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Dans les diagonales du temps
18 février 2020

Le coup de Prague de Miles Hyman et Jean-Luc Fromental

Le coup de Prague de Miles Hyman et Jean-Luc Fromental

Jusqu'à récemment je doutais qu'un écrivain britannique puisse être un bon héros d'une oeuvre de fiction. J'avais été navré de la médiocrité des livres qui mettaient en scène Oscar Wilde avec cette idée totalement incongrue d'en faire un double de Sherlock Holmes et je n'avais pas tout à fait été convaincu, contrairement à l'habitude, par "Le mariage de Kipling" dans lequel François Rivière transforme l'auteur du "Livre de la jungle" en personnage de fiction; et puis, coup sur coup sont parus deux très bons ouvrages. D'abord "Les pièges de l'exil" de Philip Kerr, dont je vous parlerai sans trop tarder, et dont un des personnages principaux est Somerset Maugham et ce "Coup de Prague" qui est le sujet de ce billet et a pour héros Graham Greene (1904-1991) écrivain dont j'ai lu un grand nombre de romans, principalement lorsque j'étais adolescent. Il faut dire que Graham Greene est  un bon client pour un auteur en quête de romanesque. Sa personnalité était pour le moins atypique même dans les lettres anglaises où l'extravagance est de mise;  Catholique, il déclarait: << Vous n’avez pas idée de ce que je serais si je n’avais pas la religion. Sans l’assistance divine, je mériterais à peine le nom d’humain >>. Il fut incapable de quitter sa femme qu’il trompait avec une belle régularité. Mais il réussit à se faire excommunier ! Graham Greene fut aussi agent secret, grand voyageur, notoirement alcoolique, coureur de femmes, probablement homosexuel à temps perdu et surtout, un fabuleux auteur de thrillers sans oublier sa proximité avec les espions de Cambridge. Cité pendant des années comme probable prix Nobel de littérature, il ne l'a jamais obtenu (c'était un peu le Murakami des années 70-80). Peut-être que la diversité de ses "talents" ne l'a pas aidé auprès du puritain jury suédois... 

 

Dans un café viennois, Graham Greene questionne Elizabeth Montagu sur le réseau d’espions américains. 
DR

Dans un café viennois, Graham Greene questionne Elizabeth Montagu sur le réseau d’espions américains. DR

 

"Le coup de Prague" est basé sur l'un des nombreux épisodes aventureux de la vie de Graham Greene personnage très complexe comme le sont les autres protagoniste de cette histoire comme le dit très bien son scénariste: << C’est une histoire d’espionnage truquée jusqu’à son titre, puisque les deux tiers du livre se déroulent à Vienne et que le terme << "Coup de Prague" (…) désigne la révolution qui fit basculer la Tchécoslovaquie dans le giron soviétique en 1948. C’est le moment-clé où se déroule le récit: cette «semaine perdue» de Greene, qui, après quinze jours à Vienne pour le repérage de son film, se rend à Prague en toute discrétion sans qu’on sache vraiment ce qu’il va y faire.>>

Ce roman graphique est une sorte de making-off du fameux film que Carol Reed réalisa en 1949, "Le troisième homme" dont Graham Greene a écrit le scénario. Le livre, contrairement à ce que peut laisser penser le titre, se déroule presque exclusivement à Vienne au cœur du rude hiver de 1948. L'écrivain se rend dans la capitale de l'Autriche, qui comme Berlin est  alors divisée en quatre secteurs, tenus chacun par l'un des alliés, sous le prétexte d'étoffer son scénario. Nous allons ainsi suivre la genèse du « Troisième Homme » qui sera très périlleuse pour son scénariste. On devine dès les premières pages que la littérature et le cinéma ne sont pas les seuls raisons qu'a l'écrivain de venir à Vienne.

Le scénariste de ce roman graphique est Jean-Luc Fromental qui est aussi éditeur chez Denoël Graphic sera le coscénariste avec Jean-Louis Bocquet d’un prochain « Blake et Mortimer » qui sera dessiné par Antoine Aubin. Si l'on en juge par la qualité de cet album, on salive à l'avance pour ce qui devrait sortir de ce brillant attelage. Avec "Le coup de Prague", Le scénario de Jean-Luc Fromental nous emmène dans une Vienne qui en 1948 est un véritable nid d'espions au moment où la guerre froide, larvée depuis déjà plusieurs mois, va véritablement éclater avec la prise de pouvoir par les communistes à Prague. Nous sommes entre Eric Ambler et John Le carré. La bonne idée du scénariste est de nous faire raconter cette histoire par la belle jeune femme qui doit chaperonner l'écrivain dans une ville où chaque sortie peut être fatale. Il s'agit d'Elizabeth Montaigu, une ancienne actrice ayant travaillé pour les services secrets américains pendant la guerre, personnage réel que je ne connaissais pas. 

 

Graham Greene et Elizabeth Montagu dans Le Coup de PragueGraham Greene et Elizabeth Montagu dans Le Coup de Prague © Jean-Luc Fromental et Miles Hyman/ Collection Aire Libre chez Dupuis
 

Depuis la fin de la guerre,la dame travaille pour la London Films, la compagnie du réalisateur et producteur Alexander Korda qui lui aussi émarge aux services secrets britanniques (ce que je ne savais pas; est-ce une invention?) mais apparemment pas tout à fait dans la même obédience que Graham Green. Comme celui-ci vient d’engager Graham Greene pour écrire le scénario d’un film se déroulant à Vienne, Elizabeth est chargée par son employeur de guider le romancier anglais dans la ville, afin de lui permettre de trouver l’inspiration pour son histoire.

 

Détail d'une planche du "Coup de Prague" avec la roue viennoise dans laquelle est jouée un fameuse scène du Troisième homme avec Orson Welles et James CottenDétail d'une planche du "Coup de Prague" avec la roue viennoise dans laquelle est jouée un fameuse scène du Troisième homme avec Orson Welles et James Cotten © Jean-Luc Fromental et Miles Hyman/ Collection Aire Libre chez Dupuis

 

Le scénario du coup de Prague est plus complexe que celui du "Troisième homme". Il demande au lecteur une grande attention pour comprendre les péripéties de cette aventure où s'affronte les soviétiques et les occidentaux qui sont loin de marcher tous la main dans la main; à quoi il faut ajouter trafiquants de toutes sortes et anciens nazis désireux d'être exfiltrés vers l'Amérique du sud. Les multiples rebondissements de cette histoire tient sur 96 pages riches et denses et c'est un tour de force d'autant que les décors ne sont jamais oubliés. 

 

Le coup de Prague de Miles Hyman et Jean-Luc Fromental

Le style de Miles Hyman est immédiatement reconnaissable. Chaque case est un tableau qui semble avoir été exécuté à la craie grasse. Leur esthétique font plus penser aux tableaux d'Edward Hooper qu'a celle d'autres bandes dessinées. Je ne connaissais de Miles Hyman avant cet album que son adaptation du" Dahlia noir " d'Elroy et son art-book "Drawings" sorti en 2015.

Le coup de Prague de Miles Hyman et Jean-Luc Fromental

Les éditions Dupuis ont, en outre, eu l’intelligence de présenter à la fin de la bande dessinée, un dossier, signé Jean-Luc Fromental, consacré aux principaux protagonistes de l’histoire, ce qui aide à la compréhension de cette intrigue passionnante mais touffue et donne envie de revoir le film de Carol Reed, "le Troisième homme ". Ce précieux supplément permet d'envisager quelles sont les parts de faits réels, de suppositions ou de pures fictions dans le scénario. 

Le coup de Prague de Miles Hyman et Jean-Luc Fromental
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