The Bubble, un film d'Eytan Fox
Fiche technique :
Avec Ohad Knoller, Yousef Sweid, Daniela Wircer, Alon Friedmann, Miki Kam , Shredi Jabarin, Lior Ashkenazi, Zion Barouch, Oded Leopold, Dorin Munir, Zohar Liba, Yael Zafrir, Noa Barkai, Yotam Ishay et Avital Barak.
Réalisation : Eytan Fox. Scénario : Amir Feingold & Gal Uchovsky. Images : Yaron Sharf. Montage : Yosef Grunfeld & Yaniv Raiz. Production : Amir Feingold. Musique : Ivri Lider.
Israel, 2006, Durée : 115 mn. Disponible en VO, VOST et VF.
Résumé :
Un Roméo et Juliette moderne au pays de la kipa et du keffieh où Juliette s’appelle Ashraf (Yousef Sweid), un beau mec qui veut entraîner dans la mort son Roméo-Noam (Ohad Knoller) encore plus beau mec, par désespoir politique.
The Bubble est un film politique. Un film politique à l’américaine dans lequel on nous intime de nous identifier à l’un des personnages, surtout au personnage principal du jeune juif que l’on découvre dès la première image remplissant ses obligations militaires sur un barrage entre Israël et la Cisjordanie. Nous avons là, j’insiste, un film politique, genre en plein renouveau ces dernières année (Lord of War, Syriana, Good night and good luck...) qui suit le modèle américain dans lequel l’intimité, la psychologie, la vie sexuelle et professionnelle des personnages se mêlent à l’actualité, presque toujours dramatique. C’est ce mariage de l’Histoire avec de petites histoires qui nous émeut. On peut mesurer la différence entre le modèle du film politique américain, aujourd’hui quasiment hégémonique, avec l’archétype du film politique italien, mondialement reconnu dans les années 60 et 70 qu’est L’affaire Matei grâce à la rétrospective parisienne de l’œuvre de Francesco Rossi et surtout de sa ressortie en DVD. Un cinéma qui met en avant les faits, les rapports des personnages avec la rue et non leur vie privée. Dans le premier type, il y a symbiose entre le privé et le public, c’est ce que nous voyons, tous les jours, en une de nos gazettes ; dans la seconde, il y a une séparation nette entre le privé et le public, cinéma d’un autre temps que l’on peut regretter... The Bubble appartient au premier genre : est-ce surprenant venant d’un pays autant dépendant des américains ?
Il est amusant de constater qu’un cinéaste aussi éloigné des critères du cinéma américain, tel qu’Eric Rohmer ne fait pas autre chose dans ses deux derniers films historiques,L’Anglaise et le duc et Triple agent. Cette remarque m’amène à une autre considération : quand et comment un film historique cesse de l’être pour devenir un film politique ? Je vous laisse répondre à cette question...
Dans une interview, Ethan Fox déclarait qu’il voulait être l’Almodovar israélien. Disons qu’il est sur la bonne voie mais qu’il a encore du travail pour y parvenir. Comme l’Espagnol, il a visiblement un don pour les castings justes et un grand talent pour la direction des acteurs. Dans The Bubble, ils sont tous formidables. Comme Almodovar, il possède un vrai courage dans le choix de ses sujets et leur traitement. Ni l’armée, ni la gauche israélienne, ni les palestiniens sont traités avec ménagement. Comme son modèle, il est aussi à l’aise dans le drame que dans la comédie et dans ce dernier registre certaines scènes, bien amenées, sont hilarantes, mais l’on passe vite du rire aux larmes. Il sait aussi très bien capter l’atmosphère du petit monde de Tel Aviv dans lequel vivent ses protagonistes grâce notamment à une judicieuse utilisation des décors. Enfin dernier point commun entre les deux artistes, l’excellence et l’originalité de la musique qui dynamise The Bubble de bout en bout. La belle musique originale du film émane d'une rock star israélienne montante : Ivry Lider.
Il rend bien compte, assez subtilement aussi, du sentiment qui existe aujourd’hui chez les Israéliens que seule est possible une politique d’apartheid (je ne trouve pas d’autre mot malheureusement, celui-ci est démonétisé par la pratique faite de cette philosophie politique en Afrique du sud) au sens du développement juxtaposé excluant toute mixité, idée qui a largement gagné même la gauche israélienne (les travaillistes).
Mais on voit bien que c’est dans la construction de son scénario que le réalisateur a voulu imiter le plus le maître madrilène, avec son histoire où tous les personnages se rencontrent, se connaissent, tissent des liens complexes qui ne peuvent qu’amener au dénouement dramatique.Mais contrairement à Almodovar, chez qui cette construction est arachnéenne et à peine perceptible au premier visionnage, chez Eytan Fox le maillage scénaristique est fait de grosses cordes qui freinent l’empathie que l’on peut éprouver pour ses créatures.
En ce qui concerne l’aspect formel, contrairement à Almodovar, maisaussi par exemple à Rossi que j’évoquais précédemment, si sa réalisation est propre (même si parfois dans des scènes de foule il manque visiblement de figurants), il ne possède pas encore une véritable signature dans l’image. Le plus gros défaut du film est peut-être son montage un peu mou. En écourtant chaque scène, presque chaque plan, il aurait pu sans modifier la durée de son film se donner plus de temps pour développer ses personnages secondaires que l’on aurait aimé mieux connaître.
Il faut féliciter Eytan Fox d’enfin nous proposer un film gay, c’est aussi un film gay, dans lequel les personnages ne sont pas déconnectés du réel et le quotidien en Israël : c’est la guerre et les attentats sont fomentés par les palestiniens extrémistes. Enfin dans le cinéma gay un cinéaste qui lève les yeux de sa bite et pas seulement pour mater celle des autres ! Voilà un film où l’on ne s’encule pas dans une bulle, c’est le paradoxe voulu du titre « bubble » en bon français « bulle ». La bulle en question est Tel Aviv où est possible une liberté de mœurs inimaginable dans le reste du pays. Ethan Fox s’explique sur son titre: « The Bubble est le surnom que les israéliens donnent à Tel Aviv. Il y a une connotation péjorative dans cette expression. Comme Gal et moi, les personnages du film vivent rue Shenkin, dans le quartier branché et alternatif d’Israël. Beaucoup de gens se sont volontairement coupés des réalités sociales et politiques du pays. Leur attitude est souvent jugée comme superficielle et irresponsable. Naturellement, ce n’est pas ce que nous pensons. Cette “bulle” est selon nous un mécanisme de survie. Beaucoup des forces créatrices d’Israël sont concentrées dans ce quartier devenu aujourd’hui une pépinière d’artistes. On y trouve également de nombreux cafés, des boutiques branchées. De nombreux Israéliens, notamment les plus jeunes, rêvent de venir vivre ici. »
Le cinéaste reste fidèle à la thématique de son précédent film Tu marcheras sur l'eau, qui était déjà la difficulté de se mettre à la place de l’autre, en espèce celui de jeunes Allemands dont la famille avait participé à la Solution Finale. Il existe d’ailleurs un trait d’union entre The Bubble et Tu marcheras sur l’eau, personnalisé par Lior Ashkenazi, l’acteur de Tu marcheras sur l'eau, joue un déporté homosexuel à Auschwitz dans la pièce de théâtre que Noam et Ashraf vont voir. Il est à noter que cette pièce, on reconnaît Bent,est appelée inexplicablement Les tordus ! Il me semble qu’il existe un problème dans la traduction du sous-titrage qui, en plus, ne trouve pas utile de traduire les paroles des chansons que l’on entend alors que ces paroles font parfois office de chœur par rapport aux dialogues des personnages. Quant à Ohad Knoller, il fait la liaison avec Yossi et Yaggerpuisqu’il jouait Yossi.
Il est dommage que le réalisateur n’ait pas osé un happy end, car paradoxalement le happy end qui a disparu du cinéma de qualité est aujourd’hui un acte de courage artistique alors que dans le cinéma classique des années 50 et 60, c’était un poncif. Le choix de cette fin très lourdement mélodramatique est aussi peu judicieux qu’en contradiction avec la psychologie de Noam et d’Ashraf.
Eytan Fox, avec Raphaël Nadajari ou Dalia Hager et Vidi Bilu, montre que la relève d’Amos Gitaï existe dans le cinéma israélien.
The Bubble par son émotion et son intelligence agrandit considérablement le champ du cinéma gay.
Carl19/12/2012 21:45