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Dans les diagonales du temps
27 mars 2020

Septembre absolu, journal 2011 de Renaud Camus

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Renaud Camus commence bien son journal en le mettant sous les hospices de deux grands artistes Dukas avec un vibrant éloge de sa sonate (il serait merveilleux que l'éditeur adjoigne au livre sa bande son, même réclamation pour deux auteurs lus récemment Claude Arnaud et Murakami) et surtout Leroy qu'il considère comme un des plus grands peintres français du XX ème siècle et il a bien raison.

Ce début de journal à la fois hautement culturel et apaisé m'avait fait craindre la disparition dans cette livraison de 2011 des antiennes grognonnes de notre diariste mais je fus rapidement rassuré dès ses retrouvailles avec son vieux complice Finkielkraut lorsque les deux compères communient dans leur détestation des sonorisations intempestives des restaurants; ce que, encore une fois j'approuve. Si je ne partage tout de même pas toutes les détestations de Renaud Camus, en revanche je fais également mienne son horreur de la pétroleuse ayant pour nom Kronlund, égérie du lumpenprolétariat qui sévit, malheureusement depuis des années sur l'antenne de France-Culture entre treize heure trente et quatorze heure.

  

 

Il me semble que je n'ai pas assez souligné dans mes billets précédents le rire que déclenchent certaines « sorties » de Renaud Camus (mais sont elles volontaires? En France curieusement on méconnait la dose de franche rigolade que renferme les oeuvres de quelques grands écrivains par exemple Proust, Flaubert et La Bruyère, mais il y en a d'autres de calibre voisin) comme cette remarque sur un fait divers: << C'est décourageant, même le vicomte d'Harcourt, qui a quatre vingt cinq ans et qui est poursuivi pour complicité de meurtre, à Montpellier, pratique l'affreux cela fait (pour il y a)...>>

Avant d'aller plus loin dans cette recension je voudrais affirmer (mais mes lecteurs habituels ne seront pas surpris) que j'adhère à beaucoup des idées de Renaud Camus (même si je ne le lis pas majoritairement pour cela) en particulier sa thèse sur « le grand remplacement » et sa plaidoirie pour la réduction de la population, ceci à l'échelle mondiale. Lorsque je lis : << Il faut aux peuples et aux cultures des sanctuaires, qui leur permettent de s'ouvrir au monde dans l'assurance de ne pas s'y noyer, et d'avoir quelque chose d'unique à lui offrir. Pour recevoir et pour sortir, il faut d'abord avoir un chez soi, pour les communautés comme pour les individus (…) A chaque parole son lieu: ensuite vient l'échange, et l'errance si l'on veut.>>. Je ne peux faire suivre ces phrases que par la formule administrative lu et approuvé...

Ce que je déplore chez Renaud Camus ce ne sont bien sûr pas ses orientations politiques mais c'est son coté obsédé et mono maniaque idéologiquement. Ce défaut est presque unanimement partagé, par exemple par la quasi totalité de la classe politique française, ce n'est pas le grand remplacement dans ce cas, qui les obnubile mais c'est l'économisme, sujet qu'ignore presque totalement notre diariste. Se focaliser que sur un problème rend tout discours idéologiquement parlant faible.

Renaud Camus n'est pas non plus exempt de naïvetés lorsqu'il applaudit aux révolutions arabes qui ne pouvaient que déboucher sur des succès tôt ou tard de l'islamisme; ce qui ne pouvait avoir comme conséquence qu'une augmentation du grand remplacement. Il répugne a tirer les solutions qu'appellent ses idées. La seule manière d'éradiquer le grand remplacement est le nettoyage ethnique ou plus exactement religieusement-ethnique, je rappellerais qu'il a très bien fonctionné en Algérie en 1962. Mais s'il préconisait de tels remèdes il est fort à parier qu'il ne trouverait plus d'éditeur déjà qu'il en effarouche beaucoup d'où me vient cette idée que le principal problème de Renaud Camus est sa dépendance économique qui le force à se transformer en stakhanoviste de l'écriture, contraire à la fois à la qualité de sa production et à la complète franchise de ses propos. L'évidence est que l'occident est déjà en guerre, pour l'instant presque froide, avec l'islam.

Pour en terminer avec le volet politique de ce journal, j'indique que plusieurs pages sont dévolues à l'absurde parti politique que Renaud Camus a crée et son encore plus absurde velléité de se porter candidat à la présidence de la République. Il méconnait les règles élémentaires de la politique française à commencer celle qui est l'enracinement dans une circonscription et la nécessité d'avoir brigué des postes subalternes et si possible d'y avoir été élu, avant de se lancer dans la course au poste suprême. Le ridicule est consommé lorsque l'on voit de cette caricature de parti organiser une université d'été où il y a onze participants et l'on s'imagine sans peine quels zozos sont ces onze là.

Une partie non négligeable de ce journal 2011 est dévolu à la narration que fait Renaud Camus de son travail sur les églogues dont je n'ai jamais vraiment compris ce que c'était n'ayant jamais exploré ce pan du travail de l'écrivain. Ce labeur fait revenir Renaud Camus sur ses années passées ce qui l'amène à évoquer différentes personnes célèbres (comme James Lord ou Hélène Surgère) ou non qu'il a côtoyées. Les pages qu'il leurs consacre sont les plus belles, les plus empathiques et souvent les plus poétiques de l'ouvrage. Ces belles pages conduisent néanmoins à une interrogation qui se transforme bientôt en une constatation: Comment peut on réduire James Lord à sa visite en 1945 à Picasso alors qu'il a été un des grands critiques en ce qui concerne l'art moderne de la seconde moitié du XX ème siècle et le promoteur principal et par ailleurs biographe de Giacometti, sinon que pour Renaud Camus en regard de ses références et de ses connaissances qui sont grandes, le monde semble s'être arrêté au début des années 80. Son enfermement sur ces références passées correspond peu ou prou à son repli dans son cher Plieu. Dès lors comme en témoigne presque chaque page de ce journal l'écrivain est contraint à une production littéraire pour des raisons économiques, ce qui dévore son temps et l'empêche de s'informer sur les productions culturelles récentes et assèche son panel référentiel (<< Ecrire ma vie ne me laisse aucun temps pour la vivre.>>, page 165). Forster disait qu'il était un parasite qui se nourrissait de l'observation d'espèces plus évoluées, malheureusement pour notre auteur ceux-ci ne pullulent pas dans son marigot gersois. Tout cela explique que les pages les plus intéressantes du journal soient celles dans lesquelles Renaud Camus se réfère à son riche passé à la fois mondain et intellectuel, ce qui n'est pas toujours antinomique.

On comprend tout de certains partis pris de l'écrivain si on se souvient de ce qu'il écrivait en 1985 dans son journal romain: << je suis horrifié par les conversations de mes voisins, ou tout simplement par leur bruit, par cette façon qu’ont les gens, partout, de parler trop fort, de vous imposer leurs opinions, leurs phrases, leurs mots. Il n’y a qu’à mon ami Jean que je puisse parler de ces choses, comme hier à dîner. Il est né en 1903 et je me sens, par bien des côtés, exactement son contemporain. J’ai été élevé dans les livres d’enfants de mes grands-parents, parmi les magazines de leur jeunesse.>>.

Il y a plusieurs bonnes nouvelles pour le lecteur habituel du journal de Renaud Camus, ce dernier a enfin dégotté un chauffagiste qui réussisse à faire monter la température de la vaste antre de l'écrivain. Béni soit l'industrieux artisan qui d'abord aide notre diariste à se débarrasser des couches de pull-over qui engonçaient l'écrivain et qui surtout soulage le lecteur des pages de récriminations de Camus contre les plombiers, fumistes, chauffagistes et autres artistes des tuyaux...

Autre bonne nouvelle par rapport au dernier volume que j'ai lu de son journal, sa mère est morte (je ne me place que du coté du lecteur, pour le reste je compatis à son deuil) mais cette bonne femme aussi increvable qu'elle était inepte était une des plaies du journal camusien.

Ce qui ne veut pas dire que la présente livraison ne soit pas encombrée de ralages. Il y a d'abord ceux contre les hôtels et la rareté des doubles portes (je confirme). Sur le problème du choix d'un hôtel, je me permet de lui suggéré de ne pas descendre en dessous des quatre étoiles, certes c'est plus couteux mais la qualité et le copieux de leurs petits déjeuners offre la possibilité de sauter le déjeuner d'où équilibrage du budget et gain de temps, midi étant le meilleurs horaire pour éviter les foules dans les musées. C'est ainsi que je fonctionne et m'en trouve très bien (les hôteliers moins, effarés qu'ils sont de ma voracité matinale). Autre conseil, ne pas choisir l'hôtel sur son passé historique et/ou l'élégance de sa façade. Lorsque l'on dort dans la chambre la qualité architecturale des bâtiments importe peu (néanmoins certains offrent les deux avantages mais les perfides sont souvent des cinq étoiles mais pas toujours, c'est le cas par exemple de la majorité des riokans au Japon, sans oublier la chaines des relais et châteaux en France et de celle des Paradors en Espagne, malheureusement je ne suis pas rémunéré pour cette publicité). Il faudrait que pour son confort personnel, Renaud Camus se libère de son tropisme clermontois et cesse de faire une confiance aveugle au guide Michelin. Grand habitué d'internet, il devait plutôt pour ses choix hôteliers visiter le site « Tripadvisor » qui publie les avis des voyageurs sur tel ou tel auberges...

Autre constante récrimination de notre auteur, celle de n'apercevoir que rarement ses ouvrages dans les librairies. Le bien fondé de ce chouinage est facilement vérifiable. Après une visite des lieux de la grande distribution des biens culturels parisiens (comme on dit aujourd'hui) ainsi qu'à la Hune (ma librairie de prédilection, même si je regrette son ancienne implantation), je n'ai pu que constater que Renaud Camus a bien raison de se plaindre. Ses livres ont quasiment disparu des rayons, pas un tome du journal, par un volume des demeures de l'esprit, on ne trouve guère que quelques exemplaires du livre sur un de ses chiens. Ne pas voir dans cette absence une forme de censure serait de l'aveuglement.

Une partie de « Septembre absolu » est le journal dans le journal de son écriture des Demeures de l'esprit. Cette fois c'est l'Italie où Camus débusque des maisons où des célébrités (pas toujours pour moi) ont secrété leur miel.

  

 

Je lis le journal de Renaud Camus pour tomber sur des pépites (pour moi) comme celle qui suit: << J'aime décidément beaucoup, bien que je ne l'ai jamais vu en réalité, le portrait par Paul Cadmus de son amant Jared French, peintre comme lui. Le tableau date de 1931, quand les deux jeunes hommes séjournaient ensemble en Europe. Il a été peint à Majorque, je crois. Trois éléments de séductions y sont à mes yeux réunis. D'abord le modèle est plutôt agréable à l'oeil, c'est un moustachu blond et bien bâti, il a une tête tout à fait sympathique, il est représenté nu entre ses draps, s'étant interrompu dans sa lecture pour observer le peintre, ou bien nous qui regardons le tableau. Deuxièmement le livre qu'il tient encore d'une main tandis que son autre bras est replié sous sa nuque (ce qui offre un appréciable point de vue, pour les amateurs, sur les poils blonds et légèrement humide, semble-t-il, de son aisselle droite) n'est autre que l'Ulysses de Joyce, agréable liaison, toujours très précieuse entre la haute littérature et le raisonnable émoi érotique. Troisièmement mais il est possible qu'il n'y ait là qu'une conséquence légèrement abusive des deux premiers points, je commence à trouver qu'il n'est pas mal du tout ce tableau, je veux dire, qu'oeuvre d'art (…) Mais si on m'avait dit, il y a quarante ans, qu'un jour je serais plein de considération et même d'affection, pour une toile de Paul Cadmus, j'aurais refusé de le croire. Il était à mes yeux une sorte de Clovis Trouille homosexuel, le comble du comble de la kitscherie « folle ». Je continue à pas aimer beaucoup son inspiration caricaturale, à la Dubout. Mais à partir de Jerry (surnom de Jared French, je suppose), c'est l'ensemble qui commence à monter nettement dans mon estime.>>.

Pourquoi dis-je que c'est en ce qui me concerne une perle? Tout d'abord parce que j'ai la preuve tangible que je ne suis pas le seul admirateur en France de Paul Cadmus. Mais surtout ce que cet extrait révèle de la mentalité française en matière d'art, Camus étant assez représentatif en la matière tout du moins pour sa génération: le mépris de la peinture figurative et au delà d'un art qui pourrait être apprécié par des non-initiés, quelque chose comme le snobisme du nouveau riche: ce qui est beau et intelligent ne peut être qu'abscons. Posture encore aggravée par le souci du comme il faut, mal pensant peut être mais boutonnée d'ou le dédain pour Dubout et Clovis Trouille (à mon avis pourtant de grands artistes) renvoyés à la kitsherie notion typiquement bourgeoise, le prolétaire aime le kitsch, l'aristocrate le désire pour se démarquer du bourgeois, par dandysme. Autre point intéressant de cette considération sur ce tableau de Cadmus, qui à mes yeux est loin d'être un de ses meilleurs, le grand talent de Cadmus est de parvenir à faire vivre de nombreux personnages sur une même toile, est de mettre en évidence l'évolution (un peu penaude) de toute une intelligentsia qui est contraint de revenir sur ses détestations sous la pression d'un certain post modernisme.

Comme vous l'avez compris comme à son habitude, la lecture de ce tome du journal de Renaud Camus est à la fois roborative et stimulante pour l'esprit.

 

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Commentaires
M
Sans doute, peut être aussi l'air du temps. Je laisse cette bévue qui en effet est drôle.
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C
"Auspices", et non "hospices" ; j'ai ri : ce doit être l'âge !
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