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Dans les diagonales du temps
4 juin 2020

Agonie d’une passion de Karl-Erick Horlange

 

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On nous refait le coup du journal intime récupéré par l’auteur qui n’aurait fait que retravailler la chose pour la rendre publiable. C’est extraordinaire le nombre de journaux intimes et autres manuscrits ou carnets qui n’attendent qu’une bonne âme pour être publiés. Cher lecteur si vous avez ce genre de paperasses en particulier s’il y passe quelques célébrités, pensez à moi, j’en ferais bon usage, cela m’occupera mes longues soirées d’hiver et j’en tirerais peut-être un peu de sous ce qui ne serait pas pour me déplaire.

Ce qui est agaçant c’est l’effort que fait l’auteur avec un avant propos et une préface pour blouser le lecteur. Il faut avoir bien peu de confiance en son écriture pour penser qu’on prêtera plus attention à un soi-disant journal sous l’occupation qu’à une oeuvre romanesque.

On ne croit pas une seconde à ce prétendu journal d’abord en raison de son écriture. Il est peu probable que l’on trouve les termes de psychodrame et de franchissement de la ligne rouge dans un écrit de 1942. Il n’est pas plus probable qu’un monsieur qui couche avec un journaliste de « Je suis partout » et qui répond à un questionnaire de « La gerbe » soit dégouté en lisant un pamphlet antisémite de Céline et révulsé quand il croise sa première étoile jaune, portée par une jeune fille, forcément une jeune fille, comme l’écrirait la petite Marguerite qui se débrouillait pas mal en ce temps là…

Or donc nous lisons le journal, puisque journal il y aurait, d’un certain Franz von Arx un franco-allemand d’une quarantaine d’années auteur de pièces de théâtre et de romans. Il ne semble pas avoir de souci de trésorerie sans que l’on comprenne d’où puissent venir ses fonds. Notre dramaturge est amoureux, comme une bonne, d’un homme un peu plus jeune que lui, André journaliste de son état à … « Je suis partout » et là, nous sommes qu’au début du livre, on se dit déjà que monsieur Horlange charge beaucoup la barque… D’autant qu’il parle de « Je suis partout » comme d’un quotidien alors que c’était un hebdomadaire! D’ailleurs l’auteur semble totalement méconnaitre le fonctionnement d’un journal et de « Je suis partout » en particulier dans lequel les journalistes ne passaient pas d’une rubrique à une autre comme Pierre qui tantôt est pressenti pour suivre un procès, puis interviewer un ministre, fait des critiques de pièces de théâtre et d’opéras, ensuite part dans le sud de la France pour faire un reportage sur un sculpteur célèbre: Horzens, dans lequel on aura reconnu sans peine Maillol. Chaque journaliste de Je suis partout était assigné à une rubrique, à toutes règle il y a certes des exceptions comme Brasillach et Rebatet. Visiblement Horlange n’a pas lu le remarquable essais de Pierre-Marie Dioudonnat « Je suis partout 1930-1944, les maurrassiens devant la tentation fasciste, (1973) La table ronde.

Franz est jaloux comme un tigre car André, un Apollon du Belvédère au dire de Franz, entre deux séances de lit avec lui, fricote avec Catherine, une petite actrice gironde. Pierre va finir par laisser tomber le possessif Franz. Cette minutieuse et assez ennuyeuse description au jour le jour d’un abandon est ce qui sonne juste dans le roman. C’est probablement du vécu. L’auteur a voulu prendre comme toile de fond la période de l’occupation pour tenter de rendre plus intéressante une banale histoire d’amour qui se défait. Mais le lecteur ne peut pas être dupe du subterfuge. Le collage est grossier même si la chronologie des évènements est respectée, mais ce n’est pas très difficile avec par exemple une collection de « l’Illustration » de l’époque (j’ai ça dans mes archives) ou plus prosaïquement un bon moteur de recherche sur la toile. Mais si on évite ainsi les anachronismes des évènements cela met pas à l’abris des anachronismes psychologiques qui sont légion dans « Agonie d’une passion ».    

Franz et André m’ont fait immédiatement penser à une transposition du couple Julien Green- Robert de Saint-Jean. Franz ne tarissant pas d’éloge pour son Pierre comme Julien Green pour Robert de Saint-Jean dans son journal non expurgé, sans que dans les deux cas on comprenne ce qu’ont d’extraordinaire ces créatures pourtant portés au pinacle…

Ce qui est particulièrement pénible dans l’ouvrage est que l’auteur appelle un grand nombre de personnages par leur prénom. Ils arrivent comme si on les avait toujours connus et repartent de même sans laisser d’adresse, je comprend bien que c’est pour accréditer la fable du journal, mais le lecteur est perdu. Dans d’autre cas c’est pour signifier que Franz est à tu et à toi avec des pointures, ainsi André c’est Gide, Marc c’est Marc Allégret, Sacha c’est Guitry, Danièle c’est Darrieux, Maurice c’est Maurice Bardèche… Là encore cela ne fonctionne pas pour plusieurs raisons la première est qu’avant guerre même des intimes s’appelaient de préférence par leur nom et pas par leur prénom, mais ça on ne le trouve pas dans wiki… La deuxième est que le lecteur qui a un tant soit peu de culture littéraire ne peut croire que Franz soit un intime de Gide. Les intimes de Gide les lecteurs des correspondances gidiennes et de son journal, les connaient et on n’y trouve pas de Franz à l’horizon. Comment notre auteur peut être assez naïf pour qu’ensuite on accorde du crédit à l’existence réelle de Franz! De même on veut nous faire avalé que le dit Franz a fait Normal-sup mais il n’utilise jamais l’argot propre à la rue d’Ulm. Camarade Horlange vous auriez du également lire « Notre avant-guerre » de Brasillach…

Ce qu’aurait pu être un des plaisirs du livre, qui serait partiellement un roman à clé, aurait été celui de trouver la bonne clé qui ouvre la bonne serrure. Mais ce n’est pas le cas, car la plupart des personnages sont un puzzle de morceaux de plusieurs personnes ayant réellement vécues. Malheureusement, un peu comme pour la créature du docteur Frankenstein les morceaux des différents modèles se raboutent mal. C’est le cas en particulier pour Pierre qui semble emprunter un morceau à Laubreau, un morceau à Jean-Christophe Averty, un autre à Robert de Saint Jean et peut être même un à Claude Roy qui doit être le seul rédacteur de Je suis Partout à être passé à la Résistance, car Pierre va être résistant, ridicule épisode de l’aviateur canadien… 

Certains protagonistes apparaissent sous leur véritable identité comme Ernst von Salomon dont la présence à Paris en 1942 est très douteuse, je me demande si Horlange ne se serait pas trompé de Ernst et aurait pris Salomon pour Junger. L’auteur n’étant pas à une confusion prêt, je n’ose croire qu’il aurait confondu Henry de Montherlant, présenté ici comme un dragueur de la piscine Deligny à la fin des années 30, alors que rien atteste ceci, avec Matzneff qui n’était pas né à cette époque! 

Beaucoup d’autres personnage apparaissent masqués comme Valentin qui pourrait être André Barsacq ou André Obey, comme Léon, chanteur de variété et amant de rechange pour Franz qui pourrait être Johnny Hess.

« Agonie d’une passion » est le délitement d’un amour entre deux hommes sur fond d’occupation. Un bien beau sujet qui aurait pu être réussi avec beaucoup plus de rigueur, de travail et de modestie. Et puis il faut que les auteurs cessent de bourrer le mou des lecteurs avec leurs fariboles de carnets trouvés, de manuscrits miraculeusement sauvés et autres découvertes improbables…

Commentaires
J
Moi, ce qui me surprend, c'est la couverture de cet ouvrage...Vous qui l'avez lu, y a t il un lien avec son contenu, ou est ce purement "fortuit"?
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M
Si vous lisez régulièrement la rubrique livre vous vous apercevrez que presque toutes mes critiques sont positives. Lorsqu'elles sont négatives, comme celle-ci, c'est pour dénoncer à travers cet ouvrage une pratique éditoriale comme c'est le cas ici où maladroitement on essaye de faire passer pour le réel ce qui n'est qu'une maladroite fiction.
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M
Si c'est le cas s'est tout de même abuser le lecteur.<br /> <br /> Mis à part cela ce livre est très mauvais et comporte de grossières erreurs principalement psychologique. En outre la construction est bancale. Il y a également des informations contradictoires. Pierre écrit à son journal pour démissionner et quelques jours plus tard il emménage dans les nouveaux locaux de son journal. Ce n'est qu'un exemple et il y en a bien d'autres.
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J
Je n’ai pas lu ce livre, aussi ne puis-je pas me prononcer sur la façon qu’a l’auteur de présenter les carnets retrouvés. Mais pourquoi ne pas considérer que c’est une partie intégrante d’un roman ? Il ne s’agirait pas de tromper le lecteur, mais de lui enrober une fiction, à la façon du chocolat qui contribue à la saveur à ce qu’il contient : la cerise au kirsch.
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