France,110 mn, 1994
Réalisation: d’André Téchiné,
avec: Elodie Bouchez, Gael Morel, Stéphane Rideau, Frédéric Gorny, Michèle Moretti, Jacques Nolot
Fiction
1962, le sud-ouest de la France (la région natale de Téchiné), à la fin de l’année scolaire. Le film commence par une noce de campagne. Pierre épouse la première fille qui lui soit tombée dans les bras, ainsi espère-t-il échapper à la guerre d’Algérie. François et Maité sont inséparables, ils sont invités à la noce. François (Gael Morel) est un lycéen brillant mais réservé que la découverte du monde effraie et qui n’aime pas sa jeunesse. Aux copains et au soleil il préfère les livres et les salles obscures de cinéma. Celle qui partage ses confidences c’est Maité (Elodie Bouchez), elle se défend de l’amour en se disant qu’à dix sept ans, elle a bien le temps. Maité est le seul point fixe de la vie du tourmenté François. Maité est la fille de madame Alvarez (Michèle Moretti), femme de tête, professeur et militante communiste. Le marié demande à madame Alvarez de l’aider à déserter, celle-ci refuse. Serge (Stéphane Rideau), un solide garçon fier de ses origines paysannes, le frère de Pierre, entraine François, un soir à l’internat, dans une relation homosexuelle. Voilà François déchiré entre son attirance pour Maité et celle pour Serge qui n’a fait que lui révéler ses gouts profonds. Dans leur classe, il y a aussi Henri (Frédéric Gorny), un garçon plus agé, pied-noir d’origine, qui a connu la violence. Il a vu son père mort, le visage défiguré par une grenade. Il en veut aux français d’avoir abandonné les siens. Il sympathise avec l’OAS, ce qui l’oppose à madame Alvarez. Il néglige ses études et s’isole de ses camarades, l’oreille collée à son transistor pour écouter les nouvelles d’Alger. Au lycée le bac approche. La présence d’Henri va faire éclater des conflits latents et révéler chacun tant sentimentalement que politiquement. François se sent de plus en plus attirer par les garçons. Bientôt madame Alvarez sombre dans la dépression déchirée entre ses convictions et le remord de n’avoir pas aidé Pierre. La haine de Serge envers Henri éclate lorsque son frère Pierre est tué par l’OAS. Monsieur Morelli (Jacques Nolot), nouveau professeur rapatrié d’Algérie et dont la femme est arabe, tente sans succès d’aider Henri. Ce dernier décide d’abandonner ses études et de rejoindre sa mère à Marseille. Une partie de campagne et une baignade appèsent les tensions... Tandis que François et Serge s’ébrouent dans l’eau, scène d’une sensualité jubilatoire, Maité se donne à Henri.
Faut-il aimer Les roseaux sauvages sans réserve comme nous met en demeure de le faire Gérard Lefort comme la plupart des autres critiques sinon nous voilà catalogué de con féroce. Mais peut-être vaut il mieux être un con féroce qu’un zélateur fanatique. Lefort illustre parfaitement ce type de critiques terroristes plus soucieux d’être des imprécateurs que des passeurs :
<<Et si Les roseaux sauvages était surtout un film de vacance? C’est à dire une de ces comptines dont on rêve l’été pendant la sieste quand dans la pénombre d’une chambre fraîche, la lumière filtrée du soleil compose ses arabesques à travers les volets clos. Sur le mur blanc, c’est un film concret qui se dessine, c’est aussi un programme d’existence: se baigner à poil dans la rivière, faire de la mob, s’énerver du plaisir d’être heureux. Il faudrait être un con féroce pour ne pas tomber amoureux des Roseaux sauvages. C’est si rare un film où il fait bon vivre.>>
Gérard Lefort (Libération, 24 mai 1994)
Si Les roseaux sauvages est un film passionnant, il n’est pas le plus maitrisé techniquement de Téchiné ni exempt de défauts, même s’il est le film le plus libre de son réalisateur depuis La matiouette. Téchiné nous livre là son opus le plus directement autobiographique, celui où enfin il enlève le masque et avoue (car pour lui c’est bien un aveu tant il semble qu’il vive son état comme une faute) son homosexualité par le truchement de son double transparent François (joué par Gael Morel, lui même cinéaste: A toute vitesse). Téchiné ne sera jamais un cinéaste de la ligne claire. Il encombre sa confession d’une reconstitution politico-historique pour le moins maladroite. Deux films cohabitent dans Les roseaux sauvages, pour faire vite disons que l’un est politique et l’autre sexuel; mais ces deux films ne se rencontrent jamais et la pression que devrait faire peser la guerre d’Algérie sur ces adolescents, vécue par tous les garçons d’alors comme une véritable épée de Damocles au dessus de leur tête, semble complètement artificielle. Si le film -sexuel- est réussi, le film -politique- est raté, sur des thèmes politiques voisins Les innocents , dans lequel le personnage joué par Simon de la Brosse est voisin du Henri des Roseaux sauvages , sur ce plan est beaucoup plus convaincant. Le ratage a deux causes, la première est le conformisme idéologique de Téchiné. Il est tout de même bon de rappeler que c’est le FNL qui tuait les jeunes appelés français et non l’OAS! La seconde est la médiocrité de la reconstitution d’époque. Le film est truffé d’anachronismes. Aujourd’hui, il est de bon ton de se gausser d’un film décoratif -à la Ivory- n’empêche qu’il y a des spectateurs qui décrochent d’un film lorsque les anachronismes flagrants captent leur attention, mais peut-être sont-ils de féroces cons? Il est simplement dommage qu’un film aussi ambitieux (trop?) soit abimé par des négligences de tournage que l’on aurait déjà du mal à pardonner à un débutant.
Le point fort du film est son interprétation servi par un dialogue très juste. il nous offre deux découvertes inoubliables: Elodie Bouchez, lumineuse et Stéphane Rideau dont l’innocente et l’épidermique sensualité sont sans égales dans le cinéma français. Il faut remonter à Pierre Blaise, malheureusement aussitôt fauché par le destin, dans Lacombe Lucien pour retrouver une semblable fraicheur. Téchiné, toujours grand directeur d’acteur, n’a pas toujours la main heureuse avec ses castings. Il peut être un grand découvreur de talent comme c’est le cas ici ou dans Rendez-vousavec Juliette Binoche ou encore dans les soeurs Bronté avec Pascal Gregory, mais parfois nous infliger des acteurs médiocres dans des rôles importants, voir Manuel Blanc dans J’embrasse pas.
<<Les roseaux sauvages est un concour de circonstances. C’est ce dont je rêve: une commande. Chantal Poupaud a eu l’heureuse idée de me demander si un film sur l’adolescence m’intéressait. Elle m’a donné son programme par décennies et j’ai choisi les années 60 parce qu’elles correspondaient à mon adolescence et aussi parce que je voulais depuis longtemps mettre en scène la période de la guerre d’Algérie...
Je pense que le manque reste toujours présent. Dans la scène où Henri étreint François, la synthèse est impossible. Il n’y a pas de prince charmant ou de prince idéal. Les personnages du film ont tous une âme de célibataire.>>
André Téchiné
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