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Dans les diagonales du temps
21 mars 2020

Le retour des émigrés de Claude Michel Cluny

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Claude Michel Cluny a le premier talent de trouver pour les tomes de son journal littéraire de beaux titres. Mais ils peuvent paraître obscurs ou du moins pour celui-ci trompeur. Les émigrés en question ne sont pas les aristocrates fuyant la terreur de notre si regrettable Révolution mais les socialistes de tout poil (c'était le cas de le dire en 1981) qui avides de places et de prébendes se ruaient pour engloutir une part du gâteau que leur tendait dédaigneusement Mitterrand.

La raison principale qui m'a fait choisir parmi les dix tomes parus à ce jour aux éditions de La Différence, du journal littéraire de Claude Michel Cluny, ce « Retour des émigrés » qui couvrent les années 1980-1981, est que je subodorais que l'on y assisterait à la rencontre de l'auteur avec ses « Dioscures » (voir L'or des Dioscures de Claude Michel Cluny ).

Le premier dont il fait la connaissance est Eric, l'élève ébéniste. Il le découvre, le 17 mars 1980, non loin de chez lui, du coté de Belleville: << Je n'avais pas parcouru cent mètres que le hasard m'offrait un beau garçon. Très banlieue d'allure, mais aujourd'hui la banlieue est partout. Accoutrement uniformisé: jeans délavés, blouson, et ces boots pointues et ridicules dont le talon fuit sous le pied. Ne s'est pas effarouché. Un rien gouailleur d'abord, ce qui voulait peut-être voiler un fond de jeune timidité...>>, plus loin: << Je me rendais compte qu'Eric n'était pas classiquement beau, mais que la jeunesse lui donnait le charme troublant d'une autre beauté, celle des nombres impairs, de l'inattendu, du bel imparfait. J'aurais dévoré son sourire, quand il souriait. Et ses yeux sont étonnamment lumineux.>>. Dans ces quelques lignes on voit que si C.M.C. excelle dans le portait au vitriol, il peut aussi tremper sa belle plume dans le miel.

Comment ne pas constater que de telles bonnes fortunes relèvent d'une autre époque. Il me paraît impossible aujourd'hui qu'un quinquagénaire lève, en un croisement de regards, une créature de dix-sept ans aussi disponible et aussi désintéressée.

Au delà de l'amour (mot que Cluny répugne à employer) pour Eric, C.M.C. réfléchit aux relations entre un adulte et un adolescent: << Les ados nous apprennent à aimer ce que nous avons été et exiger davantage de ce que nous sommes. Ce commerce amoureux est troublant et cruel; l'inverse serait tellement plus confortable, qui nous ferait comprendre qui nous fûmes, et mieux aimer celui que nous sommes devenu.>>. C.M.C. se révèle dans ces pages (et probablement dans bien d'autres) un pygmalion dans l'âme, mais ce qui est rare, un pygmalion qui n'est pas possessif, nourrissant d'autre part guère d'illusions sur son influence sur les jeunes pousses que le hasard lui a fait rencontrer. Dans ce domaine comme dans tous les autres on pourrait appliquer aux actions de Claude Michel Cluny la maxime de Guillaume 1 er d'Orange-Nassau: << Qu'il n'est pas nécessaire d'espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer. >>.

C'est ce coté pygmalion qui me touche le plus chez l'auteur. Il est son meilleur antidote à la tentation du cynisme. C'est dans cette attitude de passeur, de mentor sans illusion que je lui ai ressemblé jadis, avec sans doute moins de bonheurs et de réussites bien que ces dernières soient rarement mesurables.

Tout ce pan du journal sur l'amour des adolescents me fait songer que les éphèbophiles qui n'ont rien à voir avec les pédophiles avec lesquels on les jette malignement dans le même sac, et peu avec les homosexuels qui revendiquent et tiennent souvent ainsi le haut du pavé, sont eux totalement invisibles et mis au ban de la société alors que leur pratiques amoureuses et sexuelles ne tombent pas sous le coup de la loi. Cette dérive moraliste aggrave encore l'inculture et paradoxalement l'a-moralité de la jeunesse car l'école ayant failli, jadis quelques adolescents au moins, pouvaient espérer être sauvés de leur condition par ces amours là...

Quant à la deuxième moitié des Dioscures, Jérôme, il la rencontre le 9 juillet 1981. Alors que C.M.C. musardait le long des boites de bouquinistes, des bords de Seine, il voit cet adolescent << à la minceur délectable qui s'accoude près de moi, moins attentifs au spectacle de la Seine qu'à mon regard.>>. Là encore comment aujourd'hui pourrait on imaginer pareille créature dans les parages des boites des bouquinistes qui ont d'ailleurs remplacé les livres qui s'y trouvaient par de la bimbeloterie made in China. Encore une fois, rétrospectivement je m'émerveille sur un temps où il était possible que le regard d'un homme de 51 ans suffise à ferrer un tel animal... C.M.C nous en fait le portrait: << Une bouche pleine, ne cachant pas qu'elle est gourmande; des yeux noisettes et des boucles brunes. Le nez un peu long. Un court blouson léger dégage merveilleusement la taille « délectable » et la chute de reins. Un vrai page! (…) Il aurait tout d'un Caravage si les modèles du Caravage avaient été beaux.>>.

Contrairement à beaucoup, l'amour des garçons n'est pas une obsession chez Claude Michel Cluny. Elle ne restreint pas le champ de sa curiosité, ni obscurcit son entendement. Ayant déménagé, à la fin 1979, du quartier latin à Belleville, il est confronté à un tout autre Paris. Il prend conscience, en précurseur, du « Grand remplacement » avant même que le terme soit inventé: << L'Algérie fut un échec par nos fautes répétées – et parce que nous nous montrâmes incapable de devenir plus nombreux que les « indigènes ». Par la même loi du nombre et donc la natalité, l'histoire est en passe d'opérer un de ces ironiques et désastreux renversements: car, sans osmose, les anciens colonisés, et d'autres avec eux, sont là, s'incrustent, s'augmentent, prolifèrent. Eux resteront, fort de leurs coutumes, de leurs religions, de leurs moeurs et de l'impéritie de nos politiques, de nos lois inadaptées, qui nous font détester, et de la démission occidentale. L'Occident est la grenouille aidant contre tout bon sens le scorpion à passer la rivière.>> Quelle clairvoyance en 1981!

L'actualité de l'époque interfère souvent dans ces pages. Bien qu'il n'aime pas Giscard d'Estaing qu'il surnomme Giscardaing, il apprécie encore moins Mitterrand (qu'il appelle que le florentin) et sa clique, la socialisterie dont Cluny dénonce l'esprit de revanche, le carriérisme et surtout leur effarant dénie des réalités. Il fait le parallèle entre les arrivistes socialistes et les revenants de 1815 qui eux non plus n'avaient rien appris de l'Histoire.

« Le retour des émigrés » est pour Claude Michel Cluny concomitant à l'écriture de son roman « L'été jaune » (que je n'ai pas encore lu). Il nous entraine dans son atelier d'écriture. Nous suivons ainsi tous les stades de l'élaboration de l'oeuvre, chapitre après chapitre jusqu'à l'édition en volume avec les douloureuses corrections sur épreuve, les désaccords de C.M.C avec son éditeur, Balland, qui veut sortir le roman pour la rentrée littéraire de 1981 (que reste-t-il aujourd'hui de cette rentrée et qu'en sera-t-il de celle déplorable de 2013 dans 32 ans?) et enfin la réception critique du livre.

On trouve dans ce tome du journal, qui porte bien son sous-titre de journal littéraire nombre de réflexions sur l'art d'écrire et le roman: << Le roman devient le support de choix de la vulgate sociale. Ce qui fait l'irréalisme étrange et l'aspect faux en écriture se livre tel Alexis, de Yourcenar, les romans de Gracq, le Junger de certains récits. Du stuc, pas du marbre.>>, plus loin: << Il y a dans la fin d'un livre quelque analogie avec la fin d'une vie, mais d'abord pour l'auteur. Un monde le quitte, qu'il a créé, plus encore qu'il ne l'abandonne.>>, ou encore: << L'imagination tire parti du banal plus que de l'impossible.>>.

Claude Michel Cluny ne semble pouvoir écrire que loin de Paris et si possible dans des lieux isolés; ainsi le lecteur suit l'écrivain en Inde, à Ceylan, en Tunisie dans les iles anglo-normandes où il trouve un environnement propice à l'écriture de son roman qui se déroule… aux Etats-Unis! Chaque voyages offre à C.M.C l'occasion de déployer ses talents de poète paysagiste.

C'est en 1981 que Claude Michel Cluny commence sa collaboration à l'Express grâce à l'intercession d'Angelo Rinaldi, un des rares écrivains français contemporains, avec Hervé Guibert qu'il apprécie. La tragicomédie de la scène littéraire parisienne est moins présente que dans les « Dioscures ». On trouve néanmoins dans ce « Retour des émigrés » quelques portraits d'une réjouissante férocité comme celui-ci: << Chez Gallimuche. Aperçu Jean Grenier, très fonctionnaire des douanes comme à l'accoutumée. Il ne me voit jamais, le petit bonhomme tout propre et tout gris: si la poussière était propre, il serait l'homme de poussière.>>.

On pourrait penser que le cinéma pour un des responsables du Larousse du cinéma, dont les goûts me paraissent proches de ceux de son confrère Jacques Lourcelle, tiendrait une place importante dans ce volume du journal, s'il n'est pas absent, il n'y occupe qu'une place congrue. On peut le regretter tant les remarques de l'auteur sur le cinéma sont pertinentes: << Nous ne connaissons pas de cinéastes TV Generation comme les Etats-Unis en ont vu s'imposer par le biais, souvent, de productions indépendantes des grands studios: Peckinpah, Penn, Pollack... sont issus de la TV. >>.

Il est rare, pour ne pas dire unique de rencontrer un auteur avec lequel je me sente autant en communion. Il y a bien des phrases du « Retour des émigrés » que j'aurais pu écrire si j'avais la vivacité d'esprit et la maitrise de la langue que possède Claude Michel Cluny. Voici un florilège de ces maximes et considérations que je fais miennes: << Croire à ce qu'on désire fait la faiblesse des jugements politiques et des plans militaires.>>, << … l'énorme masse imbécile du monde retourne, une fois de plus, à l'abjecte mangeoire des prêtres de tout ordre et de toute sainte Révélation.>>, << Les politiques font la moue devant la bombe à neutrons, unique bombe propre qui tuerait sans détruire. Quelle merveille! La planète purgée, sans que soient écornée les musées et les beautés architecturales. Les animaux malheureusement, subiraient le sort commun. >>, << Où prendre le temps de relire Corneille, Proust ou Kafka? Ou d'apprendre vraiment une langue? Ou de visiter Istamboul, Mantoue, ou le musée de Dresde? Et nous sommes contraint par tant d'inutilités nécessaires qu'on voudrait être un chat, heureux de régnersur ses rêves et de se moquer de ceux de son maître.>>, << Je pense sans haine aux Parques qui ne tissent jamais que des lambeaux de bonheur et m'en auront fait un manteau rapiécé. >>, << Les français ne voyagent pas, ou ne voyagent plus, ils se déplacent, on les déplace. S'imprégner d'un autre espace n'exige pas des siècles; je me sens, parfois dans le rôle d'une éponge que l'on a fait passer d'une mer dans une autre; elle y trouve à se nourrir ou non.>>, << La télévision, ce qu'on en fait: une auge blême où viennent s'abreuver les veaux.>>.

A quelques pages de la fin du volume je tombe sur une évocation aussi juste que savoureuse de feu mon ami Edouard Mac Avoy. Elle m'a fait sourire et avec émotion m'a rappelé quelques heureux moments dans son atelier de la rue du Cherche-midi: << Le « viel » escholier me raconte sa première séance de pose chez Mac Avoy. Brillant causeur, il est intarissable: << Tu croirais une petite momie agitée, enveloppée dans ses rides, il est très âgé, plus de quatre vingt ans je crois. Il travaille sans arrêt, et il me dit qu'il ne pouvait supporter les garçons circoncis, que ça lui rappelait une mésaventure de jeunesse, la dernière nuit passée avec une fille dont il voulait se séparer. Elle aurait, c'est lui qui le dit, essayé de l'émasculer au petit matin pendant qu'il dormait encore! Il a dû se faire recoudre (…) Il a encore la main baladeuses. Il me tenait le mollet et disait que c'était le fluide des corps qui communiquait chaleur et talent!>>. Edouard m'avait aussi raconté cette histoire. Ce qui est amusant, c'est ayant plusieurs dessins de garçon de Mac Avoy sur mes murs, j'y ai peut-être l'anatomie de cet ancien amant de Claude Michel Cluny...

Oubliez le flot bourbeux de cette rentrée littéraire 2013 et plongez vous dans le journal de cet esthète qu'est Claude Michel Cluny vous y ferez un bain d'intelligence, de culture et de probité.

 

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Commentaires
I
Ce lien, même lointain, est tout de même assez peu banal... Bien qu’étant fière de mes modestes ancêtres parpaillots, j’envie vos accointances avec les fastes de Rome ! Ce qui ne m’empêche pas d’avoir moi aussi une céramique confectionnée par Jean Marais. C’est un bougeoir gris métallisé tout à fait quelconque, mais qui m’a donné le privilège de croiser l’acteur mythique devenu vieil artiste barbu ... qui – merveille - était là dans sa boutique de Vallauris au moment de mon achat.
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M
Et bien non MacAvoy qui n'était pas avare d'anecdotes souvent croustillantes ne m'a pas raconté celle-là; mais en revanche, enfant j'ai eu l'honneur de rencontrer Monseigneur Roncalli. A cette occasion il m'a donné une petite médaille que j'ai toujours et que j'ai disposé avec d'autres petites babioles dans un vide poche en céramique confectionné par Jean Marais. Si je me suis retrouvé à la nonciature emmené par mes parent c'est qu'une de mes grand tante, soeur de la mère de mon père était l'intendante de la nonciature (elle dirigeait la domesticité du lieu et veillait aux agapes diplomatiques (parfois) du futur pape. Cette dame aimait beaucoup son cardinal de patron et c'était réciproque si bien qu'une fois devenu pape Monseigneur Roncalli l'invitait régulièrement au Vatican où alors elle résidait quelques jours tout frais payé y compris bien sûr le voyage... Je dois dire que c'est le seul lien, lointain, que j'ai entretenu avec la papauté
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I
« Dès que possible, j'espère lire Claude Michel Cluny, beaucoup pour tout le bien que vous en dites, un peu je l'avoue pour avoir le plaisir d'y croiser Hervé Guibert . » C’est ce que j’écrivais en 2013 Maintenant peu m’importe de croiser Hervé Guibert, mais j’ai toujours envie de lire CMC et je ne l’ai toujours pas fait ...<br /> <br /> <br /> <br /> L'anecdote de Mac Avoy m'a rappelé une autre anecdote savoureuse avec ce peintre, celle que raconte Philippe Mezescaze dans un de ses derniers livres « À nos corps exaucés » ( Mezescaze qui fut lui aussi un modèle du peintre, à 19 ans, en 1971 ) <br /> <br /> Il s'agit de Monseigneur Roncalli, futur pape Jean XXIII, dont Mac Avoy exécutait à l'époque un portrait commandé par l'église .Les séances de pose ne se passaient pas à l'atelier, mais à la nonciature, elles étaient longues et éprouvantes . Ce qui expliquait la nécessité pour le digne ecclésiastique, de se reposer à l'heure du thé, et de se retirer ensuite pour une petite sieste d'une vingtaine de minutes, toujours en compagnie d'un jeune et charmant séminariste . Une fois les séances de pose terminées, il avait confié à son portraitiste devenu un ami : « Vous savez, je puise dans la jeunesse de ces garçons un allant et des ressources nouvelles pour l'Espérance » ... !<br /> <br /> Il vous avait peut-être aussi raconté cette édifiante histoire ...
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