralement dans notre façon d'appréhender notre réalité. A un moment où les têtes de l'hydre sociétale sont malades et soudes aurôle social, politique, symbolique, artistique que pourrait avoir l’écriture et semblent ignorer que l'on puisse écrire pour participer au collectif, amener sa pierre, sa réflexion, qu’on puisse avoir envie de donner sans souhaiter passer au JT et/ou toucher des millions en droits d’auteur. Une telle posture semble intéresser personne. Il est interdit au pays de BHL d'être un SDF de l'écriture...

Malgré ses manques et ses défauts dans un style fluide le livre de Gilles Sebhan atteint parfaitement son but transmettre son amour pour l'oeuvre de Tony Duvert et donner l'envie de le lire ou de le relire.

  

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Nota

1- La notice de Wikipedia sur Tony Duvert, si elle n'est pas complètement épargnée par le politiquement correct, est tout de même très complète et bien documentée.

2- Ci-dessous un très intéressant article de Michel Nuridsany paru dans dans Le Figaro en 1982, lors de la parution d'un Anneau d'argent à l'oreille. 

 
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Commentaires
M
La grande différence c'est que Duvert était un écrivain et pas Augerias.<br /> <br /> Pour répondre à ceux qui visiblement n'ont pas apprécié de voir des textes de Bardèche, d'Audiard ou par exemple de Duvert je rappellerais que l'on peut apprécier un livre, un texte sans épouser la totalité des opinions d'un auteur, opinions qui pour certains ont été changeante au cours de leur vie.
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M
J'ai écrit un billet sur ce livre sur le blog:<br /> <br /> http://imagesenfuies.canalblog.com/archives/2020/03/04/38075328.html
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