Cocteau Marais un couple mythique, un film d'Yves Riou et Philippe Pouchain
En 1937, Jean Cocteau, 48 ans, est au plus mal. Il fume une trentaine de pipes d'opium par jour et doit subir les sarcasmes de ses ex-amis surréalistes, qui le jugent trop mondain. Coco Chanel, son amie et bienfaitrice, propose de l'aider à monter sa prochaine pièce. Parmi les jeunes hommes qu'il auditionne se trouve Jean Marais, dont le profil, identique à celui des Ephèbes qu'il dessine par dizaines... Cocteau dira à propos de Marais: «Je ne l'ai pas connu, je l'ai reconnu»
Ce documentaire c'est un peu Cocteau pour les nuls. Car sous prétexte de nous brosser le tableau de l'idylle entre Marais et Cocteau, l'image de l'idylle est d'ailleurs sérieusement mise à mal par ce documentaire, il s'agit plutôt pour Yves Riou et Philippe Pouchain, ses réalisateurs de nous faire un travelling express sur la vie de Cocteau. Les deux cinéastes sont des spécialistes des portraits. Ils ont déjà brossé ceux d'Arletty, Joséphine Baker, Pierre Desproges, Juliette Gréco, Barbara sans oublier leur opus sur le spectacle sous l'occupation. Si le film n'est pas trop complaisant pour la personnalité du poète (puisque c'est ainsi qu'il se qualifiait couramment), il est, comme toutes les manifestations que l'on voit fleurir pour le cinquantenaire de son décès, bien trop laudateur à mon sens pour l'oeuvre littéraire de Cocteau. Je crois que le portrait que fait Proust de son ami Jean dans la "Recherche" par l'intermédiaire du personnage d'Octave, un écrivain ayant un talent mineur dans des genres secondaires, est bien plus près de la vérité que les louanges qui se déversent sur une oeuvre que je trouve très surestimée et en définitive très peu lu, qui en font une sorte de commandeur de la poésie du XX ème siècle.
Ce que par exemple ce que les gay apprécient chez Cocteau, ce ne sont pas ses poèmes ou ses pièces de théâtre qu'ils n'ont en général ni lues, ni vues, mais l'attitude de Cocteau envers son homosexualité qui était juste et courageuse, sans pathos ni prosélytisme (du moins pour le grand nombre), mais vécue comme une évidence.
A contrario à la surévaluation de l'oeuvre littéraire il me semble qu'on sous évalue grandement l'art du dessinateur chez lui, cocteau est un dessinateur qui peint. Aujourd'hui, son trait, immédiatement reconnaissable, est pourtant beaucoup plus populaire que ses écrits.
Le film n'est pas une vie une oeuvre de Cocteau, il est à peine question de sa littérature, peu de son oeuvre graphique sinon des fresques de la villa Santo Sospir et ses films ne sont considérés que comme véhicule pour exposer ses amants, d'abord Jean Marais puis Edouard Dermit.
Cocteau, Francine Weisweiller et Edouard Dermit
Le modèle d'Yves Riou et Philippe Pouchain a été "Yves Saint Laurent - Pierre Bergé, l'amour fou", le film de Pierre Thorreton. Malheureusement pour lui Riou n'a pas eu le budget et la durée, Cocteau Marais - un couple mythique, à peine 56 minutes dont a bénéficié Thorreton. Riou n'a pas non plus eu la chance de pouvoir, contrairement à son confrère, interviewer de nombreux témoins du couple; pour la bonne raison qu'ils sont presque tous morts. On a tout de même les confidences de la fille de Francine Weisweiller et surtout les interventions goguenardes de Barillet (pourvu qu'un producteur ait la bonne idée de faire parler cet extraordinaire témoin qui est en plus un bon client pour les interviews, témoin et acteur de la vie, théâtrale, gay, mondaine, coquine, intellectuelle... parisienne durant plus de soixante ans, avant qu'il soit trop tard...). D'autre part, je suis surpris qu'apparemment personne n'ait eu l'idée de confesser Doudou. Il devait tout de même avoir quelque chose à dire même si ce n'était pas une lumière. Ces rares tableaux n'étaient pas si mal et curieusement ressemblaient plus à ceux peint par Jean Marais qu'à ceux de Cocteau.
Le film se compose essentiellement de photos et de courts films commentés d'une belle voix off. Le texte est parfois convenu, mais pas toujours. Beaucoup de ces documents ont été vus et revus, pourtant il y a néanmoins une extraordinaire pépite: le bout d'essais que fit Jean Marais pour le casting des "Enfants terribles". Il y est épouvantable. Que Cocteau l'ai choisi montre combien l'amour est aveugle. Jean Marais dans le film dit lui même qu'il était à l'époque très mauvais. Il a tout de même été assez bon comédien pour faire croire à Cocteau que dés leur première rencontre, il avait été amoureux de lui... Pour ma part je trouve pas qu'il ait été bien bon par la suite. Il faut attendre ses films de cape et d'épée (qu'aimaient tant les vieilles dames, ma grand mère les adorait mais aurait hurler au menteur si on lui avait annoncé que Jean Marais était homosexuel.) pour qu'au cinéma, il soit bon, dans "Le bossu" par exemple ou dans "le Miracle des loups". Quant au théâtre c'est seulement dans ses prestations alors qu'il était un vieil homme pour qu'il soit possible, en roi Lear par exemple, ce qui n'est déjà pas si mal, ou dans le Cid où il était bien meilleur que Jean-Louis Barault et Francis Huster, ce qui n'est, il est vrai, pas bien difficile (je précise que je parle de pièces que j'ai vues...).
Cocteau Marais - un couple mythique donne à voir aussi (pas assez) quelque belles images du jeune Jean Marais. Le film est également ponctué d'extraits de films de Cocteau ( La belle et la bête, L'éternel retour...) et des interview des deux hommes dont celle très émouvante de Marais bouleversé après la mort de Cocteau qui a beaucoup de mal à retenir ses larmes et déclare: << Je lui dois tout.>>.
Jean Marais dans "L’éternel retour" – transposition moderne de la légende de Tristan et Yseult – . Le quotidien britannique The Daily Express n’hésitera pas à écrire en 1945 que « Jean Marais avec ses cheveux blonds d’archange exterminateur, ses bottes de cuir y ressemble plus à un héros wagnérien ou à un SS qu’à un chevalier du Moyen Age. »
A ce propos une des choses qui me gène le plus dans cette déclaration comme dans presque toutes les manifestations commémoratives à l'occasion du cinquantenaire de la mort du poète c'est l'insistance toujours faite sur sa prétendue intelligence. Ce que je ne remarque pas dans ses oeuvres, ( et pas plus dans les interviews, celles contenues dans le film me semblent à ce sujet significatives...) je ne considère pas à ce propos les oeuvres de fiction ou poétique mais seulement le pan autobiographique des écrits de Cocteau, son journal en particulier contient des remarques d'une puissante bêtise. Son attitude pendant la guerre, assez largement documentée dans « Cocteau Marais » avec les incontournables épisodes touchant Arno Breker et Max Jacob témoigne de ce que l'on appelle pudiquement de la légèreté de Cocteau alors qu'elle révèle surtout une totale incompréhension du monde dans lequel il vit et un solide égoisme dont il ne se départira que pour tenter de sauver Max Jacob. Ce qui avait réussi puisque ses efforts joints à ceux de breker, de Heller et de quelques autres étaient parvenu à obtenir la libération malheureusement le fragile Max était alors déjà mort...
Aujourd’hui Cocteau se voit encensé par tous les médias. Expositions, hommages, rétrospective à la cinémathèque, les célébrations vont bon train. Ces médias gardent une grande discrétion sur son rôle durant la Seconde Guerre mondiale et l’Occupation allemande. Un rôle « ambigu » selon Wikipédia, qui ajoute «une partie de son passé entre 1940 et 1945 reste mystérieuse ». En quoi est-il mystérieux ce passé alors que Cocteau a rédigé de 1942 à 1945, au jour le jour, un copieux journal d'un peu plus de 700 pages, toujours disponible aux édition Gallimard. N’ayant pas caché, comme Giono, son pacifisme avant guerre, Cocteau écrira dès le début de l’Occupation dans l’hebdomadaire collaborationniste « La Gerbe » créé par le célèbre écrivain breton Alphonse de Châteaubriant. En décembre 1940 il y lance une «adresse aux jeunes écrivains », sorte de message pour les jeunes Français les appelant à prendre part au « Nouvel Ordre européen ». Surtout, il recevra à Paris, durant l’été 1942, son ami Arno Breker, le sculpteur officiel du Troisième Reich, lors de sa grande exposition aux Tuileries. On en voit quelques images dans le film.
Si Cocteau n'était pas d'une grande clairevoyance politique, il savait être fidèle en amitié. Il n’hésitera pas à rendre visite en 1950 à Alphonse de Châteaubriant, condamné à mort, alors que ce dernier vit exilé et caché en Autriche à Kitzbühel. Deux ans plus tard, après le décès d'Alphonse de Chateaubriant, Cocteau y retournera pour rencontrer sa compagne Gabrièle Castelot.
Riou et Pouchain n'oublient pas non plus de faire défiler, les images des amis célèbres de Cocteau, Proust, Max Jacob, Coco Channel et bien sûr son tortionnaire préféré, Picasso.
Cocteau avec Picasso assistant à une corrida, tout attentionné au spectacle cet amoureux de la jeunesse ne semble pas avoir remarqué le bel éphèbe brun juste devant lui
Un documentaire trop court et trop sage pour le sujet qui recèle néanmoins quelques précieuses images et informations.
eury25/10/2014 05:09
B.A..25/10/2014 22:27
eury25/10/2014 05:09
eury25/10/2014 05:06
eury25/10/2014 05:02
Bruno13/03/2014 00:40
lesdiagonalesdutemps13/03/2014 07:09
ismau26/10/2013 00:04
lesdiagonalesdutemps26/10/2013 07:57
Bruno19/10/2013 18:25
lesdiagonalesdutemps19/10/2013 22:42