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Dans les diagonales du temps
26 mars 2020

Saint Laurent, un film de Bonello

 

Saint Laurent, un film de Bonello

 

Le « Saint-Laurent » de Bonello marque d'une pierre blanche l'histoire du cinéma français en dépit de ses faiblesses. Car il est un des très rares films français à montrer deux choses qui font pourtant la chair de chaque vie: le temps et le travail.

Il est impossible, même si ce n'est pas la bonne méthode pour voir et apprécier ce film, de ne pas le comparer avec celui de Jalil Lespert sorti au début de l'année 2014  qui était également une biopic du Couturier. Le film de Lespert embrassait la vie d'Yves Saint-Laurent sur une plus longue période que celui-ci montrant notamment sa rencontre avec Pierre Bergé. Le film de Bonello considère principalement les années 70, mis à part quelques scènes sur les toutes dernières années du couturier qui est alors joué par Helmut Berger et deux brèves séquences, parfaitement inutiles, montrant Yves Saint-Laurent enfant. Le film aurait été meilleur si le réalisateur s'était tenu à ne traiter que les seventies. Alors que Jalil Lespert a centré tout son film sur l'histoire d'amour entre Pierre Bergé et Yves Saint-Laurent, Bonello a essayé de montrer toutes les facettes de l'homme, Yves Saint-Laurent.

Autant le film de Lespert était timoré cinématographiquement autant celui-ci est audacieux. Bonello n'hésite pas à nous réciter toute la grammaire du cinéma même en ses figures les moins utilisées comme le partage de l'écran ou le jeu sur la profondeur de champ. Malheureusement ces procédés ne sont pas toujours bien servis. Si le split screen fonctionne remarquablement pour la séquence du défilé de couture, permettant de voir le in et le of; en revanche juxtaposer des images de la vie de Saint-Laurent avec des extraits d'actualité est une façon bien pesante pour signifier que le couturier ne se préoccupait guère de la vie du monde et qu'il était tout à son travail et à ses plaisirs. Autre procédé, celui là très primaire, le jeu sur la netteté de l'image; lors d'une scène de drague nocturne dans le jardin des Tuileries, Yves Saint-Laurent enlève ses lunettes, sans doute pour être plus séduisant, l'image devient flou!

Qui dit biopic dit reconstitution d'époque. En se limitant sagement presque seulement aux années 70, Bonello s'est déjà facilité le travail. De même en ne tournant presque que des scènes d'intérieur et en ne filmant qu'en plans moyens il limite ainsi les risques d'anachronismes (grand traqueur de ceux-ci, je n'en ai trouvé qu'un: le labyrinthe des Tuileries qui n'existait pas sous la forme actuelle que l'on voit à l'écran). Les anachronismes aiment se nicher dans les coins des images.

Le grand tour de force du film est de nous faire voir le travail d'une grande maison de couture, du dessin d'un modèle jeté sur le papier par Saint-Laurent que l'on découvre acculer au travail gigantesque d'imaginer deux collections de haute couture par ans sans parler du prêt à porter et des différentes commandes pour la scène et le cinéma, au travail des « petites mains » (Bonello a filmé de vrais couturières) qui vont rectifier un modèle parfois quelques minutes avant le défilé.

Mais la maison Saint-Laurent n'est pas que de la création c'est aussi une entreprise et là c'est la partie de Pierre Bergé. Le cinéaste dans un morceau d'anthologie réussit à faire vivre une scène de tractation financière. Jérémie Rénier est magistral en Pierre Bergé. Peut être encore plus que dans d'autres films dans une biopic l'incarnation des personnages est essentielle d'autant que pour Yves Saint-Laurent son image était très connue. Gaspard Ulliel est crédible dans le rôle. Il possède en outre une ressemblance acceptable avec son modèle. Bonello a choisi la simplicité en n'accentuant pas la ressemblance naturelle de l'acteur avec son modèle, pas de prothèses, ni de lourds maquillages, seulement des costumes et des coupes de cheveux d'époque. Gaspard Ulliel ne démérite pas, le rôle est écrasant, mais néanmoins on sent qu'il force son jeu dans certaines scènes.

La bonne surprise vient de Louis Garrel, souvent bien mauvais et qui a toujours tendance à en faire des tonnes mais dans « Saint Laurent » pour une fois son jeu outré colle parfaitement avec le personnage qu'il interprète, ce Jacques de Basher (David Hockney l'a portraituré avec talent) qui cabotinait au quotidien comme le pire acteur de boulevard dans une tournée de province. On ne comprend pas bien comment un fat aussi creux a pu séduire Karl Lagerfeld puis Yves Saint Laurent. Il devait avoir des trésors cachés. A propos de trésors cachés, la seule scène d'amour physique du film, qui est entre Yves Saint-Laurent et Pierre Bergé, nous offre une nudité frontale de Gaspard Ulliel qui montre qu'il a été largement doté par la nature...

Alors que Pierre Niney dans le film de Lespert parvenait à faire entrer le spectateur en empathie avec Yves Saint-Laurent, peu être grâce à une fragilité physique que l'acteur de la comédie Française parvenait à faire passer, Gaspard Ulliel n'y parvient jamais.

Mais il n'est pas aidé par le scénario de Bonello beaucoup plus démonstratif que celui que Jacques Fiechi avait concocté pour Lespert. Bonello a cru bon d'inventer une scène où Saint-Laurent donne de l'argent à une petite main qui vient lui confier qu'elle doit avorter. Mais dès qu'elle est partie au chef d'atelier qu'il ne veut plus jamais la voir... Le réalisateur justifie la mauvaise action de cette invention sous le prétexte d'avoir <<un contrepoint sur ce génie.>>.

Je rebondis sur ce terme; il me paraît plus qu'abusif de qualifier Saint-Laurent de génie. D'ailleurs j'ai beau scruter l'horizon et cela depuis des années, de génies je n'en vois pas (ils ont du tous rentrer dans leur bouteille...). Il faudrait tout de même rappeler à monsieur Bergé et au public que ce dernier a su si bien persuader que Saint-Laurent était au moins l'égal d'un Proust ou d'un Picasso, que la mode est un art mineur, comme disait ce bon vieux Serge... Génie, il ne faudrait pas pousser mémère dans les orties comme disait mon grand père...

On entend répété à l'envie par des journalistes qui se font les perroquets de Pierre Bergé que Saint-Laurent a révolutionné le vestiaire féminin au même titre que Coco Chanel après la Grande Guerre. Je rappellerais que c'est surtout le rôle que les femmes ont été contraint d'assumer durant cette boucherie mondialisée qui les a obligé à s'habiller différemment que Chanel ait personnifié cette évolution comme Saint Laurent celle des années 60-70 c'est indéniable. De la à parler de génie...

Certains des passants de la vie de Saint-Laurent, grâce aux interprètes parviennent en quelques apparitions à exister à l'écran, si ce n'est pas vraiment le cas de Loulou de La Falaise, mannequin emblématique de la maison Saint Laurent interprété par Léa Seydoux, ni Betty Catroux, jouée par Aymeline Valade, mais elle est très belle, en revanche Micha Lescot en « monsieur Jean-Pierre » parvient à s'imposer dans le rôle assez ingrat du chef de l'atelier de couture (souvenez vous il incarnait le narrateur dans « A la recherche du temps perdu », la belle série télévisée que Nina Companeez a tirée de l'œuvre de Marcel Proust.).

Peu de films vérifient aussi bien l'adage qui veut qu'un film se fasse autant au montage qu'au tournage. « Saint-Laurent » est une juxtaposition de scènes qui ne sont liées ni par la chronologie, ni par la cohérence d'une action mais par l'écho d'une scène par rapport à la précédente. On glisse harmonieusement de l'une à l'autre. Il n'y a pas à aller loin pour trouver le César 2014 du meilleur montage.

Quoi qu'il en soit peu de film mon fait un effet aussi puissant. Lorsque la lumière est revenue dans la salle, je suis resté quelques secondes médusé sur mon siège. Je ne peut pas vraiment expliquer ce phénomène qui va bien au delà de la simple critique cinématographique, peut être parce que Bonello nous met face au temps...

 

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