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Dans les diagonales du temps
8 avril 2020

Les bébés de la consigne automatique de Ryu Murakami

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Kiku et Hashi ont été abandonnés tous deux chacun dans une consigne automatique de Yokohama durant l'été 1972. Ils ont miraculeusement survécu. Ils ont été recueillis dans orphelinat tenu par des soeurs qui ont réussi à guérir leurs troubles psychiques. Vers cinq ans, ils ont été adoptés par un couple d'une quarantaine d'années vivant sur une ile à demie déserte depuis la fermeture de la mine de charbon qui constituait sa principale ressource. Kiku et Hashi, malgré l'interdiction de leurs nouveaux parents jouent fréquemment dans les installations et la ville minières abandonnées...

A l'adolescence, obsédé par la recherche de sa mère biologique Hashi fugue à Tokyo pour la retrouver. Kiku part à sa recherche. Il retrouve Hachi qui se prostitue en travesti dans le quartier interdit (dès l'enfance d'Hachi, j'avais subodoré qu'il serait un garçon délicat... J'arrête là ma tentative de résumer pour ne pas déflorer le récit. Délicatesse que ne possède pas la traductrice Corinne Atlan qui dans une préface parfaitement inutile révèle la fin, assez incohérente, du livre.

Jusqu'à la page 70 on a à faire à un roman presque naturaliste décrivant d'une écriture rapide, l'enfance des deux garçons, mais à partir de cette page, on fait la connaissance d'Anémone, une jeune fille de 17 ans, sa beauté lui permet une vie indépendante en tournant des publicités. Elle a la particularisé d'avoir comme animal de compagnie... un alligator. Si ce chapitre est de la même tonalité que ce que l'on a lu précédemment, un détail éveil la curiosité du lecteur attentif. Dans l'histoire nous sommes alors en 1987 alors que le roman a été écrit en 1980! Nous sommes donc dans une légère anticipation, ce qui explique l'existence, au centre de Tokyo d'un quartier interdit à cause du sur pollution au chlore. Ce quartier est devenu une sorte de cour des miracles fréquenté que par les rebuts de la société. Au fil des pages « Les bébés de la consigne automatique » s'apparente de plus en plus au roman picaresque et rappelle par ses outrances certains romans sud-américains du merveilleux fantastique, sauf qu'ici, il s'agit plutôt du glauque fantastique. A un autre passages celle de la description de la bagarre dans le quartier interdit m'a fait songer à du Céline mais qui ne serait pas transcendé par les inventions langagière du grand écrivain français. Ailleurs j'ai trouvé une phrase à rendre jalous Raymond Roussel: << J'ai basé la longueur des silences sur le râle amoureux de l'hippopotame nain d'Afrique de l'ouest.>>. Il est dommage que Ryu Murakami ne se laisse pas plus aller et ne quitte pas plus souvent le masque du cynique car page 174 (dans mon édition de poche du livre aux éditions J'ai lu) il a écrit une des plus belles pages écrites que je connaisse sur le renoncement à l'enfance.

Il n'est pas surprenant que Ryu Murakami soit un des écrivains préférés d'Oliver Stone. Certaines pages du roman rappellent des scènes de « Tueur né » le film le plus détestable du cinéaste. Le roman sue la haine pour notre monde matérialiste. Pour Ryu Murakami, fasciné par la morbidité, nous sommes tous des enfants abandonnés, prisonniers d’un monde déshumanisé, consumériste et hyper médiatisé: « Rien n’a changé depuis l’époque où on hurlait enfermés dans nos casiers de consigne, maintenant c’est une consigne de luxe, avec piscine, plantes vertes, animaux de compagnie, beautés nues, musique, et même musées, cinémas et hôpitaux psychiatriques, mais c’est toujours une boite même si elle est énorme, et on finit toujours par se heurter à un mur, même en écartant les obstacles et en suivant ses propres désirs, et si on essaie de grimper ce mur pour sauter de l’autre côté, il y a des types en train de ricaner tout en haut qui nous renvoient en bas à coups de pied. ». Il semble que la seule solution que propose Murakami pour sortir de cette aliénation soit la violence.

Le procédé narratif de Murakami est simple et vite repérable. On pourrait le qualifier de narration à tiroirs. Il consiste a faire rencontrer à son héros un personnage dont il raconte l'histoire. Le nouveau venu à son tour rencontre un tiers dont l'auteur nous narre les péripéties ou alors il lit un livre ou un article dont il nous fait partager le contenu. Si ce procédé d'histoires gigognes permet à l'écrivain de déployer toute son imagination son systématisme devient vite lassant. L'homonyme de Ryu Hariku, emploie également cette manière de raconter ses histoires mais avec plus de légèreté. Le maitre de procédé est David Mitchell qui l'a emprunté aux japonais. Autre point commun entre Ryu et Hariku, l'utilisation de références occidentales dans le cours de leur récit. Elles sont moins fréquentes chez Ryu que chez Hariku. Ils ont en commun celle de Scott Fitzgerald mais celles de Ryu sont pour quelques unes beaucoup plus surprenantes que celles chères à Hariku, puisque l'on trouve pour le cinéma Bob Hope et pour la musique, la tournée au Danemark en 1963 de Johnny Halliday, dont la notoriété au japon me surprend un peu à moins que ce soit une facétie de la traductrice...

A propos de l'imagination de Ryu Murakami si elle est indéniable, je relèverais néanmoins une non moins indéniable ressemblance sur un point cruciale de l'intrigue entre le gaz tueur du manga MW de Tezuka (paru aux éditions Tonkam en France) et le « Datura » des « Bébés de la consigne automatique ». On pense d'autant au manga très noir de Tezuka que son héros Yuki à bien des points communs avec Hashi. MW a été publié au Japon de septembre 1976 à 1978 dans la revue Big Comic puis dans la foulée en albums. Il est difficile de croire que Ryu Murakami ait ignoré le manga de Tezuka avant d'écrire son roman. MW partage aussi avec le roman de Ryu Murakami son absence totale de vision positive de l'homme.

La juxtaposition des morceaux de bravoure nuit à la qualité du roman. Elle occulte la psychologie des personnages empêchant une hypothétique empathie du lecteur avec les héros. Davantage de sociologie et de psychologie auraient rendu l'histoire plus plausible mais ici, rien n'est vraiment justifié. La décadence semble gratuite, absurde.

A partir de la mi-parcours, on Perd la curiosité de connaître l'avenir de Hashi et Kiku, trop de maladie mentale et de surenchère dans la bizarrerie. On décroche d'autant que l'on devine le dénouement du récit.

Le talent d'écriture de Murakami ne réside donc pas dans la construction, assez peu maitrisée, de son ouvrage mais dans ce qu'elle est incroyablement visuelle, faisant avec des mots surgir des images incongrues d'une précision diabolique qui pourrait fournir une inspiration à un peintre surréaliste, mélange de Jérôme Bosh et de Clovis Trouille.

Si on replace le livre dans son époque, je rappelle qu'il date de 1980, Murakami a fait preuve de visions étrangement prophétiques sur les média, la publicité, la mode et surtout le terrorisme. Ne pourrait on pas penser que la fin de son roman aurait pu inspirer l'attaque au gaz sarin dans le métro de Tokyo.

L'origine des malheurs d'Hashi et de Kiku est la quête pour connaître leur mère biologique. Il faudrait espérer que les lecteur en ces temps de frénésie identitaire et de recherche effrénée d'ancêtre, une fois terminé le roman se souviennent et soient persuadé que le plus important n'est pas de savoir d'où l'on vient mais où l'on va.

  

Ryu Murakami est né en 1952 à Sasebo, au sud-ouest du Japon près de Nagasaki. Il poursuit des études à l’université d’art de Tokyo puis se dirige vers l’écriture. Son premier roman Bleu presque transparent donne le ton de ses écrits : " sexe, drogues et rock’n roll ". Le roman a un succès énorme avec 1 million d’exemplaires vendu en six mois. Il obtient l’Akutagawa qui correspond au Goncourt en France. Très prolixe, en la matière et aussi dans ses thèmes et opinions, on peut le comparer au cinéaste Miike qui a, et ce n'est pas un hasard, a adapté l'un de ses romans sous le titre Audition, film sorti en France en mars 2002.Murakami est d'ailleurs également metteur en scène. Il est le réalisateur de « Tokyo Decadence ». L’auteur verra une douzaine de ses romans traduits en français pour la plupart aux éditions Picquier.

 

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