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Dans les diagonales du temps
31 mars 2020

14 de Jean Echenoz

  

  

  

Avant toutes considérations, il faut dire qu'avec 14 de Jean Echenoz on retrouve un plaisir, de plus en plus rare aujourd'hui, celui du texte. On lit une prose concise élégante et o combien évocatrice. La qualité exceptionnelle de la langue devient même parfois un défaut, quand, pour le lecteur, le bonheur de la trouvaille langagière éclipse le récit à la trame pourtant serrée; que l'on en juge par le pitch se trouvant sur le quatrième de couverture et que je recopie intégralement conscient d'être incapable de faire mieux: << Cinq hommes sont partis à la guerre, une femme attend le retour de deux d'entre eux. Reste à savoir s'ils vont revenir. Quand. Et en quel état.>>. L'efficacité et l'économie de texte est à l'image d'un roman qui suit les destinées de cinq hommes au front et d'une femme à l'arrière qui les attend, dans les premiers mois de la guerre de 14, le tout en 123 pages! En regard du sujet et de la longueur du texte, il est difficile de considérer 14 autrement que comme un exercice de style, certes réussi. Il serait d'ailleurs dommage d'entendre un ton de reproche à ce qualificatif d'exercice de style. Si on se retourne sur l'oeuvre d'Echenoz on peut la considérer comme une suite d'exercices de style, de contournements de genres, d'abord celui du roman policier, puis du récit d'aventure teinté d'espionnage pour continuer par la biographie et enfin aujourd'hui avec 14 voilà qu'il affronte le roman de guerre. Il faut être particulièrement couillu pour s'attaquer à ce type de livre surtout en l'inscrivant dans la Grande Guerre. Les récits des combats de 14-18 et leurs alentours ont accouché de grands livres et même de quelque chefs d'oeuvre, certains contemporains à la tuerie comme "Le feu" de Barbuse où publiés très peu de temps après la fin du conflit comme, « Ceux de 14 » de Genevoix, « Les croix de bois » de Roland Dorgeles ou encore récemment tel "Un long dimanche de fiançailles de Japrisot et "En l'absence des hommes" de Philippe Besson pour n'en citer que quelques uns et en se limitant à la France.

Comme vous l'avez sans doute remarqué si vous lisez mes billets consacrés aux livres et aux films, je suis obsédé par les anachronismes et si je n'en ai pas trouvé de flagrants, j'ai tout de même tiqué au tout début du roman à la description de la promenade en vélo du héros principal. Elle m'a plus évoquée l'avant guerre suivante que celle de 14. Deux expressions m'ont gêné d'abord « en danseuse », je ne sais pas pourquoi, je ne vois pas en 1914 un cycliste monter une petite côte en danseuse mais plutôt le fessier bien posé sur la selle de son vélocipède, mais surtout, c'est roue libre qui m'a surpris. Lorsque j'ai appris à pédaler mon grand père me contait ses déboires avec le pignon fixe qui lui avait valu de se ratatiner moult fois sur les routes de la Brie, vers 1912, alors qu'elles n'étaient pas encore bitumées. Le pignon fixe étant système avec lequel il est impossible de s'arrêter de pédaler sans bloquer les roues ce qui avait pour résultat un freinage brusque et le risque pour le cycliste de passer par dessus son guidon et de prendre une sévère gamelle d'ou l'intérêt de l'invention de la roue libre. Invention due à Jean Fasano (1848-1924) (tous les vélocipédistes devraient avoir au moins une pensée quotidienne pour ce bienfaiteur de l'humanité) et ceci en 1897; d'où ma surprise, mais ce n'est pas impossible que le vélo d'Anthime (un prénom aussi bizarroïde doit avoir une signification aussi profonde que cachée mais je ne l'ai pas trouvée) soit équipée de la dite roue libre, d'autant qu'il roule sur une bécane de seconde main, ayant appartenu précédemment à un ecclésiastique ayant du céder sa monture à notre jeune homme pour cause de goutte. Ce qui induirait chez ce curé vendéen un avant gardisme en matière de mécanique vélocipédique qui vous l'admettrez est assez rare chez le clergé. Long développement pour mettre le doigt sur un défaut de l'auteur qui, il me semble se laisser entrainer par l'envie d'écrire la belle page, ce qui parfois lui fait oublier le prosaïsme (quand ce n'est pas l'horreur) de ce qu'il raconte. 

Il suffit de quelques mots a Echenoz pour croquer ses personnages, c'est là son grand talent. Il se donne même le luxe de l'humour dans les moments les plus tragique et ce n'est jamais obscène, seulement drolatique.

Autre contraste celui du présent de la narration et de l'auteur qui en deus ex machina connait la suite de l'histoire et de l'Histoire. Il nous le rappelle en courtes interpellations au lecteur.

Cet Echenoz là, dont il faut se forcer à ralentir la lecture, car on est pressé de connaître le devenir de chacun des personnages, pour bien en apprécier le style précis et ironique marche sur les brisées de Marcel Aymé.  

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