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Dans les diagonales du temps
uchronie
19 février 2020

L'APPEL DU 17 JUIN D'ANDRÉ COSTA

 
 
L'appel du 17 juin d'André Costa est une uchronie comme son titre le laisse envisager et encore plus la couverture qui représente la une (imaginaire) du journal "L'écho d'Alger" du 22 juin 1940 titrant la France continue la guerre. Dans un encadré on voit en dessous un appel co-signé du maréchal Pétain et de Gaulle. A coté une photographie les montre passant conjointement les troupes en revue!. Le roman explore donc une autre réalité historique: si durant la bataille de France contre l'Allemagne en juin 1940 la république française n' avait pas accepté les closes drastiques de l'armistice imposées par les nazis. Qui dit uchronie dit point de divergence; ici, il se situe le 16 juin lorsque le général de Gaulle parvient à convaincre le maréchal Pétain de continuer les hostilités à partir d'Alger en s'adossant à l'empire. Le maréchal lance, le 17 juin, un appel à la résistance sur le territoire français de la métropole occupé. Ce qui change le cours de l'histoire. Une partie importante de l'armée française, hommes et matériel parviennent à s'embarquer dans les ports du sud du pays et rejoignent l'Afrique du nord dans la perspective de continuer le combat.
Les uchronies ne sont jamais neutres politiquement. Avec l'Appel du 17 juin, on a, à faire curieusement à une uchronie à la fois gaulliste et pétainiste puisque André Costa imagine que les deux militaires s'unissent pour diriger le gouvernement en exil de la République. Les deux figures historiques sont magnifiées, en particulier celle de Pétain, qui apparaît dans le livre de Costa déterminé et habile. "L'appel du 17 juin", qui est surtout une uchronie militaire, est une réhabilitation  de l'armée française de l'an 40 allant à l'encontre de l'idée largement partagée que militairement en 1940 la France était complètement dépassée. 
Si « L'appel du 17 juin » n'est pas exempt de défauts, ce n'est pas en raison d'une incompétence historique de son auteur qui semble tout savoir de l'époque dans laquelle il a ancré son roman. Il fait notamment preuve d'une grande érudition en ce qui concerne la stratégie militaire et les coulisses de la politique. Sur ce dernier point sa description des affres des membres d'une cellule parisienne du Parti Communiste après le pacte germano-soviétique le prouve. Costa fait reparaitre « l'Humanité », l'organe du PCF, sous la botte allemande. Dans la réalité si les démarches furent bien entreprises pour la reparution du journal, elles n'aboutirent pas.
Les descriptions des batailles navales sont remarquables; on croirait lire du Paul Chack, ce qui n'est pas un mince compliment dans le domaine. L'acmé de l'ouvrage est la bataille navale qui oppose la flotte franco-anglaise sous les ordres de l'amiral Darlan et la flotte italienne.  
La réussite d'une uchronie dépend en grande partie de la crédibilité de son point de divergence. Dans le cas présent ce point de divergence découle de la décision d'un homme, le maréchal Pétain. Celui d'André Costa est assez éloigné de ce que l'on connait du Pétain de 1940. Il était d'une part considérablement amorti, particulièrement influençable comme dans le livre de Costa, certes mais si dans notre Histoire il s'est fait influencé par Pierre Laval et non par le général de Gaulle. C'est tout simplement parce que Pétain avait un indéniable tropisme fasciste, où tout du moins salazariste qu'il avait contracté lors de son ambassade auprès du général Franco, sans oublier sa détestation du Front Populaire. Costa idéalise Pétain et sous estime le talent de Pierre Laval avec lequel Pétain avait en outre le point commun d'avoir été traumatisés par les pertes humaines qu'avait occasionné la Grande Guerre; ce qui les conduisit à un pacifisme allant jusqu'à l' aveuglement.
Si elle est souvent alerte, dans les prémices des descriptions de batailles, l'écriture de Costa s'encombre de considérations techniques et numériques. On a parfois l'impression de lire un morceau d'un rapport militaire. Si l'auteur est incontestablement doué pour faire parler et vivre les grandes figures historiques que sont de Gaulle, Pétain ou Churchill, il est beaucoup moins à l'aise en ce qui concerne des personnages de pure invention. Son mariage de l'uchronie et du roman historique feuilletonnesque n'est pas une réussite. Et ceci pour plusieurs raison, tout d'abord les créatures inventées par l'auteur ont une présence, surtout au début de son récit, trop sporadique. En outre ces figures sont aussi trop caricaturales. On ne parvient pas à discerner si le romanciers les a voulu emblématiques ou au contraire exceptionnels. Cette hésitation stylistique empêche le lecteur de rentrer en empathie avec elles. Les dialogues entre certains protagoniste donnent parfois des choses assez curieuses comme cette profession de foi d'un lieutenant de la SS à un de ses homologues français qu'il vient de vaincre, on se croirait dans certains Signe de Piste de la grande époque: << Notre force sera notre droit. Notre droit a ressuscité l'empire européen de Charlemagne où ni les juifs, ni les slaves, ni les arabes, ni les noirs n'auront droit de cité, non pas en raison d'une infériorité congénitale mais beaucoup plus simplement parce que notre culture et nos traditions ne sont pas les leurs!>>. A moins que l'on soit projeté dans le rêve de certains électeurs du Front National...
André Costa en réécrivant le passé ne manquait pas de prémonitions... Je rappelle que l'appel du 17 juin a été écrit en 1980. Plus loin le romancier fait dire à de Gaulle: << Pour que les français retrouvent le goût de la lutte et donc de la vie, l'ombre de la mort doit planer sur eux.>>. Je ne suis pas assez expert en gaullisme pour savoir si cette phrase a été réellement prononcée par le général mais elle me paraît à la fois bien vue et parfaitement gaullienne. A ce propos, si la narration de Costa est parfois un peu sèche, il parvient dès que le général de Gaulle, dont il a réussi à faire un formidable personnage de roman, entre en scène à lui donner toutes les couleurs d'une savoureuse épopée. On s'aperçoit vite à la lecture que l'on ne prendra pas l'auteur en défaut en ce qui concerne ses connaissances historiques. Ce qui ne l'empêche pas d'avoir un regard bien particulier sur l'histoire, par exemple il héroïse les figures militaires comme le de Lattre, Leclerc et ce qui est plus surprenant l'amiral Darlan! Plus étonnant encore il transforme Darnand en héros sans reproche et en un tueur de nazis qui paraît sortir tout droit de l'Inglorious basterds de Tarentino! Bien des figures historiques de premier plan ou non apparaissent dans le livre. Passe George Mandel, Jean Fontenoy récemment tiré de l'oubli par deux romans, « Fontenoy ne reviendra plus » et « Trois coupes de champagne » d'Yves Pourcher.
Je ne sais qui est cet André Costa dont c'est le premier livre que je lis. Est-ce le même dont je lisais jadis les papiers dans l'Auto journal; des signes vont dans le sens de cette hypothèse, entre autres un certain appesantissement sur la mécanique des engins militaires. En 1980, lorsque Costa écrit son livre, il ne devait déjà pas être un poulet de l'année, espérons qu'il soit toujours parmi nous; bien des pages sentent le vécu en particulier celles, trop rares, qui se rapportent au quotidien durant la guerre. On peut penser que le jeune clampin nommé Bernard Vallon pourrait être André Costa ou tout du moins sa projection idéalisée dans cette histoire alternative.
A la lecture on sent bien quelle jubilation a eu André Costa à dézinguer du nazi et à gagner la guerre tout seul à sa table de travail. Parfois devant la presque invincibilité des alliés je me suis souvenu de certains de petits formats de bande-dessinée qui faisaient les délices de mes dix ans tel « Battler Britton » dans lequel on aplatissait du nazi avec allégresse.
Espérons que ce livre dont le suspense est haletant jusqu'à la dernière page, malgré les scories dénoncées auparavant, sera bientôt réédité (en gardant la couverture de la première édition, voir le début de l'article). Pour ma part je l'ai déniché sur un site de vente de livres d'occasion par correspondance sur la toile pour quelques kopecks...
On peut penser que Costa a écrit l'Histoire telle qu'il aurait aimé qu'elle fut. Ce qui explique que cette geste un peu trop belle qui se termine sur un coup de théâtre, soit écrite avec autant d'allégresse. 
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18 février 2020

22/11/63 de Stephen King

22/11/63 de Stephen King

Subodorant qu'un grand nombre de mes visiteurs rechigne à s'enfoncer dans les tréfonds du blog, j'ai pensé que c'était une bonne idée que de republier le billet que j'avais consacré au livre de Stephen King alors que Canal + diffuse son adaptation. 

Adaptation qui au vu des trois premiers épisodes me parait tout à fait correcte. Il est vrai que la présence de Stephen King comme producteur exécutif et celle de JJ Abrams à la production devraient être la garantie d'une production soignée. Dans le rôle principal James Franco est crédible. Le seule reproche, mais on peut presque le faire à tous les films se déroulant dans les années 50, pourquoi ne montrer que des voitures rutilantes, Il y avait aussi à l'époque des guimbardes crasseuses. Je peux en témoigner. Ceci dit l'amateur de belles américaines se régale. 

 

22/11/63 de Stephen King

 

Je ne sais pas si Stephen King est un grand romancier (on peut le penser si on a lu qu' « Un élève doué ») ne l'ayant guère fréquenté (un peu tout de même), j'avais été assez vite découragé naguère par son style d'écriture raplapla, en revanche, comme beaucoup, je connais les romans de l'auteur grâce à leurs adaptations cinématographiques (je les presque toutes vues) dont j'ai beaucoup apprécié la plupart en particulier, ce n'est pas très difficile à deviner « Stand by me » (tiré de "Corps") mais aussi « Dead zone », « Shining »... Or donc, habituellement je passais à coté de ses productions, pas seulement en raison de la forme mais aussi du fond. Contrairement à la plupart de mes contemporains, semble-t-il, je goûte assez peu les histoires de serial killer et autres massacreurs, en particulier d'enfants, même si j'ai suivi avec constance la série "Dexter" et que je ne suis pas près d'oublier « Le corps exquis » de Poppy Z. Brite (édition J'ai lu).

Ce qui m'a attiré pour lire « 22/11/63 » c'est la possibilité d'une uchronie. Cette date, il est bien rare qu'un roman ait une date pour titre, est le jour où le président Kennedy fut assassiné à Dallas. Tout le roman tourne autour de cette date cruciale pour l'Amérique.

Nous sommes en 2011. Le héros de 22/11/63, Jake Epping est un bon prof d'anglais (comme King qui le fut quelque temps) trentenaire dans le lycée de Lisbon (9000 habitants au recensement de 2000), état du Maine. Il a l'habitude de manger dans un rade tenu par Al Templeton qui sert des hamburgers gouteux et peu chers. Au fil des ans les deux hommes sont devenus des copains. Un jour, Al, sentant sa dernière heure proche, il est atteint d'un cancer fulgurant aux poumons, décide de révéler à son ami un grand secret: Peu après son installation il a découvert, dans son arrière boutique un escalier menant à... 1958! Démocrate convaincu, itou pour Jake Epping, il lui est venu l'idée démiurgique de changer l'Histoire. Pour cela d'éviter l'assassinat de John Kennedy (d'où le titre du roman) mais la maladie venant il a décidé de passé le relai à son ami Jake. Ce dernier d'abord peu emballé, va finalement accepter le fardeau... Ne comptez pas sur moi pour vous révéler s'il va réussir dans sa o combien périlleuse entreprise car c'est cette interrogation qui vous fera tourner les 1000 pages de 22/11/63 avec avidité car si King n'est pas un grand styliste c'est un formidable raconteur d'histoires et un maitre du suspense.

22/11/63 de Stephen King
 

Je vous dirais juste que le narrateur de toute l'histoire est le héros principale et qu'il raconte ses souvenirs; on peut donc, à moins qu'il nous écrivent de l'au delà, qu'il s'est déjoué des pièges du temps... J'ajouterais que sur la longue route vers son objectif, Jake Epping voudra redresser quelques torts mais aussi, qu'il fera la rencontre de l’amour de sa vie...

L'écriture de Stephen King est fluide, ses phrases sont courtes et les mots simples qu'il emploie font de ce maousse pavé une lecture facile et agréable malgré ses longueurs. On peut se demander d'ailleurs pourquoi King fait si long, que je sache il n'est pas payé à la ligne comme les feuilletonistes français de la fin du XIX ème siècle et du début du XX ème, d'autant que la longueur du roman ne sert pas à épaissir ses personnages qui sont trop manichéens et souvent trop archétypaux. Cette propension à l'étalement est d'autant plus mystérieuse qu'à mon avis ses meilleurs histoires, « Un élève doué » et « Stand by me » sont développées dans des formats courts. Dans 22/11/63 on est donc fortement tenté de sauter des pages en particulier lors de la traque interminable d'Oswald pour accélérer le temps et filer vers le dénouement.

Chose très intéressante et surprenante dans le climat dans lequel fut écrit ce livre, en 2010, King n'est pas un adepte, au sujet de l'assassinat de Kennedy, de la thèse de la conspiration comme le sont tant d'autres, dont ses confrères Norman Mailer et James Ellroy. King s'en tient à la version officiel du tireur unique: Lee Harvey Oswald. C'est d'autant plus étonnant qu'il a écrit un roman clairement complotiste: Charlie (1980).

Les noms de Mailer et d'Ellroy me donne l'occasion de comparer des styles d'écrivains ayant traité un même sujet, en l'occurrence le drame de Dallas. Si je persiste et signe en réitérant l'évidence que King écrit platement, ce qui devrait faire hurler ses inconditionnels, si toutefois il y en a qui lisent ces lignes, ce qui est douteux. Je me suis aperçu que les lecteurs d'auteurs tel que King ne supportent pas que l'on critique leur idole car ils pensent en toute bonne fois que c'est le summum de l'écriture pour la bonne raison qu'ils ne lisent que des romans dit de genre. En ce qui me concerne, ignorant cette notion fallacieuse de genre, j'évalue l'écriture de King à l'aune de celle de Proust, Balzac, Conan Doyle, Joyce, Truman Capote... enfin de tous les écrivains dont les oeuvres s'empoussièrent plus ou moins sur les rayons de mes bibliothèques. Donc je répète que le plaisir de la lecture chez King ne vient pas de l'agencement des mots ni même de l'invention romanesque mais de son talent dans la construction de ses romans, de la justesse de ses observation et de sa facilité de lecture. Comparons le donc sans apriori à ses deux compatriotes pré cité sur le sujet de l'assassinat de Kennedy. Si Norman Mailer a écrit un chef d'oeuvre avec « Les nus et les morts » on peut se dispenser de lire le reste de sa production et en particulier son livre sur l'affaire Kennedy Oswald. Un mystère américain (Oswald's Tale: An American Mystery), 1995, dans lequel l'esprit obscurcit par ses marotte politique il en a complètement oublié la littérature. C'est encore pire avec Ellroy qui après avoir écrit sa magistrale première série la Trilogie Lloyd Hopkins et le formidable « dahlia noir » s'est mis dans la tête d'écrire comme John Dos Passos et n'a plus fabriqué que des livres illisibles. Il est donc préférable de lire 22/11/63 de King si l'on veut avoir une idée de l'Amérique de ce temps là. Sur le plan historique, 22/11/63 sonne toujours juste, quand par exemple éclate la crise des missiles, c'est comme si vous y étiez. La reconstitution doit s'appuyer sur des recherches trapues, mais jamais le poids des informations nuit à la fluidité de l'histoire. Sauf méconnaissance (et elle est grande) tous les événements rapportés semblent rigoureusement exacts à l'exception semble-t-il d'un combat de boxe qui aurait opposé Dick Tiger à un certain Tom Case en août 1963. Case n'a jamais existé. Mais le reportage sur cette confrontation est un beau morceau de littérature sportive.

 

22/11/63 de Stephen King

Sans connaître tous les détails de la biographie de l'auteur, on peut subodorer que ce roman est aussi un voyage dans l'enfance de King, il est né en 1947, dans ce qui le faisait rêver quand il avait 10 ans, les voitures (la mythique Ford Sunliner), la musique (les Everly Brothers), les jus de fruits, les cigarettes... Toute l'ambiance du Corps (extrait du recueil Différentes saisons), adapté au cinéma en 1986 sous le titre « Stand by me ».

La traduction est due à Nadine Gassie. Elle semble honorable même si une relecture supplémentaire n'aurait peut être pas été inutile, mais bon plus de 1000 pages, soyons indulgent. Notons tout de même que la traductrice semble fâchée avec la forme négative de la conjugaison, ce qui n'est pas gênant dans la bouche édentée d'un plouc du Texas mais un peu bizarre dans celle d'un professeur d'anglais du Maine.

Si on peut considérer 22/11/63 comme un roman en marge de la production de l'écrivain, on retrouve néanmoins beaucoup des thèmes habituels de Stephen King, l'amitié entre deux hommes, comme dans « Un élève doué », après tout c'est d'abord par amitié pour Al que Jake se lance dans cette folle aventure, l'enfance et la jeunesse dans les année 50, comme dans « Stand by me », la folie meurtrière, comme dans presque tous ses livres, le massacre en passant de quelques enfants comme dans nombre de ses histoires... Il y a même quelques clins d'oeil à ses anciens romans comme cette voiture qui tient un rôle dans 22/11/63 et qui ressemble étrangement à « Christine ». On retrouve aussi la ville de Derry (une des villes imaginaires de King; un concentré d’Amérique dans un petit bled paumé) dont on a pu déjà arpenter les rues dans « ça »...

Dans cette rue grise avec l'odeur des fumées industrielles dans l'air, et l'après-midi saignant sa couleur de crépuscule, le centre ville de Derry était à peine plus séduisant qu'une putain morte sur un banc d'église.

 

King jaloux d'Irving? J'ai ressenti à lecture de ce thriller fantastico-historique la velléité de Stephen King d'échapper au roman de genre. Un peu comme Simenon a voulu un temps écrire des romans « sérieux ». Il me semble que ce ne serait pas une bonne idée pour Stephen King tant 22/11/63 démontre qu'il n'en a pas les moyens littéraires s'il excelle dans les scènes d'action, les moments forts de son intrigue, il ne sait pas gérer les moments faibles et ses mièvres scènes d'amour et de tendresse évoquent plus les romans du style Arlequin que tout autre livre. Ce qui ne veut pas dire que l'on ne puisse pas être ému par un roman Arlequin lorsque c'est Stephen King qui l'a écrit. Ce qu'il fait très bien en revanche c'est de camper le monde des gens modestes des petites villes américaines. Stephen King est un bon auteur naturaliste. On a parfois l'impression, et c'est le meilleur du livre, d'entendre King, lors d'une soirée, attablé avec lui dans un « diner » du Maine, nous raconter tous les potins du bled.

22/11/63 de Stephen King

22/11/63 est un roman que l'on peut qualifier de gauche. Stephen King croit en l'homme et encore plus dans le peuple. Il aime les gens, un peu comme Sturgeon (je ne cite pas ce nom par hasard...). De gauche à l'américaine, Stephen King n'est en rien marxiste par le fait même de croire que la mort d'un homme peut changer l'Histoire, pas de sens de l'Histoire Marxiste ou Hégélien dans son récit. King semble adepte du déterminisme historique ce qui n'est pas tout à fait la même chose. L'excellente fin du livre donne plutôt paradoxalement l'envie d'être Républicain (pour ceux qui ont déjà lu le roman, je rappellerai que le gouverneur George Wallace était issu des rangs démocrates.).

Il est coutumier aujourd'hui d'accoler le qualificatif de postmoderne à nombre d'écrivains sans que cela veuille dire grand chose dans la plupart des cas. Mais curieusement je n'ai jamais encore vu associé cet adjectif à Stephen King. Pourtant, il me semble qu'il n'est pas oiseux de le lui appliquer à propos de « 22/11/63 ». Le fait qu'il est pris habilement comme héros un professeur d'anglais a sans doute masqué la chose, pourtant bien des péripéties (certes annexes) du roman rappellent par exemple certaines que l'on rencontre dans le dernier ouvrage de John Irving « A moi seul bien des personnages ». mais ce roman est paru aux Etats-Unis un an après celui de Stephen King qui mentionne le nom d'Irving dès la deuxième page de son livre. Troublant. Notre professeur d'anglais cite, toujours à très bon escient, une palanquée d'écrivains, Steinbeck, Irving Shaw, Norman Mailer, Ray Bradbury, Mac Donald... (on s'aperçoit que ce graphomane de King est aussi un gros et bon lecteur) qui ne me paraissent pour la plupart, pas avoir de rapports, même lointains avec « 22/11/63. En revanche lorsque j'ai terminé la lecture du roman, je me suis souvenu que vers le milieu est apparu celui de Balzac. Je me suis demandé, en regard aux nombreux personnages du livres, dont la plupart n'ont aucun rapport avec l'intrigue principale, si Stephen King n'avait pas l'ambition inconsciente d'écrire une sorte de Comédie Humaine (je rappelle que le livre compte 1000 pages) de l'Amérique du début des années 60.

22/11/63 de Stephen King

Comme dans toutes les histoires de voyages dans le temps, Jake Epping va se demander si la moindre de ses actions, mêmes les plus minimes, n'auront pas de graves conséquences sur l'Histoire ou plus modestement sur la vie de personnes qu'il a croisées, le fameux effet papillon. Littérairement c'est une bonne affaire pour l'auteur qui a trouvé ainsi un ingénieux procédé narratif, pour que son histoire s'auto-alimente habilement (d'où en partie l'épaisseur de l'ours) car tout bouleversement du passé , aussi infime fût-il , induit forcément d'inévitables altérations futures...

Comme je l'ai écrit précédemment ce roman est une possibilité d'Uchronie mais c'est en réalité un classique voyage dans le temps. A la différence de la plupart des récits de ce genre notre voyageur temporel n'est pas ici un touriste, un historien comme chez Connie Willis, ou un voyageur spatio-temporel professionnel comme dans « La patrouille du temps » de Poul Anderson. Il est même l'exact négatif des héros des nouvelles de Poul Anderson (quoique). Ces derniers ayant pour mission d'empêcher que l'Histoire diverge de celle que nous connaissons. Jake Epping, tout au contraire, désire faire dévier « notre » Histoire en faisant que Kennedy ne soit pas assassiné. « 22/11/1963 » n'est pas le seul roman dans lequel le héros veut changer l'Histoire pour « l'améliorer ». On peut citer « Le faiseur d'histoire » de Stephen Fry où l'on voit un personnage tenter qu'Hitler ne naisse pas mais comme dans le livre de King l'Histoire s'avère têtue... Autre différence majeure avec beaucoup de récits de ce type, mais pas tous, assez rapidement, le héros ne va plus désirer revenir à son époque mais vouloir vivre dans le passé. Non pourtant qu'il idéalise ce « bon vieux temps ». Ce roman peut faire rêver le lecteur car la plupart d'entre nous, au moins une fois dans notre vie, a désiré changer d'existence, en vivre une seconde mais comme dans « L'échange » d'Alan Brennert, Jake Epping s'aperçoit que ce recommencement n'est peut être pas meilleur que sa vie initiale. Il y a un pessimisme profond qui transpire de ce thriller où l'on voit qu'il est difficile d'échapper à un destin, à une sorte de fatalité, à une vie qui serait en quelques sorte partiellement pré-écrite. Il faut préciser que l'auteur paraît parfaitement agnostique et que les dénonciations de la bigoterie sont nombreuses. Il reste que comme tout américain ayant biberonné la bible avant ses premières dents cela laisse des traces... Jake Epping est parfois saisi d'un doute et si le fait d'empêcher la mort de Kennedy le 22 novembre 1963 ne changeait pas l'histoire et qu'il soit assassiné quelques jours plus tard en un autre lieu. Il aurait vécu autant de souffrance pour rien, car il en bave notre gentil professeur.

Un des aspects les plus intéressants du livre, essentiellement dans son premier tiers, réside dans les comparaisons que fait le héros entre l'époque d'où il vient, 2011, et l'époque où désormais il vit, la fin des années 50 et le début des années 60. Ce parallèle doit avoir encore plus de saveur pour des américains ayant connus ces deux époques. Pour faire vite, il trouve que 1958, pue horriblement, que la ségrégation racial et le racisme sont bien installé mais qu'il y a une plus grande solidarité entre les gens, que les objets que l'industrie produit sont plus beaux et d'une meilleure qualité et que ce que l'on mange est plus savoureux qu'en 2011.

Si Stephen King a écrit somme toute un classique récit de voyage dans le temps et a beaucoup emprunté à ses prédécesseurs, de façon inconsciente ou non, il apporte néanmoins à cet exercice quelques nouveautés, c'est le charme et la condition obligée du postmoderniste si celui-ci ne veut pas être qualifié de plagiaire. Il introduit le fait que dans la vie beaucoup d'évènements qui jalonnent notre existence ont des échos, des sortes de répétitions, un éternel retour (approximatif) pour employer concept connu. L'auteur toutefois peine a donner un sens à ce phénomène.

Je conseillerais vivement ce pavé aux passagers embarqués pour un vol de longue durée du Type Paris-Tokyo, Los Angeles ou Djakarta (vols que j'ai utilisés), il devrait vous faire le voyage, ainsi qu'aux étudiants de tous niveaux devant se pencher sur l'Histoire et les mentalités en Amérique au milieu du XX ème siècle. Ils en apprendront plus dans 23/11/63 que dans bien des essais et passeront un plus agréable moment.

 

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