LA COLLECTION MICHAEL WERNER AU MUSÉE D'ART MODERNE DE LA VILLE DE PARIS
Les allemands ont bien de la chance, d'abord ils ont une industrie en bonne santé et ensuite les capitaines de celle-ci se font volontiers mécène en créant de belles collection qui ne sont pas peuplée, comme celles de leurs rares homologues français, d'art bling bling que la petite coterie de leurs conseillers leur a poussé à acheter mais de véritables oeuvres d'art modernes et contemporaines notamment d'artistes de leur pays (ce qui explique en partie la vitalité de la peinture allemande), choisis avec discernement et montrant un véritable regard sur l'art du XX ème et XXI ème siècle (voir également à ce propos mon billet sur chefs-d'oeuvre du musée Frieder Burda au musée Granet d'Aix en Provence ). On peut en voir un magistral exemple avec l'exposition de la collection Michael Werner exposée jusqu'au 3 mars 2013 au Musée d'Art Moderne de la ville de Paris. Cette exposition se tient à l'occasion de la donation que Michel Werner fait au musée parisien.
Je tiens à préciser que les photos étant interdites celles qui illustrent mon billet sont parfois d'une piètre qualité, elles ont été prises en déjouant la vigilance des navrants cerbères qui sont théoriquement payés pour garder l'exposition. Mes images sont la seule source d'illustration car il n'y a pas encore de catalogue ni d'affiche et aucune carte postale est à vendre à la boutique du musée! J'aurais souvent photographié d'autres pièces mais j'en ai été empêché.
C'est un personnage maléfique bien connu des amateurs de cinéma d'horreur, du au pinceau de l'américain Don Van Vliet, qui a été l'une des deux révélations de l'exposition, j'y reviendrai, l'autre étant Jorg Immendorff, deux artistes que je ne connaissais pas, qui nous invite à pénétrer dans l'exposition.
Francis Gruber
sculptures de Derain
On poursuit par les salles dévolues à ce que l'on peut appeler les marginaux de l'Ecole de Paris, une contenant les oeuvres de l'artiste qui m'a conduit à visiter la manifestation, Francis Gruber (1912-1948), artiste qui j'en suis certain serait devenu un des plus grands peintres français du XX ème siècle si la tuberculose ne l'avait pas terrassé à l'âge de trente six ans. Je veux croire qu'il n'aurait pas eu la triste destinée picturale de Bernard Buffet alors artiste proche du style et des préoccupations artistiques de Gruber. En plein essor de l'abstraction de l'Ecole de Paris, Gruber fut longtemps le seul à croire en la représentation de l'objet. Il dépassait sans le savoir la querelle stérile et mortifère pour l'art français entre les tenants de l'abstraction et ceux de la figuration qui fera rage durant vingt ans. Je ne voit que Rustin, lui aussi scandaleusement ignoré par les institutionnel pour avoir repris le flambeau de Gruber. Le centre de la salle où est exposé les Gruber, est occupé par des sculptures de Derain entre sculpture antique et masque africain.
L'ensemble représentant Fautrier est de première grandeur et surprenant car s'ajoute à ses peintures bien dans sa manière, j'ai remarqué particulièrement son paysage de Port Cros (immédiatement ci dessus) qui m'a fait penser à un Hartung, un grand nombre de dessins au trait plein d'énergie, l'énergie est le point commun qui ressort de nombreuses oeuvres exposées.
Chaissac
Les Chaissac font plaisir à voir d'autant qu'ils suivent une série de tableaux dont la gaité n'était le but recherché.
Louis-Michel Eilshemus
Après avoir vu les Picabia triviaux et plein de santé, bien représentatifs de sa période de la guerre, on laissera à Duchamp génial malfaisant pour l'art, les toiles de l'américain Louis-Michel Eilshemius, il parait qu'il aimait ces croutes, sans doute pour mieux dynamiter la peinture.
Je suis passé vite devant les fariboles de Bernard Réquichot pour arriver sur de belles suites d'Otto Dix et de Gunter Brus puis sur d'extraordinaires grands "dessins" de Fontana, faits au pinceaux dont les vigoureuses courbes noires de ces nus peut faire présager la violence des lacérations qui fera ensuite la gloire de l'artiste.
Picabia
Comme je n'ai jamais été dupe des vantardises de Beuys ni des turlupinades de Byars et de Filliou, j'ai traversé à grande enjambés la salle suivante pour me réfugié dans une petite pièce où l'on peut voir un magnifique Villeglé bien accompagné par de beau Raymond Hains et un splendide Rotella assez inhabituel. Tout près de là une autre petite enclave à la lumière tamisée abrite une très belle série d'encres de Michaux.
Villeglé
Rotella
Ensuite nous ne verrons presque qu'exclusivement des oeuvres d'artistes allemands contemporains. On commence par des grands Baselitz qui voisinent avec des oeuvres vigoureuses de Shonebeck, de Schroeder-Sonnenstern et d'Antonius Hockelmann.
Baselitz
Je crois que je n'avais jamais entendu parler de Jorg Immendorff (1945-2007), ce qui doit dénoter de ma grande ignorance et du provincialisme dans lequel croupi l'art français. A n'en pas douter c'est un immense artiste qui dans la droite ligne d'Otto Dix. Il mâtine ses toiles d'une touche de pop art et d'Erro et de Segui. C'est particulièrement réjouissant bien que largement codé et un peu difficile pour nous car contenant de nombreuses références à la politique et au milieu intellectuel allemand. Les sculptures de Lehmbruck structurent l'espace où se déploient les tableaux d' Immendorff.
Immendorff
Autre choc, celui provoqué par les peintures et les sculptures de Markus Lupertz qui disent tout le bonheur d'oeuvrer avec la matière loin des contingences de l'actualité, l'antithèse d'Immendorff. Pourtant l'artiste n'est pas toujours informel. Il isole parfois des éléments du réel qu'il va travailler, dupliquer, faire changer d'échelle...
Luperzt
Puis on arrive à un autre géant de la peinture contemporaine allemande Penck (né en 1939).
Penck
Quel plaisir de voir dans un musée français, même si c'est au sein d'une collection allemande, deux tableaux d'Eugène Leroy (1910-2000). Artiste scandaleusement ignoré de son vivant par la nomenclatura de l'art de son pays.
Leroy
Ces deux chefs-d'oeuvre exposés ici, qui ont peut être "muri" des décennies dans l'atelier de l'artiste, sont accompagnés de nombreux dessins du peintre qui font penser à des dessins de sculpteur, mais les toiles de Leroy ne sont-elles pas des sortes de sculptures d'ou immerge une forme des couches de peinture, déposées au fil des ans.
N'étant ni friand de Polke ni de Toroni je suis allé rapidement voir la salle des Van Vliet (1941-2010). J'ai découvert que sous ce nom se cachait aussi celui du Captain Beefheat qui a écrit une page de l'histoire du rock.
Van Vliet
Je terminerais cette recension bien incomplète de cette très riche et copieuse exposition par un grand peintre, encore assez méconnu en France, le danois Per Kirkeby (né en 1938). Cet artiste a réussi à réhabiliter dans la culture germanique la tradition nordique et germanique. Comme chez Leroy, mais avec des moyens tout différent, le sujet n'apparait pas immédiatement dans les tableaux de Kirkeby, choyé qu'il est dans l'abondance de la pâte et le moelleux des couleurs, ce n'est que lorsque l'on prend du recul qu'il se met en évidence.
Kirkeby
Paris, octobre 2012
Je ne peux qu'encourager les amoureux de la peinture à visiter cette exposition qui sera pour beaucoup une révélation, tant le public français est laissé dans l'ignorance des grands artistes de son voisin allemand et tant les commissaires de nos expositions ignorent la deuxième école de Paris.
ismau13/01/2017 11:59