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Dans les diagonales du temps
24 avril 2020

François Augiéras, le dernier primitif de Serge Sanchez

 

François Augiéras, le dernier primitif de Serge Sanchez

 

 

Il y a des biographes froids, les comptables des éjaculations et des notes de blanchisserie et puis ceux qui se permettent de parler pour leur modèle pensant que la longue fréquentation de celui-ci, les autorise à jouer les ventriloques pour le grand homme de leur élection. Serge Sanchez est de ceux-là. Ainsi il prête à François Augiéras (1925-1971) âgé d'une dizaine d'années ces sentiments, lorsque l'enfant, il parcourt les rue de Paris: << Il n'était touché ni par l'anecdote, ni par le fait pittoresque, coloré. Ouvert aux mystères de l'invisible, il se tenait au contraire au plus près de l'abstraction éternelle, quasi platonicienne, qui se dissimule sous le chatoiement des apparences.>>. Même surdoué je ne suis pas sûr qu'un garçon de cet âge ait ces préoccupations. Notre biographe y va parfois d'affirmation que l'on peut juger pour le moins contestable comme celle-ci page 73: << Le nazisme fut effectivement un âge d'or de l'homosexualité. >>. Tout est comme cela durant les 430 pages que Sanchez a commis sur Augérias. Si on prend le parti d'en rire, on passe un bon moment.

 

François Augiéras, le dernier primitif de Serge Sanchez

<< Le caractère inconsciemment magique du régime de Pétain, archaïque, je le pressenti. Sa simplicité fit ma joie tout au long de mon heureuse adolescence...>>. Lorsqu'il fait cet aveux, il ne faut pas oublier qu'Augiéras a quinze ans en 1940, fait comprendre certaines adhésions au régime de Vichy qui avec le recul paraissent paradoxales. Il ne faut ommettre non plus la suite de la déclaration de l'écrivain pour lever tout soupçon d'accointances nazies: << J'ignorais les crimes nazis, le racisme, l'antisémitisme. Dés que j'en aurait connaissance je prendrais mes distances aussitôt.>>. Je conseillerais de lire « une adolescence au temps du maréchal » en parallèle avec « Les minutes d'un libertin » de François Sentein qui sont deux documents exceptionnel sur le quotidien sous le Maréchal.

Mais hormis cette période Augiérias semble habiter une planète bien à lui, aucun événement extérieur à sa petite sphère l'intéresse. Il parait avoir été le genre de garçon si empli de lui même qu'ils oublient de regarder au dehors... Il en sera ainsi jusqu'aux derniers jours de sa vie. Voilà un homme vivant dans ses songe qu'il a preque rien vu de ce qui se passait autour de lui. Par exemple en toute innocence à quelques semaines de l'indépendance de l'Algérie il essaye de vendre quelques arpents de Sahara et est tout surpris de ne pas trouver preneur!

 

François Augiéras, le dernier primitif de Serge Sanchez

 

L'auteur n'est pas avares de considérations moralisatrices, ce qui est assez curieux lorsque l'on prend pour sujet Augiéras, et de lieux communs; néanmoins il lui arrive de faire des propositions intéressantes comme celle d'attribuer les théories de Malraux sur l'art (souvent fumeuses à mon humble avis) aux progrès de la reproduction des oeuvres d'art dans les livres, favorisant les rapprochements des formes, permettant presque à chacun de connaître et de revoir un grand nombre d'oeuvres, ce qui était impossible auparavant.

Quelques fois notre biographe à des bouffées de candeur allègre et juvénile qui surprennent comme dans ce qui suit: << Le soldat et son jeune amant représentaient le couple initial d'une nouvelle genèse. Adam et Eve avaient été chassés du paradis, la belle affaire. Eux déchiquetaient à pleines dents les fruits de la connaissance et se prélassaient sans scrupule au coeur de l'enfer. >>. 

 

 

François Augiéras, le dernier primitif de Serge Sanchez

 

Bien que Serge Sanchez dans son avant propos ait précisé qu'il ait vérifié et revérifié chaque point de la biographie d'Augiéras on peut être un peu inquiet du fait qu'il prenne des pans entiers d' « Une adolescence au temps du Maréchal » et surtout du « Vieillard et l'enfant » comme des épisodes avérés de la vie de son modèle. Ce dont on peut douter quand on connait la propension d'Augiéras à l'affabulation. On peut avancer que toutes l'oeuvre d'Augièras appartient au genre de l'autofiction, même si le mot n'existait pas lorsque l'halluciné de Périgueux l'écrivait. Mais il ne faudrait donc pas oublier que dans autofiction, il y a fiction...

 

François Augiéras, le dernier primitif de Serge Sanchez

Cette biographie que je ne recommande pas m'a fait me replonger dans l'oeuvre d'Augièras, plongée peu profonde en regard de sa minceur. Après cette excursion j'en ai déduit qu'avec Augiéras on tient là un beau cas d'hallucination littéraire collective. Certes les victimes de ce mirage se nomment André Gide, Claude Michel Cluny, Angelo Rinaldi, Etiemble, Marguerite Yourcenar, qui néanmoins ne fut pas totalement dupe, même le cher de Ricaumont y a été de ses louanges, et quelques autres de haute lignée, mais pour autant ne faudrait-il pas admettre, si l'on reste libre de son jugement, que les membres de ce coruscant aréopage ont été blousés par ce bonimenteur d'Augiéras qui avait apparemment le talent de faire prendre des vessies pour des lanternes.

 

François Augiéras, le dernier primitif de Serge Sanchez

 

J'explique en parti l'incommensurable indulgence de ces grands esprits par le fait d'une part qu'ils ne connaissaient pas ou peu Augièras, qui à la lecture de sa biographie apparaît comme un parfait salopard, mais surtout que ses premiers opuscules étaient signés Abdallah Chaamba. Ce qui a du sérieusement émoustiller l'oncle André qui était aux portes du tombeau. Quant à quelques autres comme Etiemble par exemple, il ont voulu voir dans «  Le vieillard et l'enfant » histoire d'un jeune arabe martyrisé sexuellement par un vieux barbon de colonial, une métaphore de la colonisation qu'ils abhorraient car dans leur candeur ils étaient persuadés que c'était l'enfant du livre qui couchait sur le papier ses douloureux souvenirs et non un jeune bourgeois déclassé qui se vengeait de son enculeur d'oncle. Ce qui est rigolo c'est que ces humanistes toujours prêt à se battre la coulpe auraient été horrifiés par de nombreuses phrase d'Augérias comme celles ci, extraites de son dernier ouvrage « Domme où l'essai d'occupation » qui ne trouvera un éditeur qu'en 1982: << L’Homme ne peut continuer à être un « produit de série », issu de n’importe quel couple qui procrée en pensant à autre chose : la Nouvelle race sera contrainte de ne tenir pour « Homme » que le produit raisonné d’un couple conscient, déjà en cours de mutation favorable. Un reclassement est déjà commencé; il y a une humanité véritable en cours d’apparition, douée des organes psychiques qu’il faut pour revenir à l’Univers des Astres; il en est une autre qui n’est plus qu’une apparence, une humanité résiduelle, sordide, bassement terrestre, humaniste, irrémédiablement condamnée, coupée de l’Univers-Vivant, en partie par la faute du Christianisme qui n’a jamais été que la copie maladroite et frauduleuse des grandes Initiations.>>. On retrouve dans ce texte des accents que n'aurait pas désavoué la revue Planète.

 

François Augiéras, le dernier primitif de Serge Sanchez

Une autre piste est donné par un des thuriféraires d'Augièras, le grand Rinaldi dans ce qui pourrait s'appeler le snobisme du critique: << Le critique éprouve bien de la satisfaction (…) quand il sait que ses louanges ne changeront rien à la fatalité qui veut que tel ou tel auteur ne sera jamais fréquenté par la foule. De la sorte, le cher homme s'administre à lui même la preuve qu'il appartient à l'élite des initiés, ce qui est un sentiment tout à fait exquis.>>. Plus loin dans son article Rinaldi fait pourtant preuve d'une belle lucidité: << Le seul écrivain d'inspiration érotique qui donne à son lecteur l'envie de se laver le sexe. >>

Dans une lettre à Jean Chalon, Augiéras écrivait: «Il me semble parfois être une étrange étoile. Disons, si tu veux, un quasar, ces étoiles difficiles à situer, aux signaux très énigmatiques et sur lesquelles toutes les hypothèses sont possibles.». En ce qui me concerne je fais celle qu'Augièras c'est totalement bidon! 

 

François Augiéras, le dernier primitif de Serge Sanchez

Nota: Les peintures illustrant ce billet sont de François Augiéras

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Commentaires
I
Il suffit de ne pas considérer Augiéras comme un penseur, ce qui ne l'empêche pas d'être un écrivain intéressant.  Quand il écrit dans «Le Voyage des morts » de grandes bêtises sur Picasso, du genre :  « Un fétiche est infiniment plus émouvant qu 'un Picasso …  ... qu'on ait permis à cet ouvrier de Barcelone de toucher à tous les arts sauvages sans rien y comprendre, n'est pas précisément à la gloire de l'Europe  » ... c'est effectivement d'un incroyable orgueil enfantin, mais il y a dans son travail une esthétique, et une belle liberté à assumer cette immaturité là .<br /> <br /> J'ai pour ma part découvert Augiéras sans connaître sa « légende », ni savoir qu'il avait une telle notoriété critique ( d'ailleurs autant de grands noms peuvent -ils tous s'être trompés ? ) Et c'est vraiment sans aucun a priori que j'ai aimé d'emblée la singularité de ses récits et la singularité de son style .<br /> <br /> Dans votre billet, je ne comprends pas très bien comment vous pouvez glisser d'un dénigrement d'une mauvaise biographie d'Augiéras, à un dénigrement d'Augiéras lui-même . Puis d'un dénigrement d'Augiéras l'homme, sorte de jugement moralisateur, à un dénigrement de toute son oeuvre . Un salopard et un fainéant  ? Ce qui est sûr c'est qu'il nous laisse une œuvre qui pour moi n'est ni moralement condamnable, ni dérisoire ; aussi bien en quantité qu’en qualité : littérature et peinture.<br /> <br /> À propos de la peinture d'Augiéras : un remarquable texte de CM Cluny, et un témoignage intéressant de son ami de jeunesse Paul Placet, dans le beau livre ( avec de nombreuses belles reproductions ) : ''Augiéras le peintre''. Ce sont d’ailleurs des peintures d’Augiéras qui illustent votre billet. Elles sont plutôt plaisantes ... non ?
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M
Portez de l'intérêt à une oeuvre oeuvre parce que l'auteur a trouvé l'amour dans les bras d'un jeune garçon, d'un éphèbe, d'une grosse dame ou d'un athlète musculeux n'est pas un gage de qualité pas plus que le masochisme l'exemple que vous citez Eric Jourdan en est un exemple. Si vous aimez les jouvenceaux lacérés vaut mieux lire "La cravache" de Pierre Jeancard paru il y a une trentaine d'année chez Fayard qui doit se trouver pour quelques sous sur la toile.
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