Le journal de Matthieu Galey
Dans l'article que vous lirez ci-dessous, sur le journal de Mathieu Galey, il se trouve après la photo des livres sur mon banc de lecture estivale, je l'ai à peine "peigné" pour l'occasion, vous vous apercevrez que j'appelais à une réédition de ce Journal en édition intégrale. C'est chose faite. Rendons hommage aux Editions Robert Laffont avec leur belle collection Bouquins et à Jean-Luc Barré qui est le maitre d'oeuvre du volume et en a rédigé la préface. Contrairement à ce que subodore un de mes rares commentateurs, je ne pense pas que Jean-Luc Barré se soit égaré sur ce blog confidentiel, qui en plus jouit d'une détestable réputation, à moins qu'il soit amateur de jeunes beautés, et même, je n'ai pas l'outrecuidance de penser qu'il puisse lire mes billets, en cela il se conformerait à la pratique quasi générale de mes visiteurs qui ne font guère que regarder les images... Pourtant si Jean-Luc Barré s'était égaré dans ces fangeuses contrées, il aurait peut être eu la bonne idée de me demander de concocter les notes pour cette réédition (je suis d'un prix tellement abordable qu'un tel ponte de la république des lettres ne peut l'imaginer). Car de notes nenni dans ce bouquin à l'exception ridicule d'une à la page 695. Je vous livre donc la totalité des notes: << Chez Nathalie Sarraute>>. Elle précisait ce qu'était Chérence, le lieu de résidence de la dame. Et pourtant si l'éditeur avait lu ce qu'il édite, Matthieu Galey écrit le 15 juin 1985: << D'ici peu - mettons en l'an 2000 - de Gaulle et kennedy ne seront plus que des nom d'aéroport.>>, il se serait peut être décidé à adjoindre au texte des notes. Certes Galey exagère un peu, mais qu'en est-il aujourd'hui de la notoriété, au hasard de l'index, de Jean-Pierre Aumont, Guy Dumur, Henri Massis, Jean Le Poulain, André de Ségonzac...
L'argument de vente pour cette nouvelle édition est la restitution de morceaux caviardés lors de la première parution. Il faut tout de même attendre la page 285 pour lire la première phrase censurée et elle concerne Georges Izard que personne ne connait plus et qui d'ailleurs n'a jouit de son vivant que d'une très relative célébrité... Les lignes qui étaient passées à la trappe à la fin des années 80 sont dans leur grande majorité, celles dans lesquelles Matthieu Galey dévoilait les sombres magouilles de la part des éditions Grasset pour se faire attribuer les grands prix littéraires d'automne et en particulier celles d'Yves Berger et surtout de Nourissier dont la corruption et le talent de manipulateur corrupteur font songer que certains hommes politiques en la matière sont de très petits joueurs par rapport à ce monsieur qui n'était pas le dernier à pontifier coté morale...
Autres sujet des bribes qui nous sont restituées, les galipettes sexuelles dans lesquelles Galey était semble-t-il un fort bon acrobate. Comme pour ses cursifs portraits quelques lignes lui suffisent pour évoquer la chose. On lui sait gré de ne pas s'y étendre lourdement à la manière d'un Renaud Camus. Dans sa préface Jean-Luc Barré parle de frénésie sexuelle, mais mon bon monsieur tout le monde baisait à couilles rabattues dans la décennie des fleurettes, les abstinents n'étaient guère que ceux qui n'avaient pas trouvé le chemin du baisodrome... La frénésie était générale ce que semble ignorer notre préfacier qui pourtant à débarqué de sa province à Paris en 1977 peut-être était-il des rares à avoir des difficultés à lire les cartes...
Si contrairement à ce que j'écris en début d'article le vénérable Jean-Luc Barré s'égare dans ce mauvais lieu, je lui suggère d'essayer de convaincre Banier d'éditer son journal traitant de cette période déjà lointaine (ce qui devrait épargner des frais d'avocat). Je suis certain qu'une telle parution serait un bon coup éditorial pour Laffont et un éclairage sans doute décapant pour de nombreux passants du journal de Galey et sans doute pour quelques autres. Il va de soit que je lui suggère également de ne pas m'oublier pour les notes...
Tout chef d'oeuvre à pour limites son cadre, c'est ce que devrait rappeler prosaiquement plus souvent les critiques d'art; c'est vrai aussi, dans tous les sens du terme pour le cinéma et en partie pour la littérature.
Le cadre du journal de Matthieu Galey est assez étroit. C'est sa grande limite, par rapport par exemple à celui d'André Gide. Il me parait indispensable et inévitable, en regard à ma nouvelle lecture, de comparer le présent journal avec ceux des autres diaristes du XX ème siècle. Galey s'intéresse surtout aux littérateurs et pas beaucoup à la littérature (du moins dans le journal), d'où, sans doute, la très bonne idée de l'éditeur d'adjoindre au journal plusieurs articles, tous excellents, de critique littéraire que Galey avait écrits pour différentes revues, en particulier l'express (mais pourquoi ne pas en avoir mis plus et pourquoi ceux là?! C'est ce que, entre autres, la préface aurait du expliquer).
Les littérateurs élus par Galey dans ses jeunes années sont de préférence cacochymes, Galey les aimait vieux et de préférence dans un purgatoire littéraire. Mais, de l'admiration aux grands anciens, au fil du journal, il glisse vers la tambouille littéraire, pour reprendre de la hauteur dans les trois dernières années de sa vie alors qu'il se sait condamné et donne une description poignante de sa déchéance physique.
Avec les écrivains, l'autre grande passion de la vie de Matthieu Galey était le théâtre. Il est très présent dans le journal mais essentiellement par le truchement d'anecdotes et de portraits, savoureux, d'acteurs, sauf au début lorsque Matthieu Galey n'est encore que spectateur; il livre alors des raccourcis cocasses et pertinents sur les pièces auxquelles il assiste. Il est dommageable pour les mânes de notre diariste qui fut aussi un grand critique de théâtre et l'adaptateur en français des pièces de Tenesse William et d'Edward Albee, que ce volume, à l'exemple de ce qu'il propose pour la littérature, ne présente aucun texte de Galey sur le théâtre.
Un journal en dit autant sur son auteur par ce qu'il n'y a pas que par ce qui s'y trouve.
Par exemple la quasi absence du cinéma est frappante alors qu'il était le fils du cinéaste Louis-Emile Galey. Autre absence, mais on voit assez vite que Galey n'a pas la tête philosophique, celles de nos grands intellectuels qui pourtant en ces années 70 et 8O étaient au summum de leur gloire internationale. Les Barthes (Barthes a tout de même 10 occurrences dans l'index. Il apparait dans le journal le 25 septembre 1956 avec pour seul qualificatif << de la bande à Minoret>>-cocasse-), Foucault pas même cité et autre Derrida (une seule mention) étaient dans ces années là autrement plus célèbres dans le monde que les goncourables que croise Galey dont l'éphémère notoriété ne dépassait pas nos frontières.
Le 11 avril 1959 Galey croque ce portrait de Barthes (à ce propos le volume est parsemé de dessins que Galey faisait en marge de son journal, représentant les personnes sur lesquelles il écrit): << Un verre avec Roland Barthes et Gérald Messadié. Curieux visage que celui de Barthes. Une tête d'oiseau qui s'empâte vers le bas: le profil de Louis XVI. L'oeil bleu, le sourire convexe, les dents belles. Avec un air de mollesse dans toute sa personne qui ne vient pas des traits mais du regard, placide, passif, posé, en accord avec le ton un peu affecté de sa parole. Nous flirtons un moment (que ces progressistes" ne le sont guère en matière de badineries: du précieux, du fleuri, chantourné jusqu'au ridicule>>.
Contrairement à ce que l'on trouve dans "L'invention du temps" de Claude-Michel Cluny, dans lequel les considérations de géo-politique foisonnent, dans le journal de Galey la rumeur du temps y parvient que très assourdie.
Hormis la littérature et le théâtre, il est bien peu question des autres arts. La musique qui tient une si grande place dans les journaux d'André Gide, de Julien Green et de Renaud Camus est presque absente comme l'est la peinture.
Est-ce la fréquentation des vieillards lettrés qui a détourné Matthieu Galey des média qui ont pris leur essor durant la période couverte par son journal? On n'y trouve pas de références à la bande-dessinée, ni à la musique pop, ni presque à la télévision et la cohorte de ses vedettes.
On peut noter aussi que l'auteur voyage assez peu hors de France qu'il parcourt que de façon utilitaire, pour se rendre à un festival de théâtre par exemple. Il fait peu d'incursions hors de nos frontières, seulement en Angleterre et aux Etats-Unis. Il n'a rien d'un globe-trotter comme l'est Claude-Michel Cluny.
Si on fait un panorama de ses activités et de ses goûts en dépit de l'extravagant name dropping qu'est aussi ce journal, on voit que Galey n'a pas vraiment épousé son époque allant jusqu'à la tragique originalité de mourir de la maladie de Charcot en pleine épidémie de Sida!
Si le champ de ce journal est somme toute assez limité, si on le compare au mètre étalon en la matière qui est celui d'André Gide, cela à mon avis s'explique, en dehors du don de curiosité attribué d'une façon innée et plus ou moins développé en chacun de nous, parce que Gide, contrairement à Galey et à la quasi totalité des autres diaristes que je cite dans ce billet, était détaché des préoccupations matérielles. Oncle André n'avait pas à écrire ou à exercer une quelconque activité pour remplir son bas de laine. Cette absence des contraintes, que fait peser inévitablement un métier, lui permet cet extraordinaire variété d'intérêts qui le caractérise. Et c'est en parti pour cela qu'oncle André est le plus grand.
Ma plongée dans ma bibliothèque du coté des journaux intimes et la vague comparaison entre ceux-ci m'ont conduit à cette curieuse constatation: que la quasi totalité des écrivains qui ont tenu leur journal durant le XX ème siècle, parfois d'une façon sporadiquement mais néanmoins conséquente, étaient homosexuels, ou pour le moins bisexuels à commencer par le plus grand d'entre eux, André Gide. Il a été suivi par, dans le désordre, Julien Green, Renaud Camus, Bernard Delvaille, Gabriel Matzneff, Claude-Michel Cluny, Jean Cocteau et donc Matthieu Galey. Comment expliquer cela? J'en laisse le soin aux psychologues professionnels, j'avance l'idée d'une éventuelle et partielle explication: les homosexuels ne sont pas encombrés d'une navrante progéniture chronophage...
A l'occasion de la rédaction de l'article sur la biographie de L'abbé Mugnier de Ghislain de Diesbach, j'ai consulté quelques livres de ma bibliothèque dont ce journal de Matthieu Galey dont je prétend qu'il est le summum du genre. Mais après avoir lu ce qui concernait le prélat, je n'ai pas pu le lâcher et je l'ai relu entièrement. Car par quelque page que l'on aborde ce texte, paru en deux tomes aux éditions Grasset en 1987 et 1989, le plaisir de lecture est garanti.
J'ai revisité ces deux volumes avec émotion (je connaissais la fin de l'histoire, à cette aune, bien des notations de l'auteur serrent le coeur.) et puis ce n'est pas si souvent que l'on peut tenir toute la vie d'un homme, de talent de surcroit, dans la main. Une vie de larbin de la littérature, comme il l'écrivait à vingt ans, n'enviant pas cette situation qui sera pourtant la sienne...
Matthieu Galey dessiné par Henriette Groll
N'ayant pas encore vingt ans, Galey eut l'ambition de consacrer une étude à Raymond Radiguet; pour laquelle il rend visite à diverses personnalités qui avaient connu le jeune écrivain: Jean Cocteau, Brancusi, André Salmon, Joseph Kessel, Jean Hugo... De telles rencontres avec des grands noms de la littérature et de l'art, qui ne semblaient pas trop difficiles à approcher alors, devaient sans nul doute influencer le tout jeune homme de lettres en herbe. Malheureusement, l'étude sur Radiguet ne fut jamais achevée, ou tout du moins pas publiée. Mais ayant goûté le commerce des beaux esprits à une époque bien révolue où l’on brillait encore dans les salons et où les écrivains chenus se distrayaient de la présence, dans leurs hôtels particuliers, de jeunes gens intelligents, si possible agréable à regarder, il le cultivera tout au long de sa courte vie pour en faire son miel, ce journal...
Sa naissance dans la bourgeoisie, presque haute, lui a fait gagner du temps, mais qu'en a t-il fait? Je songe qu'une telle jeunesse entre bohème, raouts mondains, dragues et culture, ne serait plus possible de nos jours. En premier lieu parce qu'il n'y a plus de bourgeoisie, il n'y a plus que des inhéritiers comme l'écrirait Renaud Camus* (toujours lui), mais il n'y a plus également de classe ouvrière, d'intellectuels ou de paysans, il n'y a plus que des ploutocrates et la fumeuse classe moyenne, quel naufrage!
Les relations de sa famille, son milieu, sa curiosité et peut être un peu son arrivisme, même s'il ne lui déplaisait pas d'être plus en partance qu'arrivé, l'ont aidé à rencontrer cet incroyable panel de célébrités de tous ordres. Il s'y mêle aussi parfois la chance. Par exemple, son prof. De Science-Po s'appelle Pompidou (nous sommes en 1953), quand, la même année il va à la messe, l'abbé qui prêche se nomme Danielou. Un an plus tard, un soir qu'il s'arsouille, son voisin de bar est Jean-Claude Pascal << qui boit comme une éponge avec beaucoup de dignité.>>. Une autre fois dans un bistrot c'est Blondin dont il ne peut pas se débarrasser, l'auteur de « L'Europe buissonnière » ayant l'ivresse gluante...
Dans « un début à Paris » Ghislain de Diesbach montre un Matthieu qui n'est pas sans cynisme: << Dans le salon d'Evelyn Best, Milorad avait amené Matthieu Galey. Celui-ci effectuait alors son service militaire dans la marine et apparaissait parfois en matelot. Avant de partir, il avait confié son journal à Evelyn pour qu'il fut, en son absence, à l'abri des indiscrétions de sa famille. Assez cyniquement il avait prévenu la pauvre Evelyn, dont il appréciait les gouters, qu'il ne serait pas un fidèle à vie: « quand je serais célèbre, lui avait-il dit, vous ne me verrez plus. » Ce fut en effet ce qui arriva.>> (Ghislain de Diesbach,Un début à Paris, page 126, éditions Via Romana).
Les premières années du journal ne sont pas les plus intéressantes. On y voit un jeune homme un peu poseur qui s'essaye dans son journal à faire des mots d'auteur en vu d'oeuvres qu'il n'écrira pas, mais ça, il ne le sait pas encore... Et puis c'est une sorte, plus ou moins consciemment de gigolo culturel ou de tapineur intellectuel, comme on voudra... Le journal s'étendant sur une longue durée, plus de trente ans, le lecteur est le spectateur de la maturation d'un homme.
Matthieu Galey n'est pas un stakhanoviste de la notation quotidienne. Il peut laisser, plusieurs jours, même plusieurs mois sans noter quoi que ce soit. Il demande donc au lecteur de remplir les trous, d'être un amoureux de ellipse. Ce relatif dilettantisme dans la tenue, de ce qui sera la grande oeuvre de son auteur, est en définitive positive pour celle-ci car le journal ne dévore pas ici la vie de son créateur comme c'est un peu le cas par exemple chez Renaud Camus. Chez Galey, du moins sur sa plus longue durée, le journal n'est pas une fin en soit. Il serait intéressant de savoir à quel moment, il a eu conscience qu'il écrivait pour une futur publication.
Il ne faudrait pas se méprendre sur les intentions de notre diariste, si ses relations sont intéressées, il est surtout très admiratif des dinosaures littéraires qu'il fréquente et il a beaucoup d'affection en particulier pour Chardonne qui est alors complètement oublié... sinon par Mitterrand. D'ailleurs dans une lettre à Jean-Louis Bory daté du 20 février 1964, Chardonne écrit: << Doué pour l'amitié, j'ai peu d'amis. Aujourd'hui trois: Brenner, Matthieu Galey, et Morand. Ils sont le soleil de ma vieillesse.>>.
A propos de cette confidence de Chardonne à Jean-Louis Bory, faisons "un arrêt sur image". L'homme qui écrit cela à Jean-Louis Bory ne pouvait pas ignorer la sexualité de son correspondant, même si à cette époque Bory n'est pas encore le porte parole flamboyant des homosexuels qu'il deviendra quelques années plus tard, étale dans sa correspondance et sa conversation une homophobie et un antisémitisme presque à la hauteur de celui de son compère Paul Morand, ami et grand admirateur de Proust par ailleurs. Or dans ses trois amis, il cite Galet homosexuel et demi-juif ce qui ne semble pas le troubler. Mais ce n'est rien à coté de Morand qui tout homophobe vitupérant qu'il était, avait un serviteur qui le volait pour se payer des gigolos. Morand le savait et fermait les yeux... Comme nous l'apprend Matthieu Galey. Ce même Morand, à sa mort lèguera sa garde robe à son ami Marcel Schneider, personnage récurrent du journal de Matthieu Galey, qui, s'il n'était pas juif comme son nom pourrait le faire croire, était un homosexuel très voyant... Ces grands écrivains n'étaient pas à une contradiction prêt...
Jacques Chardonne et Paul Morand
L'attrait immédiat de ces notes consignées plus ou moins régulièrement durant plus de trente ans est entre autres une galerie de portraits troussés avec un talent extraordinaire, réussissant en quelques lignes, le plus souvent assez vachardes, à peindre, tant physiquement que psychologiquement ses modèles. Et quels modèles! Très tôt en tant que critique dramatique et littéraire, d'abord à « Art » puis ensuite à l' « Express » et comme éditeur chez Grasset, il est amené à rencontrer une multitude de créateurs. Mais en plus comme il « aime les vieux » il a aussi côtoyé quelques célébrités de la littérature tel Jouhandeau, Chardonne, Fraigneau ou Morand qui n'étaient plus à l'apogée de leur gloire en particulier parce qu'ils avaient eu quelques tendresses pour l'occupant. A l'autre spectre de l'idéologie politique, il connaissait également très bien Aragon.
La meilleure illustration du style de Matthieu Galey dans ses portraits ou plutôt de ses croquis pris sur le vif, est d'en donner quelques exemples:
17 juillet 1958 << Une longue fille noiraude. Une voix plaintive, étrange, poétique, sans rapport avec son physique ingrat. Elle n'a pas de nom. On l'appelle Barbara>>.
14 février 1960 << Un visage rose, un peu mou, le nez rond et un front immense. Quelque chose d'une vierge flamande qui aurait oublié sa coiffe. De l'élégance, une grande douceur dans sa façon de ronronner les phrases et beaucoup de grâces aux dames. Un fond d'exigence la-dessous, bien gommé, bien poli. Il est très habile. Hussard peut-être, mais d'état-major.>> -Nourissier- Le portrait n'a pas du plaire au modèle car lors de l'excellente émission de France-Culture, « Une vie, une oeuvre » consacrée à Matthieu Galey, Nourissier y fut d'une rare bassesse... Humeur que confirme Brenner dans son journal: <<Berger m'apprend que Nourissier s'estime maltraité dans le Journal de Mathieu. Lui qui déclarait qu'il ne fallait procéder à aucune coupe et qui ignore que l'on a supprimé les trois quarts des passages qui le concernait. >> -page 437, tome V- (Une rancune d'écrivain n'a d'égale, pour la violence et durée, qu'une rancune d'ecclésiastique, affirmait Balzac.).
mars 1975 << Banier. Son drame: on le prend pour un nouveau Cocteau, il n'en est qu'un dessin.>>
juillet 1981 << Mesguich, le profil de conventionnel, type commissaire de la République, souligné par une tenue d'incroyable, avec mi-bottes et pantalons collants. L'oeil est de feu, le sourire à la fois sournois contraint et moqueur, et une infinie prétention qui cache sans doute pas mal de doutes profonds. >>.
septembre 1982 << Yvette Horner vêtue d'un pyjama rose bonbon bordé de strass, de la même teinte que les plis de son accordéon, on dirai un Goya, masque usé de fée carabosse surmonté d'une énorme tignasse noire. La bouche est carré terrifiante, mauvaise et, quand elle sourit, il en sort deux grandes dents de méchant loup, un menton fuyant qu'elle n'arrive plus à poser sur son instrument, tant elle s'est racornie, et de petits yeux durs, fardés qu'elle essaie de glisser dans les coins d'un air aguichant. >> ou encore << Audiberti Entre le mammouth et le bison pelé.>>, << Jean Schlumberger, la surdité faite homme, mais le regard vif sous une paupière tombante que retiennent les cils.>>.
Il ne traite pas toujours bien ses amis sur lesquels il reste lucide, en témoignent ces notes sur Angelo Rinaldi: << Rinaldi déteste Nice où il a été petit journaliste corse à Nice-Matin. Aucun attendrissement sur le passé: la simple haine de ses débuts modestes. Rinaldi ne pardonnera jamais à la société, ni aux écrivains dits bourgeois - pour qui, pourtant son coeur balance, mais en secret - de n'être pas né à Passy dans "une bonne famille", fut-elle un peu juive comme les Proust ou un peu antisémite comme les Morand...>> toujours sur Rinaldi << Rinaldi, suant de haine contre Marie Chaix; je ne sais pas pourquoi, avance son ratelier de locomotive chasse-bison pour siffler: << Joli nom pour la fille d'un indicateur.>>
Peu des modèles de Galey furent heureux en découvrant ce qu'il avait écrit à leur sujet d'autant que beaucoup le considérait avec quelques condescendances. C'est notamment le cas de Druon et d'Edmonde Charles Roux qui protestèrent auprès de Berger. Ce dernier leur envoya ce qu'il avait fait couper, leur montrant ainsi qu'ils avaient échappé à bien pire.
Mathieu n'excelle pas seulement dans les portraits, c'est également un maitre de la scène de genre comme le prouve cette description de l'intronisation de Marguerite Yourcenar à l'Académie Française: << 1er février. Ce fut un véritable show que cette réception. Tout à fait insolite. Rien d’une réception académique. Quelque chose comme une intronisation du Tastevin ou le jubilé de la reine Victoria. Grande houppelande de velours noir avec un col blanc et un châle également blanc sur la tête, l’entrée de Marguerite est assez stupéfiante. Un sacre… au son du tambour. Une tertiaire de saint François, suivie d’un prêtre, le révérend père Carré ou une vieille impératrice, jugée en haute cour par tous ces bizarres magistrats à queue verte. Avec leur allure d’insecte, cela donnait l’impression d’une mystérieuse frairie comme si cette grosse termite, fécondée par ces insectes vibrionnants autour d’elle, allait pondre des œufs, sous l’œil du couple présidentiel impassible sur ses fauteuils Louis XV ».
Très souvent Matthieu Galey égale, et même parfois dépasse, le maitre du portrait cruel et cursif qu'est Léon Daudet. Mais pour le lecteur d'aujourd'hui, il est plus intéressant de se plonger dans le journal de l'ancien critique dramatique que dans celui du gros Léon. Pour une raison à la fois simple et éphémère, le lecteur de 2017, un tant soit peu cultivé, ayant au moins atteint mon âge canonique et n'ayant pas trop la mémoire qui flanche, individu donc rarissime, se souvient des évènements (mais pas tous j'y reviendrait) que narre notre diariste et surtout des personnages qu'il croque à belle plume et c'est alors une foule de souvenirs qui assaille notre lecteur-voyeur (le lecteur est toujours un voyeur, un peu plus en arpentant un journal intime qu'un roman, mais à peine.). Et parfois il a même rencontré quelques uns des férocement portraiturés (c'est mon cas). Mais bientôt cette espèce de lecteur aura disparu. La camarde aura fait place nette. Et même moi (je souligne lourdement « même »), il m'arrive de ne plus très bien savoir à qui ou à quoi Matthieu Galey fait allusion, mais je constate encore bien plus de lacunes dans la compréhension lors de mes visites assez fréquentes au journal de Daudet; néanmoins pour ce dernier ses portraits sont tout de même passionnants ne serait-ce que par le style. C'est du La Bruyère sans le souci de l'archétype.
Or donc, je rêverais d'une réédition du journal de Matthieu Galey avec des notes en bas de page qui nous situeraient le propos et quelques biographies lapidaires pour nous préciser de qui il parle; cela sans arriver au travers de certaines gazettes, le Monde en particulier, et revue qui n'hésite pas à indiquer que Victor Hugo était un poète français! C'est dire l'état de culture de l'électeur moyen! A l'occasion de cette édition critique, il serait peut être intéressant également de remettre certains passages caviardés par Brenner, sous la férule de Berger, (beaucoup de personnes mises en cause ayant disparu aujourd'hui.). Brenner qui s'est chargé du travail d'édition du journal de Matthieu Galey, à cette occasion a peut être mesuré la médiocrité du sien dont l'édition ne me paraissait pas indispensable. Cette épuration du journal est d'autant moins justifiable que son auteur l'avait déjà fait comme il l'écrit le 1 aout 1984: << Passé plusieurs jours avec moi-même… il y a trente ans et plus, à déchiffrer mes cahiers de ce temps-là. Jusqu’à vingt et un ans environ, je suis d’une bêtise et d’une fatuité qui me consternent. Je sais tout, je donne des leçons, j’admire n’importe qui en termes naïfs ou niais. Sauf quand il s’agit de vraies valeurs, que je néglige ou minimise avec une navrante régularité ! Presque tout est bon à jeter. Et tout ce temps rongé en amourettes, ou en romans inachevés ! Un columbarium de projets. Au feu! >>, puis le 27 aout 1985: << Ce n’est pas que mes souvenirs intimes valent grand-chose… Je m’y complais cependant, ne serait-ce que par une coquetterie indigne : pour peu qu’ils soient suffisamment lointains, j’y fais meilleure figure que dans ma glace. » Cette réflexion que François-Olivier Rousseau attribue à son « Sébastien Doré », je pourrais la prendre à mon compte, mot pour mot, moi qui passe le plus clair de mon temps à mettre au propre mes notes d’il y a vingt-cinq ans. La figure que j’y fais ne me plaît guère, sot, vaniteux, frivole, coureur, snob, méprisant – et Dieu sait si j’élimine des pages et des pages sans intérêt, des coucheries oubliées, des considérations philosophiques ou des flambées sentimentales d’une banalité abyssale ! – mais l’éloignement suffit à mon bonheur présent. >>. Ces deux notes révèlent qu'après avoir appris qu'il était condamné à brève échéance Matthieu Galey a préparé son journal pour une prochaine publication. Dans quelle mesure ce texte diffère-t-il du premier jet, on ne pourrait le savoir qu'en ayant accès aux manuscrits.
Pour revenir à cette proposition de note en bas de page, la rédaction de ce billet m'a amené à parcourir en diagonale le journal de Jacques Brenner, ce qui conduit à une inévitable comparaison entre les deux ouvrages. On constate que pour un honnête homme (c'est à dire pas moi) la lecture du journal de Matthieu Galey ne nécessite pas beaucoup d'explications, car peu des noms qu'il cite sont oubliés de nos jours alors que dans celui de Brenner on a l'impression de parcourir un cimetière littéraire dans lequel la plupart des noms n'évoquent plus aucun souvenir.
Lors de la sortie en librairie du deuxième tome du journal, en 1989, invitée par Bernard Pivot dans « Apostrophe », sa soeur Geneviève Galey, regretta qu'on ait coupé certains jugements sur des auteurs Grasset ou des membres de jurys littéraires. Yves Berger, l'éditeur du 'Journal' s'en défendit... Cette sortie publique de la soeur de l'auteur, presque absente du journal d'ailleurs, est assez surprenante lorsqu'on lit le très fastidieux journal de Brenner au 19 septembre 1988: << Le manuscrit a été revu deux fois sans que je sois consulté: par Geneviève Galey et Jean-Claude Fasquelle, puis par Yves Berger. C'est Jean-Claude qui m'apprend la nouvelle. Il ajoute que ce n'est pas nécessaire que le manuscrit repasse par mes mains avant d'aller à la fabrication.>>. Toujours chez Brenner, on apprend, comme il n'était pas bien difficile de le subodorer que ces coupes ont été bien au delà des seuls auteurs Grasset: << Dans son journal Matthieu voyait la carrière d'Angrémy ( Angrémy est le vrai nom de P.J. Rémy, auteur Gallimard) comme un ratage sur tous les plans (passage coupé).>>- page 492 journal, tome V, édité en 2006 par Pauvert (en ce qui me concerne, je garde de bons souvenirs des lectures de "Cordelia ou l'Angleterre).
Et puis une réédition serait surtout la possibilité de faire connaître Ce texte indispensable pour la connaissance de l'Histoire intellectuelle en France de l'après guerre. Elle serait aussi la possibilité de transformer des initiales obscures comme le très présent T. par le véritable nom de la personne en l'occurrence Herbert Lugert qui a tombé le masque dans l'émission de France-Culture déjà citée. Mais je crains que le rêve d'une réédition savante de ce journal ne prenne jamais forme et reste dans les limbes.
Certaines précisions pourraient pourtant donner un tout autre éclairage à des passages qui restent obscurs si l'on ne connait pas telle ou telle anecdote; par exemple celle concernant la maison qu'achète Matthieu Galey, sise au 1 rue Frochot, à Sylvie Vartan. Car cette demeure à une étrange histoire et celle de son interférence avec la vie de Matthieu Galey est troublante. La demeure est d'abord habitée par Ponson du Terrail, l'auteur de Rocambole, cela dans les années 1860. Elle est ensuite rachetée par le compositeur d'opérettes Victor Massé qui l'occupe jusqu'à sa mort en 1884. Avant d'être revendue au directeur des Folies Bergères au début du XXème siècle. Soixante dix ans passent. La femme de chambre du dernier propriétaire, héritière de sa fortune, est sauvagement assassinée dans l'escalier à coups de tisonnier. La bâtisse est mise sous scellés, le meurtrier ne sera jamais retrouvé. A la fin des années 1970, Sylvie Vartan achète l'hôtel particulier. Elle n'y habitera jamais. "Cette maison l'inquiétait", disent les uns. "C'est le cadeau de rupture de Johnny, elle ne s'y sentait pas bien", relativisent les autres. La chanteuse la revend à Matthieu Galey qui, le 10 mars 1978, écrit dans son journal: << Acheté la maison Frochot. Un peu l'impression de m'endetter pour acheter mon tombeau gothique >>. Prémonitoire: il y meurt huit ans plus tard. De la même pathologie que celle qui a terrassé Victor Massé un siècle plus tôt: la maladie de Charcot. Curieux hasard. A propos de maison, Matthieu Galey s'intéresse beaucoup à celles où il est invité non content de croquer le portrait de ses commensaux, il n'oublie jamais de planter leur décor.
Lisant un tome du journal de Claude Mauriac, Mathieu Galey reprochant à son confrère de s'intéresser aux idées, donne en creux le secret de sa réussite: << Il sait qu'il n'est qu'un appareil enregistreur ultra perfectionné. Jamais le coup d'oeil, ni le coup de patte du portraitiste. Il a tort de s'intéresser aux idées, comme si elles pouvaient avoir la moindre importance. Ne compte, pour le souvenir, que les mots parfois et les images, les instantanés, qui bloquent la vie, comme les cendres du Vésuve ou la glace.>>.
On s'étonne un peu de la place congrue qu'occupe Marguerite Yourcenar dans le Journal. Il est vrai qu'après la publication aux éditions le centurion, des "Yeux ouvert", entretiens avec Matthieu Galey qui sont de loin supérieurs aux autres entretiens qu'a accordés la grande dame que ce soit à Pivot, Chancel ou surtout à ceux avec Patrick de Rosbo, c'est instauré un froid entre l'interviewer et Yourcenar. Cette dernière regrettant de s'être trop "déboutonnée"... Pourtant il fut un temps où elle tenait Matthieu Galey en haute estime, comme en témoigne cette lettre qu'elle lui adresse le 13 octobre 1979: << Cher Matthieu Galey, Gallimard vient de m'envoyer le Magazine Littéraire. Quel admirable portraitiste vous êtes. Trois portraits déjà, sinon quatre, et toujours la même touche merveilleusement juste et sobre, sans bavure et sans sécheresse. Notre duo me semble aussi très réussi. Je suis persuadé que nous sommes en route pour un très bon livre.>> - Marguerite Yourcenar, Lettres à ses amis et quelques autres, page 804. Voyons voir cette touche: << Marguerite Yourcenar possède une architecture intellectuelle inébranlable qui donne à ses propos, à ses écrits, une surprenante solidité. Rien de ce qu'elle dit, de ce qu'elle pense n'est en soi singulier; nous avons seulement perdu l'usage d'une si rigoureuse harmonie entre la conscience et la réflexion. >> - Mathieu Galey, le Magazine Littéraire n° 153 d'octobre 1979.
Sur la relation entre Matthieu Galet et Marguerite Yourcenar, la biographe de cette dernière, Josyane Savigneau a un point de vue intéressant: <<... une longue amitié qui se terminera assez mal, après la publication de son livre d'entretiens, Les yeux ouverts, en 1981. Comme si "commettre" un livre sur Marguerite Yourcenar était déjà, quel qu'il fût, une sorte de faute, voir de péché, une captation inadmissible, l'affirmation d'une autonomie inacceptable.>> (Marguerite Yourcenar par Josyane Savigneau, page 342, éditions Gallimard).
Devant le film de cette existence, on ne peut s'empêcher de poser cette question un peu stupide, Matthieu Galey a-t-il réussi sa vie? A cette interrogation il est impossible de répondre pour tout homme à l'exception de quelques êtres qui par leur oeuvre ou leur action ont changé l'Histoire et à l'inverse pour quelques autres pour qui l'existence ne fut qu'un calvaire.
Pour Matthieu Galey comme pour presque nous tous, c'est un peu l'histoire du verre à moitié vide, à moitié plein. Si l'on retranche les trois années horribles de son interminable agonie, pour le commun des mortels, sa vie aura été plus qu'enviable. Il a rencontré de très nombreux grands esprits de son temps, il a aimé et été aimé par T et Daniel (Daniel Ankri qui est mort du SIDA en janvier 1990 – Journal de Jacques Brenner, tome V) jusqu'à son dernier jour. Il a beaucoup voyagé et vécu sinon dans le luxe, du moins dans un aimable confort, mais pour quelqu'un qui rêvait à vingt ans d'écrire à quarante ans une sorte de « Guerre et paix », c'est autre chose. Il y avait un fort désir de Matthieu Galey de laisser une trace tout en ayant un doute sur ses capacités: << Comment prendre du recul en face de soi-même? Dans la comédie du monde, je me fais toujours l'effet d'un comparse.>> - 2/08/1963.
Si Matthieu Galey a su reconnaître le talent chez des hommes qui n'avaient encore rien prouvé, il n'était cependant pas infaillible comme en témoigne ces lignes à propos de Boris Vian qu'il connaissait, bien sûr: << Ce matin Boris Vian est mort (…) De ce brio rayonnant, subtil, timide, poétique, je me demande ce qu'il restera. Combien a-t-on vendu d'Automne à Pékin? Célèbre pour de fausses raisons (Saint-Germain, le jazz, la trompette et son bouquin à scandale ), ses petits livres tendres et fous couleront à pic, oubliés. Dommage.>>.
Il est intéressant de voir comment ce journal a été reçu, en particulier par ceux qui s'y retrouvent et par d'autres diaristes tel Renaud Camus qui consacre plusieurs lignes à Matthieu Galey dans « Aux Aguets,» son journal de 1988, édité par P.O.L.: << Il est bien évident que, même si de toute façon l'on ne saurait jamais tout dire, le délai prévu de publication influe forcément sur le degré de précision du trait, sur l'angle de prise de vue, sur le cadrage. Matthieu Galey n'a jamais envisagé qu'une publication posthume, je présume. Mais il ne pensait pas, non plus mourir si jeune, ni donc que ses portraits acides seraient placés si vite sous le regard de leurs modèles. Galey tient essentiellement un journal public: sa vie personnelle et ses opinions propres tiennent une place relativement réduite dans ces pages, comparée à celle qui revient aux portraits de personnalité, à leurs mots, aux anecdotes les concernant. Les récits de Galey n'ont de raison d'être que confrontés aux personnages nommés, clairement identifiés, qu'ils mettent en scène. Evoluant dans un monde infiniment plus obscur, je suis mieux libre d'écrire ce que je veux. J'espère que je n'en abuse pas. La malveillance, je crois, n'est pas ma pente ( mais l'indignation, si )>>. On vois que Renaud Camus a une très juste analyse de l'angle pris par Matthieu Galey dans son journal (il est néanmoins probable que sa famille ait caviardé des passages la mettant en cause et également des lignes sur la vie sexuelle du diariste. Brenner écrit dans son journal le 23-10-1988: << Geneviève Galey a rétabli les trois quarts des morceaux que j'avais censurés.>>. Mais Renaud Camus ne peut s'empêcher de le comparer avec le sien. Dans le tome précédent de son journal, Vigiles, journal 1987, Renaud Camus lui aussi s'essaie au portrait au dépend de Matthieu Galey: << Je le tenais dans une certaine estime parce que lui qui ne manquait jamais d'assassiner mes livres à leur publication, me rencontrait-il le lendemain de son article, il me saluait très poliment, n'ayant pas l'air de m'en vouloir du tout de toutes les horreurs qu'il venait de déverser sur moi. Je voyais là la civilisation même, et lui rendait, bien sûr, très poliment son salut. J'en garde le souvenir d'un petit être chafouin, avec des manières de rat musqué; mais les photographies qu'on voit, montrent un assez beau garçon, pour moi très « envisageable » même. Un soir, dans une quelconque back-room, au B.H. Peut être, il y a quelques années, nous nous sommes nettement rapprochés l'un de l'autre, pour battre en retraite précipitamment, horrifié, à la première lueur de reconnaissance. J'ai connu plus intimement, en revanche, son ami T, qui une fois m'a ramené en voiture de la Côte d'Azur, avec étape au curieux hôtel Phénix de Lyon, qu'il m'a fait découvrir. Je lui dois également les Métamorphoses de Strauss, dont il cherchait désespérément un exemplaire dans Nice, je crois, et que je n'écoute jamais sans avoir une petite pensée pour lui Qu'est-il devenu? Je ne l'ai pas vu depuis des années. Il m'avait assuré fièrement que Matthieu avait toutes les chances d'entrer un jour à l'Académie, que même on lui avait déjà fait des ouvertures en ce sens.>>.
Ce journal ne se résume pas ni en une suite de portraits au vitriol, ni à une peinture des coulisses du monde de l'édition et de celui de la création littéraire. Sur laquelle il donne de merveilleux instantanés comme sur Modiano, le jour de son prix Goncourt: << Modiano, prix Goncourt. Je l’aperçois, gazelle traquée dans un petit bureau par une meute de cameramen et de photographes, l’oeil fou, hagard, comme un assassin qu’on vient de surprendre sur le fait… Entre deux portes, je lui parle cinq minutes, avec la difficulté ordinaire. il me dit avoir passé toutes les heures d’angoisse de ces jours-ci dans l’annuaire 1939 que je lui ai offert l’autre semaine. Soudain, il est « là-bas » dans son monde obscur des années noires, très loin de la foule qui s’agite autour de lui. Il m’interroge sur Jane Sourza et Django Reinhardt, mes voisins d’avant-guerre, comme si je les avais connus. Merveilleuse folie. >>.
Il rappelle aussi la grande liberté sexuelle des années 70, c'est un peu un « Trick » en plus édulcoré. Le sexe occupe l'auteur mais ne l'obsède pas. Il n'est pas un modèle de fidélité, c'est un euphémisme, ce qui ne l'empêche pas d'être sincèrement amoureux, surtout de ses deux compagnons successifs T. et Daniel.
Comme vous le savez, surtout si vous êtes à l'écoute de la vindicte populaire, je suis un peu pervers. Au milieu des célébrités qui défilent dans le journal de Matthieu Galey comme jadis, les vedettes dans les génériques de Sacha Guitry, j'ai repéré, à la date du 21 janvier 1960, un de ces prometteurs qui n'ont jamais tenu leurs promesses et qui ont fait pataplouf comme le disait un postulant malheureux à une sélection pour les futurs présidentielles. Le fait que ce peintre ait été cornaqué par Pierre Bergé, ce faiseur de gloire, qui lui aussi en est... de ce journal, a particulièrement attiré mon attention. Comme quoi tout ce que touche Bergé, contrairement à sa légende, ne s'est pas transformé en or. Qu'est devenu ce Francis Savel dont avec beaucoup d'efforts j'ai pu apercevoir, sur la toile, quelques tableaux que je situerais entre Buffet et Fougeron...
Quelques entrées sont des croquis de mondanités qui semblent être des notes pour l'épilogue du « Temps retrouvé ».
Matthieu Galet est également à l'aise dans la scène de genre: << Blain et son fils de treize ans. Il le palpe, le câline, le frôle, le prend par le cou, le serre, l'étouffe, éperdu d'amour: de la pédérastie légale. >> -6/11/1973- et pas non plus maladroit dans la critique express: << Enfin vu Cris et chuchotement. C'est plutôt râle et glapissement à mon goût. Mais un poème rouge et blanc sur la mort, tourné dans un musée. La fin sublime d'un certain cinéma de chevalet. >> -17/11/1973.
Je ne me suis pas cantonné à la seule exploration des journaux de Brenner et de Renaud Camus. J'ai tiré également de la poussière de ma bibliothèque celui de Morand mais si Matthieu Galey y est cité plusieurs fois c'est seulement comme convive et son nom n'est accompagné d'aucun développement. Peut être pour avoir plus d'informations faudra-t-il attendre la correspondance Morand-Chardonne dont Gallimard repousse l'édition d'année en année. Alors qu'ils ont au moins deux amis commun, Curtis et Brenner, aucune mention, à ma connaissance de Mathieu Galey dans le journal de Gabriel Matzneff (Mais je n'ai pas lu tous les opus, ce journal devenant de plus en plus ennuyeux à mesure que les années passent.) que Galey exécute à sa seul apparition dans son journal: << Matzneff, Léon Bloy de poche, dilettante et polémiste de droite, armé de latin et d'autosatisfaction, c'est un modèle qu'on ne suit plus en littérature. Soldé, il va passer directement du fond de tiroir chez l'antiquaire. Sa seule chance de survie: c'est le rossignol qui se mue le mieux en objet d'art.>>.
Dans le tome I de son journal, Claude Mauriac, le jeudi 21 mai 1953, donne son impression sur le jeune Matthieu Galey: << Ce matin, inauguration devant le 44 rue Hamelin de la plaque commémorant les dernières années de la vie que Marcel Proust (…) Un tout jeune homme se présente. Matthieu Galey, fils de Louis-Emile Galey. Je le vis autrefois à Rome, chez ses parents. Je suis touché d'apprendre qu'il est là par amour de Proust. Et je pense qu'à son âge, Jean Davray et moi aurions été capables de ce genre de discret et anonyme pèlerinage, où nous nous serions ainsi rendus, nos cahiers sous le bras. Me fait plus encore d'impression sa ressemblance non seulement avec son père, mais avec ses deux oncles, qui étaient en classe avec moi au lycée Janson, à l'âge qu'il a aujourd'hui. C'était le même oeil frisé, le même contentement de soi apparent. Mieux, c'était le même garçon...>> (in Le Temps Immobile I, pp.357-358, édition Grasset).
Claude Michel Cluny dans « L'or des Dioscures », le tome couvrant les années 1982-83 de son journal fait de Matthieu Galet un portrait express dont il a le secret: << L'air d'un minuscule lieutenant de hussard à peine vieillissant.>>. - L'or des Dioscures, page 197, édition de la Différence-
Claire Gallois a transformé Matthieu Galey en personnage de roman dans « L'homme de peine », paru en 1989, ce qui a scandalisé une partie du milieu littéraire. La sœur de Matthieu Galey a reproché à l’auteur sa démarche nécrophage. C'est surtout la médiocrité du texte qui est scandaleuse.
Aujourd'hui Matthieu Galey n'est pas oublié, il a créé, ce qu'il n'aurait pas pu envisager une sorte de club informel, de gens cultivés, un peu incertains qui puisent dans leurs interrogations, la force pour être des irréguliers élégants; l'un des plus représentatifs de ce cercle occulte est Christophe Honoré qui avait pris le journal de Matthieu Galey comme livre de chevet lors du tournage de son dernier film. Le cinéaste se souvenait: <<J’avais 19 ans, quand je l’ai lu, lecture appliquée comme devant un manuel de savoir-faire précieux. La galerie de Galey, Chardonne, Jouhandeau, Brenner m’installe dans la nostalgie. En 1989, combien d’heures ai-je passées à rêver aux vies des autres, et traîner la nuit dans les rues de Rennes, et lire, m’enfermer au cinéma. Combien de corps touchés chaque semaine. Une révélation de dimanche, grossière, attendue, mais malgré tout fatale, se met à me détruire : ma vie d’alors était pleine et vivante, qu’est-elle devenue ? Quand je réfléchis aujourd’hui à l’année qui s’annonce, peu de jours dans mon agenda où je n’ai pas à tenir des engagements. Le découragement règne, je sais désormais que mes années s’exécutent quand, avant, elles surgissaient. Un peu d’air frais, vite ! >>.
Il me semble que la personne dans le milieu littéraire avec lequel Matthieu Galet à le plus de ressemblance, tant par son oeuvre que par son attitude face à la vie, est Bernard Frank qui n'est pas tendre avec lui puisqu'il le décrivait comme << une petite fouine se glissant dans l'ombre de Brenner pour faire son beurre de célébrités, et assurer ses arrières avec Chardonne.>>. Autre style, autre portrait du même, cette fois par François Dufay: << Avant même d'avoir terminé ses étude à Science-Po, ce garçon de 1,67 mètre, aux traits émaciés, au regard proustien – hérité de la branche berrichonne de sa famille, et non de sa mère issue de la grande bourgeoisie juive, avait commencé à se glisser dans le milieu littéraire, filant sur son solex de générales en cocktails, tout en servant de nègre à Maurice Druon pour ses Rois maudits. Sous prétexte d'une recherche sur Radiguet, il avait sonné à la porte de Cocteau et autres vétérans des années vingt, tout en approchant les vedettes de l'heure, Françoise Sagan, Antoine Blondin, Jean d'Ormesson. Refusant de s'inscrire dans le Parti Unique du nouveau roman, ce jeune homme aux goûts classiques avait porté ses premiers essais, de curieuses nouvelles à la Jouhandeau ou à la Chardonne (en plus acide encore dira Poirot-Delpech, à Jacque Brenner, placide homme de lettres fumeur de pipe qui avait fondé en 1955 les Cahiers des saisons, ilot de résistance au nouveau roman.>> (ce brillant portrait comporte néanmoins deux erreurs, si Matthieu Galet a bien été le nègre de Druon, ce n'est pas pour les Rois maudits, mais pour son livre sur Alexandre; quant à Jean d'Ormesson en 1958, année où Dufay situe ce passage, si son nom est célèbre, lui est encore peu connu). Il n'empêche que jour après jour il fignolait son 'Journal', ce trésor qui somnola sa vie durant et ne fut découvert qu'après sa mort. Je ne peux que faire mien le jugement du très regretté François Dufay, l'auteur du «soufre et le moisi» qui écrivait: << Les deux tomes du Journal constituent un document irremplaçable sur le monde littéraire du XXe siècle. Mais c'est aussi un témoignage poignant sur une vie amoureuse marginale et sur un combat courageux contre la maladie.(...) Son oeuvre posthume pourrait bien survivre à celles de beaucoup de ses contemporains plus célèbres en leur temps.>>.
Nota
* Dans un article, dans l'Express du 3 mai 1980, aussi vachard que brillant que ne renierait maitre Angelo, article ajouté au journal dans l'édition "Bouquin" Galey épingle son confrère à propos de Buena Vista Park: << Bouvard et Pécuchet ont quitté Chavignolles: Ils vous envoient leur bons souvenirs de Californie, où ils ont dragué un autre petit couple, Vadius et Trissotin, qui s'y promenaient en blue-jean délavé au coin de "Castro and Market". Renaud Camus, tirant de son sac à dos dernière mode, a dû soigneusement noter leurs propos, tant ont les reconnait sous sa plume.>>
A propos du "Journal d'un voyage en France" de Camus, Matthieu Galey relève que << Malheureusement Renaud Camus n'est qu'un naif Narcisse intarissable; aucune aura ne transcende pour l'instant le quotidien de son existence (...) A mettre la charrue avant les oeuvres, on finit par confondre la littérature avec le déballage de marché aux puces. Quiconque brade ainsi ses petits secrets, pour l'immédiat plaisir de l'épate, est un écrivain qui mange son capital. Que ce bavard y songe: quand on a plus rien à cacher, on a plus rien à dire.>>.
On voit combien Galey dans son propre journal a su éviter les erreurs de son confrère. Il faut se souvenir qu'il parle là d'un des meilleurs tomes du torrentiel journal de Camus; que dirait-il aujourd'hui de ce qu'est devenu en fait la seule oeuvre de Renaud Camus, encombrée de considérations fumeuses sur la politique et de lamentations sur la dégénérescence de l'art des plombiers...
Commentaires lors des précédentes éditions de ce billet:
lesdiagonalesdutemps15/08/2013 10:10
Alcib15/08/2013 09:40
lesdiagonalesdutemps15/08/2013 10:02
15/08/2013 12:49
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JACK16/08/2013 11:16
Bruno18/08/2013 21:38
lesdiagonalesdutemps19/08/2013 06:51
18/08/2013 16:31
lesdiagonalesdutemps18/08/2013 20:44
17/08/2013 23:19
lesdiagonalesdutemps18/08/2013 08:58
Martial09/01/2017 13:03
Martial09/01/2017 14:43
lesdiagonalesdutemps09/01/2017 13:34
ismau18/04/2016 17:56
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lesdiagonalesdutemps14/04/2016 07:29
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lesdiagonalesdutemps12/04/2016 07:42
Alain09/04/2016 22:02
lesdiagonalesdutemps10/04/2016 08:37
xristophe09/04/2016 18:47
lesdiagonalesdutemps10/04/2016 06:58
Alcib15/08/2013 09:35