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Dans les diagonales du temps
20 mars 2020

Paul Morand, Jacques Chardonne, Correspondance 1949-1960

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Je subodore que les rares commentaires qui vont accompagner la parution de la correspondance Morand-Chardonne vont se focaliser sur l'antisémitisme et l'homophobie des deux écrivains (1), alors que les lignes sur ces sujets ne sont qu'une part infime de ce volumineux échange. Mais la doxa du jour veut qu'ils soient les parangons de l'antisémitisme et de l'homophobie. Je relève toutefois que celles-ci devaient être diantrement sélectives et ne les aveuglaient sur les talents de ceux affublés de ces tares (tares aux yeux de Chardonne (1884-1968) et de Morand (1888-1976) bien sûr) que sont le fait d'être juif ou homosexuel et parfois les deux, à la fois, comme Proust grande admiration de Morand ou Mathieu Galey, ami des deux hommes et l'un des plus proches de Chardonne, certes vous me direz qu'ils ne sont « que » demi-juifs, mais entièrement homosexuels...

En 1955 Chardonne écrit que le livre qu'il faut lire c'est « Triste tropique » de Levi-Strauss et dans la lettre 210 Morand écrit avoir aimé « Star » d'Edgar Morin. Quelques temps plus tard Chardonne pense que le jeune littérateur qui a le plus d'avenir est Bernard Frank dont il est entiché grave. S'il est absurde de nier l'antisémitisme de Morand, celui-ci n'était que l'antisémitisme d'usage, si je puis dire des français. Antisémitisme qu'ils ont révisé progressivement après la guerre au fur et à mesure de la médiatisation de la shoah, ce que paul Morand n'a pas fait. Chardonne ne partageait pas du tout l'antisémitisme de son correspondant. Il lui écrit le 19 novembre 1959: « La persécution juive à travers les âges, c’est pour moi la honte de l’humanité. Bien plus, ce cancer, et cela seulement,  me donne la honte d’être un homme. Le pire, peut-être, dans ce crime permanent, c’est la stupidité. Je le dis, n’ayant depuis trois siècles, pas une goutte de ce sang » 

 

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Jacques Chardonne

 

 

En 1956, Morand cite parmi ses écrivains favoris, Jean Genet... A propos de gouts qu'il ne partageait pas, il n'était pas dupe des poses de Montherlant. Il écrit le 9 juillet 1957: << Peut-être que Montherlant fait-il le flambard, et a-t-il perdu plus de temps qu'il ne dit à chasser le jeune garçon par les rue?>>. Comme quoi la république des lettres n'ignorait rien des galipettes pédophiles de l'auteur des « célibataires » et ceci bien avant la biographie de Sipriot. En 1958, lettre 412, Morand invite Roger Peyrefitte à déjeuner... L'homophobie de Morand semble plus réservé à ses écrits qu'à ses actes. Mais elle exulte particulièrement dans une lettre (663) sur le mariage de la princesse Margaret (il y a parfois dans les lettres de Morand un coté « Point de vue, images du monde », c'est son snobisme proustien...), lettre qu'il termine en annonçant fièrement qu'il a réussi un joli bouquet avec les lilas de son jardin... Chardonne lui répond qu'il sort d'un déjeuner où ils en étaient tous, ce qui nous vaut au passage un outing de René Tavernier (je ne suis pas sûr que son fils, Bertrand Tavernier appréciera). Ce qui confirme ce que m'avait raconté Gérard Blain que le professeur et protecteur passager dans son film autobiographique « Un enfant dans la foule » n'était autre que René Tavernier... 

Mais les phobies des deux hommes ne sont que l'écume de ces 1200 pages de correspondance. Elles contiennent bien autres choses d'abord le portrait en creux des deux épistoliers et celui du monde littéraire en France dans l'après guerre. Dans ce domaine c'est surtout Chardonne qui documente l'échange car il est aux premières loges, à la fois auteur et éditeur. Alors que Morand, immense lecteur, glisse des critiques littéraires dans presque tous ses envois. La politique française et internationale tiennent également une large place. Morand se souvient qu'il a été aussi jadis un diplomate de haut vol, même si l'on ne peut pas dire que ses prédictions géopolitiques aient été confirmées par l'Histoire. Il surestimait grandement le péril soviétique, mais à sa décharge c'était le lot commun.

De nombreuses lettres de Morand sont aussi de merveilleux récit de voyage. Il confirme dans sa correspondance le grand paysagiste qu'il est. Que l'on se souvienne de son Venise ou de son New-York...

Souvent, surtout en ce qui concerne Morand, ces lettres sont écrites dans un style éblouissant. Chez l'auteur d' « Ouvert la nuit » l'esprit de curiosité ne se fermait jamais. Il est patent que très tôt l'idée lui est venue qu'il ne s'adressait pas qu'à son vieux compère mais aussi à la postérité en un élégant bras d'honneur et qu'il souhaitait que ses lettres soient publiées après sa mort. Il s'agace quand Chardonne en confie certaines à son grand ami Nimier, craignant pour leur conservation.

  

Paul Morand par Jacques Emile Blanche

Paul Morand au temps de sa splendeur portraituré par Jacques Emile Blanche

 

Il me semble que pour bien appréhender cette correspondance, il est indispensable de savoir « d'où parlent » les deux hommes. Lorsque s'ouvre leur marathon épistolier, c'est l'échange de deux écrivains proscrits pour avoir eu des sympathies pour l'Allemagne nazie, d'une manière pour Chardonne moins profonde mais plus voyante que pour Morand. Si les deux hommes prennent volontiers la pause des victimes, il faut tout de même admettre qu'ils se sont bien sortis de la période de l'épuration, mais en revanche leur crédit littéraire a été réduit à zéro. Ce dont leur orgueil souffre terriblement même si Morand joue les détachés. La chute a été d'autant plus dure pour ce dernier qu'il avait connu une gloire immense et des tirages records dès 1925 et jusqu'à la défaite. Son succès et son talent (et la richesse de sa femme) avaient fait bien des envieux qui ne demandaient qu'à l'enfoncer davantage en 1945. Exilé en Suisse Morand avait rongé son frein mais contrairement à Chardonne, il ne se voyait pas fini. Chardonne lui, n'écrivait plus et dirigeait en sous main les éditions Stock dont il était l'un des propriétaires. Matthieu Galey, dans son journal, dans lequel Chardonne tient une place de choix, avec sa cursivité habitelle définit bien le personnage: << Un subtil rejet se mêle au charme de Chardonne, dans sa cantilène du bon vieux temps. En l'exaltant si lumineusement, il condamne le notre, qui ne connait plus la sérénité souveraine du travail accompli, les classes inamovibles, la plénitude bourgeoise, l'humilité rayonnante des sages.>>.

Dans tout le début du livre, on voit comment le petit (et beau) monde des jeunes écrivains de droite d'alors, Nimier (personnage omniprésent dans la correspondance et grand souci des deux hommes, photo immédiatement ci-dessous) , Laurent, Blondin, Déon, Félicien Marceau et quelques apparentés, Nourissier, Bernard Frank aidés d'un petit groupe de journalistes, Parinaud, Bernard de Fallois, Kleber Haedens, vont faire la courte échelle à Morand pour le sortir de son purgatoire littéraire. Ils y réussiront, bien drivés par Chardonne qui édite d'abord Morand chez Stock pour mieux le vendre ensuite à Gallimard. C'est dans ce curieux climat qu'il faut replacer cette étonnante geste épistolaire. Dans son essai « Le soufre et le moisi » (on peut aller voir le billet que j'ai consacré à cet essai: Le soufre et le moisi de François Dufay), François Dufay décortique bien le processus. A propos de cet essais on est beaucoup moins laudateur pour lui une fois que l'on a lu ce premier tome de correspondance (il devrait y en avoir trois?) on s'aperçoit combien la lecture de Dufay est une lecture biaisée donnant une importance à des passages antisémites qui ne se résument qu'à quelques lignes et qu'il faut replacer dans la misanthropie des personnages.

Comme dans presque tous les recueils de correspondances croisées que j'ai lus la production de l'un des auteurs prend le pas sur celle de l'autre. On ne sera pas étonné ici de voir que celle de Morand l'emporte largement sur celle de Chardonne qui au début de leur échange écrit: << L'avenir me paraît long. Il me reste pour remplir mes journées l'air du temps et la lumière du jour, ce que les morts doivent désirer. Cela ne suffit pas pour un vivant. >>. Chardonne écrit cela en 1955, il a 72 ans et semble bien amorti, face au pétulant Morand qui la même année, passionné d'équitation, joue au cow-boy comme il le note dans une de ses missives. Pour résumer le contenu des lettres  de Chardonne, personne ne l'a mieux fait que François Nourissier: << Dans sa correspondance Chardonne se livrait aux trois sport où il excellait: le compliment, le conseil, le jugement.>>.

  

Unknown

Michel Déon et Chardonne en Grèce en 1959

 

Cette correspondance est passionnante mais probablement seulement pour de vieux bonzes comme moi, car elle est le reflet d'un monde à jamais englouti peuplé de gens dont les noms m'étaient familiers dans ma jeunesse, j'étais déjà passionné de littérature et d'histoire littéraire, mais qui n'évoquent plus rien aujourd'hui aux jeunes pousses, même lettrées, si toute fois cela existe... Des critiques aussi pertinents que Poulet, que je lisais avidement dans Rivarol, ou Kleber Haedens sont de nos jours inconnus.

Dans cette forme courte, la causticité naturelle de Morand fait merveille, en voici quelques exemples: << Sagan lit son avenir dans les ride de Guy Shoeller; quelle merveilleuse perspective pour nous, quand elle le trouvera trop jeune! >>, << L'Espagne est très belle. Le curé et la langouste y sont pour rien.>>, << Même quand c'est mauvais Picasso, c'est toujours de la peinture; même quand c'est bon, B. Buffet, ce n'en est jamais; >> (lettre 320). Si Morand est acide, ce n'est pas un coeur sec. Il pleure la perte des amis. En une phrase, il trousse une belle oraison funèbre, que l'on pourrait écrire aujourd'hui, pour son ami La Varende: << A lire les journaux, il me semble qu'étant réactionnaire, il n'a eu droit qu'au corbillard du pauvre, ce charmant vieux noble qui parlait si bien des chevaux, des voitures et des bâtards.>> (lettre 515).

Le sens de l'ellipse de Morand en fait un brillantissime portraitiste: << Nimier, très maitre du monde, la lèvre relevée par l'ironie comme une moustache par le vent.>> ailleurs, << Nourrissier avait un visage de petite fripouille innocente tout à fait délicieux, des yeux mi-clos, renseignés, aigus, cyniques et faussement tendres, assez irrésistibles. Il est homme et femme; pas tante, mais invertébré.>>. Il amusant de lire du même Nourissier qui n'est plus le portraituré mais le portraitiste les lignes qu'il consacre dans « A défaut de génie » à nos deux compère: << Chardonne avait la sorte de beauté qu'on voit aux épagneuls gold quand ils vieillissent: quelque chose dans le visage de carré, poilu, fidèle et narquois. Comme les bons conteurs il aimait prendre son temps, il parlait lent et chuintant, mâchouillait avec gourmandise ses mots dans un simulacre d'accent oxonien attrapé, disait-on, de sa mère, c'est à dire du coté Haviland, ces américains devenus à Limoges seigneurs de la porcelaine. Il avait toujours joui, visiblement, de cette bonne organisation des chairs sur les os qui permet de voir venir l'âge sans angoisse. Sur lui, la peau et la laine prenaient bien leur pli...>>; << Chez Paul Morand régnaient le silence et la rapidité (…) Il affichait une élégance 1930, inusable mais paradoxale. De dix ans le cadet de son épouse, il paraissait, à coté d'elle, doué d'une bougeotte édifiante (…) Il se déplaçait à travers ses vastes pièces, légèrement courbé, les jambes écartées par un demi-siècle d'équitation, tout le squelette menacé, à force d'arthrose, de se souder soudainement à la première journée de paresse.>>.

Si Morand dans ses lettres presque quotidiennes à partir de 1958, est au mieux caustique et souvent franchement méchant, il sait montrer, prenant le temps de cerner un personnage, nourrissant de souvenirs personnels son évocation, qu'il est également à l'aise dans l'admiration, comme le prouve son bel hommage écrit à la mort de Valéry Larbaud. Morand l'extrémiste n'est paradoxalement jamais dogmatique. Il est rare qu'il condamne totalement voir son portrait de Malraux par exemple, toujours il met en perspective, comme dans cette songerie sur Barres (lettre 313): << Barres est-il tombé dans la politique par conscience, par devoir, ou par subconscience, se sachant mort-vivant, comme Mauriac, romancier, tué par Bernanos?>>. Comme on le voit Morand parle aussi de lui même en rêvant sur la destiné de Barres. Ces interrogation aurait pu s'appliquer plus tard à Mishima... Lettre 620: << Regardez le dernier n° de « Jour de France » vous y verrez une photo très révélatrice de Chanel en 30 et de Marie-Hélène Arnaud*, sa favorite, en 60. C'est le même physique. Dans l'amour de Coco pour cette fille, il y a le goût de soi-même rajeuni, prolongé. (L'amour paternel doit souvent revêtir cette forme, le narcissisme.) Mais sous le masque dur, ravagé, de guerrier japonais se faisant hara-kiri, de Chanel, il y a un feu, une intelligence, une volonté, un génie, qu'on chercherait en vain dans la joliesse de dactylo de l'autre. Et comme les main de la petite sont bêtes, molles, sensuelles, à coté des mains de Chanel, ce sculpteur en étoffes.>>.

Dans cette correspondance avec Chardonne, Paul Morand n'y montre pas son meilleur profil. Peut être qu'en réalité, il n'éprouvait pas une véritable amitié envers Chardonne auquel il ressemblait si peu. Il est d'une toute autre chaleur quand il écrit à Pierre Benoit ou à Abel Bonnard pour lesquels il éprouve une tendresse qui affleure à chaque ligne. Ces lettres sont rassemblées dans un recueil établi (et lui bien édité, il est également préfacé par Michel Déon) par Ginette Guitard-Auviste. Il est paru, deux ans après la mort de Paul Morand aux éditions de la Table ronde.

L'échange est inégal, Morand est un bouillant champion qui monte sans cesse à la volée alors que le tiède Chardonne ne semble lui renvoyer la balle que pour qu'il puisse faire un point gagnant.

Morand, partant de Tanger ou de Vevey, où il réside, parcourt le monde, lit tout, alors que son compère ne compulse guère que la presse, et seulement les journaux « ami ». Il recommande tout de même à son correspondant dans la lettre 228 la lecture du « Degré zéro de l'écriture » de Roland Barthes. Si Morand est toujours en mouvement, Chardonne s'aventure rarement loin de son cher jardin de La Frette sinon pour une cure thermale ou de douillettes villégiatures au bord du lac de Genève.

Le boulimique de lecture qu'est Morand parsème ses lettres de critiques littéraires lapidaires comme celle-ci: << Grâce à Maurice Martin du Gard, 1957 aura le privilège de voir vivre les gens de 1920, de les entendre comme dans un musée du disque, au premier rang d'Orchestre. Maurice Martin du Gard a parfois la dent dure, l'oreille, jamais. « Les mémorables », procès verbal où nous fumes les délinquants, sauf conduit que présentera notre génération aux frontière de l'éternité.>>. On pourrait dire exactement la même chose, avec cette correspondance, pour les gens de lettres (et un peu plus) de 1950-1960. Hélas pour les brillants duettistes, ceux-ci ne sont pas à la hauteur de ceux que confessait Maurice Martin du Gard. On est éberlué par la diversité des lectures de Morand et la justesse de ses avis. En voici quelques exemples: Dans la même lettre il commente un livre d'Henry Miller « autodidacte confus, passionné niaguaresque » et un récit de voyage, une descente du Nil en kayak! Tout aussi surprenant, dans la lettre 364, il écrit avoir beaucoup aimé le livre de science-fiction « Sur la plage » de Nevil Shutte; lettre 406: << « Le repos du guerrier » de Christiane Rochefort est un livre étonnamment puissant. Le personnage éthylique, prodigieux de vie et de vérité. Très bien composé et fort convenablement écrit.>>; lettre 419: << Je viens de finir « Le balcon » de Gracq, c'est excellent! C'est le poème de la drôle de guerre qui n'avait jamais été écrit (…) Les pages de Gracq sur la neige dans la forêt sont admirables. L'épisode avec Mona, charmant, sans plus. D.H. Lawrence a certainement eu de l'influence sur lui.>>; lettre 461: << Je trouve que Dominique (le fils de Ramon et de sa première femme) Fernandez a bien du talent, d'après ses notes de la N.R.F.>>; lettre 505: << Je commence Le petit ami de Léautaud; il n'y a qu'un thème: un amour d'amant pour sa mère, putain, qui devient, à l'âge mur, l'amour des putains.>>; lettre 556: << Lisez Fiction de l'argentin Borges; ravissant; cocktail Larbaud-Chesterton, par un érudit, avec en plus vive imagination, écrivant en trois langues, sorte de facilité à la Nabokov. >>; lettre 603: << Pour le Balzac, de J. L. Bory, il contient de jolies pages de critiques fines et justes. Je l'ai lu avec plaisir.>>; lettre 695: << J'ai lu « Le mécréant », un roman d'Alain Bosquet, d'un humour métaphysique effréné, surréaliste, lautréamonien et qui en 1960 ressemble beaucoup à ce que Philippe Soupault écrivait en 1919. Picasso, Braque, Fargue, Breton, Apollinaire, Max Jacob, Kandinsky, Brancusi... Toutes ces mamelles de 1919-1920 sont encore sucées avec profit, un demi-siècle plus tard, par la jeunesse. Sur quelles tétine 1960 va-t-il tirer l'an 2000, je me le demande?>>...

A propos des arts, Morand ne parle pas que littérature, il voit aussi un grand nombre de films et des plus variés: lettre 648: << Voyez « A bout de souffle » d'un jeune; excellent, pudique et fort; une longue scène entre amants, remarquable. Une étude profonde des jeunes, leur indifférence à tout (…) J'ai diné chez Lipp, hier soir avec Robert Bresson; son « Pickpocket est un demi-échec.>>

Son modernisme fait ressortir d'autant ses préjugés dont je me régale et que Charles Dantzig a assez bien résumé: << Morand a les préjugé antimétèques d'une époque qui admettait que nous colonisions, mais pas qu'ils émigrent. Ce sont ceux en Angleterre, d'Evelyn Waugh.>>. J'ajouterais que néanmoins il a toujours été hostile à la colonisation, ce qui est logique pour qui ne veut de métissage et qu'il faut lire et relire Evelyn Waugh...

Les lettres de Chardonne, qui tournent souvent à la revue de presse, agacent parfois Morand par la mielleuse admiration qu'il déverse sur lui à pleine louche. On sent que Chardonne en rajoute, qu'il fait un peu la bête pour mieux faire briller son interlocuteur mais cette bêtise revendiquée s'accorde mal avec la sûreté et la liberté de jugement qu'il affiche. Aurait-on supposé Chardonne friand de Tennessee Williams... ou trouvant Marguerite Duras exquise: << Elle n'est plus jeune, et même elle est laide. Le charme d'une femme laide est incomparable. Il ne trompe pas. Il est à l'état pur.>>.

Il n'y a pas que le présent d'alors qui nourrit leurs proses. Morand revient souvent sur le passé, évoquant ses amis d'hier en particulier Jean Giraudoux.

Et puis aussi cela fait plaisir de lire en ces temps ennégrés des hommes qui ne considèrent pas le colonialisme comme la pire des horreurs. Ceci dit (sans jeu de mots) Morand ne se fait pas d'illusion à propos de la guerre d'Algérie avec une belle prescience il écrit dès 56 que cette guerre commence dans le style état major et se terminera par l'égorgement à domicile. Il nous donne en quelques raccourcis savoureux sa vision sur l'époque: << La Troisième République avait des colonies, la Quatrième n'a plus que des colonies de vacances.>>...

Il y a beaucoup d'humour dans ces échanges, un humour pur tweed et cachemire coté Morand: << Je pourrais me consoler avec du porto, mais les portugais n'en boivent pas, ils le vendent aux anglais, qui ne boivent d'ailleurs plus que de la bière, car le whisky est trop cher; ils le vendent aux français qui lisent Sagan, et le nomme scotch.>>...

Politiquement ces textes ont beaucoup d'intérêts, surtout encore une fois, pour ceux de Morand. Ils ont la particularité rare de montrer la vie politique française du coté des vaincus. En simplifiant du coté des vichystes, un angle de vue complètement occulté par la société entièrement dominée par leurs adversaires. Ce courant, que les naïfs croyaient définitivement éteint, ressurgit d'ailleurs aujourd'hui. Mais la posture de Morand est assez singulière; sa justification pour rejoindre le gouvernement de Pétain, alors qu'il était en poste à Londres (qu'il quitte le 19 juin!) est son légalisme. Défense un peu mince pour un aussi brillant bretteur et aussi peu patriote en témoigne cette extraordinaire phrase extraite de son "New-York": << Bleu, blanc, rouge, ces couleurs m'exaltent, car ce sont celles des coiffeurs américain>>. Probablement inconsciemment Morand n'a fait que suivre sa pente. Il est profondément élitiste et donc absolument pas un démocrate. Il reste un admirateur de l'ancien régime, sans pour autant adhérer à un royalisme folklorique ou théorique comme celui sans roi de l'Action Française. Il faut avoir toujours à l'esprit qu'il est le contraire d'un nationaliste d'où sa grande tiédeur pour la Révolution Nationale du Maréchal. Il est d'abord un européen. Il fait sien l'analyse qu'émettait un Raymond Aron ou un Bernanos que la guerre de 40 était la guerre des nations contre l'impérialisme, en l'occurrence nazi, sauf que contrairement à eux, Morand était favorable à l'impérialisme, le fait qu'il soit nazi ne l'enthousiasmait pas mais il passait outre. Il a pensé, comme beaucoup à l'époque par exemple comme les synarchistes dont faisait parti son ami Benoist-Méchin qu'Hitler pouvait être une chance pour l'Europe ou plus exactement l'outil transitoire pour affirmer la domination de l'occident sur le monde. Pour Morand farouchement anticommuniste, le bolchevique était aussi le barbare métèque. Mais contrairement à un Brasillach ou même à un Benoist-Méchin, Morand n'a jamais nourri une fascination pour Hitler et plus généralement pour les régimes militaires autoritaires. Il y a chez lui un antimilitariste né d'ou sa méfiance pour Pétain et encore plus forte pour de Gaulle qui n'est pour lui en 1940 qu'un aventurier. Il sera beaucoup plus indulgent pour le général lors de son retour au pouvoir en 1958. Il est important également d'avoir présent à l'esprit pour comprendre les points de vues de Morand et de Chardonne, que contrairement à la quasi totalité de leurs contemporains, ils ont été peu marqués par la guerre de 14. Ce sont deux embusqués qui ont vêcu le massacre de loin Chardonne en Suisse où il soignait une hypothétique faiblesse pulmonaire et Morand à Londres comme attaché d'ambassade.

Je n'ai pas trouvé de véritable désaccord avec tout ce que Morand écrit, sinon qu'il n'aima pas La Baule!

La publication de cette correspondance va-t-elle modifier la stature des deux écrivains devant la postérité? Peut être. Mais elle ne permettra pas, à Chardonne de sortir du purgatoire comme le souhaite Michel Déon dans sa préface, tant il apparaît comme un tout petit monsieur aux idées courtes et au coeur sec. Ses lettres prouvent, une fois de plus, que l'on peut être un virtuose dans la technique de son art, il n'est pas question de nier la qualité de son style, et être un quasi imbécile, sauf pour tout ce qui se rapporte à la littérature, matière qu'il maitrise à merveille. Il aurait fpu être un grand critique de la forme s'il avait consenti à lire autre chose que des revues... Par exemple son jugement sur Mauriac semble être confirmé par la postérité: << Aucune des oeuvres de Mauriac ne restera. Les roman ne valent rien, trop bâclés. Restera un je ne sais quoi que l'on peut appeler un grand écrivain, le journaliste en somme. Peu importe qu'il ne soit pas sérieux, c'est bâclé avec une certaine grandeur. Il a été sauvé par la facilité.>>.

Il en ira tout autrement pour Morand, dont on connaissait déjà les détestations depuis 2001, date de la parution de son « Journal inutile », pour peu que les lecteurs ne se laissent pas enfumer par la doxa de la gauche molle. Dans cette correspondance, du moins dans ce premier tome, il apparaît comme un homme à la curiosité inextinguible, jamais prisonnier de ses préjugés qu'il jette par dessus les moulins lorsqu'il rencontre le talent, alors peu importe, les opinions les gouts sexuels, la race ou autres (en cela il est semblable à Léon Daudet)... Ainsi cet homme de droite aime par exemple les mémoires de Simone de Beauvoir et ce pseudo homophobe s'inquiète de la santé de son ami Cocteau, lettre 455: << Mon pauvre Cocteau perd de plus en plus de globules rouges, c'est effrayant. >>.

Un tel livre avait besoin d'être « édité », (certes il a été annoté par Philippe Delpuech mais le malheureux est mort à la tâche et son travail est resté inachevé) dans le sens qu'il lui aurait fallu un appareil critique digne de ce nom et au moins d'être relu ce qui n'est à l'évidence pas le cas lorsqu'on lit, cette note en bas de page, page 573: << Jules Lemaitre (1853-1914), chroniqueur littéraire et critique dramatique, avait publié Impressions de théâtre en 9 volumes, de 1888 à 1920.>>. J'aimerais avoir la recette de ce monsieur qui s'est baguenaudé au théâtre post mortem! D'ailleurs la plupart de ces notes en bas de page sont inutiles lorsqu'elle ne sont pas ridicules quel ignare a pu qualifier Cecil Beaton de costumier britannique, ignorant qu'il était surtout un des plus grands photographes de son temps! On pouvait espérer un peu plus de sérieux et de soin de la part des éditions Gallimard, même si on sait bien que ses dirigeants trainaient les pieds depuis des années pour éditer cette correspondance. Le lecteur est en droit d'être exigeant lorsqu'il faut tout de même débourser 46,50 € pour acquérir ce volume qui devrait être le premier de deux ou trois volumes. Ce qui est assez curieux quand il est dit que ce premier volume regrouperait les trois-quart des échanges épistoliers entre les deux hommes.

Barres répondit à Morand, après avoir lu « Ouvert la nuit »: << Jamais embêtant >>. C'est le beau compliment que l'on peut faire à cette correspondance. 

  

Nota

1- Il faut savoir que la correspondance Morand-Nimier est empéchée de paraitre par la fille de Roger Nimier, l'écrivaine Marie Nimier sous le prétexte qu'il y a de nombreux passages où il serait fait connaissance de la véritable sexualité de certains personnages (sous entendre leur homo ou bi sexualité) certes mort mais néanmoins pourvus de famille, bien bien... Mais qu'a fait donc Roger Peyrefitte, que Paul Morand aide à se documenter pour l'écriture de "Lexilé de Capri", durant la quasi totalité de sa carrière sinon cela. On peut penser alors que la plupart de ses livres ne pourraient plus paraitre aujourd'hui. 

      

* sur Marie Hélène Arnaud

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De constitution fragile, Marie Hélène Arnaud mourait de causes naturelles à seulement 52 ans fêtés 11 jours plus tôt, le 6 Octobre 1986.

Avec elle mourait sans doute a tout jamais le concept même de la « Parisienne » qui fit bien plus pour la gloire de la ville lumière que sa tour Eiffel, son louvre et son arc de triomphe réunis (Et que Carla Bruni qui à l’air à côté d’elle d’une brouette à côté d’un cygne!)

Celine Colassin. (tenancière d'un joli blog à voir et à revoir: http://cinevedette4.unblog.fr)

 

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