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Dans les diagonales du temps
28 mars 2020

Black-out de Connie Willis

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Dans Black-out, premier tome de Blitz*, nous sommes en 2060. Les historiens peuvent alors voyager dans le temps pour vérifier la véracité de ce que l'Histoire avance. Le saut dans le temps est néanmoins soumis à des règles draconiennes. Les explorateurs de l'histoire par exemple ils ne doivent pas se rendre à un point de divergence historique c'est à dire une date où la présence d'un voyageur du temps pourrait modifier le cours de l'Histoire. Ils ne doivent pas mettre leur vie en danger, mais comme on le constatera dans le livre, le métier d'historien est devenu un métier à haut risque.

Dans Black-out nous suivons plusieurs historiens qui ont choisi d'aller vérifier et étudier certains aspects de la seconde guerre mondiale. Eileen a pris comme sujet d'étude les enfants éloignés de Londres par leurs familles au début de la guerre. Elle atterrit ainsi dans un château où ils sont recueillis mais les supposés chérubins ne s'avèrent pas de tout repos. Mike Davis quant à lui veut rencontrer les vaillants marins qui sur des esquifs de fortune ont réussi à rapatrier l'armée anglaise de Dunkerque à Douvres, pour cela il doit se rendre dans cette dernières villes pour interviewer les héroïques capitaines à leur retour. Polly Churchill veut observer comment réagissait la population londonienne durant le blitz, pour cela elle se fera vendeuse dans un des grands magasins d'Oxford-Street...

Bien évidemment rien ne se passe comme prévu. Deux peurs angoissent nos historiens en voyage spatio-temporel d'abord celle de n'être pas être récupéré et d'être obligé de demeurer à l'époque qu'ils ont choisi d'explorer. Leur autre crainte est que leur présence en un lieu et à une époque où ils ne devraient pas être, modifie l'Histoire. C'est pour cette raison qu'il leur ait interdit d'aller aux points de divergence historique. C'est à dire les lieux où à une époque donnée l'Histoire à penché d'un coté d'un rien. La moindre intervention pourrait y faire dévier le cours de l'Histoire d'une manière totalement différente de ce que nous connaissons. Mais le hasard en ce domaine fait parfois mal les choses pour nos aventuriers du temps. Connie Willis laisse constamment planer le risque uchronique sur son roman... On voit que nous sommes dans les bons vieux paradoxes temporels qui ont déjà nourrit de savoureux ouvrages de science-fiction comme parmi bien d'autres, ceux de Silverberg et surtout « La patrouille du temps » de Poul Anderson.

« Black-out » n'est pas la meilleure entrée dans l'oeuvre de Connie Willis car on est jeté sans préambule, mais ce n'est pas pour cela que le roman démarre vite, dans ces histoires de voyages dans le temps. L'auteur a détaillé cette pratique, qui a révolutionné l'Histoire, dans ses ouvrages précédents, « Le grand livre » dans lequel les historiens explorent le moyen-âge au temps de la grande peste et « Sans parler du chien », cette fois c'est l'Angleterre victorienne qui est le but du voyage (mais dans ce roman le lecteur est déjà confronté au blitz, certes fugitivement). Ces deux romans sont à mon avis ses meilleurs. Dans « Sans parler du chien », le moins dramatique de la série, Connie Willis y fait preuve de beaucoup d'humour, inspiré de celui de Jerome K. Jerome dans « Trois hommes dans un bateau ». Les références littéraires ne sont pas non plus absentes de Black-out, ici il s'agit surtout d'Agatha Christie de Shakespeare et de Barrie.

Très rapidement, trois personnages se détachent, trois historiens anglais envoyés pendant l'année 1940. on suit ces trois héros qui chacun de leur côté, essayent tant bien que mal de rejoindre leur « vraie » vie, pendant l'année 2060.

Si l'idée de départ du roman est formidable, il faut bien reconnaître que le style n'est pas à la hauteur de l'intention. En particulier au début, de ce pavé de 650 pages qui n'est que la première partie des péripéties de nos historiens dans les méandres périlleux de la deuxième guerre mondiale. Comme beaucoup de romans américains Black-out souffre d'un trop grand nombre de scènes dialoguées, ici particulièrement insipide. Elles risquent de décourager le lecteur dans les cinquante premières pages, surtout s'il découvre par le biais de « Black-out » Connie Willis, alors qu'ensuite il est difficile de lâcher le livre tant les aventures des infortunés historiens deviennent haletantes. La lecture de Black-out, passé les premiers chapitres aux dialogues superflus est facile. Les phrases sont courtes. Les descriptions sont précises recréant bien le décor du Londres en guerre. Mais on aurait pu espérer des personnages moins lisses, assez interchangeables, avec plus d'épaisseur psychologique. Cela ne nous empêche néanmoins pas d'entrer en empathie avec les personnages principaux. De plus par rapport à ce que laisse entrevoir les premiers chapitres on s'attend à un récit polyphonique mais au bout de 100 pages le récit se focalise sur trois personnages seulement. Mais peut être que les autres réapparaitrons dans le deuxième tome? Certains font des apparitions aussi inopinées que fugitives sans que le lecteur puisse comprendre leur place dans l'intrigue. Autre défaut du livre, si on sait tout du quotidien de 1940, la reconstitution de l'époque est remarquable, j'ai appris beaucoup de détails que trop souvent les historiens laissent de coté, en revanche on a bien peu de lumière sur 2060. On apprend néanmoins, au détour d'un chapitre, que Londres a été en partie détruit par une attaque terroriste quelques années auparavant.

Le point fort du livre est la maestria avec laquelle Connie Willis nous plonge dans le quotidien de la seconde guerre mondiale en Angleterre et surtout à Londres. Grâce à un prodigieux travail de documentation, ce roman de science-fiction est aussi un récit historique sur la Seconde Guerre mondiale, et sur les actions, grandes et petites, des gens ordinaires qui façonnent le cours des événements. Chaque détail sonne juste. Mon étonnement fut grand lorsque j'appris, après avoir lu le « Grand livre » que Connie Willis était américaine. C'est encore plus stupéfiant dans « Black out » tant l'auteurrend un vibrant hommage au courage du peuple anglais.

Black-out tout passionnant qu'il soit n'est pas exempt d'une réflexion sur l'Histoire. Le roman rappelle cette évidence que pourtant bien des historiens oublient: ne pas savoir, c'est ce que les historiens ne comprendront jamais.

Le livre est traduit par Joëlle Wintrebertqui est également une romancière fort estimable. Le lecteur bénéficie d’un glossaire culturel en fin de volume qui devrait combler bien des lacunes. La suite du dyptique, intitulée « All Clear » en version originale, devrait sortir prochainement, toujours aux éditions Bragelonne. Je l'attend avec impatience. Black-out laisse son lecteur en plein suspense.

  

* Le Blitz (terme allemand signifiant « éclair ») est le nom donné à la campagne de bombardements stratégiques durant la Seconde Guerre mondiale mené par la Luftwaffe, l'aviation allemande, contre le Royaume-Uni du 7 septembre 1940 au 21 mai 1941. Il s'agit de l'opération la plus connue de la bataille d'Angleterre. Elle toucha principalement Londres mais également Coventry, Plymouth, Birmingham et Liverpool. 14 621 civils furent tués et 20 292 blessés selon des chiffres officiels. Près de 3,75 millions de Britanniques évacuèrent Londres et les principales villes.

 

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