EDWARD HOPPER AU GRAND PALAIS
L'exposition Hopper est une merveille, même si l'on écrit beaucoup de bêtises à son sujet, comme Hopper inventeur de la peinture américaine, ce qui a un peu près autant de pertinence que de dire Michel-Ange père de la sculpture italienne, d'ailleurs d'emblée l'exposition démontre la stupidité de cette affirmation péremptoire en montrant des tableaux, certes d' artistes européens, Fêlix Valloton, Degas et surtout Marquet, mais aussi de peintres américains à commencer par Thomas Eakins puis Robert Henri et John Sloan (il y a quelques années il y a eu une très intéressante exposition de Sloan et des artistes de sa mouvance au Guggenheim de Venise, c'était je crois une première en Europe), autant d'artiste dont les toiles ne sont quasiment jamais vues en France (excepté pour Eakins lors de la très belle rétrospective vue naguère au musée d'Orsay). Ce petit évènement rend déjà la visite à l'exposition Hopper fort instructive.
L'accrochage est sage, presque chronologique. Les tableaux sont bien éclairés, accrochés à bonne hauteur et correctement espacés.
Une première partie nous présente donc les peintres qui ont influencé Hopper. On poursuit par les toiles qu'il a fait lors de ses séjours à Paris, voyage alors obligé pour tout artiste. Paris est au début du XX ème siècle la capitale incontestée de l'art.
Minuscule anecdote, il se trouve que pour me rendre au Grand-Palais, j'utilise le métro et que je descend à la station Invalides, en empruntant une sortie, un peu secrète de celle-ci, on en débouche au pied de cet escalier qui permet d'accéder du quai de la Seine au pont Alexandre III et qu'a peint, il y a un peu plus d'un siècle Hopper! Ce n'est pas si fréquent de voir, lors d'une exposition, la représentation d'un endroit où nous étions quelques minutes auparavant.
Une fois son complément d'étude à Paris terminé, il restera néanmoins toutes sa vie un fervent francophile et francophone, il s'aperçoit que ses premiers tableaux ne connaissent pas le succès escompté.
Pour gagner sa vie, Hopper se fait illustrateur. Ce sera sa seule source de revenu jusqu'en 1924. Hopper n'a jamais considéré ses illustrations comme faisant partie de son oeuvre mais seulement comme un travail alimentaire. Pourtant elles sont bien belles les images qui nous sont projetées sur un grand écran sur lequel on découvre tout un pan méconnu du travail de l'artiste.
On s'apprête à descendre, car il a fallu monter pour accéder aux premières salles, l'exposition est sur deux niveau, on passe alors par une petite pièce obscure où l'on projette des images, comme pour les illustrations d'Hopper, mais cette fois ce sont des photos dues à Philip-Lorca diCorcia (immense photographe voir le cartouche de l'exposition, immédiatement ci-dessous, que j'ai photographié) de prostitués mâles! On se demande ce que cela vient faire là. Après la surprise, on profite de l'aubaine. Les photos sont extraordinaires. Je suis d'autant plus admiratif que j'aurais beaucoup aimé faire une série semblable (le talent en moins) sur les tapins de Saint Germain, que j'ai fréquentés assidument plusieurs années (décidément cette exposition à moult échos avec ma vie privée). Je subodore la difficulté d'approche qu'a du avoir le photographe pour que ces prostitués acceptent d'être photographié d'autant qu'il ne s'agit pas de photographies prises au débotté mais demandant une longue préparation de mise en scène, semblable à celle du tournage d'une scène d'un film. En admirant les photos, on ne peut être que subjugué par le travail d'éclairage et de préparation qu'a nécessité chacune d'entre elles.
Je veux bien que le sens de la lumière de Philip-Lorca diCorcia se rapproche de celui de Hopper, l'éclairage de la plupart des photos est complètement artificiel comme celui dans beaucoup des tableaux du peintre; éclairage qui n'est pas pour rien dans la fascination que l'on éprouve devant certaines de ses toiles et de son influence sur un grand nombre de cinéastes et de photographes (on voit dans l'exposition une grande photo de Wim Wenders). Mais il me semble qu'il aurait été plus judicieux alors de choisir une autre série de Philip-Lorca diCorcia qui lui aussi est fort productif. Je trouve par exemple celle ci-dessous beaucoup plus hopperienne que celles des hustlers...
Il aurait été encore beaucoup plus pertinent de choisir Crewdson dont les photos me paraissent beaucoup plus influencées par Hopper que celles de Philip-Lorca diCorcia.
Philip-Lorca diCorcia est un photographe américain, né en 1951 à Hartford dans le Connecticut. Il vit et travaille à New York. Ses photographies associent des éléments du style artistique documentaire avec un principe de construction maîtrisée et complexe propre à l'image de fiction. Ayant obtenu en 1989 une bourse d’État attribuée par la National Endowment of the Arts, diCorcia se rend plusieurs fois à Los Angeles entre 1990 et 1992 pour photographier des hommes prostitués sur Santa Monica Boulevard à Hollywood. Dans ce qui constitue donc sa première série de photographies : Hustlers, il continue de mettre en scène ses images, tout en limitant son intervention. Il photographie ses modèles dans leur environnement personnel et crée ainsi, comme le dit Peter Galassi, des scénarios représentant les fantasmes désespérés du Hollywood de diCorcia. (petite incise prise de ci et de là pour vous informer sur le photographe)
Brent Booth; 21 years old; Des Moines, Iowa; $30
Ralph Smith; 21 years old; Ft. Lauderdale, Florida; $25
Joe Whitman; 24 years old; Los Angeles; California; $25
On peut voir une palanquée d'images de cet extraordinaire photographe à cette adresse: http://www.lslimited.com/cgi-local/portfolio.cgi?level_1=1
Ce qui est particulièrement rigolo, c'est qu'à ces clichés, le photographe ajoute le prix de la passe, qui me parait bien modique par rapport aux tarifs que pratiquaient les gigolos de Saint Germain des près au tournant des années soixante dix... Si un de mes lecteurs a un avis sur la chose qu'il m'en fasse part. Un de mes fidèle commentateur (vous êtes toujours malheureusement rarissimes) se demandait ce qu'était devenu les "choupinous" que lui, comme moi, mais pas ensemble, avions photographiés au Trocadéro entre 1975 et 1990, en ce qui me concerne je m'interroge plus sur la suite des histoires des gigolos qui tournaient devant le drug store Saint Germain dans une ronde dont le circuit comprenait la rue de Renne et la rue du Dragon. Si quelqu'un à des informations à ce sujet...
Après cette longue parenthèse, revenons à Hopper. Ce que l'on aime chez lui c'est aussi que certains de ses tableaux sont des invites au roman et l'on peut délirer à n'en plus finir sur ses personnages dont beaucoup ont l'air de s'emmerder ferme, ils paraissent comme prisonnier du cadre, de leur condition. Cette mégère qui fait semblant de lire, ne surveille-t-elle pas son pépère qui tente de mater, l'air de rien, l'accorte voisine qui s'exhibe dans l'appartement d'en face sous prétexte de passer l'aspirateur, et que le vieux marcheur aimerait bien rejoindre s'il pouvait se débarrasser de sa matonne...
C'est un vendredi soir et l'atrabilaire personnage en manches de chemise dégoise sur les collègues qui sont déjà parti depuis longtemps, les deux autres aimeraient faire de même. Est-ce le respect de la hiérarchie, le bavard est peut être leur supérieur, ou une malsaine curiosité qui les retient?
Le tenancier de cette humble station service, attend le client au soleil. Cela fait trente ans que sa femme l'engueule... Ca glisse...
La mère regarde sa fille qui guette la voiture de son amoureux. Elle se souvient qu'il y a vingt cinq ans, elle faisait de même. La vie est passée...
Dans le tableau ci-dessus, la chair est triste, le livre a été lu, l'homme a une tête à se jeter par la fenêtre.
Ce qui est magique chez Hopper c'est qu'il dépasse toujours l'anecdote. En 2004, à l'occasion de la rétrospective de la Tate modern, Philippe Dagen écrivait dans "Le Monde": << Hopper et Valloton font, si l'on peut dire, de l'ultrapeinture, en exaspérant tout ce par quoi elle se distingue des autres modes de représentation. Des supposées faiblesses de leur medium, ils font des forces paradoxales. Quand l'opération réussit, un assez haut degrè d'étrangeté est atteint, parce que tous les codes du réalisme sont à la fois parfaitement respectés et totalement pervertis. Mais quand elle rate, ne reste qu'une figuration assez morne.>>. On ne saurait mieux dire. A lire Dagen on pense bien sûr à l'influence qu'a eu Hopper sur plusieurs grands cinéastes maitre du réalisme perverti comme Wim Wenders et surtout David Linch. Il faut bien constater également, heureusement rarement, à Hopper de tomber dans la morne figuration en particulier dans quelques un de ses portraits de villas qui ne valent guère mieux que de médiocres élévations d'architectes.
Dagen fait le lien entre Valloton et Hopper, il se trouve qu'il y a quelques jours j'ai eu la chance, durant une semaine, de résider dans la villa au bord de la Méditerranée de la famille Valloton j'ai pu faire de visu le rapprochement. En outre en rendant visite à la petite fille de Félix Valloton, merci Heidi pour votre accueil d'une élégance d'un autre âge, j'ai pu découvrir que la fille du célèbre peintre avait elle aussi avait fait de bien beaux tableaux post impressionnisme.
Je m'aperçois que cette fois rendant compte d'une manifestation artistique j'ai beaucoup parlé de mes expériences lointaines ou récentes, ce qui prouve que l'art peut parler à notre mémoire de bien des façons...
J'aime beaucoup cette toile vide d'Hopper, une des dernières qu'il ait peintes, il devait en avoir assez des hommes, ce n'est pas moi qui lui donnerait tort...
Paris, octobre 2012
Merci, aussi, pour la très sympathique allusion au Troca ;-)