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Dans les diagonales du temps
18 avril 2020

L'absent de Nicolas Daguerman

 

L'absent de Nicolas Daguerman

Sous un titre abscons et pour tout dire assez mauvais se cache un essais intéressant ne serait-ce que par sa seule existence, incongrue en ces temps. Il tente de répondre à une question que bien des lecteurs de ce blog doivent se poser: Comment en est-on arrivé à l'interdiction par la censure (la censure est une hydre au multiple têtes mais dont heureusement les yeux sont myopes) de la représentation de l'adolescent. Cette funeste particularité de notre société est illustrée sur le quatrième de couverture (prudent) par cette constatation: << France, 1978: « La petite » de Louis Malle sort à l'écran. Le film devenu un classique, dévoile à plusieurs reprises une Brooke Shield en tenue d'Eve. Londres, 2009: une photographie représentant brooke Shields, au même âge et toujours dans la même tenue, est précipitamment retirée de l'exposition Pop Life du Tate Modern Museum et le catalogue pilonné, sur l'intervention de l'Obscene Publicaton Unit of Metropolitan Police Service. >>. Ce qui ne manque pas de sel est que l'auteur, ou l'éditeur, a choisi un exemple féminin alors qu'il n'est question dans tout l'essais que de l'interdiction de la représentation du corps du garçon, interdiction beaucoup plus drastique encore que pour celui des filles... La couverture n'est pas en reste, car le choix s'est porté sur une photo d'Evgeny Mokhorev, ce qui n'est pas une mauvaise pioche mais qui semble bien avoir pour modèle une fille, bien que l'ambiguité sexuelle du modèle puisse faire douter...

 

Mokhorev

Mokhorev

 

Nicolas Daguerman dés les premières pages constate le changement de tabou dont il est témoin:

<< … Les scènes d'horreur seront finalement jugées plus saines , plus épanouissantes et moins prégnantes que la vision d'une adolescence en culotte courte ou sans culotte, vision dont l'esthétique avait pourtant hanté l'art, des anciens et des modernes, de l'Europe à l'Asie, mais dans laquelle la modernité s'acharne à voir un crime passible de lourdes peines.>>.

Cher lecteur vous pouvez constater combien chaque jour, ou presque ce blog fait preuve de résistance...

Trêve d'autosatisfaction, pour rappeler que dans l'immédiat après guerre on exigeait dans les bandes dessinées destinées à la jeunesse qu'aucune arme y soit représentée. Nombre de dessinateurs ont du ainsi gouacher de blanc par exemple le révolver que tenait leur héros, rendant ainsi leur récit incompréhensible. Dans le même temps les oeuvres de Joubert peuplée de cuisses fuselées de garçons illustraient les romans du « Signe de piste » édités par la très catholique maison Alsatia... Une censure absurde a été remplacée par une autre tout aussi absurde.

 

L'absent de Nicolas Daguerman

En quelque mots: Que c'est il passé entre les années 70 pour que l'image d'une fille nue de 12, 13 ans soit devenue un objet de scandale (cela aurait sans doute été pire si cela avait été un garçon).

J'ai pour ma part quelques éléments de réponse que je vais énoncer dans un ordre qui ne reflète pas leur degré d'importance (que je serais d'ailleurs bien en mal de définir, celui-ci changeant avec les années et les contrées.). Tout d'abord la sacralisation de l'enfant (terme vague dont il faudrait définir les frontières. Quand s'arrête l'enfance aujourd'hui?). Cette sacralisation me paraît principalement venir de ce que les parents n'ayant plus d'espoir pour eux mêmes dans une société en crise, les reportent sur leurs progénitures qu'ils idéalisent. L'enfant n'est plus un être réel mais une icône sanctifiée, désincarnée et bien sûr désexualisée. Sur cette dé-sexualisation, l'auteur prend judicieusement pour exemple la réaction tardive au film « Mon copain Rachid »* (malheureusement il ajoute un commentaire fort oiseux sur la qualité du film de Barassat): << On assiste dans ce film à un commerce sexuel entre mineurs: n'est-ce pas précisément (plutôt qu'une pédophilie finalement introuvable ce qui dérange tant le contemporain? Ce film n'a pas 15 ans qu'il est déjà insoutenable à nos yeux, probablement parce que l'évocation directe (c'est à dire en acte) de l'enfant est elle même devenu impossible, en ce qu'elle révélerait l'existence d'un désir-miroir dans lequel se mire la pédophilie>>. A propos de désir miroir c'est tout de même un miroir déformant car il s'agit d'un petit blondinet qui est en extase devant un jeune maghrébin un peu plus âgé que lui...  

 

Mon copain Rachid

Mon copain Rachid

 

Il me semble que l'exemple est un peu hors sujet. Le plus jeune des garçons dans le film de Barassat est un enfant, pourtant il existe des films, même si le sujet du désir pour un adolescent n'est pas rebattu, plus significatifs que « Mon copain Rachid », je citerais Eban & Charley, Pour un soldat perdu, Les amis, Chacun sa nuit, Elève libre...

Revenons un instant sur l'âge des sujets. On assiste actuellement sur une confusion entre pédophilie et éphébophilie, ce qui est très bien dénoncée dans le livre. Le pédophile est la femme ou l'homme attiré par les filles et/ou les garçons impubères. Les éphébophiles sont les femmes et les hommes attirés par les adolescents. Cette confusion est générée par l'infantilisation générale de la société. Tout est fait pour faire perdurer chez les jeunes l'état d'enfance et donc d'irresponsabilité. J'ajouterai que cette confusion n'est qu'une parmi d'autre dans un monde où les mots ont perdu leur sens.

Cette pudibonderie, ce rejet du corps, cette peur de la sexualité vient également de l'association sexe-mort causée par l'épidémie de Sida. Il ne faut pas oublier que les enfants d'aujourd'hui ont été engendrés sous cette menace. Refuser toutes sexualités à l'enfant à l'adolescent et même jusqu'au jeune adulte vient partiellement d'une peur de la contamination par le V.I.H. Cette maladie, malgré les progrès thérapeutiques, est encore dans l'inconscient populaire synonyme de mort. Le plaisir engendre la mort. Voilà le mot d'ordre caché, en premier lieu à eux même, que voulaient promouvoir de nombreux manifestants contre le mariage pour tous, ce dernier n'étant qu'un prétexte pour la nouvelle grande peur des bienpensants.

 

L'absent de Nicolas Daguerman

La grande qualité de la réflexion Nicolas Daguerman est de replacer l'interdit iconographique de l'adolescent dans le long temps de l'Histoire. Intérêt majeur à notre époque ou toute pensée semble annihilée par le fait que chaque individu, submergé d'informations, est incapable de s'extraire du présent, et par là, à la naïveté de croire que les postures dans le dit présent sont éternelles. Malheureusement l'auteur cède aussi à la mode décliniste qui voudrait que notre époque soit le pire de toutes. Il faut toujours rappeler qu'il est toujours plus aisé de faire la nomenclature de ce qui ne va pas plutôt que ce qui va. L'essayiste fait remonter ce tabou au mariage du christianisme et du pouvoir, lors de la conversion de Constantin, et en particulier à cette injonction: Croissez et multipliez-vous. Pour ma part je pense que la crise mondiale dont la nouvelle iconoclastie, dont traite cet essai, n'est qu'un des minuscules symptômes du résultat de ce funeste ordre soi-disant divin qui a entrainé la justification de la prolifération inconsidérée de notre espèce et dont a résulté la diminution de l'espace vitale de chacun. Pour y remédier je ne vois deux solutions radicales mais qui semblent in-envisageable (mais l'histoire est grosse de bien des surprises, comme dit l'autre): L'extermination d'une partie des terriens ou l'exode d'une grande proportion des humains vers une autre planète habitable. Il y a peut être une autre possibilité, c'est la transformation en profondeur de l'homme dans son être même.

Moins concluante est l'idée que suggère l'auteur que l'interdiction actuelle de la représentation de la nudité de l'adolescent viendrait de la peur qu'aurait les vieux mâles au pouvoir de voir exposer la magnificence des formes de ceux qu'ils relèguent loin des centres décisionnels. Voyant dans cette beauté étalée un danger pour leurs positions dominantes. Y aurait-il du Konrad Lorentz la-dessous?

 

aquarelle de René Sherer

aquarelle de René Sherer

 

Ce sont également les pédérastes eux-même qui sont responsables de la lapidation dont ils sont les victimes, pour avoir diffuser ou laisser diffuser des élucubrations pendant des années sur l'éducation et l'éveil des jeunes personnes. Que l'on se souvienne par exemple de la revue Possible qui avait une belle main et était joliment illustrée, notamment par les photos de l'association « L'école en bateau » qui éditait également un bulletin dans le même genre. On trouvait ces publications dans de nombreuses officines parisiennes (et sans doute ailleurs) comme « La librairie alternative », « Maspero » ou encore « Les mots à la bouche ». "Possible" au titre évocateur prônait l'idée que les relations sexuelles entre enfants et adultes étaient libératrices pour l'enfant (de quoi, de qui ?). Entre les lignes on pouvait comprendre qu'être enculé rendait intelligent, cela doit certainement élargir quelque chose mais je doute que ce soit l'esprit (je suis trivial à dessein pour bien montrer la connerie de ce genre de billevesées, énoncées par de doctes philosophes tel René Sherer ou Lapassade. Si ces étonnants penseurs avait eu raison, on aurait vu les prix Nobel trustés par les gigolos et les péripatéticiennes. Il me semble qu'une relation intime, de quelle nature qu'elle soit, est par essence aliénatrice; c'est d'ailleurs ce qui en fait sa force et sa beauté.

Aujourd'hui de telles relations sont décrites quelle que soit leur véritable nature comme le summum de l'horreur et de la dépravation, celui qui s'y livre ne pouvant être qu'un "prédateur". Il n'y a qu'une quarantaines d'années, dans les mêmes pays, qui séparent ces deux attitudes, à mon sens à peu près aussi ineptes l'une que l'autre. L'individu doit donc par la force des choses s'adapter...

Il y a bien des raisons pour lesquelles, peut-être comme jamais, les relations pédérastiques sont vouées aux gémonies, l'une d'elle qui façonne tout notre aujourd'hui est l'acculturation du peuple. De tout temps et encore de nos jours, le pédéraste a mis en vitrine le modèle (souvent plus fantasmé qu'historique) de la relation pédérastique dans la Grèce antique. L'éraste, l'ainé, apportant les lumières de son expérience (dans tous les domaines) à l'éromène, le garçon plus jeune. Petite incise, il est intéressant de constater que << La copulation homosexuelle par l'anus, à la différence de la copulation intercrurale est représentée par les peintres de vases uniquement quand elle met en jeu des gens de même classe d'âge;>> (Homosexualité grecque de K.J. Dover, La pensée sauvage, 1982). Cet alibi culturel donnait un lustre à ce type de relation même si dans la réalité tous les couples ainsi formés étaient loin de pouvoir être assimilés à celui de Socrate et d'Alcibiade. Mais dans notre société actuelle cette posture de l'ainé  jouant les pigmalions, ce qui n'est pas toujours un leurre, que l'on pense à la relation Gide-Marc Allégret, ne peux plus être comprise puisque quasiment plus personne apprend le grec ancien et que la référence au modèle antique faute d'instruction ne peut plus être entendue. Est-il besoin de le rappeler, que l'on assiste comme jamais au divorce entre culture et pouvoir.

 

L'absent de Nicolas Daguerman

L'auteur note utilement des évidences que l'on a trop tendance à oublier comme le fait que << l'adolescence reste une construction sociale du monde moderne, a contrario de la puberté qui constitue un état naturel alors même que les deux se produisent concomitamment.>>. Le terme même d'adolescent aurait été forgé au milieu du XIX ème siècle. Néanmoins dans l'empire romain, pour les patriciens, il y avait un statut pour le garçon qui n'était pas si loin de ce que l'on considère aujourd'hui comme l'adolescence. Autre truisme rappelé, pourtant semble-t-il ignoré, que l'homosexuel comme l'hétérosexuel commence par être pédophile dans le sens qu'il y a de grande chance qu'il connaisse ses premiers émois amoureux avant la puberté et que l'élue ou l'élu de son coeur ait le même âge que lui...

En revanche je ne le suivrait pas lorsqu'il assène qu' << aucune jeunesse n'a probablement été autant que la notre contrainte dans l'espace et le temps. >> (sous entendu par la société). Il fait fi là de cette mise en perspective dans le temps et l'espace qui est parfois la force de son ouvrage. Pour ne prendre qu'un exemple, il y en aurait bien d'autres, la jeunesse urbaine à la fin du XIX ème siècle, mise au travail pour sa très grande majorité dès 13 ans, était autrement plus contrainte que celle d'aujourd'hui. Une telle affirmation est d'autant plus paradoxale que l'on trouve plus loin une analyse de la condition des travailleurs strictement marxiste. Le chapitre ne s'appelle-t-il pas : La lutte des classes. Ce qui n'empêche pas quelques lignes après de nous resservir la veille antienne gauchiste de la libération de la jeunesse par le sexe. Daguerman chausse les lunettes de feu Duvert, qu'il lit d'ailleurs bien, ne le réduisant pas au chantre de la pédophilie, qu'il est aussi, en montrant bien la veine anticapitaliste de l'écrivain. On n'est pas obligé de prendre de tels verres pour s'apercevoir de la beauté adolescente. Et d'ailleurs un esclave ne peut-il pas être désirable? Probablement pas pour Daguerman travaillé par la mauvaise conscience de classe.

Dans une autre partie de son ouvrage notre essayiste cette fois accuse la famille moderne d'être carcérale (mais comme je l'ai écrit plus haut toute relation sociale empiète sur la liberté. Le misanthrope est libre mais seul et malheureux). Daguerman écrit : <<Jamais le père n'aura autant fait peser sur le fils son pouvoir.>>. Comme je pense qu'il est toujours bon de prendre ses exemples dans la littérature, modèle et miroir des sociétés, je conseillerais à notre essayiste de relire « Les Thibault » ou « Les faux monnayeurs » pour redécouvrir ce que pouvait être l'emprise d'un père sur un fils. Ce patriarcat était grosse de révoltes et c'est plutôt l'absence du père de nos jours qui engendre l'atonie des fils.

Si je suis d'accord avec le propos qui accuse la crise d'être responsable du fait que les jeunes soient obligés de vivre jusqu'à un âge avancé chez leurs parents, faute d'avoir assez d'argent pour habiter dans leur propre logis, fait qui entraine inévitablement une restriction de liberté pour le fils et par la même de liberté sexuelle. Mais à mon sens ce n'est qu'une partie de la vérité. Il existe un véritable syndrome Tanguy (ce n'est pas que du cinéma). J'ai pu constater, jusque dans mon entourage propre, que de jeunes adultes refusaient de quitter le cocon familiale non par manque de moyen mais passivité. Nous avons à faire à des berniques sociaux incapables de quitter le rocher qui les a vu naitre. Cela induit un manque d'appétit sexuel patent. Je ne dis pas que cette attitude représente la majorité des jeunes d'aujourd'hui mais ce phénomène existe. Il est engendré par deux causes d'une part la dépendance aux jeux vidéos qui a installé dans leur esprit que le virtuel était préférable au réel et d'autre part à un phénomène de mode. Dans la période immédiatement pré-sida, pour parler cru, il était tendance de baiser, de nos jours c'est tout l'inverse l'abstinence est souvent valorisée. On trouve dans « L'absent » un éclairant catalogue des lieux et groupes où celle-ci est prônée.

 

L'absent de Nicolas Daguerman

J'ai commencé par écrire que ce titre, « L'absent » n'est pas très bon mais il est surtout totalement faux. Sur les réseaux sociaux les photographies d'adolescents (parfois nus ou tout du moins très peu habillés) pullulent. Simplement ce ne sont pas les mêmes que celles d'hier. On y trouve principalement des selfies. La grande nouveauté réside dans le fait que ce n'est plus un adulte qui photographie les corps adolescents pour ensuite les iconiser (il reste tout de même heureusement ce gros dégueulasse de Larry Clark, cité qu'incidemment dans l'ouvrage) mais des adolescents qui se photographient eux mêmes, du narcissisme numérique ou/et de la masturbation photographique...

Avec cet oubli de la présence massive de l'image adolescente sur les réseaux sociaux, j'ai l'intuition que notre essayiste n'est pas un tout jeune homme. Une autre affirmation me confirme cette impression, quand il écrit que l'image du garçon a disparu du Japon depuis le début de l'ère Meiji! Que fait-il des mangas dont nombreux sont homo-érotiques sans même parler du yaoi, qui narre exclusivement des histoires de garçons aimant les garçons, certes destinées au filles et principalement dessinées par des femmes. Sans doute qu'il n'a jamais mis les pieds ni au Japon ni en Corée du sud sinon il ne pourrait que constater aussi la forte présence des images des stars adolescentes de la pop-musique locale dans ces deux pays.

 

L'absent de Nicolas Daguerman

Dans le même registre dés le début des années 90 on a pu constater le rajeunissement spectaculaire des mannequins hommes souvent âgé de moins de vingt ans. La firme Calvin Klein a été le fer de lance de ce changement. Elle a d'ailleurs sous la pression des ligues de vertus américaines été contrainte d'effectuer un sérieux rétro pédalage; mais le pli était pris.

Il ne faudrait pas non plus oublier que depuis 30 ans, cela semble vers 1985 que notre auteur situe le grand basculement iconographique, que la population française (pour ne parler que d'elle) a considérablement changé. L'arrivée sur le territoire européen de musulmans de plus en plus nombreux qui sont par essence iconoclastes, sans oublier que leur approche de la pudeur est très différente de celle des l'occidentaux, n'a pas été sans avoir de conséquences sur la façon qu'à la société de voir le corps de l'adolescent. Cette pernicieuse invasion a également changé insidieusement le rapport de l'adolescent avec son corps. En outre cette émigration peu désirée a eu pour conséquence la crispation des autres religions sur leur ligne la plus archaïque en particulier en matière de sexualité.

Autre phénomène moins prégnant mais qui n'est pas négligeable l'abandon de plus en plus manifeste du beau dans le milieu de l'art contemporain, cela a une influence sur la perception visuelle que l'on a du monde. Le lisse, le frais est devenu suspect.

 

Bisky

Bisky

Le texte est divisé en quatre parties. Les deux premieres tentent de placer la disparition de l'image de l'adolescent dans l'Histoire récente alors que les deux dernieres sont tournées vers le futur.

L'avant derniere, intitulée réhabilitation voit matière à espérer en la présence de la figure de l'adolescent dans l'oeuvre de trois artistes: Chen Wenling, A.E.S . et Evgeny Mokhorev. Là encore le choix surprend pourquoi n'avoir pas mis en exergue Sacrevoir, Paul P., Bisky ou Hernan Bas (ou d'autres, ils ne sont pas les seuls). Les deux derniers ayant une place beaucoup plus visible et importante dans l'art contemporain que les créateurs choisis par l'essayiste?

En guise de conclusion l'auteur adresse une prière pour que ne soit plus chassé de la production artistique l'image de l'adolescent ce qui est louable, souhaitable et bien vu car contrairement à ce que pense Daguerman, il n'y a guère que là qu'elle a disparu.

Bien que tournant un peu en boucle ce court essai d'une écriture fluide se lit agréablement. Outre le texte, le volume comprend un cahier central de photographies et une bibliographie. Si le choix des images est satisfaisant tout en étant un peu hors sujet par rapport au texte, on y trouve tout de même des oeuvres de Konrad Helbig, de AES+F, Mokhrev, en revanche la bibliographie est d'une pauvreté affligeante. On y cherchera en vain Foucault, Eribon ou Barthes; Shérer cité plus haut, très discutable mais incontournable sur le sujet est également absent de même que Matzneff et ses "Moins de seize ans". Si on exepte Mokhorev et Mc Bride aucun autre photographe est cité. Quant aux romanciers on ne trouve que Moravia car Duvert, Peyrefitte et Gide ne le sont pas pour leurs romans. Maurice Pons, Roger Martin du Gard, Sartre (pour l'enfance d'un chef), Edmund White et bien d'autres ne doivent pas figurer dans la bibliothèque de l'auteur pas plus que les nombreux historiens qui se sont penchés sur la pédérastie dans l'antiquité...

Cet essai est intéressant par le seul fait d'exister. Il pointe bien l'hystérie collective et internationale à l'encontre de l'image de l'adolescent malheureusement la réflexion de l'auteur est entachée trop par la nostalgie d'une époque qui était peut être celle de sa jeunesse... Surtout il confond ce qui n'est qu'un symptôme de la fin d'un monde avec un fait majeur de société obnubilé par ce qui est sans doute un problème majeur pour lui.

 

Nota

* Ce film est visible sur la toile à cette adresse: http://www.dailymotion.com/fr?ff=1&urlback=%2Fvideo%2Fx1zdqy_mon-copain-rachid_fun  

 

Réponse de Nicolas Daguerman suite à mon billet sur son essais, L'absent

Nicolas Daguerman suite à mon billet critique sur son ouvrage "L'absent" ( http://www.lesdiagonalesdutemps.com/2015/01/l-absent-de-nicolas-daguerman.html ) me demande un droit de réponse ce que je lui accorde avec plaisir.

Vous pouvez le lire ci-dessous:

Réponse de Nicolas Daguerman suite à mon billet sur son essais, L'absent

 

La critique est toujours riche d'enseignements pour un auteur, en ce qu'elle lui apporte a posteriori le regard qu'il aurait aimé trouver a priori. On pourra voir une boutade dans cette assertion. Il y traîne tout de même un fond de vérité.

Certaines remarques de votre billet ont ainsi enrichi ma réflexion sur un sujet dont il semble décidemment impossible de faire le tour. En particulier, si j'avais vu et traité la sacralisation de l'enfant, je n'avais pas mesuré la force et les conséquences de l'association sexe-mort (lié à l'apparition du sida) en tant que mot d'ordre caché.

De même n'avais-je pas vu que l'attardement des générations modernes sous le toit parental n'était pas imputable à la seule crise mais qu'il résultait également, pour partie, d'une passivité propre à ces nouvelles générations pour lesquelles le virtuel est parfois préférable au réel. Idem sur ce motif, de la valorisation de l'abstinence, ou du moins de l'asexualité.

 

Je vous suis également lorsque vous notez que la crise mondiale, la prolifération et la diminution de l'espace vital de chacun, sont plus évidemment le résultat de la vieille injonction chrétienne à se reproduire que l'iconoclastie ne peut en être la victime (cela ne l'exclue pas du rang des victimes mais la fait s'asseoir derrière).

Quant à votre point de vue sur l'élévation du QI par la sodomie, j'en pense à peu près la même chose. J'ai dit assez dans mon livre combien les utopies d'une époque ne pouvaient se lire qu'à travers la dynamique des controverses (elles naissent et meurent) et combien aussi elles pouvaient causer de dommages collatéraux, dont l'un d'eux est l'objet de notre essai.

 

Quelques points en revanche méritent réponse.

À aucun moment il n'est écrit dans mon essai que l'image du garçon avait disparu du Japon depuis le début de l'ère Meiji. Votre remarque ici me surprend. Il est écrit que la prohibition de la pédérastie au Japon datait de cette époque, ce qui est différent. Il est ensuite expliqué que le destin de l'homosexualité (sa répression) et celui de la révolution industriel étaient liés (exemple de l'Iran et du Japon à l'appui, donc).

Et bien évidemment, l'existence du selfie, du manga, m'est non seulement parfaitement connue mais de surcroît est venue d'emblée se poser à l'origine même de ma réflexion : cette existence constituait-elle un puissant contre-exemple vidant de pertinence mon propos entier ?

Ma réponse fut non. Pour un oui j'aurais renoncé à écrire cet essai, tout simplement. Par contre, je vous rassure, j'ai voyagé en Corée du Sud, feuilleté des mangas et admiré des selfies à l'occasion. Mon choix de ne pas l'évoquer est donc délibéré (ainsi que mentionné en 4ème de couverture, votre essayiste est né en 1971, ce qui n'en fait pas encore ce vieillard ignorant les réseaux sociaux).

Votre critique m'apprend cependant que j'ai eu tort et qu'il fallait devancer ce qui ne s'avérait pas à mes yeux être une objection. J'aurais ainsi dû mieux cadrer mon sujet : par "représentation de l'adolescence", j'entendais "art, publicité, média"; et par média, non pas "tout moyen à la porté du premier inculte disposant d'une connexion Internet" mais "tout moyen institutionnel et/ou nanti d'un minimum de notoriété". C'est-à-dire encore que votre blog, par exemple, est un média, notoire, et qu'à ce titre il fait figure d'exception puisqu'il s'autorise et se voit autorisé à produire un adolescent dont mon essai déplorait la disparition par ailleurs. Mais votre blog, quelques autres encore, plus deux ou trois artistes, suffisent-ils à faire mentir une généralité constatée ailleurs ? Je ne le crois pas.

 

Revenons aux selfie et manga, et la raison pour laquelle je ne les ai pas mentionnés. Les selfie offrent une représentation de l'adolescence sans l'offrir, puisqu'anarchique, aussi incontrôlable que les dessins sur les murs des latrines. Impossible dans son flot gigantesque et ininterrompu d'identifier un artiste, une œuvre, une facture. Impossible également de le hisser à la postérité, par sa monotonie terrible, sa prévisibilité, et le vide total que ce genre cache à peine. Un selfie restera ce qu'il est : un avatar qu'on oublie, et non une œuvre (grande ou petite) qui laisse sa trace. Enfin, imaginez que l'un d'eux sorte du lot, gagne en célébrité : il devra alors se conformer aux exigences de la censure. Je doute qu'un nu y survive, s'il n'est majeur précisément : nous sommes donc bien au cœur de notre sujet.

Oui, il y a présence massive, mais sans objet, sans direction, sans intention et sans publicité : un long borborygme anonyme… Cela mérite-il l'intérêt ? Du sociologue, certainement. Du psychologue peut-être. Mais de l'artiste ou de l'esthète ? Enfin, ce borborygme et la passivité de la censure à son égard signent-ils une remarquable licence, un salvateur sursaut du droit à l'image, ou seulement une inoffensive marée sans enjeu d'un côté, une indifférence de l'autre ?

 

Quant aux mangas, dont certains (rares) confinent à l'œuvre d'art, c'est ici que j'ai le plus de remord. La discussion était possible. Mais le manga, à lui seul, est-il de nature à faire mentir l'ensemble de l'étude, la force de la régression et la puissance de la censure à l'œuvre partout ailleurs ? Ne constitue-t-il pas plutôt un genre très particulier, limité géographiquement, culturellement, techniquement enfin (au seul dessin). La censure eut-elle autorisé l'équivalent photographique du manga ? Est-il un objet fréquent dans notre univers visuel, au même titre que l'image de la femme dans la publicité ? Est-il admis par tous ? Je n'ai pas pu répondre oui à ces questions.

 

Enfin, si les modèles de Klein ont rajeuni un temps, hélas nous ne les verrons sans doute jamais dans l'état des mannequins d'Aubade, ainsi que je l'ai écrit . Simple remarque. Mais la timidité leur va si bien…

 

S'agissant à présent des trois artistes que j'ai retenu, ils devaient (et je m'en explique dans le chapitre qui leur est consacré) répondre à plusieurs critères, dont une certaine notoriété et une certaine publicité. Il s'agissait de montrer qu'en réalité, sous réserve de ne pas être en Occident et d'être déjà connu, l'on pouvait tenter de s'accorder une maigre licence. Je ne crois pas que Sacrevoir ou Paul P. jouissent de cette publicité, ni qu'ils aient la notoriété internationale d'un Mokhorev ou d'un Wenling. Quant à Bisky ou Hernan Bas (et d'autres, car vous avez raison, il en est) l'âge apparent des sujets qu'ils représentent les tient sans risque à l'écart de la polémique, là où Mokhorev, Wenling et AES ont pour leur part pris plus de risques.

 

Une question à présent, très mineure : je ne comprends votre remarque sur le hors-sujet des images par rapport au texte, puisque chacune est au contraire très exactement l'illustration d'une référence du texte.

Concernant la pauvreté de la bibliographie enfin, il y a une erreur d'interprétation sur la définition du mot. Il s'agit ici de la liste des ouvrages cités, et non celle des ouvrages à lire sur le sujet, d'où sa pauvreté "affligeante" qui cesse de l'être lorsqu'on comprend le mot bibliographie dans son premier sens. Vous constaterez alors que la dite bibliographie s'y limite : elle les cite tous (dont Gide) et aucun autre. Il est juste que le mot "bibliographie" renvoie également au sens dans lequel vous l'avez pris.

Pour lever cette ambigüité, je procèderai donc à une mise à jour, remplaçant "Bibliographie" par "Ouvrages cités". Ici aussi, votre critique aura été bénéfique.

 

Je dois enfin répondre aux dernières lignes de votre billet. Tout sujet (le nôtre ici), ne signale pas automatiquement un problème majeur pour son auteur du simple fait qu'il s'en empare. Lorsqu'on élit un sujet, on s'y limite nécessairement, ou bien l'ouvrage devient un fourre-tout sans direction. Il se peut donc (et je vous rejoins en l'occurrence : voir la partie "Préjudice") qu'il y ait ici un signal de fin du monde, plus qu'un fait majeur de société. Mais le choix du sujet limite à l'étude de ce signal.

En d'autres termes, mon essai n'étant pas une dystopie globale sur le devenir de l'univers, il était prévisible que je m'attarde à mon sujet, dans un périmètre que je crois avoir pourtant su élargir, le tout au risque de paraître le traiter sérieusement, sans préjudice de ce qui ensuite pose ou non problème pour moi.

 

Nicolas Daguerman.

Les oeuvres illustrant ce droit de réponse sont de Chen Wenling, artiste cité dans L'absent"

Les oeuvres illustrant ce droit de réponse sont de Chen Wenling, artiste cité dans L'absent"

  

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Commentaires
M
Je pense qu'en effet la fin du monde n'a rien à voir avec une quelconque censure qui dépend de la morale celle-ci étant aussi changeante que les modes vestimentaires, le morale est une mode comme les autres.
Répondre
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