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Dans les diagonales du temps
3 avril 2020

souvenirs sur Roger Peyrefitte (2), 9 avenue du Maréchal-Maunoury

W.V.D.M. a bien voulu, pour notre plus grand plaisir continuer d'égrainer ses souvenirs à propos de Roger Peyrefitte:

  

Quelque part dans la deuxième partie des années quatre-vingt, j'ai pu contacter Roger Peyrefitte par l'intermédiaire d'un ami mutuel. Et dès lors nous sommes entrés  en une correspondance suivie. J'avais l'espoir de rencontrer un jour l'auteur des "amitiés particulières" pour lui dire toute mon admiration pour son premier livre. Heureusement une telle invitation ne se fit pas attendre et quelques mois plus tard je profitais d'un voyage d'affaires à Paris pour aller le voir un samedi.

Nos quelques rencontres chez lui se déroulaient chaque fois de la même manière. J'était reçu par sa vieille bonne Portugaise ou Espagnole (plus tard par le fils de cette dernière, qui lui a succédé), et elle/il me plantait sur un divan peu confortable dans la salle à manger avec vue sur l'avenue du Maréchal Maunoury, où Peyrefitte habitait un appartement spacieux  au rez-de-chaussée. Dans la "salle d'attente" on pouvait admirer plusieurs tableaux de Gaston Goor aux murs et sur les panneaux de la porte qui donnait sur sa chambre (j'ai consacré un billet à Gaston Goor Gaston Goor). On y voyait, entre autres, aussi un petit tableau de Salvador Dali, un petit Miro, si je ne me trompe pas, et une assez abominable peinture d'Amanda Lear, l'épouse de Alain-Philippe.

 

Goor-Peyrefitte01.jpg

  

Le maître entrait,  un homme frêle et d'une taille de quelques centimètres en dessous de mon 1.75m (J'ai appris, lisant "L'enfant de cœur", qu'Alain-Philippe avait ma taille).  Une accolade joyeuse suivait et on parlait un peu jusqu'au déjeuner; lorsqu'il était servi nous prenions place côte à côte, avec notre écrivain à ma droite. La plupart de mes visites à Paris finissant le dimanche, nos rendez-vous  se déroulaient toujours le samedi. Et comme le déjeuner pour ce jour de la semaine était immuablement une purée de pommes de terres avec du foie de vaux suivis d'une salade, le tout arrosé d'eau plate, je n'ai pas pu découvrir les autres talents culinaires de la bonne et plus tard de son fils. Peyrefitte était bavard, pas une minute de silence. Beaucoup d'anecdotes et de questions. Par exemple il voulait savoir si je connaissait un tel de mes compatriotes et à ma surprise j'en connaissais quelques-uns  de vue et un personnellement. Tous "naturellement!" adeptes des amours garçonnières et à son avis, ci-inclus notre alors ex-prince consort. Et le prince de Lignac (titre acheté au Brésil) est-t-il juif avec ce prénom d'Abraham ? Et votre particule, cela veut dire que..? Désolé, ce n'est pas le cas. Oh. Voilà quelques de ses intérêts caractéristiques en quelques mots.

Pour avertir la bonne qu'elle pouvait desservir, il devait presser un bouton sous la table avec le pied, mais à cause de sa maladie de Parkinson (alors encore peu visible) cela pouvais parfois faire croire qu'il était en train de chasser une souris!

 

Goor-Peyrefitte02.jpg

  

Ensuite il me ramenait par le hall peuplé de nombreuses colonnes et statues (dont une callipyge/belles fesses), comme si jamais la déconfiture financière de son jeune ami chéri avait eu lieu, et partout des pommes de pin qu'il ramassait lors de ses longues promenades dans le Bois de Boulogne. Sur une porte qui donnait sur la salle de bain ou la cuisine, il y avait encore une grande peinture qui représentait une architecture Romaine avec des statues et en avant un escalier avec tous les livres écrit par Peyrefitte; un Amour nu y feuilletait "Les amitiés particulières" dans l'édition illustrée par Goor. Mon hôte me racontait que depuis la mort de Goor, en 1977, un autre peintre y ajoutait les livres, dont il avait accouché depuis.

 

Il me faisait entrer dans son "bureau", dont les murs étaient aussi garnis de tableaux (mais si je me souviens bien sans Goor) que ceux de la salle à manger et du hall; ce qui me plaisait beaucoup parce que je suis collectionneur moi-même et connais le problème qu'il manque toujours de la place aux murs ou dans les vitrines pour les nouvelles acquisitions sans y retirer des plus anciennes. Quand je lui parlait de cette lutte pour trouver de la place pour les achats nouveaux, il disait en riant que tout Paris était convaincu que ses murs étaient vierges après ses ventes publiques. Entre les fenêtres il y avait son bureau, couvert de choses intéressantes, des photos et un bronze de la tête d'Alexandre le Grand de la main d'Arno Breker. Cet Alexandre ressemblait plutôt à un allemand qu'à un méditerranéen. R.P. s'asseyait dans son fauteuil, qui était plutôt une sorte de chaise longue, il mettait un plaid sur ses jambes car il était continuellement frileux. J'étais assis dans un fauteuil à ses pieds. Autour de nous il y avait d'autres fauteuils, sur un on voyait son Voltaire en deux tomes, sur un autre était posée la fameuse boîte qui contenait les dessins du Satyricon, que mon hôte avait commandés à Gaston Goor.  Cette boîte avec sur le dessus un jeune garçon nu en papier mâché, avait été réalisée par Goor qui était aussi un grand bricoleur. Cette boite n'était pas là par hasard, car notre écrivain m'avait promis de me la montrer. Il me racontait que la production des illustrations avait été difficile. Certaines fois Goor arrivait avec plusieurs dessins et la fois suivante avec seulement un, où les mains vides pour expliquer  encore un arrêt temporaire. En plus tous les dessins devaient être contrôlés minutieusement, car Goor était dyslexique selon Peyrefitte. Nous savons maintenant grâce aux lettres du peintre à Renaud Icard que Goor ne l'était pas du tout, mais que probablement il ne connaissait pas le latin et faisait des erreurs dans les textes qui accompagnaient les dessins. En tout cas il est clair que l'accouchement des illustrations pour le Satyricon à été un laborieux.

Ensuite Peyrefitte se levait et à nouveau assis côte à côte nous regardions et commentions longuement  les trésors que contenait le coffret qui n'était pas la boîte de Pandore...

À un certain moment je sentais le besoin de me retirer un instant et mon hôte m'accompagnait vers l'endroit qui est fait pour de telles besoins. À ma grande surprise je me trouvais dans un débarras sans luxe, plutôt délabré avec les murs pleins de peintures et de dessins de troisième catégorie que ses admirateurs, inspirés par ses livres, lui avaient envoyés. Dans un coin on trouvait le « trône ». J'étais assez vexé qu'il m'offrit le cabinet pour la valetaille, mais plus tard j'ai lu dans "L'enfant de cœur" qu'il s'agissait de l'ex-salle de bain et que seulement ses proches avaient droit à la nouvelle salle de bain.

 SATYRICON.jpg

  

Mes visites suivantes se déroulèrent selon le même scenario. Je ne suis jamais entré dans son salon, ni dans sa salle de bain. Mais il m'a montré sa chambre, située entre la salle à manger et son "bureau",  avec un lit énorme couvert d'une fourrure, et sur un mur fait par Goor le très beau portrait en pied et nu, grandeur nature d'Alain-Philippe agé d'une quinzaine d'années. A propos de ce dernier: j'ai assisté a un coup de téléphone d'Alain-Philippe, où notre écrivain laissait tomber le mot chéri tous les dix secondes. Après leur conversation il me disait à bout portant que le mariage de son ami avec Amanda Lear était bien sûr un mariage blanc, mais très important pour le bien d'Alain-Philippe. Et ensuite il me confessait qu'Alain-Philippe avait été très malheureux quand il avait révélé dans un de ses livres que le nom aristocratique, qu'il portait fièrement, n'était pas son nom de naissance mais celui d'une aristocrate Belge, dernière de sa lignée, qui l'avait adopté afin de ne pas faire s'éteindre ce beau nom avec sa mort.

 

La dernière fois que je visitais Roger Peyrefitte, je le rencontrais dans la rue près de son appartement. Je vis un vieux monsieur dans un duffel-coat usé qui revenait de sa promenade journalière au Bois.

Je constatais avec compassion son déclin physique et de l'aspect de l'homme, qui avait écrit dans un de ses livres avoir été proclamé l'écrivain le mieux habillé de Paris. Je vis ce jour là qu'il négligeait sa toilette, se rasait mal le cou et qui me recevait avait la braguette ouverte et ceci sans aucune allusion érotique. Il ne lui restait pour cela que son masseur, qui lui massait "divinement" les fesses... 

Heureusement j'avais amené quelques livres pour les faire dédicacer et il l'a fait superbement, prenant tout son temps pour trouver pour chacun un chaleureux texte. Je ne l'ai pas revu...

 

Je lui suis très reconnaissant de m'avoir supporté ces après-midis, quand il faisait d'habitude sa sieste, et aussi de m'avoir montré toute sa collection d'œuvres de Gaston Goor. Après son décès j'ai pu acheter deux dessins de Goor que je connaissais déjà de mes visites au 9, avenue du Maréchal-Maunoury.

 

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Commentaires
P
Merci pour le partage de ces souvenirs.
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M
Le premier volet arrive. Je me suis trompé dans l'ordre de la parution.
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B
Merci pour le partage de ces bien sympathiques souvenirs. Le premier volet manque ? <br /> <br /> Merci pour vos billets
Répondre
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