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Dans les diagonales du temps
28 mars 2020

Cocteau Marais un couple mythique, un film d'Yves Riou et Philippe Pouchain


    

En 1937, Jean Cocteau, 48 ans, est au plus mal. Il fume une trentaine de pipes d'opium par jour et doit subir les sarcasmes de ses ex-amis surréalistes, qui le jugent trop mondain. Coco Chanel, son amie et bienfaitrice, propose de l'aider à monter sa prochaine pièce. Parmi les jeunes hommes qu'il auditionne se trouve Jean Marais, dont le profil, identique à celui des Ephèbes qu'il dessine par dizaines... Cocteau dira à propos de Marais: «Je ne l'ai pas connu, je l'ai reconnu»

  

Cocteau- Marais © Keystone France

  

Ce documentaire c'est un peu Cocteau pour les nuls. Car sous prétexte de nous brosser le tableau de l'idylle entre Marais et Cocteau, l'image de l'idylle est d'ailleurs sérieusement mise à mal par ce documentaire, il s'agit plutôt pour Yves Riou et Philippe Pouchain, ses réalisateurs de nous faire un travelling express sur la vie de Cocteau. Les deux cinéastes sont des spécialistes des portraits. Ils ont déjà brossé ceux d'Arletty, Joséphine Baker, Pierre Desproges, Juliette Gréco, Barbara sans oublier leur opus sur le spectacle sous l'occupation. Si le film n'est pas trop complaisant pour la personnalité du poète (puisque c'est ainsi qu'il se qualifiait couramment), il est, comme toutes les manifestations que l'on voit fleurir pour le cinquantenaire de son décès, bien trop laudateur à mon sens pour l'oeuvre littéraire de Cocteau. Je crois que le portrait que fait Proust de son ami Jean dans la "Recherche" par l'intermédiaire du personnage d'Octave, un écrivain ayant un talent mineur dans des genres secondaires, est bien plus près de la vérité que les louanges qui se déversent sur une oeuvre que je trouve très surestimée et en définitive très peu lu, qui en font une sorte de commandeur de la poésie du XX ème siècle.

Ce que par exemple ce que les gay apprécient chez Cocteau, ce ne sont pas ses poèmes ou ses pièces de théâtre qu'ils n'ont en général ni lues, ni vues, mais l'attitude de Cocteau envers son homosexualité qui était juste et courageuse, sans pathos ni prosélytisme (du moins pour le grand nombre), mais vécue comme une évidence.

A contrario à la surévaluation de l'oeuvre littéraire il me semble qu'on sous évalue grandement l'art du dessinateur chez lui, cocteau est un dessinateur qui peint. Aujourd'hui, son trait, immédiatement reconnaissable, est pourtant beaucoup plus populaire que ses écrits.

  

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Le film n'est pas une vie une oeuvre de Cocteau, il est à peine question de sa littérature, peu de son oeuvre graphique sinon des fresques de la villa Santo Sospir et ses films ne sont considérés que comme véhicule pour exposer ses amants, d'abord Jean Marais puis Edouard Dermit.

  

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Cocteau, Francine Weisweiller et Edouard Dermit

 

Le modèle d'Yves Riou et Philippe Pouchain a été "Yves Saint Laurent - Pierre Bergé, l'amour fou", le film de Pierre Thorreton. Malheureusement pour lui Riou n'a pas eu le budget et la durée, Cocteau Marais - un couple mythique, à peine 56 minutes dont a bénéficié Thorreton. Riou n'a pas non plus eu la chance de pouvoir, contrairement à son confrère, interviewer de nombreux témoins du couple; pour la bonne raison qu'ils sont presque tous morts. On a tout de même les confidences de la fille de Francine Weisweiller et surtout les interventions goguenardes de Barillet (pourvu qu'un producteur ait la bonne idée de faire parler cet extraordinaire témoin qui est en plus un bon client pour les interviews, témoin et acteur de la vie, théâtrale, gay, mondaine, coquine, intellectuelle... parisienne durant plus de soixante ans, avant qu'il soit trop tard...). D'autre part, je suis surpris qu'apparemment personne n'ait eu l'idée de confesser Doudou. Il devait tout de même avoir quelque chose à dire même si ce n'était pas une lumière. Ces rares tableaux n'étaient pas si mal et curieusement ressemblaient plus à ceux peint par Jean Marais qu'à ceux de Cocteau.  

  

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Le film se compose essentiellement de photos et de courts films commentés d'une belle voix off. Le texte est parfois convenu, mais pas toujours. Beaucoup de ces documents ont été vus et revus, pourtant il y a néanmoins une extraordinaire pépite: le bout d'essais que fit Jean Marais pour le casting des "Enfants terribles". Il y est épouvantable. Que Cocteau l'ai choisi montre combien l'amour est aveugle. Jean Marais dans le film dit lui même qu'il était à l'époque très mauvais. Il a tout de même été assez bon comédien pour faire croire à Cocteau que dés leur première rencontre, il avait été amoureux de lui... Pour ma part je trouve pas qu'il ait été bien bon par la suite. Il faut attendre ses films de cape et d'épée (qu'aimaient tant les vieilles dames, ma grand mère les adorait mais aurait hurler au menteur si on lui avait annoncé que Jean Marais était homosexuel.) pour qu'au cinéma, il soit bon, dans "Le bossu" par exemple ou dans "le Miracle des loups". Quant au théâtre c'est seulement dans ses prestations alors qu'il était un vieil homme pour qu'il soit possible, en roi Lear par exemple, ce qui n'est déjà pas si mal, ou dans le Cid où il était bien meilleur que Jean-Louis Barault et Francis Huster, ce qui n'est, il est vrai, pas bien difficile (je précise que je parle de pièces que j'ai vues...).

Cocteau Marais - un couple mythique donne à voir aussi (pas assez) quelque belles images du jeune Jean Marais. Le film est également ponctué d'extraits de films de Cocteau ( La belle et la bête, L'éternel retour...) et des interview des deux hommes dont celle très émouvante de Marais bouleversé après la mort de Cocteau qui a beaucoup de mal à retenir ses larmes et déclare: << Je lui dois tout.>>. 

 

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Jean Marais dans   "L’éternel retour" – transposition moderne de la légende de Tristan et Yseult – . Le quotidien britannique The Daily Express n’hésitera pas à écrire en 1945 que « Jean Marais avec ses cheveux blonds d’archange exterminateur, ses bottes de cuir y ressemble plus à un héros wagnérien ou à un SS qu’à un chevalier du Moyen Age. »

  

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A ce propos une des choses qui me gène le plus dans cette déclaration comme dans presque toutes les manifestations commémoratives à l'occasion du cinquantenaire de la mort du poète c'est l'insistance toujours faite sur sa prétendue intelligence. Ce que je ne remarque pas dans ses oeuvres, ( et pas plus dans les interviews, celles contenues dans le film me semblent à ce sujet significatives...) je ne considère pas à ce propos les oeuvres de fiction ou poétique mais seulement le pan autobiographique des écrits de Cocteau, son journal en particulier contient des remarques d'une puissante bêtise. Son attitude pendant la guerre, assez largement documentée dans « Cocteau Marais » avec les incontournables épisodes touchant Arno Breker et Max Jacob témoigne de ce que l'on appelle pudiquement de la légèreté de Cocteau alors qu'elle révèle surtout une totale incompréhension du monde dans lequel il vit et un solide égoisme dont il ne se départira que pour tenter de sauver Max Jacob. Ce qui avait réussi puisque ses efforts joints à ceux de breker, de Heller et de quelques autres étaient parvenu à obtenir la libération malheureusement le fragile Max était alors déjà mort...

  

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Aujourd’hui Cocteau se voit encensé par tous les médias. Expositions, hommages, rétrospective à la cinémathèque, les célébrations vont bon train. Ces médias gardent une grande discrétion sur son rôle durant la Seconde Guerre mondiale et l’Occupation allemande. Un rôle « ambigu » selon Wikipédia, qui ajoute «une partie de son passé entre 1940 et 1945 reste mystérieuse ». En quoi est-il mystérieux ce passé alors que Cocteau a rédigé de 1942 à 1945, au jour le jour, un copieux journal d'un peu plus de 700 pages, toujours disponible aux édition Gallimard. N’ayant pas caché, comme Giono, son pacifisme avant guerre, Cocteau écrira dès le début de l’Occupation dans l’hebdomadaire collaborationniste « La Gerbe » créé par le célèbre écrivain breton Alphonse de Châteaubriant. En décembre 1940 il y lance une «adresse aux jeunes écrivains », sorte de message pour les jeunes Français les appelant à prendre part au « Nouvel Ordre européen ». Surtout, il recevra à Paris, durant l’été 1942, son ami Arno Breker, le sculpteur officiel du Troisième Reich, lors de sa grande exposition aux Tuileries. On en voit quelques images dans le film.

Si Cocteau n'était pas d'une grande clairevoyance politique, il savait être fidèle en amitié. Il n’hésitera pas à  rendre visite en 1950 à Alphonse de Châteaubriant, condamné à mort, alors que ce dernier vit exilé et caché en Autriche à Kitzbühel. Deux ans plus tard, après le décès d'Alphonse de Chateaubriant, Cocteau y retournera pour rencontrer sa compagne Gabrièle Castelot.

 

1952 Cocteau à Kitzbühel avec Gabrielle Castelot

En 1952, Cocteau rendit visite à Gabrielle Castelot, l’amie de l’écrivain collaborationniste Alphonse de Chateaubriant, réfugiée à à Kitzbühel. (Photo provenant du site: http://www.breizh-info.com/1599/actualite-culturelle/cocteau-berge/)

 

Riou et Pouchain n'oublient pas non plus de faire défiler, les images des amis célèbres de Cocteau, Proust, Max Jacob, Coco Channel et bien sûr son tortionnaire préféré, Picasso.

  

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Cocteau avec Picasso assistant à une corrida, tout attentionné au spectacle cet amoureux de la jeunesse ne semble pas avoir remarqué le bel éphèbe brun juste devant lui

  

Un documentaire trop court et trop sage pour le sujet qui recèle néanmoins quelques précieuses images et informations.

  

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Commentaire de cet article lors de sa première parution

eury25/10/2014 05:09

commentaires affichés une fois approuvés ? c'est pour ça que vous avez si peux de contradicteurs

B.A..25/10/2014 22:27

Vous voyez je ne censure pas mes contradicteurs.
J'ai eu la chance de prendre quelques verres avec Jean Marais lors de l'exposition Cocteau au Salon d'automne dont je me suis occupé avec Mac Avoy et Jeanne-Michel Hugue, homme tout à fait charmant. Je suis assez vieux pour l'avoir vu plusieurs fois sur scène et en effet dans ses derniers rôles il n'était pas mauvais du tout en particulier dans le Roi Lear que j'ai du voir en 1970 et 1971, il reste que d'après le peu d'image que l'on a il était assez mauvais jeune. Cocteau l' a auditionné je crois pour Britannicus les critiques de l'époque ont été unanimement mauvaises pour le jeu de Marais.
Certes Barault était intéressant avant guerre parce qu'il ne ressemblait à personne. Mais pour ma part je l'ai vu sur scène que dans les années 70 et 80; la dernière fois dans le Cid (avec Marais) il était épouvantable. Et ses autres prestations étaient très oubliable, contrairement à celle de Madeleine Renaud, elle grande actrice de théâtre.

eury25/10/2014 05:09

et avant de critiquer barrault, le génial baptiste des enfants du paradis, j'aimerai bien voir ce que vous valez sur une scène, je vous trouve bien médisant et prétentieux

eury25/10/2014 05:06

et vous êtes sur que vous ne faites pas une erreur quand vous parlez de casting pour les enfants terribles ?
il est épouvantable dans les parents terribles en 1947 parce qu'il est trop vieux.
Mais la première fois cocteau l'a auditionné pour une pièce, je ne sais plus le titre mais ce n'était pas les parents terribles.
vous ne connaissez pas votre sujet

eury25/10/2014 05:02

marais est mauvais dans l'extrait montré on est d'accord. Mais ce sont ses débuts et il apprend assez vite, Dire qu'il est mauvais dans l'eternel retour ou la belle et la bete est d'une belle hypocrisie

Bruno13/03/2014 00:40

Une vue que je ne connaissais pas :

http://mimbeau.tumblr.com/post/76626940901/mimbeau-jean-cocteau-and-jean-marais-paris

lesdiagonalesdutemps13/03/2014 07:09



merci moi non plus je ne connaissais pas cette photo.



ismau26/10/2013 00:04

Je regrettais de n'avoir pu voir ce documentaire, et comptais sur votre billet, mais trop tard ... le lien ne fonctionne plus . Heureusement, je l'ai retrouvé sur le net, le voici pour d'autres
retardataires :
http://www.youtube.com/watch?v=ZNcmzJx5SqM
Je l'ai trouvé encore plus riche qu'espéré, en images et commentaires fort bien documentés .
J'avais vu récemment « L'Occupation sans relâche » de ses mêmes réalisateurs, avec les témoignages de Barillet, toujours aussi intéressants .

Je me demande tout de même pourquoi, une fois de plus, Jean Desbordes n'est pas mentionné, alors que d'autres rencontres importantes avant celle de Jean Marais sont évoquées . ( Marcel Khill non
plus, mais je sais qu' on les trouve tous deux sur votre blog )

Je me demande aussi pourquoi vous insistez autant, et si souvent aussi dans d'autres billets, pour dénigrer Cocteau, et son manque d'intelligence . Il me manque peut-être d'avoir lu son Journal
pour comprendre précisément ce que vous lui reprochez . Par ailleurs ce que je connais de lui est toujours talentueux : textes, dessins, films . Le fait d'avoir osé travailler l'ensemble est d'une
grande originalité pour l'époque, d'une grande modernité . Proust le reconnais justement dans la Fugitive, il dit s'être trompé sur Octave dans son premier jugement négatif, et trouve finalement
« ses oeuvres admirables » : « Ce jeune homme fit représenter de petits sketches, dans des décors et avec des costumes de lui, et qui ont amené dans l'art contemporain une révolution
au moins égale à celle accomplie par les Ballets russes . Bref les juges les plus autorisés considérèrent ses oeuvres comme quelque chose de capital, presque des oeuvres de génie, et je pense
d'ailleurs comme eux,... »

lesdiagonalesdutemps26/10/2013 07:57



Merci pour votre commentaire et la réactualisation du lien grâce à l'adresse que vous communiquez.


Pourquoi j'insiste sur la bêtise de Cocteau pour aller encore une fois contre les lieux commun et sur le fait qu'il est admis pour l'éternité que cet homme audacieux était intelligent, il avait
au moins l'intelligence d'orchestrer sa légende. Il était sans aucun doute un brillant causeur qui éblouissait son entourage si bien qu'aveuglé ses laudateurs ne voyaient pas la superficialité et
la fausseté de ses jugements. Lisez le journal en particulier celui de 1954 et vous constaterez que ce prétendu admirateur de la nouveauté, le fameux "étonnez moi" ne comprenait rien à ce qui
était neuf mais avait un sens pour ce qui était à la mode dés qu'elle apparaissait et ainsi semblait l'avoir créé. Il avait le sens de ce qui était dans le vent comme on disait dans les années
60. En revanche je maintiens que c'est un formidable dessinateur une sorte de maitre de l'art brut car son dessin est celui d'un autodidacte compulsif.



Bruno19/10/2013 18:25

J'ai regardé ce documentaire assez intéressant.
Merci pour la bonne critique
Jeannot, en fille, à 6 ans :
http://img96.imageshack.us/img96/3759/1oam.jpg
Amusant

lesdiagonalesdutemps19/10/2013 22:42



Pour avoir fait quelques casting je n'aurais jamais choisi Jean Marais. Je n'ai jamais vu un jeune acteur aussi mauvais pourtant j'en ai vu des redoutables mais comme ça jamais. Je crois que
j'aurais éclaté rire et viré immédiatement...

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