Cela arrive malheureusement bien rarement, même pour un impénitent arpenteur de galeries comme moi, que l’on soit sûr en visitant une exposition que les tableaux que l’on voit, seront demain parmi les joyaux des grands musées d’art moderne, c’est incontestablement le cas avec Remix l’exposition de Baselitz à la galerie Taddheus Ropac. Je n’avais pas eu ce sentiment depuis l’exposition Bacon à la galerie Claude Bernard, il y donc bien longtemps...
Petit rappel sur le peintre: Georg Baselitz est né en 1938 à Deutschbaselitz qui sera bientôt en République Démocratique allemande.Il a 7 ans quand Dresde est bombardée. Son père, instituteur de campagne, a adhéré au parti nazi et est envoyé au front. A partir de 1946, c’est le catéchisme communiste de la RDA qu’il doit réciter. En 1956 il intègre une école d’art de Berlin où on essaye de lui inculquer le réalisme socialiste ce qui n’est pas de son gout. Il en est renvoyé pour manque de maturité sociopolique. En 1957 il passe à l’ouest et s’inscrit à la Hoschschule fur bildende kunste de Berlin ouest où il restera jusqu’en 1964. En 1961, il prend le pseudonyme de Baselitz, nom de sa ville natale. << Quand je suis passé à l'Ouest, tout dialogue avec ma famille restée à l'Est était impossible. Ma première exposition à Berlin-Ouest a tant fait scandale que je ne voulais pas nuire aux miens. C'est aussi l'un des privilèges de l'artiste que de se choisir un nom, s'attribuer un titre ou une particule s'il le souhaite. Maintenant que mon nom est connu, il est parfois rejeté. Les gens de mon village ne veulent plus entendre parler de moi depuis que j'ai dit dans un entretien que j'étais né dans un “petit nid crasseux sans église”>>. En 1961 et 1962 il publie deux manifestes inspirés par Antonin Artaud dans lesquels il se déclare pour un réalisme expressif contre l’abstraction. Sa première exposition personnelle a lieu en 1963...
Pourquoi, Remix, titre qui sonne un peu mode? Tout simplement parce que l’artiste a décidé de refaire certaines toiles peintes surtout dans les années 60, bien que les remix s’étendent aussi à des périodes plus récentes de son oeuvre, en remplaçant la matière épaisse d’alors par une peinture plus fluide, plus transparente. Ce changement a pour effet d’accélérer le geste et donne une impression de mouvements frénétiques aux personnage, effet particulièrement réjouissant pour les toiles érotiques. Il ne faudrait pas voir dans cette démarche un épuisement du peintre mais bien une variation sur un sujet comme le firent avant lui un Cézanne ou un Munch. Nous sommes à cette hauteur.
Ces réinterprétations de tableaux anciens qui étaient souvent eux même des détournements d’images entre autres pornographiques ou d’icones du réalisme socialiste, sont réalisées avec une fougue jubilatoire et juvénile. A la place des couleurs ocres d'hier qui s’étalaient en couches épaisses, Baselitz utilise désormais un tracé rapide. Il pose des couleurs frottées et acidulées à la va-vite et laisse le blanc de la toile apparent.
La figure maléfique d’Hitler rode dans l’exposition avec parfois la bitte à la main...
On comprend mieux le sentiment d’urgence qui se dégage des accouplement sur les tableaux quand on les voit, comme surveillés par l’ogre Adolf.
C’est sur trois niveaux que nous pouvons admirer les œuvres de Baselitz, au rez de chaussée dans un bel espace lumineux dans lequel cinq grandes toiles à la force peu commune sont bien mises en valeur, et au sous -sol pour les grands formats à l’huile tandis que les travaux sur papier, de dimensions plus petites, mêlant aquarelle et encre de chine, souvent préparatoire aux grands tableaux, se déploient au premier étage.
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Certaines des toiles avec leur accouplement urgent ont la paillardise et la santé éjaculatrice des derniers Picasso. L’homme et le peintre bande encore au soir de son parcourt et plus important, surtout il fait bander...
On découvre des télescopages iconoclastes comme la croix gammée et Mondrian dans une sorte d’hommage tourbillonnant au peintre batave.
L’exposition est l’alliance fructueuse entre les contraires, comme la rapidité d’exécution et la profonde interrogation sur l’art qui est à l’origine de ces peintures qui sont profondément intellectuelles et à la fois accessibles à tous.
Et puis quelle force dans les coups de brosse, quelle délié dans le dessin au pinceau, quelle compositeur de tableaux. Tout est à sa place, tout est neuf et pourtant, Baselitz ne renie rien de l’histoire de la peinture du XXème siècle. On voit passer Pollock, Mondrian, Mitchell, Otto Dix, De Kooning ...
Malheureusement la galerie Thaddeaus Ropac ne présente pas la totalité de ces “remix”. On se consolera avec le très beau catalogue d’un excellent rapport qualité prix, 30 qui lui les montre tous agrémentés de deux courts texte fort éclairants sur la démarche de Baselitz. On peut espérer un jour une grande rétrospective du peintre confrontant les différentes versions des tableaux.
On peut remarquer que trois des plus grands peintres contemporains Gerhard Richter, Polke, Penck ont connu la dernière guerre, l’effondrement de l’hitlérisme puis celle du communiste. Ils sont tous nés en Allemagne de l’est. La souffrance est elle nécessaire pour faire de la grande peinture?
Et si les grands peintres contemporains étaient de vieux peintres allemands?